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Un entretien avec Oliver Peru pour le retour de Martyrs
Par Gillossen, le 17 juillet 2025 à 09:02
À l’occasion de la parution du troisième et dernier tome de Martyrs il y a quelques semaines maintenant, nous avons pu poser quelques questions à Olivier Peru !
Nous revenons avec lui sur la construction de cette trilogie, le parcours de ses personnages et les choix qui ont mené à sa conclusion, parue chez J'ai Lu. L’entretien aborde également son travail d’écriture sur le long terme, ainsi que son rapport à la fantasy et à ses lecteurs.
Merci encore à Olivier d'avoir pris le temps de nous répondre !
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L'interview
- Dix ans d’attente entre les tomes 2 et 3 de Martyrs. Vous étiez prêts à rejoindre Patrick Rothfuss ou George R.R. Martin ! Plus sérieusement, pouvez-vous nous dire ce qui a nourri ou freiné l’écriture de ce tome 3 pendant tout ce temps !
- La vie, tout simplement... J'ai eu des enfants, je me suis associé à un projet de société qui n'a tenu bon que quelques années mais dans lequel je me suis beaucoup investi, j'ai aussi beaucoup travaillé en BD, et je me suis réveillé un jour en réalisant que cinq années s’étaient écoulées sans que je mette les mains dans la suite de Martyrs. J'ai alors essayé d'écrire régulièrement ce tome 3 en essayant de l'avancer petit à petit mais pour être honnête j'avais toujours une urgence à gérer ailleurs. Puis, il y a deux ans, alors que seulement une petite moitié du tome 3 était rédigée, l'envie de le finir m'a pris comme une bonne résolution de début d'année, une de celles qu'on tient;-). J'ai alors mis de côté tout ce que j'avais en chantier, et j'ai passé presque un an à ne me consacrer qu'à Martyrs jusqu'à enfin pouvoir écrire le mot « fin ».
- À quel moment avez-vous su que vous étiez prêt à conclure la trilogie ? Avez-vous connu un déclic émotionnel, narratif, ou éditorial ?
- Je dirais qu'il y a eu plusieurs faux départs ces dernières années. Parfois je profitais d'une accalmie dans mon emploi du temps et j'écrivais quelques pages en me disant « Allez, je me mets sur Martyrs et je vais jusqu'au bout », mais il y avait toujours quelque chose qui finissait par m'appeler ailleurs que sur ce texte. Et progressivement, ces dernières années, Martyrs était devenu comme un poids, une histoire que j'avais envie de raconter, d'achever, mais qui filait sans que je trouve le temps pour elle. C'était très frustrant. Et je m'en suis voulu bien des fois de ne pas réussir à m'y mettre, et vu qu'avancer petit à petit sur le texte ne le faisait pas progresser, je suis passé en mode stakhanoviste presque par dépit. J'ai alors écrit du matin au soir, presque tous les jours, pendant des mois pour prendre de l'avance sur tous les autres projets sur lesquels je bossais, puis je me promis de ne pas laisser passer une année de plus sans boucler Martyrs. C'était en 2024.
- Le paysage de la fantasy a beaucoup évolué depuis 2015. Le tome 3 reflète-t-il un changement dans votre vision du genre ou de ses codes ?
- Pour être honnête, je ne suis pas l'actualité du milieu fantasy et hormis les derniers tomes de La Compagnie noire, Le bâtard de Kosigan et L'assassin royal (que j'ai enfin terminé après avoir regardé durant des années les livres de l'ultime cycle sur mes étagères), j'ai lu peu de fantasy ces dix dernières années. J'étais plutôt SF, thrillers et livres plus techniques. En revanche, j'ai découvert il y a peu le nouveau sous-genre de la romantasy, et j'avoue être curieux d'en lire. Pour le reste, il m’est donc difficile d'établir des comparaisons entre la fantasy d'aujourd'hui et celle d'il y a dix ou quinze ans. Je serais malgré tout tenté de dire que la fantasy s'émancipe de ses vieux codes « classiques » et qu'elle propose des personnages plus originaux que des archétypes de princesse, de chevalier et de méchant sorcier. En cela, je pense que la fantasy se modernise, qu'elle devient plus légère aussi, peut-être même plus drôle, plus surprenante et plus féministe.
