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Les Utopiales 2010 : une interview avec China Miéville

Par Linaka, le mardi 14 décembre 2010 à 08:00:00

China et son prixAprès cette interview avec l'illustrateur Aleksi Briclot, nous vous proposons maintenant un autre souvenir rapporté des Utopiales cette année : notre entretien avec China Miéville.
L'auteur, primé bien des fois - notamment pour Perdido Street Station ou pour The City & the City - a reçu une nouvelle récompense cette année avec notre récent prix Elbakin.net, pour son roman jeunesse Lombres. Le prix, souvenez-vous, lui avait été remis en mains propres à cette occasion.
Durant la remise du prix et l'interview, nous avons pu constater que China Miéville méritait amplement sa réputation d'écrivain charmant et chaleureux. Remercions-le donc ici pour ces moments privilégiés et pour son intérêt, avant de vous laisser lire l'interview et partager vos idées en forum.

En discuter sur le forum : sur le sujet dédié au roman, sur celui dédié aux Utopiales ou alors celui consacré au prix Elbakin.net.

L'interview

Comment se passe votre séjour en France pour le moment ? Appréciez-vous le contact avec vos fans français ? Comment compareriez-vous les Utopiales avec la Comic Con, par exemple ?
Eh bien, je ne suis ici que depuis deux jours, mais ça a été super. Je ne suis jamais venu à Nantes auparavant, je ne connais pas très bien la France, mais je suis allé plusieurs fois à Paris. Le festival est très intéressant : il possède en quelque sorte une saveur différente, comparé aux festivals anglo- américains qui sont ce que je connais le mieux. C'est drôle pourtant que vous parliez de la Comic Con, car c'est un cas particulier. La Comic Con ne ressemble pas aux autres conventions – on parle là de cent vingt mille personnes, c'est gigantesque, et très peu de gens s'y rendent pour les livres, il y est surtout question de jeux vidéos et de films...
Mon sentiment est qu'ici la discussion est plus intellectuelle, par certains côtés, par rapport à certaines des conventions américaines. Je ne veux pas tomber dans la parodie, il y a des festivals américains très sérieux et je suis sûr qu'il existe des festivals français très frivoles, mais c'est l'impression que j'en ai. Mon français n'est pas assez bon pour que j'en sois certain - j'essaie de l'entretenir - mais c'est mon sentiment général.
Et c'est génial de rencontrer mes fans, ça l'est toujours, c'est très agréable – cependant je suis obligé de signer mes livres en anglais. Il y a quelques phrases que j'arrive à écrire en français, mais la plupart du temps je dédicace en anglais et je m'excuse.
Lombres vient de remporter le prix Elbakin.net du meilleur roman jeunesse étranger 2010. Que représente pour vous, dans votre carrière, ce roman ?
Il a été rédigé très rapidement et de façon très brusque, il y a trois ans environ, et c'était une grande joie de l'écrire. C'était un peu un hommage à, par-dessus tout, Alice au Pays des Merveilles et De l'Autre Côté du Miroir – mais particulièrement à De l'Autre Côté du Miroir : on est soit Pays des Merveilles, soit Miroir, et moi je suis plutôt Miroir.
C'était le premier ouvrage pour la jeunesse que j'écrivais, donc je n'étais pas sûr de savoir si je pouvais y arriver, et c'était le premier livre que j'illustrais, donc encore une fois je ne savais pas si j'étais capable de le faire, car je dessine depuis toujours, mais pas à un niveau professionnel. J'ai trouvé que tout le processus était... eh bien, le seul mot qui me vient est : réjouissant – je sais que ça a l'air ridicule, mais c'était une expérience vraiment réjouissante. Et j'étais nerveux, car je n'ai aucun précédent dans la littérature jeunesse, ni en tant qu'illustrateur, donc j'avais peur qu'à la sortie beaucoup de gens se disent : C'est quoi ce bordel ? Donc j'ai trouvé cet accueil très touchant.
Et on se retrouve avec des mails de fans âgés de huit ans : ça c'est vraiment adorable, c'est quelque chose. Ceci à cause de la façon dont les livres ont un impact sur vous quand vous êtes un très jeune lecteur – aucun livre n'a jamais le même impact sur vous. Je me souviens des livres que j'aimais quand j'avais huit ans ; peu importe combien j'aime un livre maintenant, ce n'est pas la même chose. Alors l'idée (peut-être que c'est juste un truc égocentrique) que ce livre fera partie du bagage mental d'une génération d'adultes dans vingt ans est vraiment, vraiment agréable.
