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Neil Gaiman revient en détail sur 1602, le comic

Par Luigi Brosse, le vendredi 7 mai 2004 à 12:40:38

On ne présente plus Neil Gaiman : vainqueur du prix Hugo, du Nebula, du Bram Stoker, et d'autres prix trop nombreux pour les citer, romancier à succès, écrivain pour la télévision, romancier pour enfants et, bien sûr, auteur de ce qui est peut-être la meilleur série comics de tous les temps.

Nous vous proposons aujourd'hui une traduction d'une interview réalisée par Jason Pomerantz de Comic World News. Il s'y fait l'écho des lecteurs en questionnant en détail et avec passion l'auteur sur 1602.

L'interview traduite

Les lecteurs réguliers de Mysteries and Conundrums savent que j'ai passé le plus clair de l'année dernière plongé dans chaque mot et dans chaque aspect de sa dernière série de comics, 1602.
Mr Gaiman a été assez gentil pour récompenser mes mois de labeur dévoué en me parlant de 1602 et d'autres aspects de sa longue et illustre carrière.

Cela semble paradoxal mais il me semble que 1602 capture l'essence du travail de Stan Lee mieux que l'on fait beaucoup de ses incarnations contemporaines. C'est dû en grande partie à votre talent d'écrivain. Mais il me semble aussi que quelque chose dans l'univers Marvel de la première heure, une grande partie de son charme, est assez incompatible avec le monde d'aujourd'hui. C'est seulement en étant transporté complètement en dehors de notre temps que les personnages ont été capables de retrouver l'esprit de leur première décennie (à un certain niveau, l'Ultimate Universe était une tentative de traiter ce sujet dans un cadre contemporain. Mais, à l'exception de Ultimate Spiderman, qui à mon avis retransmet une grande partie de ce qui a rendu les histoires de Stan Lee si spéciales, la plupart des titres échouent à cet exercice). Etes-vous d'accord pour dire que le cynisme et la mondialisation des dernières décennies ont rendu les histoires du Marvel Universe difficiles à raconter? Ou est-ce juste une question d'effort de la part de ces écrivains ?
Je pense que ça a sûrement beaucoup de rapport avec ce que vous recherchez. Je voulais jouer avec le fait de retrouver les personnages originaux de Stan Lee (et de Jack et Steeve, etc). Je voulais de la simplicité. Je voulais écrire les personnages dont je suis tombé amoureux quand j'avais 7 ans (dans les ré-éditions du Royaume Uni, donc j'ai eu Marvel Universe depuis le début). Je ne voulais pas faire quelque chose qui ressemble à une version Marvel de 1963 d'Alan Moore, je voulais faire quelque chose de particulier, parce qu'Alan recréait les comics originels, ce qui signifiait que si je m'engageais sur cette route, au mieux je finirais par faire une imitation de ce qu'ont fait Stan et Jack.
Donc j'ai décidé de faire autre chose.
La meilleure prétention de 1602 était que j'allais simplement commencer l'univers Marvel plus tôt et voir comment ça marchait.
Certaines choses étaient juste là, dans un coin de ma tête, et y étaient depuis longtemps - je pensais qu'il pourrait être marrant de créer un Daredevil qui serait plus proche du frère imaginaire de Matt Murdock, Mike, qu'il n'était de Matt lui-même, par exemple. La plupart d'entre elles se sont posées assez heureusement sur le papier. Mais surtout, j'ai été impressionné de voir à quel point Stan, Jack et les autres avaient bien construit les choses.
Les conflits physiques sont les plus évidents dans 1602, comme le combat de Doom et de son équipe d'assassins. Mais les plus grandes sources de tension viennent des batailles que mènent plusieurs personnages avec leur propre conscience.
Fury est obligé de trahir la couronne qu'il a travaillé à protéger toute sa vie. Donal commet volontairement ce qu'il sait que son église va considérer comme un péché. Uatu baffoue les croyances du Watcher en interférant dans son histoire.
Dans tous les cas, les personnages doivent violer les principes d'un système de foi structuré dans le but de faire ce que leur moralité personnelle leur dit être juste.
(Rojhaz, d'un autre côté, a été incapable de franchir ce pas. Il est resté fidèle à son rêve de protéger Roanoke pour construire une démocratie plus solide en Amérique, même quand il était clair que ce but était une chimère.)
Est-ce que l'importance de ces combats à un rapport avec le choix du lieu où placer votre histoire ? Le XVIIème siècle était une époque où les notions de conscience individuelle et de liberté politique ont commencé à dominer le monde.
