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China Miéville, littérature et politique

Par ThinkBecca, le mardi 5 juillet 2011 à 15:30:35

CMLe quotidien anglais The Guardian a récemment affirmé que China Miéville pourrait être l’une des raisons pour lesquelles la science-fiction « devient à la mode ».
L’article fait remarquer que « le mélange artisanal de fiction étrange et de politique radicaliste de Miéville semble de plus en plus pertinent ». « Malgré le grand nombre de blockbusters hollywoodiens parfumés à la SF mais sans âme qui sortent actuellement, Miéville nous rappelle que sous la couche d’attrait populaire exercé par la SF bat un cœur beaucoup plus fort. »
Lors de la Chicago’s Comic and Entertainment Exposition du mois de mars, Miéville a pu disctuer avec Nicole Colson de la place de la politique dans ses travaux, de ses idées sur la science-fiction dans la culture populaire et de la manière dont la politique et la fiction interagissent.

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L'entretien proprement dit

En tant qu’écrivain, qu’est-ce qui vous attire dans la fantasy ?
Je n’ai jamais eu à choisir. J’ai toujours aimé la fantasy, alors je suis en quelque sorte obligé de trouver des raisons, post facto, à quelque chose qui est profondément ancré en moi.
Par conséquent la vraie réponse est « je ne sais pas, j’ai simplement toujours aimé ça ».
Mais la théorie vers laquelle je penche est que la fantasy est quelque chose que j’aime. Je ne suis jamais aussi viscéralement excité par quelque chose de réaliste que par le fantastique. Du coup, je pense que ça a à voir avec cette sensation d’aliénation que seul le fantastique peut causer.
J’ai lu récemment une interview de l’écrivain SF Octavia Butler, dans laquelle elle parle de l’attrait qu’elle avait pour l’idée même de la science-fiction lorsqu’elle était petite, car pour elle, la SF ne semblait avoir aucune limite.
En ce qui me concerne, c’est juste que d’aussi loin que je me souvienne, j’étais très, très enthousiasmé par la description de choses qui n’étaient pas réelles, qui étaient impossibles. Je trouvais ça terriblement excitant. Je ne sais pas vraiment pourquoi.
Depuis, j’ai passé beaucoup de temps à imaginer ce que ça pouvait bien être – de quoi le fantastique est capable, et ainsi de suite – mais tout part d’une passion qui précède toute réflexion.
La science-fiction et la fantasy font partie d’un incroyable phénomène de pop culture, en ce moment, mais pourtant il semble que la facette littéraire soit toujours la cible de railleries. L’un des juges du Prix Booker, John Mullan, a dit il y a quelques années que les ouvrages de science-fiction « étaient achetés par des gens à part, qui vont et se rencontrent dans des endroits à part. »
En fait, j’ai discuté avec lui de ce sujet. Pour sa défense, je l’ai invité à en débattre et il est venu… Mais oui, il y une grande part de snobisme là-dedans.
Je pense que ça dépend de pas mal de choses. Pour moi, ça a beaucoup à voir avec le triomphe d’un certain genre que l’on appelle aujourd’hui « fiction littéraire », qui prétend à la perfection ne pas être un genre, mais qui est en réalité la nature même de la littérature. C’est le résultat d’une campagne marketing très efficace qui a eu lieu ces 30 dernières années.
Mais je pense que ça remonte à plus loin que ça encore. Pour moi, ça à un lien avec une transformation de la culture entre la fin de l’ère victorienne et le début de l’edwardienne – une phase de culture bourgeoise. Les auteurs avaient écrit des ouvrages transgenres auparavant, mais quelque chose a changé et une idéologie assez forte est ressortie de la représentation mimétique. Il y a des tas de livres qui expliquent cela, mais je pense que c’est le résultat d’un tournant idéologique précis.
Je ne veux pas paraître grossier. Je ne veux pas dire que l’idéologie dominante déteste la SF. Si vous regardez autour de vous, l’idéologie dominante adore la SF. Néanmoins il y a un certain sens des hiérarchies.
Cependant, je pense aussi que c’est en train de s’écrouler en ce moment. Je pense que ces évènements sont cycliques. En ce moment, les gens sont beaucoup plus ouverts d’esprit qu’ils ne l’ont été pendant longtemps. Ceux d’entre nous qui appartiennent au monde de la SF s’en plaignent beaucoup, et ils ont des raisons de le faire, mais je suis tenté de m’y habituer, tout simplement.