Quant à l'histoire de Martyrs, elle s'est écrite telle que je l'avais en tête à l'origine. Dans les grandes lignes du moins. Ce qui a changé, c'est peut-être qu'en l'écrivant, j'ai pensé à de futurs lecteurs qui n'étaient pas là quand j'ai travaillé sur les 2 premiers tomes : mes enfants. Car c'est sans doute aussi pour eux que je raconte cette histoire, ils la liront plus tard. Peut-être aussi que c'est pour eux que j'ai longtemps hésité sur la « juste » fin. Tragédie jusqu'au bout ou happy end ?
- Sur un plan éditorial comme évoqué, comment prépare-t-on son retour au sein justement du paysage 2025 ?
- D'un point de vue personnel et professionnel, cette publication est pour moi un achèvement, la fin d'une série qui me tenait à cœur et que (j’espère) beaucoup de lecteurs attendaient. En revanche, d'un point de vue éditorial, les choses n'étaient pas aussi évidentes pour J'ai Lu. Quentin Monstier, mon premier relecteur et mon éditeur pour ce tome 3, qui a fait un excellent travail sur le texte, a été très emballé par la conclusion de la série. Avec son staff éditorial, il a trouvé dommage de sortir ce tome 3 sans chercher à ranimer la série qui s'endormait tranquillement loin des lecteurs faute de nouveauté. Ils ont alors retravaillé la maquette de la série et ressorti les deux premiers tomes avec des nouvelles couvertures, comme on le ferait avec une série complète rééditée.
- En tant qu’amateur/lecteur de fantasy vous-même, d’Imaginaire, avez-vous remarqué des changements qui ont pu vous interpeller ? Y compris en bande dessinée, peut-être ?
- Comme évoqué plus tôt, j'ai lu peu de fantasy ces dernières années mais j'en ai écrit beaucoup dans l'univers des Elfes et des Terres d'Arran chez Soleil. En ce qui concerne cet univers, je dirais que les changements entre ce que nous réalisons aujourd'hui et nos œuvres initiales sont minimes. Je crois que nos histoires ont toujours abordé des thèmes universels et modernes drapés de fantasy. Mais en tant qu'auteurs, nous réagissons sans doute de façon inconsciente à l'actualité, viennent alors se glisser dans nos récits des sous-thèmes parfois politiques d'injustices sociales : exploitation, racisme, avidité des puissants...
Sinon, même si ça n'a pas vraiment de rapport direct avec la question, j'ai quand même joué aux deux derniers Zelda sur la Switch (toujours pas fini le deuxième d'ailleurs) et je trouve que cette licence (que j'adore) a apporté à la fantasy en général un souffle nouveau, frais et positif, un goût du voyage et de la couleur. Et j'aime voir des touches de Zelda infuser un peu partout, dans le jeu vidéo, mais aussi dans la bd et la littérature. L'herbe est un peu plus verte et le ciel un peu plus bleu pour qui voit du Zelda partout ;-)
- Avez-vous dû vous replonger vos deux premiers tomes comme un lecteur avant d’écrire le troisième ?
- Bien sûr. Les personnages ne m'ont jamais quitté et j'avais l'histoire en tête durant toutes ces années, mais il m'a quand même fallu relire les deux premiers tomes et les couvrir de notes et de post-its pour retrouver le ton, la musique des personnages, leur voix ainsi que les nombreux détails liés aux lieux. Je voulais aussi être certain de ne laisser aucune piste sans réponse. Et j'avoue que, parfois, c'était aussi énervant que stimulant de parfois redécouvrir un micro indice ici ou là, une ligne de dialogue, une idée en l'air, qu'il me fallait intégrer à mes réflexions sur le tome 3. À la fin du tome 3, j'avais d'ailleurs des feuilles volantes partout sur mon bureau avec des lignes de choses à ne pas oublier dans le récit, des phrases à corriger, des dialogues à ajuster et l'un de mes plus grands plaisirs durant l'écriture a été de barrer ces lignes de choses à faire au fur et à mesure que j’avançais.
- Ce tome 3 est-il dans la pure continuité des deux premiers ou se distingue-t-il sur un ou des points précis de ses prédécesseurs ?
