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Les Utopiales 2010 : une interview avec Aleksi Briclot
Par Linaka, le vendredi 3 décembre 2010 à 08:00:00
Durant notre séjour aux Utopiales, nous avons eu le grand plaisir de rencontrer Aleksi Briclot, illustrateur de cartes Magic mais aussi de couvertures de romans, entre autres activités !
En lisant cette interview à laquelle il a très aimablement accepté de répondre, l'on comprend cependant que cet artiste possède de multiples facettes, comme le jeu vidéo par exemple. Notre rencontre aux Utopiales fut aussi l'occasion d'évoquer la parution récente de son artbook Worlds & Wonders chez CFSL INK, qui est déjà salué comme un superbe ouvrage de qualité.
Bonne lecture donc, et n'hésitez pas à partager vos impressions en forum!
L'interview
- La parution de cet artbook est également l'occasion pour vous, on l'imagine, de revenir sur votre parcours. Si vous deviez résumer votre carrière en seul mot, ce serait...
- Magique ? Je ne sais pas... Difficile de résumer, en l'occurrence, douze ans de carrière en un seul mot, et comme tu le disais effectivement cet artbook c'est pour moi l'occasion de compiler un peu mon best-of : tout ce que j'ai pu produire de mieux dans les différents médias dans lesquels je travaille, qui sont l'illustration, le comics, la bande dessinée et le jeu vidéo. Entre autres cela me permet, au sein d'un même ouvrage ou d'un même support, de montrer tout ce que j'ai fait ; je sais que pas mal de gens me connaissent pour une seule facette de mon travail, et qu'ils vont découvrir les autres facettes à travers ce bouquin-là : ça c'est quelque chose qui me fait extrêmement plaisir. Je sais par exemple que beaucoup de gens se sont intéressés à moi par le biais des cartes Magic, pour lesquelles je suis un des artistes principaux, et qu'ils ne connaissent absolument pas ce que je fais en matière de comics ou de jeu vidéo. De la même façon d'autres personnes connaissent mon travail pour mes participations à des bds franco-belges, au beau livre illustré Merlin par exemple, ou encore des couvertures Marvel, ou mon travail sur le comics Spawn – c'est quelque chose dont je suis extrêmement content.
L'autre pan principal effectivement c'est déjà d'avoir un beau livre – je suis très attaché au livre donc j'en ai une sorte de fierté, je suis très content d'avoir pu faire ça. Et puis il y a également le fait, après coup, de porter un regard sur tout ce que j'ai pu faire jusqu'à maintenant, comme une sorte de polaroid, de me poser des questions – de pouvoir respirer un peu, profiter de tout ça et me poser des questions sur l'avenir. - Alors, êtes-vous content de l'évolution de votre travail ?
- Je pense que c'est pas mal – que ce soit au niveau technique, notamment : pendant la confection du livre, je me suis retrouvé à faire de la spéléologie en creusant dans tous mes anciens disques durs pour retrouver tous mes fichiers. Je crois que pour la première sélection où j'avais tout mis de façon brute, j'étais arrivé à 600 fichiers image dans un même dossier, donc il y avait un peu des redites, des pièces pas finies, des croquis... Il y avait des pièces que je trouve inférieures en qualité et que je n'ai pas voulu présenter dans le livre – malgré tout j'aurais bien aimé en mettre certaines autres, mais même avec les 272 pages on ne peut pas tout mettre.
Au niveau technique oui, je suis certainement content de mon évolution – je parlais de spéléologie, du fait d'avoir creusé dans mes vieux fichiers - dans la réalisation du livre il y a plein d'images que j'avais un peu oubliées et qui m'ont surpris, en bien. Mais sur la plupart d'entre elles je vois pas mal de défauts, j'aurais aimé revenir dessus – il y a beaucoup de choses que je ne ferais pas de la même manière maintenant, en termes de gestion d'image.
