Vous êtes ici : Page d'accueil > L'Actualité fantasy

De fantastiques amis

Par Publivore, le dimanche 13 novembre 2005 à 14:30:53

Les écrivains à succès Neil Gaiman et Susanna Clarke discutent avec Salon.com a propos des fées, des contes populaires et de la lutte contre la tyrannie du réalisme.

De fantastiques amis

Les écrivains ont un esprit de compétition légendaire, et fréquemment mesquin à ce propos, comme l'ont montré d'innombrables romans à clef. Cela rend d'autant plus remarquable la joyeuse collégialité de l'amitié entre Neil Gaiman et Susanna Clarke. Gaiman – qui a réussi on ne sait comment à devenir un écrivain culte, malgré ses livres régulièrement sur les listes des meilleures ventes et la foule qu'il draine lors de ses apparitions publiques – a initialement lu le travail de Clarke il y a plus de dix ans, quand un vieil ami, Colin Greenland, lui en a envoyé un extrait. Clarke, qui appréciait la série graphique Sandman de Gaiman, s'était inscrite a un cours d'écriture en grande partie parce que Greenland, l'enseignant, connaissait Gaiman. Gaiman a été si bien interpellé par cette bribe de fiction que Greenland lui avait fait parvenir, qu'il a demandé à en voir plus. Il a continué à envoyer le travail de Clarke aux éditeurs et fut en fait récompensé, tout comme nous tous, par Johnathan Strange and Mr. Norrell, le roman fleuve de Clarke sur deux magiciens rivaux, publié l'année dernière avec grand succès. Gaiman dit que pour lui le meilleur dans la nouvelle célébrité de Clarke est que lorsqu'on lui demande qui sont ses écrivains contemporains favoris, il n'a plus à expliquer que l'un d'entre eux n'a pas encore été publié.

Gaiman et Clarke écrivent selon une tradition de l'imaginaire qui, selon eux, remontent à des siècles, même si le label « fantasy » qui lui est apposée aujourd'hui en est un développement récent. Ce n'est pas toujours une position confortable quand tant de lecteurs associent ce genre avec de pâles copies de Tolkien. Gaiman, par exemple, choisit surtout des cadres contemporains pour ces romans, souvent urbains et dépenaillés comme le Londres d'en bas ( Neverwhere ) ou les attractions touristiques délabrées des bords de route qui ont inspiré American Gods. Son dernier roman, Anansi boys est comme un croisement entre Nick Hornby et Zora Neale Hurston, fondé sur le folklore des Caraïbes de l'Ouest mais situé dans le Londres d'aujourd'hui, et il est le scénariste de Mirrormask, un nouveau film d'animation sur les conflits mère-fille, réalisé par Dave McKean, qui se déroule dans des HLM décrépits. Clarke a conquis nombre de lecteurs allergiques aux elfes avec son étonnante habileté à recréer les rythmes de la prose et l'esprit ironique des romanciers du XIXème Siècle, comme Jane Austen et Anthony Trollope ; son roman traite autant des manières et de la politique que des sorts. Les deux auteurs, présents à New-York pour une interview télévisé, ont rencontré Salon.com avant tout pour discuter de leur enthousiasme partagé pour le folklore britannique, de la tyrannie du réalisme et des chatières d'Isaac Newton.