- Sur le fond et la forme, ce tome 3 se place dans la continuité des livres précédents. Je ne voulais surtout pas trahir les personnages ou l'histoire en déviant de tout ce que j'avais en tête quand j'ai commencé la série. La construction du récit, le parcours des personnages, leur voyage émotionnel a évolué au fil de l'écriture, mais l'essence de chacun d'eux, la force qui les lie entre eux sont restés intacts. Ce qui, peut-être, a changé, c'est mon écriture qui se bonifie avec les années, je l’espère en tout cas. Je crois que c'est Stephen King qui a dit qu'avec moins d'adverbes et d’effets inutiles on gagnait en efficacité, qu'on écrivait mieux... J’espère qu'il a raison car j'ai travaillé ce tome 3 avec ce souci d'efficacité en tête.
- Quel personnage vous a le plus surpris en cours d’écriture ? L’un d’eux a-t-il pris une place plus grande que prévu ?
- S'il y a un personnage qui s'est hissé au-dessus des autres, c'est bien Kassis. La jeune héritière des Ronces. Elle est le personnage qui a le plus évolué de tome en tome et je crois qu'au final, c'est son histoire que Martyrs raconte. L'histoire d'un royaume et d'une époque liées à cette femme qui a dépassé toutes mes attentes d'auteur. Je l'avais construite comme un stéréotype afin de mieux la déconstruire et de la transformer, mais en vérité, elle m'a échappé, comme le font les personnages trop grands pour ne vivre que dans les chapitres qu'on leur consacre. Kassis a donc pris vie dès la fin du tome 1, après avoir subi les événements du récit, mais dès le tome 2 et encore plus dans le 3, elle s'est écrite elle-même et sans effort. Je n'avais que les mains sur le clavier tandis que sa voix dictait presque son propre destin de reine juste, intelligente, pleine de bonté et de détermination. Elle était comme le théâtre et le spectacle qui s'y jouait, alors que les autres personnages servaient son récit en tant qu'acteurs.
- Quels thèmes de Martyrs vous tiennent le plus à cœur aujourd’hui, avec le recul ?
- L'amour est le point de départ de la série. L'amour entre Irmine et Kassis. L'amour entre Irmine et son frère Hellbrand. Et avec l'amour vient la souffrance et le désir des personnages de tordre le cours de la vie pour lui arracher un peu de bonheur... L'amour était donc essentiel au récit pour que le voyage des personnages commence vers l’autre thème de l'histoire qui me tient à cœur : la liberté, sous toutes ses formes. Certains veulent être libres de choisir leur roi et échapper à la coercition de lois oppressantes, d'autres veulent échapper à leur condition, choisir qui devenir, qui aimer... Au final, sur toutes les routes qu’empruntent les personnages, cette question de la liberté se pose. Et aucun n'accepterait de se satisfaire d'une demi-existence vécue avec une laisse autour du cou.
- Question prévisible, mais... vaut-il mieux relire les deux premiers tomes avant d’attaquer le tome 3 ou avez-vous prévu des "aides" pour reprendre le train en marche ?
- Il vaut mieux les relire même si dans la première partie de ce tome 3, nos lecteurs retrouveront un Conteur qui leur résumera les péripéties des livres précédents. Et puis, après avoir attendu dix ans (et j'en suis désolé), ce serait dommage de se lancer dans ce tome 3 sans avoir toute l'histoire en tête... Même moi, je les ai relus (plusieurs fois).
- Dans l'idéal, si idéal il y a, que souhaitez-vous que les lecteurs ressentent en refermant définitivement Martyrs ?
- J'adore quand les lectrices et lecteurs me disent avoir pleuré sur mes histoires. Les émotions que certains livres gravent en nous durent parfois des années et restent associées aux œuvres qui les ont fait naître. Et pour celles et ceux qui ne pleureront pas, j’espère simplement qu'ils se seront offert un beau voyage avec Irmine et Kassis, qu'ils auront vibré avec eux et combattu le destin à leurs côtés.
- Trolls et Légendes, les Imaginales… Vous revoilà sur les salons ! D’autres dates à nous signaler ?
- Je ne prévois pas d’autres dates. J’ai simplement tenu à accompagner la sortie de ce tome 3 lors de Trolls & Légendes et des Imaginales, deux festivals importants pour le monde de l'Imaginaire, qui ont toujours soutenu mes romans et que j’affectionne particulièrement.
Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière
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