The City & The City accumule les prix les plus prestigieux, avec encore tout récemment un World Fantasy Award. Que vaut un tel plébiscite à vos yeux ?
Le plébiscite n'est pas total, beaucoup de gens n'aiment pas ce livre "(rires)". Non, il a été merveilleusement bien reçu. D'une certaine façon j'ai une réponse similaire une fois encore, car bien que ce livre soit totalement différent de Lombres, il ne donne pas la même impression que mes autres romans, car il est écrit dans un style très différent. C'est un hommage à une autre tradition : je tente de faire un hommage à une tradition du roman noir, ainsi qu'à une certaine écriture moderne d'Europe de l'Est – avec des gens comme Bruno Schultz ou Kafka.
De plus, je n'ai jamais écrit de roman policier auparavant, or c'est un roman policier – bien que ce soit aussi un roman de fantasy, en quelque sorte. Alors une fois de plus se posait cette question de la différence, et cela me rendait très nerveux.
Je pense que je suis très chanceux d'avoir de tels lecteurs ; je trouve que les gens qui lisent mes livres sont très indulgents avec moi, et tout à fait disposés à me laisser essayer de nouvelles choses – il ne me demandent pas toujours la même chose, ce qui est très agréable. Être récompensé pour cela signifie beaucoup pour moi – notamment parce que ce livre a été écrit à une période difficile, il est dédié à ma mère qui est décédée. Il y a beaucoup de raisons personnelles pour lesquelles ce livre signifie beaucoup pour moi ; à ce niveau, c'était beaucoup d'émotion.
Le roman arrivera bientôt chez Fleuve Noir. De façon générale, que pensez-vous des versions françaises de vos romans ? Les recevez-vous ?
Oh oui, on me les envoie toutes. Je travaille avec les traducteurs – j'ai travaillé en particulier avec Nathalie Mège. Encore une fois, mon français n'est pas assez bon pour que je puisse émettre un jugement : je suis capable de lire en français, mais lentement, et je ne suis pas en position de ressentir le langage. Je peux en comprendre le sens, mais par exemple il me serait très compliqué de trouver comment les jeux de mots ont été rendus.
Mais il y a deux choses qui me rendent très heureux à propos des traductions : d'abord le simple fait que beaucoup de Français ayant lu les deux versions m'ont dit : Oh, la traduction est géniale ! Mais il y a aussi le type de questions que posent les traducteurs quand ils discutent avec vous. C'est très intéressant, car ce ne sont pas nécessairement des choses qui vous seraient venues à l'esprit – mais ils ont des questions très spécifiques portant sur des nuances, des trucs comme ça. Cela donne un sentiment positif, car s'ils prêtent autant d'attention à ces nuances de langage très nébuleuses, cela inspire l'espoir que c'est un travail très soigné.
Donc j'ai apprécié le processus de collaboration avec les traducteurs. Et puis occasionnellement vous avez l'opposé ; dans certains pays mes livres ont été publiés et je n'ai jamais échangé un seul mot avec le traducteur. Dans certains cas il y a beaucoup d'argot, et je me dis alors : Bon, je ne sais pas ce que vous avez fait de ça, mais... ! Mais les versions françaises ne sont pas du tout comme ça.
Comment est née votre passion pour l'écriture ?
Je ne sais pas vraiment. Je crois que quand j'étais petit j'écrivais tout le temps, certainement depuis l'âge de huit ou neuf ans. A l'âge de treize ans environ, j'ai décidé que ce serait quelque chose que j'aimerais essayer de faire de façon professionnelle. Mais je pense que souvent les questions de ce type – comment on devient écrivain, ou ce qui inspire quelqu'un – ne peuvent trouver de réponse qu'en reconstruisant le processus après coup. Au moment dont il est question, on ne pense pas en ces termes.