Ressentez-vous tout deux une affinité avec le travail de l'autre ?
S.C. : En particulier entre Jonathan Strange & Mr. Norrell et un livre que Neil a écrit qui s'intitule Stardust
N.G. : Je pense que c'est parce qu'ils sont anglais.
De quelle façon ?
N.G. : Nous aimons tous les deux les sources primordiales.
Par exemple ?
N.G. : Et bien, vous lisez des contes populaires, vous feuilletez en passant du Katharine Briggs. Et Shakespeare. Vous apercevrez alors une étrange fée anglaise, amorale et gigantesque, et en même temps incroyablement petite. Il y a un changement bizarre de taille et de forme. C'est une particularité anglaise.
Je dois préciser, pour ceux qui ne le savent pas, que dans le folklore anglais, une fée n'est pas une adorable petite fille avec des ailes, mais souvent une personne de taille normale, habituellement très capricieuse, puissante et dangereuse – quelqu'un avec qui vous ne voulez rien avoir à faire. L'Angleterre a sans aucun doute une tradition moderne de littérature fantastique qui éclipse celle du reste du monde.
S.C. : Les autres cultures européennes ont des mythes et des légendes plus développés. On peut percevoir la fée anglaise, écossaise, irlandaise ou galloise, mais elle est par nature insaisissable. Il sera possible d'épingler une fée allemande, mais l'anglaise disparaîtra, deviendra l'ombre sous les arbres.
N.G. : Susanna a écrit une merveilleuse histoire courte. Etait-ce « Mrs. Mab » ? Celle où elle entre dans des maisons qui deviennent l'intérieur de fleurs ou de noisettes.
S.C. : Le personnage est à la recherche de Mrs. Mab. Quand elle voit quelque chose et que c'est petit, ça semble grand, et quand elle voit quelque chose et que c'est grand, ça a l'air petit. Ca existe, mais où et de quelle taille exactement, voilà qui n'est pas clair.
Inventez-vous ces histoires ou puisez-vous dans le folklore ?
S.C. : Je puise dans le folklore et dans Katherine Briggs. La magie dans Strange and Norrell est la seule partie pour laquelle j'ai réellement fait des recherches. Les contes populaires et les croyances dans les fées sont très fragmentaires en Angleterre. En Ecosse, en Irlande et au Pays de Galles, c'est un peu plus développé. Il y a plus de vestiges à picorer. Cependant, vous pouvez évidemment repérer des histoires issues des livres que j'ai lus enfant. Je ne peux pas dire que j'ai été absolument stricte à leur sujet. Il y a juste ce qui était utile à ce moment-là.
Pensez-vous que c'est ce manque de tradition folklorique développée qui stimule les imaginations des écrivains Britanniques ?
N.G. : Nous ne savons pas ! Nous pouvons mentir, néanmoins. Nous sommes des écrivains.
S.C. : C'est la théorie que j'ai commencé à échafauder.
N.G. : Cela devient vraiment intéressant quand on commence à rechercher les contes populaires anglais. On termine dans des lieux comme les Appalaches en lisant les Jack stories. Sauf que les Jack stories dans les Appalaches ne comportent pas de magie. Elle en a totalement disparu. Donc on pense qu'ils racontaient ces histoires en Angleterre et que le roi qu'on y rencontre aurait été réel, et pas l'homme riche à l'autre bout du chemin. Lorsqu'on lit un quelconque livre de contes folkloriques anglais, ce qui frappe principalement sont les plaintes des auteurs qui au 19ème siècle ont pris la route pour les collecter et ont découvert que tout ce qu'ils avaient étaient des morceaux d'histoires provenant des Grimm ou de Perrault, que les gens avaient lu et transmettaient.
S.C. : On trouve parfois un peu plus que ça – des choses comme « Black Annis » et « la Sorcière bleue » - mais c'est très localisé. Ce ne sont pas exactement des contes.