En parlant d’une convention comme celle à laquelle nous participons, les ComicCon deviennent très populaires.
D’une manière très soudaine, oui. C’est vraiment intéressant. Ils ont commencé à appartenir à la culture populaire. On a vu des séries, policières par exemple, commencer à être représentées lors des Comic Con. Je crois que la plupart des gens ne savaient pas qu’elles existaient jusqu’à il y a cinq ans.
Lorsque je suis arrivée hier, j’ai vu mon premier storm trooper Star Wars, et je me suis dit « je fais partie de cette tribu ». Mais ensuite, j’ai croisé un énième storm trooper et j’ai réalisé que c’était là « le revers de la médaille ». Je me demande comment vous percevez la façon dont tout ça est tellement commercialisé auprès du public ?
Je ne crois pas que ce soit bien compliqué. Tout groupe de gens obsedés par quelque chose partage un amour obsessif – je le dis en faisant partie de l’un d’entre eux, je ne veux pas être péjoratif – et a une sorte d’effet faussement utopique, où on esttous ensemble, telle une tribu où tout le monde se comprend et ainsi de suite.
Ce n’est pas si mal – ce n’est pas le pire péché qui existe. Mais il y a quelque chose de réducteur là-dedans.
J’aime les obsessions. J’aime les gens qui sont fascinés par quelque chose, que ce soit un poisson tropical, une collection de timbres ou la science-fiction. Je ne partage pas toujours cet intérêt, mais j’aime le fait qu’on puisse être passionné. La passion est ce qui nous anime, mais ça peut aussi mener à une certaine forme d’isolement.
Le principal problème de notre point de vue, évidemment, est que c’est inséparable d’un phénomène de commercialisation qui remporte un immense succès. Au final, j’adore les conventions : elles sont amusantes, et comme vous dites, c’est ma tribu.
Pourtant, je suis frustré. Je pense que le fait qu’on aime ça nous pousse au final à manquer de sens critique – ou étrangement, à toujours être déçu. Nous sommes tous tellement enthousiastes qu’on ira voir n’importe quoi où il y a un vaisseau spatial, même si nous SAVONS que ça va être nul. Je me dis – allez, on n’y va pas. Ou alors, si on y va, qu’on n’ait pas l’air surpris si c’est un navet. Bien sûr, que ça l’est. C’est un produit à la sauce Hollywood.
Une fois qu’ils ont votre argent, ils n’ont pas besoin que vous aimiez leur production. Ça les arrange si vous aimez, tout simplement parce que ça leur permet de ramasser plus d’argent – des suites, des spin-off, et tout le tralala. Mais au fond, si vous y allez et que vous trouvez ça nul, du moment que vous payez, ils n’en ont rien à faire. Maintenant, c’est sûr que certains réalisateurs veulent faire du bon boulot – je ne parle pas de quelqu’un en particulier. Je parle de la structure du marché en général.
Et en ce qui concerne cette idée perpétuelle de « notre industrie culturelle nous laisse tomber » que nous les geeks avons sans cesse, je pense qu’on devrait admettre qu’effectivement c’est une industrie, c’est un ensemble d’entreprises.
Si vous aimez, tant mieux, mais ne soyez pas crédules par rapport à ce dont il s’agit. Et je dis ça en tant que quelqu’un qui apprécie.
Parlons de votre nouveau livre Embassytown. Pouvez-vous nous faire un résumé ?
C’est un scénario de science-fiction située dans un futur lointain sur une planète extra-terrestre, dans un univers où il n’existe pas de communication instantanée entre deux objets distants. Ça parle d’une communauté d’humains sur une planète très étrange. Ca tourne surtout autour du langage -- ils ont une interaction linguistique très spéciale avec les espèces locales.
On y trouve par exemple une manière particulière de voir la politique coloniale. Mais je vais rester très vague sur le sujet, parce que je suis très superstitieux sur le fait de parler d’un ouvrage sur lequel je suis en train de travailler.
Pourtant, le titre rappelle forcément un peu la Zone Verte en Irak, par exemple. Lorsque vous écrivez, l’actualité politique a-t-elle une forte influence sur ce que vous écrivez ?