Donc j'ai peur que la seule réponse honnête soit que je ne le sais pas vraiment, j'ai simplement toujours beaucoup aimé écrire. Je peux essayer d'y trouver un sens après coup, mais bon... Je possède tous ces bouts de papier et ces trucs sur lesquels j'écrivais des poèmes et des histoires quand j'étais petit, et ils sont tout à fait similaires à ce que j'écris maintenant, je n'ai pas changé en trente-cinq ans. Je pense que l'on a une certaine fidélité envers ses propres obessions. Ceux d'entre nous qui sont fidèles à leurs obessions finissent souvent : a) très geeks, et b) motivés, dirigés par ces obsessions. Donc pour cette obession-là, cet amour pour la construction de mondes, cet amour du grotesque et du monstrueux, ce genre de choses : je ne me rappelle pas d'une période de ma vie où ce n'était pas ce qui m'inspirait et me donnait envie de créer.
Pour beaucoup de gens, Perdido Street Station reste un choc. Il avait été question d'un jeu de rôle (papier). Est-il toujours en cours ?
Oui, c'est une société nommée "Adamant Entertainment" qui s'en occupe. Ils travaillent dessus très lentement – et j'en suis très content. C'est une toute petite société, et je connais un peu le type qui gère cela. Je le laisse progresser à son propre rythme – pour ma part il n'y a pas d'urgence, je préfère largement qu'il prenne son temps et qu'il fasse un bon travail. J'ai donc collaboré avec lui, je lui ai envoyé un tas de trucs – sur le monde, vous voyez, des informations historiques, des choses comme ça. J'imagine que le jeu va sans doute sortir en fin d'année prochaine, ou éventuellement début 2012, mais honnêtement je n'en suis pas sûr. Mais oui, c'est en train de se faire, absolument.
Vous avez un blog, mais on vous a vu récemment vous agacer d'un faux profil Facebook à votre nom. Quel est votre sentiment sur les nouvelles technologies qui ont maintenant explosé depuis quelques années ?
C'est drôle que vous appeliez ça un blog, je ne sais pas si je l'appellerais ainsi – mais bon, peut-être que c'est un blog, ok. Je ne suis pas sur Facebook, je ne suis pas sur Twitter ni sur Live Journal, je ne bloggue pas à propos de moi-même, je ne suis pas intéressé par ce genre de choses. Mais ça ne veut pas dire que je suis un luddite ; ce n'est pas que je désapprouve. Je connais beaucoup de gens qui sont sur Facebook et qui adorent cela ; je connais encore plus de gens qui adorent twitter. Très bien, super, éclatez-vous : ça ne m'intéresse pas, ce n'est pas ce que je veux faire.
Ce qui s'est passé sur Facebook était frustrant car une personne au moins m'imitait – en soi, je trouve que c'est vraiment bizarre et malsain, mais je m'en fiche. La raison pour laquelle cela me préoccupait était que des gens m'envoyaient des messages disant : Je t'ai contacté sur Facebook et tu ne m'as pas répondu. Et je me disais : Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? C'était donc vraiment inquiétant, et c'est la raison pour laquelle j'ai réagi. Et ce n'était pas un site de fans : j'ai aussi des sites de fans sur Facebook et je n'ai aucun problème avec ça, c'est très flatteur. C'était purement un problème d'imitation.
Cela me pose problème dans le sens où je pense que de plus en plus, en tant qu'écrivain, particulièrement en tant que jeune écrivain – si vous avez commencé quelques années après moi, si vous êtes un peu plus jeune que moi – il est presque de rigueur de blogguer, de twitter : vous êtes censé avoir cette proximité. Et je pense que c'est vraiment dommage : si les gens veulent le faire c'est fantastique, mais j'ai un gros problème avec l'idée que cette activité devrait être partie intégrante du rôle de l'écrivain. Et si vous n'avez aucun intérêt pour ça, si tout ce que vous voulez faire est écrire vos livres, si vous voulez vivre en reclus, si vous n'avez pas envie d'avoir une tribune – que se passe-t-il si vous ne pensez pas que tout ce que vous pensez chaque minute de la journée est digne d'être sur Twitter ?
Cela créé en quelque sorte un solipsisme, ce qui à mon sens est potentiellement dommageable. Je pense que cela brouille la ligne de démarcation entre l'identité de l'écrivain et un exercice de promotion, ce que je n'apprécie vraiment pas. C'est en quelque sorte une marchandisation de la personne de l'auteur. Mais je ne veux pas passer pour bégueule : si les gens aiment ça, c'est très bien. Ce que je n'aime pas est l'idée que l'on vous dise que vous devez le faire. Je pense que c'est dommage, culturellement, que cela devienne une partie du rôle par défaut de l'écrivain. Et j'ai de la chance, car je suis juste assez vieux – j'ai commencé à être publié quatre ou cinq ans peut-être avant que cela ne devienne la norme. Je pense que si j'étais de quatre ou cinq ans plus jeune, j'aurais subi beaucoup plus de pression pour faire ce genre de choses.