N.G. : Ils ne sont pas devenus des histoires. Ce sont de charmants fragments. C'est presque comme si l'Angleterre devait faire face à quelque chose d'énorme mais qui a été perdu. Prenez Stonehenge : Je suis agacé quand les néo-païens commencent à parler des vieilles légendes de Stonehenge et de leur grande ancienneté. Quand je leur dis que ces dernières viennent principalement des années 1850, ils se fâchent vraiment. Dans Vestiges du paganisme et du judaïsme de John Aubrey, l'auteur est parti à la recherche de chaque élément qu'il a pu recueillir et l'a couché sur le papier – tout ce qu'on croyait communément à propos de Stonehenge, qui se résumait au fait que si vous ébréchiez une pierre de Stonehenge et que vous jetiez l'éclat dans un puits, ça garderait les crapauds éloignés. C'est tout ce que John Aubrey a pu trouver dans les années 1940.
Pourquoi cela ?
N.G. : Je ne sais pas. Mais si vous êtes un écrivain, vous finissez toujours par essayer de créer des histoires à partir de ces contes parce que c'est le matériel brut de l'histoire.
S.C. : Je pense que les histoires étaient là. Les Grimm ont travaillé très tôt dessus, et je pense que les gens qui ont commencé à collecter les contes folkloriques anglais sont arrivés bien plus tard.
N.G. : C'est comme les écureuils. Les écureuils gris ont fait leur apparition et étaient plus efficaces que les écureuils présents auparavant. Les contes des Grimm, affûtés le temps d'être diffusés ici, ont été incroyablement efficaces.
S.C. : C'est vrai. Ils ont été publiés en Grande-Bretagne et lus par des enfants partout. Peut-être ont-ils phagocytés tout ce qui existait avant.
N.G. : Lorsqu'on lit Le Songe d'une Nuit d'Eté de Shakespeare, se dessine de façon évidente un corps du texte qui est commun. On a des éléments, comme la chanson de Robin Goodfellow de la même époque. C'est la même origine, venue d'un groupe d'histoires, d'une relation que les gens ont avec les fées. On se plonge dans Katherine Briggs et on peut découvrir que les « portunes » (?) étaient ces vieux hommes incroyablement petits qui mangeaient des grenouilles rôtis dans le charbon, mais on n'apprend pas grand chose sur eux.
Et puis il y a cette étrange identification, qui je pense est particulière aux anglais, entre l'idée de Féerie et l'idée des morts. Encore une fois, ce n'est pas la chose claire que vous avez dans la plupart des pays. Il y a cette idée bizarre que les terres de féerie pourraient être le pays des morts. Peut-être est-ce là que vit l'âme.
S.C. : Il y a ces histoires à propos de personnes qui, alors qu'ils marchent, tombent par hasard sur des êtres en train de danser. Au moment où ils réaliseront que ce sont des fées, ils reconnaîtront quelqu'un qu'ils connaissaient et qui est mort, ou quelqu'un qu'il croyaient décédé. Ce peut être l'un ou l'autre. Ce peut être une personne vivante qui a été enlevé.
Après avoir lu le livre de Stephen Grennblatt sur Shakespeare, Will in the world, j'ai été frappé par l'association du Nord de l'Angleterre avec le Catholicisme, cette vieille religion affaiblie, associée avec les mystères et le rituel, parfois pratiquée secrètement. Il y a un parallèle dans « Jonathan Strange & Mr Norrell » où le Nord est associé avec le Moyen-Âge et la magie. Ca ressemble à la dernière émergence de l'histoire religieuse d'Angleterre, avec une religion qui a supplanté les autres et les a conduit à la clandestinité.
N.G. : C'est arrivé de tout temps en Angleterre. C'est une propension très anglaise. Tout arrive par couches. Et alors les vieilles habitudes sont repoussées vers les extrémités, au Nord et à l'Ouest.
S.C. : Ou vers les familles aristocratiques qui sont assez riches pour empêcher les questions embarrassantes.
N.G. : Il fallait un trou assez grand pour cacher quelques prêtres Nin.
S.C. : Et quelque soit ce qui a été étouffé, cela avait tendance à être attribué aux fées. Quelque part, chez Aubrey je pense, il a été demandé aux gens quelle était la religion des fées. A cette époque, l'Angleterre était totalement protestante, et on croyait que les fées suivaient toutes l'ancienne religion, alors que lorsque l'Angleterre était catholique, on croyait qu'elle suivait ce qui était venu avant. Elles sont toujours antisociales.