Il y a aussi un autre point, c'est que quand j'étais plus jeune je pense que j'étais plus éclectique, ou en tous cas j'essayais de diversifier mes travaux. C'est dû à différentes choses : à la base, au tout début, c'était la peur quand je suis sorti de l'école de ne pas trouver de boulot, et donc il fallait que j'aie un book qui soit extrêmement éclectique pour pouvoir répondre à plein de commandes différentes. Ensuite c'est un peu mon éducation au niveau scolaire ; j'ai fait un BTS Images de Com, où j'ai appris à essayer de réfléchir à un message, et ensuite trouver la forme pour véhiculer ce message – donc ça peut être de la com, ou par extension une histoire... Même au niveau de l'illustration il y a plein de codes différents que l'on peut utiliser, et à mon sens c'est super intéressant d'essayer de trouver une forme particulière en fonction de ce qu'on a à dire. C'est quelque chose qui, je l'espère, se ressent dans mon artbook, avec des travaux justement qui flirtent plus parfois avec des rendus BD, travail encrage traditionnel, mise en couleur plus flat... Une autre partie de mes travaux est plus un mix photographie, où je prenais les gens en modèle, j'essayais d'assumer ce côté ni complètement illustratif ni complètement photographique. Pour d'autres illustrations j'essaie d'émuler un peu un rendu traditionnel, même si je travaille la plupart du temps en digital... D'autres travaux pour le jeu vidéo où c'est beaucoup plus technique, donc j'essaie de rester focalisé sur le rendu de détails, sur l'aspect fonctionnel, la crédibilité – à chaque fois un rendu différent.
Et en fait je me suis rendu compte que récemment j'avais tendance à être moins curieux, quelque part, et j'aimerais bien creuser un peu de nouvelles pistes, des choses que j'ai laissées en suspens. Aussi, et j'en parle dans l'intro de mon livre, j'ai souvent du mal à rester au premier jet ; c'est quelque chose que j'aime beaucoup pourtant, juste l'impulsion originale et la force d'un croquis, rester dans la suggestion, et c'est aussi par rapport à mes clients qui me rappellent qu'ils connaissent mon savoir-faire et qu'ils veulent un certain degré de détail, des images figuratives qui soient relativement poussées. Et, parfois j'aimerais pouvoir rester dans une approche plus suggestive, avec un côté un peu plus impressionniste : c'est quelque chose que j'aimerais continuer à creuser. - Concernant le recueil lui-même, pourriez-vous nous dire deux mots, plus spécifiquement, de l'illustration de couverture ?
- Eh bien l'illustration de couverture je l'ai réalisée exclusivement pour ce livre-là. On a défini le titre avec Carlos Made qui est un de mes éditeurs, qui lui avait maturé un peu et avait suggéré World and Wonders. En gros, on a analysé ce qu'il y avait dans mon artbook, différents genres, tout flirte avec le fantastique, j'ai beaucoup travaillé pour la fantasy, j'ai fait de la SF, un peu d'horreur... Le genre dominant, justement, c'est peut-être la fantasy, d'où le terme Wonders ; le terme Worlds, lui, s'applique bien au côté création d'univers et mise en image, que ce soit pour le jeu vidéo, à travers l'illustration ou pour la bande dessinée, ça résume pas mal une grosse partie de mon travail.
Et dans la même idée, pour la couverture, on a enregistré tout le processus de création d'image et un DVD va sortir en janvier prochain normalement (il aura peut-être un peu de retard, mais normalement c'est prévu pour Angoulême). C'est un enregistrement accéléré des 25 à 30 heures de travail que l'image a nécessité, ça dure deux heures, et je commente dessus à la fois tout le processus créatif, donc la réflexion derrière. J'ai commencé avec deux croquis – je crois qu'au tout début je fais un listing de mots-clefs ; qu'est-ce qu'il y a dans le livre, de la fantasy de la Sf, besoin de faire une image qui soit séduisante, qui attire le regard, qu'on ait envie de rentrer dans un univers... Le genre fantasy s'est imposé de lui-même ; j'ai essayé d'ajouter des éléments magiques, un peu de SF justement, comme c'est un peu le cœur du livre, il y a un côté noir. J'ai pris tous ces facteurs-là pour en faire une image. J'ai aussi beaucoup travaillé sur du chara-design, donc mise en situation du personnage, j'ai essayé d'axer ça sur un personnage-clef.