Vous ne cachez pas vos opinions politiques. Mais vous avez dit ne pas écrire pour exposer vos positions. N'est-ce pas malgré tout tentant ? Surtout pour quelqu'un ayant votre verve.
Cela dépend du livre – certains sont plus ouvertement politiques que d'autres. Je dois essayer d'être clair : on me pose fréquemment la question sous une forme ou une autre, alors je sais que les gens y sont très attentifs, mais je ne pense jamais à cela. Jamais, jamais je ne me dis : Comment faire passer mes idées politiques dans mon histoire ? ; cela ne me vient tout simplement pas. Occasionnellement, comme c'est le cas avec Le Concile de Fer, l'histoire tourne autour de la politique de façon assez ouverte ; dans cette situation, la politique peut devenir plus visible dans un roman. La plupart du temps, il y a une sorte de texture, d'arrière-plan politique, et si cela vous intéresse vous pouvez trouver des éléments, mais si ce n'est pas le cas alors l'histoire doit aussi opérer à son niveau, et vous donner envie de passer à la page suivante.
Je crois qu'il y a une grande différence entre le fait de considérer des idées politiques dans un roman, de les examiner, les utiliser en tant que texture, jouer avec elles, et le fait de considérer votre roman comme un véhicule servant à pousser en avant certaines idées politiques. Il existe un cliché du : Oh, moi je suis opposé à la propagande. Certains romans de propagande sont très bons, mais c'est quelque chose de difficile à faire, et cela ne m'intéresse pas. Je n'écris pas de la fantasy parce que je veux présenter des arguments en faveur du socialisme, j'écris de la fantasy parce que j'aime les mondes inventés et les monstres, les trucs de ce genre.
Mais oui, bien sûr, certains des éléments qui entrent dans la texture du monde seront imprégnés par mes opinions politiques, qui sont de gauche. Mais il n'y a jamais eu aucun moment de conflit pour moi, et si vous cherchez des thèmes politiques, vous les trouverez aisément, mais si ce n'est pas le cas cela ne devrait pas, espérons-le, vous empêcher d'apprécier le livre quoi qu'il en soit.
Pouvez-vous dire quelques mots de l'un de vos auteurs préférés, je crois, Michael Moorcock. Il publie un nouvel Elric l'année prochaine. Dans l'absolu, vous seriez-vous vu reprendre un tel personnage à votre sauce ?
Je suis un très grand admirateur de Moorcock, à beaucoup de niveaux. J'ai grandi avec ses œuvres, et je pense qu'il est une des grandes figures des lettres anglaises. Je l'ai rencontré et il est charmant, il a toujours été très gentil avec moi et il m'a toujours soutenu.
Je pense que j'aurais très peur de toucher à Elric. Je ne suis pas très intéressé en ce qui me concerne par l'écriture de livres en lien avec autre chose, ou en général par l'écriture de livres dans des mondes partagés avec d'autres, car j'aime ces personnages et je veux lire leurs aventures. L'idée de quelqu'un aussi iconique qu'Elric... J'aurais été extrêmement intimidé à l'idée d'essayer de lui donner une voix. En revanche, je veux le lire, je veux lire ce que fait Elric – mais je ne suis pas en position de dire ce qu'il va faire. Je préfèrerais, que ce soit à propos de Mickaël Moorcock ou autre, écrire quelque chose qui s'inspire de lui, écrire quelque chose qui surfe sur ses idées – et en fait c'est bien ce que j'ai fait, vous savez. Mais je pense que je serais vraiment nerveux à l'idée d'écrire quelque chose dans un monde partagé avec lui.
Les villes en général ont beaucoup d'importance dans vos romans, ce sont des entités vivantes. En quoi le cadre revêt-il autant d'importance pour vous ?