Elles semblent également être conservatrices face à la vague montante du rationalisme en faveur d'un passé magique. Le Protestantisme a essayé de purifier le Christianisme des mystères et des prêtres et de s'ancrer dans une relation directe avec les Ecritures.
N.G. : Encore une fois, les Anglais n'ont pas choisi le Protestantisme pour ces raisons. Ils ses ont tourné vers lui parce qu'il leur apportait une sorte de Catholicisme bon marché et un roi heureux. La bizarrerie de tout ça est que les Anglais sont devenus protestants parce que Henry VIII voulait un divorce. Ce n'est pas un pays plein de Suédois sensibles.
S.C. : Mais ça ne veut pas dire qu'ils n'y avaient pas ce type d'intellectuels à ce moment-là. Ils sont venus après coup et ont justifié ce choix. Alors, ce fut un désastre.
N.G. : Ca a toujours été un désastre en Angleterre. C'est ce qui est amusant.
Nous parlions du folklore Anglais, Neil, mais dernièrement, vous en êtes sorti. Anasi Boys est issu du folklore caraïbe, Comment ce sent-on quand on écrit sur une tradition qui n'est pas celle dont on est issu ?
N.G. : Pour moi, mon précédent roman pour adultes, American Gods concernait essentiellement ce qui arrive quand on est Anglais et qu'on veut vivre dans un pays qu'on a découvert à travers les films et la télévision, et dont on pense tout connaître. Et soudain on note ces petites choses que personne d'autre n'a noté parce qu'ils ont grandi avec. Et on pense que c'est étrange. On se dit "Ne pensez-vous pas que c'est bizarre de garer une voiture à l'extérieur sur la glace chaque hiver, et d'attendre que ça fonde et s'écroule ?"
Ces petites différences culturelles peuvent vraiment faire impression. Je me souviens d'avoir été étonné par le nombre de parfums de chips disponibles en Angleterre.
N.G. : Cornichon ! Les Anglais grandissent avec les chips au goût de pickles, donc je n'aurais probablement pas penser à les intégrer dans une histoire. Avec « Anansi Boys », c'était frustrant. J'ai d'abord eu l'idée de l'histoire. J'avais Anansi (un faux dieu de l'Afrique de l'Ouest), son fils Spider et cet autre qui s'appelle en fait Fat Charlie. Puis j'ai passé près de 7 ans en lisant paresseusement toutes les histoires d'Anansi que je pouvais et j'ai trouvé un livre des années 20, lorsque quelqu'un est parti pour la Jamaïque et en a parlé aux gens. Il était épuisé, mais grâce aux miracles d'Internet, j'ai pu en obtenir une copie. Lire des histoires à propos d'Anansi et la mort, c'était là l'essentiel. Et là, j'ai dû me rendre aux Caraïbes. J'ai rencontré mon amie Nalo Hopkinson et je lui ai dit : « Je suis un anglais blanc au cheveux plats et je vais écrire des dialogues des Caraïbes. J'ai besoin de quelqu'un pour les lire et s'assurer que je ne me rends pas totalement ridicule. » Bénie soit-elle, Nalo a lu tous mes dialogues et a fait de nombreuses suggestions lorsque nécessaire. Je n'ai en fait poussé un soupir de soulagement qu'après avoir entendu l'audiobook avec Lenny Henry à la lecture. Il est de Dudley, mais sa mère vient de la Jamaïque, et il a fait tous les accents. Et tous fonctionnent.
J'ai particulièrement apprécié le fait que vous n'indiquiez jamais que vos personnages sont noirs. C'est quelque chose que j'ai réalisé après quelques pages, et je me suis demandé pourquoi je supposais qu'il étaient blancs à moins qu'on me dise le contraire.