Bien sûr. Mais c’est plus une question de trame de fond, de texture.
De temps en temps, ça m’arrive de dire « J’ai envie de parler explicitement de tel ou tel sujet. » Mais c’est très rare. Il n’y a qu’un exemple auquel je pense, une allusion claire à l’embourgeoisement de l’East London que j’ai faite dans Le Concile de Fer, par exemple. Mais la plupart du temps, c’est juste pour la trame de fond. Par exemple, le fait qu’il y ait une guerre – il y en a toujours une – ou bien que nous soyons en plein milieu d’une crise économique, cela finit forcément par s’immiscer dans la fiction que j’écris, parce que tout ça a un impact sur la façon dont je vois le monde. Mais ce n’est pas quelque chose de programmé.
Je suis à peu près sûr que dans un an, les gens pourront dire que ce que j’ai écrit est inspiré de la Place Tahrir (lieu de révolution egyptienne, NDLT), ou que ça vient de la manifestation de l’English Defence League à Londres. Bien sûr, on retrouve ces évènements dans mes œuvres. Mais je dis toujours que si je veux en parler, je le fais de manière explicite. Elles sont présentes, mais je ne prévois pas systématiquement de les intégrer.
Quand vous écrivez, est-ce que vous attachez de l’importance à la façon dont le public lira ce que vous écrivez ? La plupart de ce que vous avez écrit est très accessible, sans être « facile », mais je remarque qu’il y a des sujets qui m’intéressent tout particulièrement en tant que socialiste. Par exemple, dans Kraken, il y a un débat entre deux personnages à propos de la religion qui me fait penser à la manière dont les gens citent Marx, pour dire que la religion est l’ « opium du peuple », mais qu’ils ne le citent jamais pour dire que la religion est le « cœur d’un monde sans cœur ». Est-ce que vous intégrez ça dans vos travaux ?
Je ne veux pas qu’on croie que je ne pense pas à la politique. Bien sûr que j’y pense, mais je suis mon propre arbitre sur le sujet.
Pour rentrer dans le détail, c’est un peu pour plaisanter que vous avez utilisé le terme «tribu » pour parler de l’endroit où nous nous trouvons, mais les socialistes font aussi partie de cette tribu. Dans une certaine mesure, ça peut être un problème parce que nous avons tendance à être assez bornés. Mais c’est sans doute dû au fait que les socialistes ont un vocabulaire bien particulier. Et parce que c’est l’un des milieux qui m’intéresse et avec lequel j’interagis, il m’arrive de glisser quelques « Easter eggs » à l’attention de mes camarades.
Il y a des blagues que les Marxistes pourraient apprécier, alors que les autres ne les comprendraient probablement pas. Il y en a que je destine à des groupes de gauche en particulier – par exemple, certains détails dans le Concile de Fer.
L’idée principale est de ne pas avoir besoin de les comprendre pour apprécier l’ouvrage, mais si vous les comprenez, c’est quelque chose que vous pourrez apprécier. Par conséquence, je pense qu’il serait désastreux d’écrire un roman ou une nouvelle en pensant « Ah, mes camarades vont adorer. C’est vraiment pour eux que je l’écris. » Ce serait beaucoup trop réducteur. En revanche, ça pourrait être « tiens, ce petit truc là fera rire les Althusseriens ». Il y a une blague sur Althusser dans Lombres que deux personne ont comprise !
J’étais en train de lire certains des articles cités dans une discussion sur votre roman Le Concile de Fer, et l’un des auteurs affirme que vos livres sont un peu sombres – que vous ne laissez jamais vos personnages « gagner ». Je me demande si vous êtes d’accord avec ça ?
De fait, je ne crois pas que ce soit entièrement vrai. Il y a des fins heureuses, ou des fins intermédiaires, dans mes romans. Mais j’accepte volontiers le fait que, de manière générale, mes histoires ont tendance à être « sinistres ». – bien que ce soit un terme un peu idiot. J’accepte ce qu’elle dit, mais je ne le comprends pas vraiment. Je ne l’ai jamais compris.