J'ai grandi dans une ville, j'adore les grandes villes, depuis toujours. Il y a certainement une tradition très forte de l'écriture citadine, et de l'écriture liée à Londres en particulier. J'aime cette espèce de nature chaotique et palimpseste de la ville, particulièrement en ce qui concerne Londres, qui a un manque de planification urbaine à la fois catastrophique et merveilleux. Vous avez cet étrange patchwork d'histoire et d'esthétiques différentes, qui n'a rien à voir avec une ville comme Paris, vous voyez, où Haussman a tout rasé. Tout ce qui ne va pas avec le reste est repoussé vers la banlieue, c'est une topographie très différente. Alors qu'à Londres tout est mélangé et mâchonné, et j'aime vraiment ça. J'aime les patchworks, et je pense que Londres est une ville-patchwork.
Donc vous me demandez si les villes sont importantes, et je dirais que oui, les villes en général, car elles sont riches, dramatiques ; il y a beaucoup d'action politique, d'action esthétique. Mais Londres aussi, en particulier, signifie beaucoup pour moi.
Il y a quelques années, on parlait beaucoup du New Weird comme courant émergent. Quelle a été son évolution selon vous ?
J'ai vraiment bien aimé le New Weird, je trouvais cela vraiment amusant. Je n'ai pas inventé le terme, il a été créé par M. John Harrison – beaucoup de gens pensent qu'il est de moi, mais ce n'est pas le cas. Je trouvais que c'était un terme très brillant. Tous les mouvements de littérature, tous les manifestes, sont une interprétation et une provocation. Ce n'est pas une science active comme la géologie ou la paléontologie ; c'est quelque chose de différent.
Alors j'en ai eu vraiment raz le bol de certaines personnes qui disaient : Oh, mais vous dites qu'il y a ce nouveau mouvement littéraire, mais si vous regardez tel écrivain, ce que vous dites là n'est pas tout à fait exact. Franchement, on s'en fout ! Honnêtement, ce n'est pas la question. La question c'est : est-ce que c'était fun ? Est-ce que ça vous épatait, est-ce que ça en imposait ? Car vous savez, c'est une question d'épate ; un manifeste vous épate, et ce genre de choses peut être très divertissant, très provoquant, mais c'est aussi, je pense, utile au point de vue épistémologique. On peut, espérons-le, être intéressant et sérieux, et aussi apprendre quelque chose sur un moment de littérature, en le regardant à travers le prisme d'un mouvement. Et pour moi le New Weird a pointé du doigt quelque chose qui était en train de se passer, et a fait l'effort basique d'essayer de chercher des explications sur ce qui pourrait se développer là, et de suggérer ce qui rendait certains types d'histoires plus intéressantes que d'autres.
Maintenant, toutes les catégories de ce genre deviennent aussi très rapidement un terme de marketing, et deviennent un produit. C'est inévitable, cela arrive avec tous les mouvements littéraires, tous les mouvements artistiques. Vous avez une fenêtre de temps très étroite pendant laquelle le terme peut avoir une sorte d'emploi esthétique, ou comme je le disais un emploi épistémologique. Et durant cette période, je trouvais ça génial. Au moment où cela a commencé a être utilisé comme une catégorie de marketing, quand les gens ont commencé à écrire au dos des livres : Bel exemple du New Weird... Bon, les commerçants doivent faire leur boulot, je ne les emmerde pas avec ça, mais c'est à cet instant que j'ai dit : Ok, j'ai perdu tout contrôle sur cela, ça ne m'intéresse plus.
Donc, il y a quelques années, j'ai beaucoup apprécié le débat autour du New Weird, et puis ils ont atteint un point, il y a environ un an, où j'ai dit – de façon explicite, j'ai écrit un article dans lequel j'ai dit : Je ne parlerai plus du New Weird. Je ne pense pas pouvoir encore en parler, car je crois que le mouvement s'est fossilisé dans un contexte de marketing.
Je n'aime vraiment pas cet espèce d'antagonisme brutal, de sens commun, envers les mouvements littéraires, cette sorte de : Oh, pourquoi faudrait-il qu'on mette des étiquettes sur tout ? Oh, allez vous faire foutre, nous utilisons tous des étiquettes, c'est une façon de penser, c'est une heuristique, vous voyez. La question est : est-ce utile, est-ce appréciable, avez-vous trouvé ça cool, était-ce une bonne provocation ? Et je pense que le New Weird l'était, et si quelqu'un veut débattre sur ces termes et me dire : Non, ça ne l'était pas très bien, voilà un vrai débat, mais ne me dites pas : Oh, il y a seulement de bons livres et de mauvais livres.