Honnêtement, je ne pense pas. Si j'avais écrit une histoire similaire située quelques centaines d'années plus tôt (ou plus tard) j'aime à penser que, en fin de compte, les gens seraient arrivés à leurs propres conclusions à propos du bien et du mal, et des gens qui changent d'avis.
(Je pense que des gens changeant d'avis à propos de quelque chose d'important pour eux est beaucoup plus intéressant qu'un coup de poing, à bien y réfléchir).
La première fois que j'ai lu la fin de la série, j'étais absolument sûr, et beaucoup d'autres personnes aussi, que le Président-A-Vie était George W. Bush. Puis, vous avez déclaré que ce n'était absolument pas ce que vous vouliez dire. En relisant avec ça en tête, la plupart d'entre nous ont commencé à croire qu'il s'agissait de Killgrave, le Purple Man.
Mais la première impression persiste et nous amène à un très étrange phénomène du Chat de Schrodinger, dans lequel le Président est George W. Bush et Killgrave simultanément. Les deux lectures sont très différentes. S'il s'agit de Bush, cela amène une portée politique contemporaire évidente. Si c'est Killgrave, l'aspect "hommage au super-héros de l'univers Marvel d'origine" est amplifié.
Je pense que l'histoire est plus forte si le Président est Bush. Cela est plus lié aux motivations politiques de Rojhaz à protéger Roanoke et Virginia (on ne doit pas obligatoirement détester Bush pour lire ça).
Il est surprenant de voir à quel point vous avez été catégorique en déclarant qu'il ne s'agissait pas de Bush. Je suis curieux de savoir ce que vous pensez des lecteurs qui continuent de penser cela malgré tout. Avez-vous autre chose à dire sur les interprétations différentes ?
Je trouve cela fascinant que tant de gens aient vu Bush dans cette image. Si je regarde le dessin, je vois un homme blanc d'âge mûr au physique plutôt avantageux, coloré en violet, avec un menton effacé. Ce ne sont pas particulièrement les caractéristiques de Bush. Mais c'est à l'évidence assez proche de Bush pour certains (est-ce le menton effacé ? Je continue de me le demander, c'est possible parce que je ne l'ai simplement pas vu - si j'avais pensé que ça ressemblerait à Bush une fois dessiné, j'aurai demandé à ce qu'il soit refait).
J'ai retravaillé l'intégralité du futur du Président Purple Man dès qu'il a été évident que je ne pourrais pas faire apparaître Cap dans la continuité, comme tous les écrivains ont d'autres plans pour lui, donc j'ai construit le futur de 2061 à la place. Je n'avais pas tant de pages pour ce faire dans le N°8, donc vous n'avez pas plus d'information que vous n'avez besoin ou que Cap a.
Quoi qu'il en soit, en tant que citoyen étranger, critiquer un président existant ou un gouvernement est vraiment loin de ce que j'avais à l'esprit. Et, sans compter l'Acte Patriote, c'est sans doute interdit par la loi.
Virginia Dare est un personnage intriguant. Pendant une grande partie de la série on a l'impression qu'elle va être la clé de ce qui va causer les changements dans l'histoire. Et elle l'est, mais pas dans le sens que nous l'attendions.
Nous avons passé des mois à essayer de lui trouver un équivalent dans Marvel et à spéculer sur ce qui, en elle, avait pu pousser l'univers à réagir de manière si étrange. La plupart d'entre nous pensait qu'il y aurait un standard du comic, cosmique quel qu'il soit.
A la fin, son importance s'avère être simplement dans qui elle est. Le premier enfant né dans une colonie Anglaise du Nouveau Monde. Le premier enfant de l'Amérique de Steve Roger.
J'ai toujours vécu à New-York, et ni moi, ni qui que ce soit de ma connaissance qui a grandi avec moi, a jamais entendu parler de Virginia (Elle semble être plus connue dans le sud). Apprendre l'histoire et les légendes qui sont liées à elle a été très amusant. C'est domage que beaucoup d'américains aujourd'hui ne la connaissent pas. C'est aussi très surprenant.
Dans American Gods la mythologie des "indigènes" était présentée de manière assez négative, comparée à celle du Vieux Monde. Pensez-vous qu'il y a un espoir pour que les États-Unis développent une tradition commune d'histoires populaires et de légendes, quelque chose de plus profond que George Washington abattant le cerisier ? Ou est-ce que l'imprégnation des médias, l'esprit du Digital Millennium Copyright Act de notre âge rend cela impossible ?