Par rapport à mes dernières envies, il y a une sorte de brèche orange au milieu : pour moi c'est symbolique – j'ai essayé de travailler sur quelque chose d'extrêmement graphique, qui attire l'œil, une espèce d'aplat. L'idée aussi de brèche qui t'emmène dans un autre univers : une grosse partie de l'image est entièrement 2D avec juste des motifs – c'est quelque chose que j'avais amorcé sur le livre Merlin et que j'aime beaucoup, ce mélange de figuratisme, donc une image très léchée, très poussée, avec du rendu plus décoratif. Donc j'ai essayé d'intégrer cela car cela résume mes envies, ce que j'aime beaucoup actuellement. Et l'image se lit de gauche à droite – c'est un personnage qui vient vers nous, qui vient attraper le lecteur quelque part. Il y a une amorce de décor fantastique sur la droite en bas, donc ça suit le sens de lecture, et pour moi l'idée derrière cela c'était de créer une fenêtre qui invite à ouvrir le livre, à aller vers la droite, à entrer dans tous ces univers-là. Voilà en gros la réflexion derrière l'image. - Pour en revenir à vous, avez-vous toujours été intéressé par l'imaginaire ? Êtes-vous un grand lecteur, notamment de fantasy justement ?
- Je ne suis pas un grand lecteur ; j'aime beaucoup la lecture et encore plus l'écriture je pense, le processus de narration, que ce soit dans le cinéma, l'écriture pure, le roman, la BD, le travail avec les mots même si j'en fais peu... Je crois que mon premier déclic vient plus du cinéma : quand j'étais petit un de mes rêves était de travailler dans les effets spéciaux, à cause je pense du rapport à la photographie, à l'ultra réalisme, créer des créatures et des environnements qui soient tangibles. Donc j'ai fait pas mal de petites maquettes, j'en expose certaines que j'ai prises en photo dans la première partie de mon livre. Il y en a aussi dans les pages de garde. Des maquillages aussi, que je faisais à partir de modèles autour de moi : ma sœur m'a beaucoup servi de cobaye, je moulais son visage, je sculptais des prothèses sur le moule en question, et je tirais ensuite des prothèses en latex que j'appliquais sur elle. Je prenais ensuite des photos dans le jardin, mais j'étais très limité à l'époque : cela coûtait cher en argentique. J'aurais aimé filmer : si j'avais eu les appareils numériques d'aujourd'hui je pense que je me serais régalé à faire des petits films, j'aurais peut-être plus creusé ça.
Par contre j'aimais autant le dessin, et je me suis rendu compte que l'industrie du cinéma était très dure et un peu en déclin – c'était l'apparition des images de synthèse. Je me suis donc plus concentré sur le dessin et le graphisme. - Vous avez travaillé dans le comics, le jeu vidéo, les jeux de cartes comme Magic... Est-ce que le support influe sur votre travail ?
- Oui, complètement en fait. Même dans la touche et la facture même : c'est quelque chose en fait qui m'intéresse beaucoup. Je me suis rendu compte que j'avais toujours voulu me diversifier et conserver un pied dans ces trois domaines-là, que j'aime quasiment tout autant pour des raisons différentes. J'ai envie de continuer à explorer ces trois domaines. Je sais qu'en revanche ce n'est pas le cas pour beaucoup d'illustrateurs ; moi j'ai l'impression d'avoir fait mon trou dans chacun de ces domaines. Par contre à chaque fois c'est un processus créatif qui est complètement différent : l'illustration pour résumer c'est un travail de synthèse : il faut synthétiser une seule idée avec une image, donc faire une sorte de polaroid, qui donne envie de s'aventurer plus loin – si c'est pour un roman, dans la lecture – c'est vraiment le côté polaroid, qui doit être attractif en un coup d'œil.