Nous avons un passé plutôt malheureux à ce sujet, dans la gauche – un passé vraiment malheureux qu’il faut que nous parvenions à surmonter. Toutes les critiques culturelles de gauche que j’ai lues disent « c’est un film intéressant, mais qui n’offre pas réellement d’alternative ». Eh bien ce n’est pas son rôle ! Ou bien « c’est véritablement sinistre ». Peut-être bien. Mais ça n’a rien à voir avec sa qualité littéraire, et ça n’a rien à voir non plus avec son côté politique.
Jusqu’à aujourd’hui, j’ai souvent entendu des gens de gauche parler de la « science-fiction progressiste, utopienne, optimiste » -- comme si ces mots étaient les mêmes. Parfois, la fiction « optimiste » fait partie des plus réactionnaires. Parfois la fiction la plus « sinistre » et la plus dépressive peut être vraiment, vraiment radicale – et parfois non, mais ça peut être une fiction fantastique.
Évidemment, c’est aussi une question de goûts. Si vous n’aimez pas les livres « tristes », vous n’aimerez probablement pas certains de mes ouvrages. Ca me va : c’est votre goût.
Et vous pouvez très bien écrire une critique politique dans laquelle vous dites que « le côté sombre de ces romans est réactionnaire pour les raisons suivantes ». C’est très bien. C’est une analyse, je pourrais contre-argumenter. Mais se contenter de dire qu’il y a des livres qui sont insuffisants ou politiquement répréhensibles parce qu’ils sont tristes, c’est fou.
Mon exemple préféré en science-fiction est la Nuit des Morts Vivants car – attention, spoiler ! – la Nuit des morts Vivantes est un film fantastiquement sinistre, tout en étant un film très intéressant d’un point de vue politique. L’idée que ça aurait été plus radical si la fin avait été heureuse, c’est complètement dingue. Pour cet exemple en particulier, c’est le côté sinistre et la façon dont c’est présenté qui en font un film politique fort.
Alors, oui, parfois ces critiques remontent jusqu’à moi et je ne me sens pas du tout concerné. Tous mes livres ne sont pas sinistres, et pour ceux qui le sont, c’est parce que je pense que ça en fait des meilleurs romans. Maintenant, je peux me tromper.
On qualifie souvent votre travail de « steampunk » (un sous-genre de la science-fiction qui évoque l’esthétique Victorienne, en mettant en avant les technologies « futuristes » tels que les Victoriens auraient pu les envisager, mais qui s’étend souvent sur les mœurs politiques de l’époque). Vous l’acceptez ?
Je me moque un peu de la manière dont les gens me décrivent, et s’ils veulent me qualifier de « steampunk » parce que ça leur permet d’avoir facilement des références, je ne vais pas monter au créneau pour ça.
Mais le « steampunk » en tant que paradigme n’est pas quelque chose dont je suis particulièrement fou. Il y a depuis peu un grand débat sur internet, à propos du statut du steampunk. Je pense qu’il est très intéressant et qu’on aurait du le lancer depuis longtemps.
Alors au final, je suis un peu sceptique quant à cette qualification. Mais je pense aussi que de manière générale, ce n’est pas aux écrivains de décider. Si d’autres gens trouvent un usage heuristique à vous classer dans une certaine catégorie, dans une certaine mesure, ça les regarde.
J’ai lu un article que Charles Stross, auteur de SF, a écrit récemment, appelée « The Hard Edge of empire », dans lequel il parle de vous. Dans cet article, il critique durement le steampunk, surtout pour son côté paresseux – l’invention de mots par exemple. Je suis plutôt d’accord avec cet argument.
J’ai adoré cet article. Je sais qu’il a provoqué pas mal de remue-ménage, et j’ai trouvé que beaucoup des contre-critiques ne tenaient pas vraiment la route. Les gens disaient « Très bien, mais vous n’avez pas parlé de ceci, de cela… ». C’était un article d’opinion polémique : évidemment qu’il n’a pas traité l’ensemble des sujets de A à Z.
Mais j’ai trouvé que son argument principal – qui est qu’une grande partie du steampunk moderne est une nostalgie pour l’époque Victorienne en particulier, et qu’il y a une oblitération d’une grande partie de l’impérialisme là-dedans – est totalement vraie et démontrable.