À propos de Virginia, je pensais que si un anglais connaissait l'histoire depuis des années en Angleterre, alors ça devait être quelque chose avec quoi les Américains avaient grandi depuis toujours.
Bien sûr, je me trompais complètement.
Je ne pense pas que des histoires populaires et des légendes des États-Unis soient inconcevables (je pense que les légendes urbaines, les comics, et quelques émissions télé rentrent dans ce créneau). Je pense qu'on apprend pas beaucoup d'histoire aux Américains, sur eux ou sur les autres, et beaucoup de ce qu'on leur apprend est faux, c'est dommage.
(Un enseignant a dit à mon fils Mike, quand il avait 12 ans, que je lui avais menti quand je lui avait dit que des criminels avaient été envoyé en Amérique au lieu d'être pendus au XVIIIème siècle ; il lui a dit que les seules personnes qui allaient en Amérique à cette époque étaient les Gens qui Recherchaient la Liberté.)
La seule mythologie indigène dont j'ai parlé dans American Gods est cette scène où Johnny Appleseed fait le salaud avec Paul Bunyan, qui est propablement une création de Madison Avenue autour de 1910. Il ne fait pas partie de la mythologie indigène, pas plus que le chien Taco Bell.
J'aurai pu être plus clair. Quand j'ai parlé de "mythologie indigène" dans American Gods, je faisait référence aux nouveaux dieux, comme les Médias ou la Technologie. Ils ne sont pas nécessairement plus mauvais que les dieux des immigrants (si "mauvais" est le mot juste), mais leur jeunesse et leur manque de sophistication les fait paraître de la sorte.
Je suis d'accord - superficiels, pas mauvais. Et effrayés, bien sûr.
Avez-vous lu les FABLES de Bill Willingham ? C'est similaire à American Gods dans le concept, mais ne pourrait pas être plus différent dans le thème (c'est l'une de mes séries comics en cours préférées).
Oui, j'adore FABLES. J'ai tendance à les entasser pour pouvoir les lire toutes d'un coup.
L'une de mes premières réactions à 1602 a été Oh, c'est comme American Gods, mais à l'envers. Plutôt que de prendre des figures de la mythologie classique pour les mettre dans un contexte moderne, vous avez pris des personnages héroïques contemporains pour les mettre dans le passé Européen. Etiez-vous conscient de ce parallèle ?
Pas vraiment. Bien que, évidemment, ils soient tous deux fondamentalement à propos de l'Amérique. 1602 a débuté alors que je voulais parler de la chose bonne et précieuse qui a fait l'Amérique et les idéaux Américains qui ont tant de valeur, et s'est terminé en essayant de parler de la manière dont les idéaux Américains peuvent dégénérer.
Chacun rêve d'être capable de détailler son histoire favorite et de mettre l'auteur sur la sellette. Maintenant, c'est mon tour ! Voici une sélection de questions de fans à propos de 1602 qui ont inspiré nombres de discussions en ligne (Je respecte le fait que les histoires comprennent des ambiguités intentionnelles, donc sentez-vous libre de passer à la suivante quand vous pensez que c'est nécessaire.)
Pourquoi est-ce que Doom essaye de faire tuer Virginia Dare ? Il ne semble pas qu'il ait pu connaître son importance.
Ah... c'est un point de détail qui a fini par être rejeté, à cause du nombre de pages. J'ai essayé d'y faire au moins allusion dans la page Dr-Strange-sait-tout du numéro 7, mais on l'a enlevé à nouveau parce qu'une fois que la page a été finie, il y avait trop de texte, et qu'il fallait faire des choix.
Je ne suis pas sûr de faire de nouvelles histoires sur 1602, mais si jamais je le fais, vous aurez votre réponse. Virginia devient beaucoup plus intéressante quand elle grandit.
L'histoire laisse entendre que l'Inquisiteur a besoin de son casque pour échapper au danger. Mais le casque de Magneto ne fait que bloquer la télépathie, il n'augmente pas ses pouvoirs. Est-ce que le casque de l'Inquisiteur est différent ou est-ce qu'Enrique ne fait que jouer avec l'aspect dramatique de la scène ?