La BD c'est l'inverse : il faut développer l'histoire, c'est de la narration, un travail séquentiel, une succession de vignettes qui doivent raconter un tout. Là, les points sur lesquels il faut se focaliser ne sont pas du tout les mêmes : je n'ai pas encore résolu toutes mes problématiques, j'ai notamment réalisé un album : Spawn, architects of fear, qui n'est pas encore sorti. Je l'ai fini il y a un an déjà, je l'avais entamé bien avant cela ; du coup j'avais essayé de réutiliser mon savoir-faire illustratif, et d'avoir la même qualité de fini que mes illustrations. Je pense que ça marche très bien, je me suis posé plein de problèmes au niveau de la gestion des pages, du storytelling, déplacement de caméra, les champs, contre-champ, mais à chaque fois j'utilise un style extrêmement chargé, et maintenant je ne procéderais plus de la même façon. Parce que parfois je pense que créer des zones de vide – j'essaie d'en gérer dans la BD - c'est bénéfique à la lecture. Le fait par exemple de ne pas s'arrêter sur chaque vignette mais de se focaliser sur l'histoire, et c'est une sorte de flot continu, c'est une histoire, et donc on n'envisage pas du tout les choses de la même façon.
L'autre truc, le concept-art, encore une fois c'est complètement différent, ce n'est pas la finalité – car le concept-art que ce soit dans le cinéma, le jeu vidéo, ce n'est pas ce qu'on va voir au final : on peut le montrer, l'utiliser en marketing, mais par exemple dans un jeu vidéo ce qu'il ne faut pas perdre de vue c'est l'expérience de jeu, le gameplay – est-ce que c'est fun ? Les concepts servent ça ; il y a l'aspect fonctionnel, il faut résoudre un maximum de problèmes, par exemple sur une illustration on n'a pas à se focaliser sur un problème d'articulation sur un robot, on peut rester dans la suggestion. Là par contre on sait que ça sera modélisé ensuite, et il faut vraiment qu'il y ait une cohérence presque technique, technologique, industrielle. Il faut donc résoudre toute cette partie fonctionnelle.
L'autre aspect, quelque chose que je trouve passionnant, c'est d'avoir les meilleures idées à chaque fois : moi j'essaie toujours de me recentrer comme ça. Après, la marge est limitée selon les projets et les contraintes, mais la question c'est que faire en termes de concept pur, d'idée, pour créer la différence avec ce qui se fait ailleurs ? Donc parfois c'est plutôt réduit. L'idée c'est aussi de penser aux animations, à la mise en scène, tout ce qui va arriver derrière, et de donner un maximum de force au concept pour qu'une fois dans le jeu, dans plein de situations différentes, il soit marquant. Du coup le défi est un peu différent en termes de création. - Les premiers retours sont tous unanimes quant à la qualité de l'ouvrage. Comment vivez-vous cet accueil enthousiaste ?
- Eh bien bizarrement, le livre est sorti depuis maintenant dix jours et effectivement on a plein de retours dithyrambiques, ce qui me fait super plaisir. Cela concerne mon travail donc c'est cool, mais je pourrais même me départir des images : je suis très content également de l'objet, du travail fait avec mon éditeur : le volume de pages, les petits carnets à l'intérieur, la qualité du papier, le dos toilé, le petit marque-page, la qualité d'impression... Cela a été fait par les trois collaborateurs de CFESL INK (café salé) : il y a Ness, Made, Nicolab également qui a travaillé sur la maquette et qui a fait beaucoup de choses à côté - il y a Céline qui était la chef de fabrication et qui a fait un travail fabuleux.