N.G. : Si vous regardez attentivement, vous noterez que tous les personnages blancs sont décrits comme étant blancs. Lorsqu'on a émergé avec des comics, quand on passe à la prose, on pense à toutes les choses qu'on peut faire avec ce support et qu'on ne pouvait faire avec les bandes dessinées. Et l'une de ces choses est que dans les comics, on sait immédiatement à quoi ressemble chacun. Bon, me suis-je dit, et qu'est ce que je peux faire avec ça ? C'est arrivé avec la tête des gens. Je me suis demandé si je pouvais écrire un livre dans lequel presque tout le monde est noir, et écrire totalement juste – ce n'est pas une combine ou autre – mais je n'allais pas écrire « Fat Charlie était un noir de 33 ans » parce qu'on ne commence pas un livre avec une telle phrase. Vous devez le découvrir par des signaux, et ils seront tous donnés.
S.C. : C'est fascinant. Je commence toujours en disant exactement à quoi chacun ressemble. Je ne sais pas pourquoi.
Il y a une grande scène dans Le royaume fantôme lors de laquelle un personnage donne au héros, Milo, une enveloppe et lui dit qu'il y a un son à l'intérieur. Et l'auteur, Norton Juster, écrit simplement : « Milo regarda à l'intérieur et effectivement, c'était bien ce qu'il y a avait ». Il n'a pas besoin de le décrire.
N.G. : Il y a tant de choses amusantes à faire avec la prose ! Ca passe par les yeux et va directement vers l'arrière de votre caboche. J'aime les notes en pied de pages, parce qu'elles changent votre relation au texte et à ce qui arrive. J'aime le fait d'avoir fini de lire Jonathan Strange & Mr Norrell complétement fasciné par la question de qui avait bien pu l'écrire. Parce que le narrateur n'était bien évidemment pas mon amie Susanna Clarke, ici et maintenant. C'était plus raconté de façon identique à Stardust, dont j'ai décidé qu'il avait été écrit en 1930.
S.C. : Sais-tu qui l'a écrit ?
N.G. : Non. L'une des raisons pour laquelle j'aimerais retourner et écrire une autre histoire dans ce monde est que je pourrais peut-être le découvrir.
Susanna, votre livre est frappant pour son usage d'une espèce de voix qui est comme la signature du Siècle des Lumières. C'est la voix de la raison qui décrit avec beaucoup de bon sens toutes ces choses irréelles. C'est vraiment une voix qui appartient à la naissance de ce roman. C'est la voix originelle des romans.
S.C. : C'est vrai, mais je ne peux pas dire que ce soit de quelque façon délibéré. C'est drôle, mais je ne pense pas à moi-même comme à une romancière. Plutôt comme un écrivain. Je raconte des histoires. Je pense avancer tant bien que mal sur ce plan en essayant de combiner Jane Austen et la magie.
N.G. : Mais même au début du Siècle des Lumières, Isaac Newton, qui d'un côté découvrait la gravité et le mouvement des planètes, passait aussi les reste de son temps sur l'alchimie et la magie. Ainsi, il était célèbre pour avoir construit deux chatières : l'une pour le chat, l'autre pour les chattons, que j'adore.
S.C. : C'était Newton?
N.G. : Qu'il l'ai fait ou non, je ne sais pas, mais il est réputé pour cela. C'est une légende de John Aubrey. Newton était alors aux frontières de la science quand personne n'en connaissait les règles. La joie de Strange & Norrell est d'avoir des magiciens pratiquant pratiques. L'une des raisons pour lesquels les amateurs de science-fiction aiment ce livre est qu'il pourrait aisément avoir comme sujet une science perdue.
S.C. : On arrive à la voix rationnelle lorsque tout le monde discute avec tout le monde. Si on suppose que la magie existe comme technologie, alors évidemment, comme pour tout domaine de connaissance, il y aura d'énormes différences de vues. Une fois que tous se disputeront les uns avec les autres, cela sonnera très rationnel.
N.G. : Tout ce qu'on a à faire est passer du temps près des scientifiques ou des universitaires pour découvrir qu'ils ne sont pas d'accord les uns avec les autres et pensent que leur manière de faire est la seule et véritable façon et que tous les autres n'y connaissent rien.