Le casque de l'Inquisiteur augmente aussi ses pouvoirs dans l'univers de 1602. Javier a fait le casque pour lui, quand ils étaient tous deux de jeunes ecclesiastiques du nord de l'Espagne, avant que l'Inquisiteur ne devienne un inquisiteur. Je ne suis pas sûr qu'il ait pu briser les chaines ou marcher sur les champs magnétiques terrestres, sans lui. En tout cas, lui ne le croit pas.
Mais les pouvoirs de 1602 sont bien moindre que ceux de la version Marvel actuelle - ils sont ramené à ceux de la version des années 60, et parfois moins que ça (Dr Strange, par exemple, n'a pas l'amulette et a moins de magie que dans la version des années 60.)
Qu'est-ce qui a empêché le Watcher d'observer l'arrivée du Précurseur ? Javier a aussi l'air télépathiquement impuissant contre Roger.
Oui, j'ai remarqué ça aussi.
Quelle était l'idée avec les dinosaures ? J'ai compris que l'arrivée du Précurseur aurait accéléré la création des autres "Marvels". Mais quel est le rapport entre Captain America et les créatures préhistorique ?
C'est une réaction en cascade ; il y a une allusion là-dessus dans le plus long discours du Watcher dans le N°3 et dans le N°6. L'arrivée de Cap est comme une pierre jetée dans une mare : l'une des choses que cela a changé est que l'effet du Savage Land couvre maintenant la majeure partie de l'Amérique. Il y a longtemps, différents animaux se sont éteints, et d'autres sont restés. Même les chats de maison avaient des dents de sabre... Heureusement, les lois de la narration veulent que vous n'ayez pas l'effet du papillon de Bradbury.
Vous parlez des "Lois de la narration"... Dans la série, Reed les appelle "Les Lois du Récit", et il explique à Ben Grimm que ces lois vont l'empêcher de redevenir humain de manière permanente. Pour Reed, "Les Lois du Récit" sont aussi fondamentales dans la manière dont son monde fonctionne que les lois de la physique. Et il a raison. Ce sont "Les Lois du Récit" qui ont nécessité la création des héros et des méchants de Marvel peu après que Captain America soit entré en scène.
Mais invoquer "Les Lois du Récit" dans une histoire peut être dangereux. Pour un écrivain de votre calibre cela ne doit pas être un problème, mais dans des mains moins habiles, un tel mouvement pourrait être utilisé pour justifier toutes sortes de coincidences improbables ou des éléments de l'intrigue assez pauvres. Pensez-vous que vous avez pu établir un précédent dangereux ?
Oui, probablement. Mais je voulais que Reed soit vraiment intelligent. Et j'étais fasciné par les contraintes des personnages Marvel classiques - bien sûr Ben ne peut jamais DéFaire, par exemple.
Reed n'est pas la voix de l'auteur. Il est bien plus intelligent que moi.
J'ai aussi pensé que ce serait un bon moyen d'expliquer aux lecteurs quelle sorte d'histoire c'était, pour ceux qui n'étaient pas sûrs. Ce n'est pas une metafiction.
Pour continuer la discussion sur "Les Lois du Récit", c'est un thème tellement important dans nombre de vos travaux, je suis curieux de savoir si vous pensez qu'elles ont du pouvoir dans le monde réel. En général, je suis assez intéressé par votre relation personnelle au surnaturel.
Je ne suis pas sûr que "Les Lois du Récit" se réfèrent au surnaturel, à part le fait que les gens sont très forts pour voir des dessins partout. J'ai remarqué il y a longtemps que l'Univers récompense les systèmes de croyance. Ce en quoi vous croyez n'a pas beaucoup d'importance - ça sera là, à vous attendre, si vous allez le chercher. Decidez que l'univers est, disons, gouverné en secret par un énorme ours en peluche, et je peux vous garantir que vous allez tout de suite commencer à chercher des preuves que c'est vrai. C'est en partie cela qui fait qu'il est marrant d'être un écrivain.
En somme vous créé des histoires en décidant où sont les limites - où vous commencez, où vous finissez. Dans la vie, après tout, nous avons tendance à utiliser la mort comme fin de parcours.
Mais non, je ne pense pas que nous vivions dans un univers qui suit "Les Lois du Récit". C'est la différence entre n'importe quel aspect de l'univers Marvel et le notre - et la raison pour laquelle la mort n'est jamais la fin dans les comics.
Toujours sur le même sujet, c'est une question subtile, donc je vais la tourner avec beaucoup de précautions. Vous êtes un écrivain difficile à décrire, mais une grande part de votre travail est un type de fantasy. Et vous avez des fans très loyaux.