Je n'étais pas allé au calage d'un livre ou d'une illustration depuis dix ans – on est montés en Belgique, on a fait le suivi jusqu'au bout, on a validé les pages, avant même l'impression. J'étais extrêmement attaché à ce bouquin-là, j'y ai mis beaucoup de choses au niveau émotionnel – je ne raconte pas tout, mais ça me ramène à pas mal de pans de ma vie, à ce qui se passait à tel moment, quand j'ai fait telle image... Donc beaucoup de choses sont remontées, au-delà même des images. Et j'étais soucieux d'avoir un livre qui soit à la hauteur.
J'ai vu aussi la première version qu'on appelle le livre en blanc : c'est le livre fabriqué mais pas encore imprimé, c'est à dire que toutes les pages sont blanches, et on peut se rendre compte du volume, du nombre de pages, de l'épaisseur, de la qualité du papier, de la tranche, à quoi ça va ressembler... Ensuite on peut choisir, toujours avec la chef de fabrication, la couleur du dos toilé, la couleur de l'impression fer à chaud sur la tranche ; on a choisi un orange qui faisait écho avec les petites touches oranges que l'on voit sur la couverture.
Il y a aussi le fait d'avoir invité plein de guests dans le livre, des amis, des proches, des artistes que j'aime beaucoup, pour parler un peu de mon travail et un peu de moi, raconter des anecdotes et ramener un peu de chaleur dans le livre ; moi c'est le genre de choses que j'aime bien. Quand je vois des artbooks d'autres personnes, j'aime découvrir aussi un peu le personnage. Je n'avais non plus envie de tout dévoiler, mais c'était intéressant de mettre à contribution des collaborateurs ou des amis. J'ai eu deux ou trois pics émotionnels quand j'ai reçu certaines des petites notes. J'ai reçu le livre il y a un mois environ, et avant même qu'il sorte j'avais l'impression qu'il était diffusé. J'ai eu des petits pics de baby blues, dans le sens où le book était fini et où il n'y avait plus moyen de revenir en arrière. Mais malgré tout, comme je l'ai dit plusieurs fois, je suis super satisfait du bouquin, le résultat dépasse mes espérances. Le fait d'avoir tous les premiers retours, en termes de qualité, d'amis professionnels à moi par exemple, qui me disent qu'ils ne connaissaient pas une grosse partie de mes images, parfois 50%. D'autres personnes parlent de la qualité du livre ; c'est un petit détail, mais c'est une discussion qu'on a eue pour le choix éditorial : le prix. On aurait pu faire un livre plus cher, mais on a réduit la marge de profit pour rester accessibles. Ça va dans le sens de mes images ; j'ai toujours travaillé dans les médias de divertissement, et je voulais faire un gros livre « classe » mais qui reste accessible avec la culture entertainment. - Vous sentez-vous illustrateur « français » - cette notion revient plusieurs fois dans certains témoignages de l'artbook - ou bien cela n'a-t-il pas de sens pour vous ?
- J'espère que je ne suis pas chauvin, je n'aimerais pas ça. On pourrait parler ici de la notion de French touch aux États-Unis ou même de façon internationale : c'est un truc implanté à cause de notre culture histoire de l'art, culture artistique - qu'on ne peut pas nier même si on ne s'en rend pas compte parce qu'on baigne dedans, mais il y a quand même pas mal de choses très fortes qui se sont faites au niveau créatif chez nous. Je pense que ça a sans doute une influence sur ce qui se fait actuellement : le fait que même de manière internationale, il y a plein d'artistes reconnus français. Après, il ne faut pas se gargariser avec ça.