Il y a eu une vague massive de révisionnisme steampunk. Super – peut-être qu’on peut faire quelque chose de bien à ce sujet. Mais nous n’avons pas vu arriver de version steampunk de la Révolte Indienne de 1857, ou du Congo Belge… Ce sont les éléments sur lesquels le steam est construit, ce serait donc sympa de les voir s’y refléter. Si ça commence à arriver, tant mieux. S’il a fallu que des gens comme Charles – ainsi que Nisi Shawl qui a utilisé les mêmes arguments – insistent, c’est que c’est sûrement une bonne chose.
L’un des fils conducteurs dans tout ce que vous écrivez est l’idée que les villes ont une vie propre, sont des personnages à part entière. D’où cela vient-il ?
Il existe une grande tradition d’écriture qui s’intéresse à la ville non pas en tant que cadre, mais en tant que phénomène, personnage, heuristique, problématique, une forme de symbole « accablé », etc. Je pense que c’est exactement ce que je fais. J’ai l’impression que mes travaux s’inscrivent vraiment dans cette tradition.
A propos de votre dernier roman, Kraken – quand je pense à des dieux poulpes et à la fin du monde, je pense à H. P. Lovecraft. Lovecraft est apparemment l’une de vos principales influences, mais bien sûr, Lovecraft était aussi terriblement raciste. Comment gérez-vous le fait d’avoir une source d’inspiration qui ait des opinions politiques aussi problématiques ?
J’ai beaucoup écrit au sujet de Lovecraft, et j’ai beaucoup réfléchi à propos de lui et de ses opinions racistes. Il une véritable recherche théorique sur Lovecraft, qui commence à montrer dans quelle mesure le racisme est une dynamique structurante fondamentale de son travail.
Mon sentiment personnel est que les deux ne sont pas incompatibles – parce que je ne pense pas que ce soit suffisant pour les gens de gauche que nous sommes de dire « j’aime vraiment cet auteur et leurs idées politiques sont hors sujet. » Je ne crois pas qu’elles soient hors sujet du tout. Je pense que si vous aimez un tas d’écrivains, et que chacun d’entre eux est fasciste, alors il y au moins quelques questions à se poser.
Mais en même temps, je pense qu’il est parfaitement possible d’être béat d’admiration devant le travail d’un auteur tout en étant très critique des opinions politiques horribles incluses dans l’ouvrage, comme Trostsky l’a fait avec Louis-Ferdinand Céline.
Je ne pense pas qu’il y ait de contradiction. Je crois qu’il est possible de penser que Heart Of Darkness est une œuvre incroyable, tout en acceptant que c’est une œuvre dont la force repose en partie sur l’étouffement de toutes les voix africaines. C’est un travail structuré autour d’une forme particulière de racisme. S’il avait été moins raciste, il aurait peut-être été bien meilleur d’un point de vue politique, mais il aurait perdu de sa saveur en tant qu’œuvre de fiction. Maintenant, il aurait peut-être été meilleur sur d’autres plans.
C’est l’une des choses gênantes que nous devons juste accepter. La force de ces travaux n’est pas en lien direct avec l’appréciation ou non de leurs opinions politiques. Cependant il est parfaitement possible d’apporter une réflexion sur le sujet afin d’en tirer des conclusions. C’est l’un des choses que j’aime dans la critique de la fiction – ça vous permet à la fois de comprendre d’où vient la force de l’œuvre sans pour autant la disculper.
Pour moi, Lovecraft est un écrivain visionnaire hallucinant, et la source de son imagination est dans la plupart des cas sa haine des races. Mais que faites-vous de ça ? Dites-vous « je ne vais lire aucun de ses bouquin » ? Ou bien dites-vous « je suis impressionné pas la puissance de sa vision extatique » ? Moi oui. Le fait de comprendre que ça vient d’un endroit vraiment éffroyable me permet de dire que je ne me soumets pas à ces idées politiques, tout en ne niant pas que ce qui l’élevait jusqu’au stade de la transe poétique selon les propres mots de Michel Houellebecq, c’était le racisme.
Je ne pense pas qu’il soit impossible de savoir apprécier les deux côtés de l’œuvre. Vous pouvez lire de la fiction de manière symptomatique, et c’est quelque chose qu’il est important de faire. Mais il s’y passe toujours beaucoup de choses. Comprendre l’origine de quelque chose et la dénigrer ne signifie pas forcément tourner le dos à la force qu’elle donne à l’ouvrage.

Article originel.


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