Festin de larmes

ISBN : 978-237686686-2
Catégorie : Aucune
Auteur/Autrice : Tassy, Vincent
Auteur/Autrice : Caussarieu, Morgane

“Le 25 octobre 1856 La Nouvelle-Orléans Monsieur, La mort n’a pas d’ombre. Vous devez me croire, je la connais. Longtemps j’ai dansé avec elle sans le savoir, aveuglé par sa beauté de soleil. Elle n’avait aucune ombre avant de prendre la mienne. Et je voulais vous dire que vous la connaissez, vous aussi. Je voulais vous dire qu’elle rôde autour de vous et que vous ne la voyez pas. Tout vous dire, c’est vous doter de la seule arme capable de vous aider à remporter le combat auquel je vous appelle.
En vous écrivant, je ne fais pas qu’affronter l’horreur de mes souvenirs et l’ignominie de mes actes : j’engage tout mon corps dans une entreprise qui l’éreinte un peu plus à chaque seconde. Puisse mon âme ne pas basculer dans le néant avant de vous avoir tout révélé. Puisse votre cœur répondre à mon imploration. Je n’entrevois nul autre espoir”.
Aubrey Clare a tout perdu. Sa sœur est morte de maladie, son père s’est réfugié dans des paradis artificiels et sa mère dépérit.

Critique

Par Erkekjetter, le 03/06/2025

Festin de larmes est un roman épistolaire à sens unique. Aubrey Clare s’épanche en plusieurs lettres, dans lesquelles il raconte ses mésaventures, survenues après la mort de sa sœur jumelle. À partir de ce tragique événement, la vie d’Aubrey et des membres de sa famille bascule. 
L’écrin de ce Festin a de quoi attirer le regard : couverture rigide et élégante, signet rouge, jaspage noir, et de délicates illustrations intérieures réalisées par Morgane Caussarieu, qui agrémentent plaisamment l’ouvrage.
La quatrième de couverture l’annonce, il s’agit bien d’un récit de vampire, mais abordé de façon originale. N’espérez pas trouver en ces pages de longues canines luisant dans la nuit et quelques décilitres d’hémoglobine bus avec ravissement. Si ce n’est de sang, le vampire mis en scène par les deux auteurs s’abreuve bien de ses victimes, et les dangers inhérents à sa fréquentation assidue sont ceux auxquels on peut s’attendre : l’étiolement, puis la mort. Pour autant, il ne s’agit pas ici d’offrir l’image d’une créature ténébreuse et sulfureuse, à la sensualité affolante, sans y associer une véritable part d’ombre et d’effroi, glaçante, ou en occultant l’inhumanité de sa condition (entendez ici « inhumanité » au sens de « non humain »). 
En miroir, les victimes ne sont pas juste béatement subjuguées par la présence écrasante du vampire, chavirées par un sex-appeal débordant. Il est question de fascination et de séduction, certes, mais aussi et surtout d’emprise, et de la corde sensible que le vampire sait habilement faire vibrer chez ses proies. Qui dit emprise dit aussi dépendance, entretenue à dessein par celui qui se place en dominateur. C’est ici que se trouvera l’essentiel du malaise, cette manipulation tout à fait volontaire, habile, cruelle, et bien souvent mortelle. 
Nous sommes aux côtés d’un héros meurtri, en deuil, dont la trajectoire plonge vers le tragique. Mais Aubrey n’est pas nécessairement l’homme le plus sympathique qui soit, ce qui va s’accentuer à mesure qu’il plonge dans une spirale mortifère. Son attitude devient au fur et à mesure plus toxique. Pour autant, la fenêtre ouverte sur ses tourments intérieurs, ses interrogations, ses souffrances et ses secrets nous montre aussi qu’il en a conscience. Aubrey est un homme à la dérive, qui s’éloigne peu à peu de celui qu’il était par le passé, mais il n’est pas aveugle.
L’écriture travaillée fait la part belle aux émotions et aux affects, c’est après tout une histoire de souffrance(s), de désirs et de fantasmes. Il est question aussi de la posture de l’artiste, de ce qu’elle peut impliquer d’orgueil, du besoin d’exister autrement qui la sous-tend. Bref, ce n’est pas « juste » une histoire de vampire. Morgane Caussarieu et Vincent Tassy nous offrent un Festin de larmes aussi amer et triste que le titre peut le laisser présager, et tout à fait maîtrisé.