Moi je suis influencé par plein de choses depuis que je suis petit, que ce soit les films hollywoodiens, les cartes Magic pour lesquelles je travaille ou le jeu de rôle, mais une grosse partie de l'imagerie venait de la culture US. Les comics je suis tombé dedans quand j'étais petit avec Marvel ou les X-Men, et ce n'était pas français. J'ai découvert les mangas sur le tard mais je trouve ça super intéressant... Je me rends compte, quand quelqu'un d'extérieur m'en parle, qu'il est difficile d'analyser son travail ; j'ai du mal à définir mon style si on me le demande, même s'il y a une partie de mon travail que j'arrive à auto-analyser. Je pense que des personnes extérieures peuvent le faire mieux que moi. - Vous parlez des contraintes de vos employeurs que vous voyez comme des défis à relever pour vous. Mais ne finit-on pas par se lasser ?
- Je pense que c'est très formateur, déjà, mais c'est bien d'avoir un équilibre – après il y a différentes phases de vie. Moi j'ai fait ça pendant les douze années précédentes, hormis peut-être le livre Merlin qu'on a développé avec Jean-Luc Istin et Jean-Sébastien Rossbach pour la partie graphique. Là on a définit le sujet et on est partis en roue libre, on a vraiment fait ce qu'on voulait – ça restait une relecture d'un personnage existant, donc on n'a pas tout créé ex nihilo (mais à mon sens rien ne se créé ex nihilo).
Dans la plupart des cas en revanche, je travaille avec des clients qui m'amènent leurs contraintes – quand je bosse pour Marvel par exemple j'ai des personnages pré-définis. Quand je parlais de challenge, effectivement ça m'arrive de recevoir une commande que j'apprécie ou qui m'inspire moyennement. J'essaie de retourner le plaisir en élevant le niveau pour rendre cela plus iconique ou marquant. Ce que j'apprécie justement quand c'est réussi. Un compliment m'avait fait très plaisir : il venait d'un directeur artistique pour un jeu, qui m'avait envoyé le brief – donc j'allais mettre en scène des créatures déjà existantes. En gros, quand je lui ai livré les images, il m'a dit :C'est cool, je ne pensais pas que ça pouvait être aussi bien au final.
J'ai pris ça comme un super compliment. Et quand j'avais vu les premiers croquis arriver je n'étais pas super motivé ; mais je me suis dit :A partir de ça, qu'est-ce que je peux faire pour améliorer le truc ?
Et effectivement, avec la sortie de l'artbook, j'ai plus envie de me recentrer sur mes propres développements, même si j'aime encore travailler avec des collaborateurs, avec des contraintes – je trouve cela rafraîchissant, ce côté challenge intellectuel. Je pense aussi que j'ai pris du poids au niveau créatif – même dans mon rôle de concept artiste, on m'appelle aussi pour développer des choses. Même s'il y a toujours des contraintes et un cahier des charges, j'ai plus de marge de manœuvre qu'à mes débuts. Ça m'arrive plus souvent maintenant que l'on me donne pour rôle de créer une impulsion un peu plus marquée – ça c'est agréable. - Dans le domaine de la fantasy, on vous connaît aussi pour vos illustrations de couvertures de romans. Est-ce que cet exercice comporte des spécificités qui lui sont propres ?
- J'en ai fait peu, en fait – je ne sais pas si j'en ai fait une quinzaine... Il y a eu différents formats – bouquins de poche, grands formats... Eh bien j'avoue que j'ai parfois une petite frustration (c'est peut-être une étiquette qu'on m'a collée) \; pour la plupart des couvertures de roman je préfère une approche plus graphique, photographique, symbolique que les illustrations figuratives style peinture. Des illustrations comme ça j'en ai fait énormément, comme pour Magic, et j'aime ça – mais quand j'ai eu une petite ouverture pour les couvertures de roman, je pensais que j'allais pouvoir faire quelque chose de différent, et j'étais très motivé justement par cette idée-là. Mais toutes les premières commandes que j'ai eu tournaient autour de ce que je faisais à côté – donc du coup je n'ai pas eu de réel renouvellement.