Par curiosité, donnez-vous toujours des cours à l'université de Warwick ? Comment définiriez-vous le China Miéville professeur ?
Oui, je donne toujours des cours. Je pense que je suis un bon conférencier, j'aime faire des cours magistraux. Je ne sais pas si je suis vraiment bon dans les situations plus proches des élèves. Je ne veux pas dire que je pense être mauvais, je l'ignore bel et bien. Ils faudrait que vous posiez la question à mes étudiants.
J'aime beaucoup faire des cours magistraux, mais les ateliers sont plus difficiles. Et c'est particulièrement difficile quand vous enseignez l'écriture créative, car ce n'est pas une science, c'est très nébuleux et subjectif. Il y a des gens avec lesquels vous avez le sentiment que vous travaillez très bien, et d'autres avec lesquels il n'y a pas vraiment de déclic. Et on ne peut pas le prédire avec certitude, c'est souvent avec les gens qui écrivent différemment de vous que vous faites du bon travail. Mais j'espère que je suis décemment bon – cependant, il faut le demander à mes élèves.
Quels sont vos derniers coups de cœur de lecture en date ? En fantasy ou autre.
J'ai lu beaucoup de vieux livres écrits par un auteur appelée Jane Gaskell – elle n'a rien publié depuis vingt ans environ, mais elle a commencé à écrire très jeune, elle avait quatorze ans. J'ai toujours aimé son premier livre, qu'elle a écrit quand elle était enfant, intitulé Strange Evil. Mais j'ai enfin mis la main sur deux autres livres d'elle \: une histoire de vampires intitulée The Shiny Narrow Grin, qui est très difficile à trouver, et un autre livre intitulé A Sweet Sweet Summer, à propos de Londres et des aliens s'y trouvant – ce sont des livres très, très étranges. Elle n'écrit pas vraiment dans le genre, mais elle utilise beaucoup d'idées venant de la science-fiction et de la fantasy pour écrire ces livres – ils ne ressemblent à rien de ce que j'ai pu lire.
Donc je dirais que le livre que j'ai le plus apprécié récemment dans le genre était A Sweet Sweet Summer, un livre qui a quarante ans, quelque chose comme ça, mais que j'ai trouvé formidable.
Et hors du genre ?
J'aurais aimé savoir que cette question allait m'être posée, car je garde un compte-rendu de tout ce que je lis depuis que j'ai treize ans, mais je ne l'ai pas avec moi. J'essaie de me rappeler... car je ne lis pas tant que ça quand j'écris, il faudrait que je me concentre. Si, j'ai lu un livre qui n'est pas de la fiction, par Alex Callinicos, intitulé Bonfire of Illusions, qui parle de la crise financière et de la géopolitique actuelle, et que j'ai trouvé très bon.
Auriez-vous quelques mots sur vos prochains projets, après Kraken. J'ai entendu parler d'un space opera...
J'ai dit que c'était un roman de science-fiction qui se déroule dans l'espace – je crois que j'ai dit espace, et les gens y ont accolé opera. Le livre s'intitule Embassytown et l'action se déroule dans un futur lointain. Il sortira en Grande-Bretagne en mai, ainsi qu'aux États-Unis, et j'essaie de travailler sur autre chose en ce moment – je n'en dirai pas trop à ce sujet, car cela me rend nerveux de parler d'un travail en cours. Mais je travaille sur deux livres à venir. L'un d'entre eux, j'en suis sûr, sortira en 2012.
Ce qu'on me demande souvent c'est si je vais écrire d'autres livres se déroulant dans le monde de Perdido Street Station, et la réponse est toujours oui, mais je ne sais pas quand. Je préfère de loin ne pas écrire assez de livres qu'en écrire trop. Il arrive si souvent dans la culture geek que l'on détruise ce que l'on aime car on est incapable de le laisser en repos – on en fait trop. Je ne veux pas faire ça.
Auriez-vous quelques mots pour vos lecteurs français, pour conclure ?
Alors les mots... J'ai honte parce que je trouve ça très difficile de parler en français, donc je vais parler en anglais, mais quand je reviens ici je vais parler en français. Ce sont les mots ! (En français, NdlR)
  1. L'interview
  2. L'interview en anglais

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