Beaucoup de mal a été fait dans le monde réél, venant de tous les côtés du spectre politique, pour une croyance irrationnelle ou une autre. Un groupe fait s'écraser des avions dans des buildings, un autre propose des amendements affreux pour la Constitution, tous les deux agissent au nom de forces invisibles qui selon eux contrôlent l'univers.
Pensez-vous, en écrivant votre genre d'histoire, avec tant de puissance, que vous pourriez involontairement contribuer à répandre cette manière d'aborder le monde ? Je ne pose pas cette question pour être accusateur, je suis heureux que vous écriviez ce que vous écrivez, mais je pense que c'est une question troublante pour les écrivains de fantasy qui mérite d'être soulignée et discutée.
Euh, non. Je pense que la bonne fantasy fait le contraire. Elle aide à s'exercer l'esprit et explorer des possibilités. Elle aide à voir les choses d'un point de vue différent.
Certains dogmes religieux suggèrent qu'il y a des choses qui sont bonnes à faire parce que Dieu veut que vous les fassiez, et il n'y a pas d'alternatives. Et à ce niveau, vous êtes idiot d'écraser des avions dans des immeubles.
(Mais je ne pense pas que le mal soit l'apanage des religieux ; il n'y avait rien de religieux chez les Nazis, ou dans le regime de Staline, à part dans les termes les plus généraux : une vision du monde unique, le bien et le mal facile, sans réfléchir. Ils se considéraient tous comme des gens très "rationnels", les Nazis pensaient qu'il y avait des raisons très rationnelles pour que les races inférieurs doivent mourir.)
D'un autre côté, la bonne fantasy, comme la bonne SF, parlent d'alternatives. C'est remise en cause des visions du monde, ça ne les renforce pas.
(Par exemple, De Bons Présages, le livre que j'ai écrit avec Terry Pratchett, est un livre qui suggère que l'Armageddon pourrait ne pas être très marrant pour les gens pris au milieu, que si le Bien était sûr de gagner il n'y aurait pas de bataille, et qu'il est possible que les anges et les démons pensent tous être les bons.)
Pour la plupart, mes récits parlent de conséquences. Et je pense que c'est une bonne chose.
Une des choses que j'aime dans 1602 est que beaucoup de mes personnages sont très religieux, parce qu'on ne peut pas créer une vision du monde à cette époque qui ne soit pas très religieuse et dans laquelle la religion n'ait pas importante. Et j'ai tendance à confondre les bons scientifiques avec les gnostiques de toutes manières.
Je voudrais pouvoir donner un exemplaire de De Bons Présages à tous ceux qui lisent Left Behind! (Ca serait marrant de les voir le brûler après avoir lu les premières pages.)
Je n'essayais pas de dresser une simple opposition entre religion et science. Les Nazis sont un bon exemple de ce à quoi je pensais. Hitler a été très inspiré par les archétypes héroïque Teutoniques. Une partie de la mentalité Nazis est de prendre de telles histoires littéralement et d'essayer d'appliquer leurs leçons dans le monde réel. En d'autres termes, l'une des sources de la terreur Nazi a été d'essayer de traiter la réalité comme une histoire fantasy.
Je ne cherche pas à me joindre aux idiots qui veulent bannir Donjons et Dragons ou Harry Potter. J'essaye juste d'exprimer qu'écrire puissamment à propos du fantastique peut avoir un côté sombre. C'est un peu comme la théorie de la Relativité : belle dans son droit, et ayant la possibilité de déchaîner une énergie illimitée. Mais inextricablement liée à des possibilités destructrices.
Avec tout le respect possible, je pense que suggérer qu'écrire puissement sur le fantastique est inextricablement lié à des possibilités destructrices est seulement vrai si écrire à propos de quoi que ce soit est inextricablement lié à des possibilités destructrices. De même, apprendre les maths à des gens est inextricablement lié à des possibilités destructrices ou écrire de la poésie est inextricablement lié à des possibilités destructrices.
Je pense qu'on a fait beaucoup plus du côté Wagnérien du Nazisme qu'il n'y avait à l'époque. Les systèmes de croyance n'importent pas aux gens qui commandent les camps ou les soldats : ce n'est pas ce en quoi les Juifs croyaient qui a fait qu'ils devaient mourir, c'est ce qu'ils étaient. Les eugénistes Nazis croyaient que tout ce qu'ils faisaient avait de profondes bases scientifiques. Ca n'a rien à voir avec l'application des archétypes héroiques Teutoniques.