Tous deux avez des approches très distinctes sur l'écriture de la fiction avec des éléments fantastiques, tant et si bien que j'hésite presque à appeler cela « fantasy », parce qu'actuellement, c'est un terme que beaucoup de gens associent à l'épique médiéval.
N.G. : C'est un grand mot. J'aime utiliser « fantasy » pour inclure tout le reste également.
Vous voulez dire le réalisme conventionnel ?
N.G. : Oui, parce qu'on invente toujours. A moins que vous n'écriviez à propos de personnes réelles qui ont vraiment existé et ce qu'elles ont fait au jour le jour, sans décider quelles parties vous allez souligner, ça, ce pourrait être du réalisme. Je veux dire que si vous faîtes tourner des webcams et vous contentez de tout rapporter, ce sera du réalisme, mais tout le reste…
Et à propos de l'association avec tous les imitateurs de Tolkien ?
N.G. : C'est si récent. L'une des choses que j'ai essayé de faire dans Stardust, ainsi que Susanna dans Strange & Norrell, est d'écrire un livre ancré solidement dans la tradition de la littérature anglaise, qui est antérieure à l'idée qu'il y a un coin de la librairie destiné à la « Fantasy ». Quand Tolkien a publié Le Seigneur des Anneaux, c'étaient des livres, publiés comme tels. Il n'y avait pas de rayons « Fantasy » parce qu'il n'y avait pas de genre.
S.C. : La Fantasy que nous écrivons tous deux ne puise pas seulement dans l'après-Tolkien, mais dans tout ce qui la précède. Nous sommes plus intéressés par ce qui existait avant le genre – c'est vraiment ça.
N.G. : Une fois que les gens ont réalisé qu'il y avait un genre, ils ont commencé à faire comme les autres, comme Tolkien. Ils sont devenus de pâles photocopies. On obtient ces bons gros livres qui se déroulent dans un royaume médiéval qui est dans l'ensemble l'impression moyenne de ce que les gens aiment chez Tolkien, combinée avec ce qu'ils ont apprécié en jouant à Donjons et Dragons quand ils étaient lycéens. Ce n'est pas ce que nous faisons.
En fait, vous craignez d'être mis dans le même panier à cause de l'étiquette du genre.
N.G. : Je ne sais pas s'il y a lieu de le faire à part pour des contraintes de marché. J'ai lu une critique hier dans le magazine Bust, que j'avais ramassé dans un supermarché. J'aime bien ce titre d'habitude, mais c'est comme si il avait été acheté par quelqu'un et complètement restructuré. Ils avaient quelques critiques au dos, et je me suis dit « Oh tiens, en voilà une du nouveau livre de Kelly Link. Je me demande ce qu'ils en disent. ». Et ce qu'ils en disaient était que le livre était vraiment mauvais parce qu'il était empli de choses inventées, de zombies et d'un sac à main contenant un monde et comment cela pouvait-il être en rapport avec la vie de quelqu'un ? C'était typiquement une critique écrite par quelqu'un qui ne supporte ni les comparaisons ni les métaphores. Chacun d'entre nous est-il un écrivain de Fantasy ? Je ne pense pas ; nous sommes tous deux des écrivains ? Mais nous inventons des choses, et j'aime le privilège d'avoir la permission d'inventer n'importe quoi.
S.C. : C'est une question d'imagination. Jay McInerney a fait cette intéressante réponse dans le journal The Guardian à V.S. Naipaul qui prétendait que la fiction était morte. Ce n'était pas mauvais jusque-là. Mais il y a cette hypothèse qu'il faisait qu'on écrit à propos du monde actuel et que la chose importante est d'examiner le monde qui nous entoure. En fait, je me demande pourquoi ? Shakespeare ne pensait pas qu'il était important d'écrire des pièces sur l'ère élisabéthaine. Dickens avait tendance à écrire sur la société telle qu'elle était 50 ou 20 ans plus tôt. Il me semble que ce que les écrivains sont censés faire est d'utiliser leur imagination. C'est la chose la plus importante que nous avons.

Article originel, le 8 Octobre 2005, par Laura Miller


Dernières critiques

Derniers articles

Plus

Dernières interviews

Plus

Soutenez l'association

Le héros de la semaine

Retrouvez-nous aussi sur :