De bonnes choses sont faites au nom de la foi. De mauvaises choses sont faites au nom de la même foi (ce qui inclue la croyance que les scientifiques savent ce qu'ils font, croyance dont mon abonnement au New Scientist m'a désabusé il y a longtemps). Je ne pense pas que la Fantasy ait quoi que ce soit à faire avec ça (Mais je n'aurai rien contre le monde de Spinrad The Iron Dream, dans lequel Hitler n'était qu'un écrivain de SF...)
Une question sur Sandman. Je pense que Sandman est l'une des plus grandes histoires comic jamais écrites. Mais je pense quand même qu'elle a souffert d'être une partie de la continuité DC, surtout pour les premiers numéros.
D'un autre côté, c'était marrant de voir les super-héros suivre "The Wake". Et, pour ceux qui savaient ce qu'ils étaient, Rao et "The Light of Oa" ajoutent un charme supplémentaire à "The Heart of a Star" dans Endless Nights.
Enfin, pour moi au moins, les points négatifs l'emportent sur les positifs. Je pense que la structure générale aurait mieux marché si ça avait été un travail unique.
Je comprends, historiquement, pourquoi la série n'a pas été faite comme ça. Mais je me suis toujours demandé si vous changeriez ça si vous le pouviez.
Je ne sais pas. Sans doute que non. Si on change une chose, on peut finir par tout changer, et alors vous avez une histoire différente. Quand j'ai commencé, Sandman faisait partie de la continuité DC. Nous n'avions pas pensé à faire quelque chose qui n'en faisait pas partie. L'ouverture de l'histoire a été de me demander S'il existe dans l'univers DC, pourquoi n'en a-t-on pas entendu parler avant et la réponse évidente était il était emprisonné.
L'écrivain que j'étais en 1987 s'est beaucoup amusé en écrivant les rêves de Scott Free, le parcours de John Constantine, ou l'histoire de Dr Destiny. D'un autre côté, j'étais irrité de devoir m'ajuster à la continuité DC de cette semaine, ce qui changeait - c'était le Joker à Arkham quand je l'écrivais, puis je devais le réécrire avec le Scarecrow par exemple.
L'écrivain que j'étais en 1989 était très heureux de pouvoir partir de l'univers DC, et de revenir occasionnellement pour faire des choses comme Element Girl ou Prez de temps en temps (Et je ne renoncerais pas à avoir écrit ces séries pour tout l'or de l'Irlande).
Pensez-vous revenir au comic long ? Je veux dire, une autre série s'étalant sur plusieurs douzaines de numéros, en opposition aux séries plus courtes ou limitées ? C'est un genre dans lequel votre travail n'a jamais été égalé.
Peut-être un jour. Il y a plein d'autres choses que je n'ai pas encore très bien fait. Je préfère apprendre à faire d'autres choses comme il faut avant. 1602 était intéressant pour moi dans ce cadre, je n'ai jamais eu vraiment envie d'écrire des super-héros, ou aucun sentiment que je serais très bon à cet exercice. Donc j'ai trouvé qu'il serait intéressant d'essayer et de trouver comment le faire.
L'un des thèmes majeurs dans votre travail est la nécessité du changement. Dans beaucoup de vos histoires les personnages atteignent un point de non retour où continuer comme avant équivaut à être comme mort. C'est un thème central dans Sandman, ça l'est aussi dans Neverwhere et à un moindre degré, dans 1602.
Est-ce que ça vous est déjà arrivé ? Etes-vous déjà arrivé à un point où vous avez été obligé de dire Non, ça n'est pas bien. Continuer comme ça est sans issue. Il faut que je parte dans une autre direction. ? Avez-vous jamais senti que vous pourriez arriver à ce point dans le futur ?
Bien sûr. C'est pourquoi je ne suis plus journaliste, par exemple. Mais je suis assez bon pour savoir quand bouger avant d'être au point de non-retour, cela me permet de revenir en arrière pour faire d'autres choses...
Et finalement, aurons-nous l'intégralité de Ballad of the Fantastick ? Ou devrons-vous attendre ?
Je pense qu'il va falloir attendre - il faut que je rassemble tout le matériel, que je fixe tout, que je décide quelle quantité de matériel originel va dedans. Je cherche à voir les dessins originaux d'Andy qui sont bien plus dynamiques que ce qui a été imprimé.
Merci, Neil, pour avoir pris le temps de cette très intéressante conversation.

Article originel
Traduction par Thys


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