J'aurais aimé aussi creuser un peu plus la SF ou le space opera – la SF est un genre que j'adore, j'en fait beaucoup plus dans le jeu vidéo, alors que beaucoup de personnes pensent que je suis plutôt fantasy. Tout l'aspect technique, technologique de développer des robots, de plancher sur la mécanique, les pistons, les vérins, le design pur et moderne : renouveler tout ça et pas seulement redigérer des poncifs de forme des années 80, de la vieille SF, mais essayer d'être novateur et de faire un travail de prospective, c'est quelque chose qui me passionne. J'aimerais bien d'ailleurs refaire des couvertures, et m'approcher un peu plus des mondes de science-fiction. Donc pour répondre à ta question je me suis souvent retrouvé devant des cas de figure qui ressemblaient à des illustrations Magic, ou à d'autres travaux que je faisais à côté.
Il y a des choses à garder en tête dans la réalisation d'un livre, comme de garder une zone de vide dans la partie haute pour faire ressortir le titre – pour la plupart des romans c'est juste une histoire de placement, d'habitude, c'est extrêmement rare qu'il y ait un travail graphique différent, plus osé. J'aimerais bien rencontrer plus de commandes comme ça mais je comprends qu'il y ait des réalités éditoriales : il faut que le titre soit en haut quand il est dans les racks de librairie, donc c'est tout à fait normal.
La plupart du temps j'avoue que je n'ai pas lu les livres que j'ai illustrés – je les lis en général après, mais on m'envoie un pitch quand j'ai la commande. - Justement, comment se passe généralement le travail avec les éditeurs ?
- Il m'est arrivé parfois d'avoir juste une suggestion d'une scène-clef : le directeur littéraire définit une image-clef avec plusieurs pistes, il me les propose, je fais plusieurs croquis et j'essaie de les mettre en scène rapidement pour trouver une image iconique. D'autres fois ça peut être un passage, ou des idées, ou ça se fait sous forme de brainstorm ; la personne m'évoque un peu le livre, m'envoie par mail pas mal de données dont j'essaie de sortir quelque chose qui me paraît intéressant pour synthétiser l'esprit du livre.
Il y a des livres que j'ai illustrés et que je n'ai jamais lus, d'autres que j'ai apprécié après coup. Il faut avoir le temps de s'impliquer dans la lecture d'un bouquin ; en général je suis très occupé, et même si je prends en charge une couverture j'ai d'autres projets à gérer. Et si je lis un livre dans ce cadre-là (en général ce sera le script) j'ai toujours un crayon sur moi ou un croquis, et en fait je vais l'éplucher de façon professionnelle. Quand il y a une séquence forte ou qu'une idée survient, je vais être dans un état d'esprit où je ne me laisse pas aller à la lecture, mais où je vais toujours essayer d'en extraire une image. Du coup c'est plus une grosse session de travail, et si le roman fait 300 pages c'est un gros épluchage et c'est un peu long. - Dans vos envies futures, vous parlez même d'un ouvrage pour enfants. Est-ce là un désir que vous nourrissez depuis longtemps ?
- Oui, j'en avais parlé il y a très longtemps, même quand j'étais à l'école, j'avais déjà essayé de petites illustrations pour enfants. J'aurais un gros travail à faire et je sais que par contre je ne pourrais pas placer un tel projet avec tout ce que j'ai fait auparavant – c'est pas en arrivant avec mes spawns, mes zombies et mes jeux d'horreur que ça serait intéressant (rires). Mais ça recoupe l'idée d'éclectisme, d'aborder un sujet différent, aussi au niveau technique – j'avais des petites idées, j'aimerais bien développer les choses en volume, faire de la photographie, des mix, travailler avec de la pâte à modeler, des collages – retrouver un côté expérimentation pure, encore une fois. Je pense que je le ferai, mais sans penser réellement à la réalité financière. Je procède souvent comme ça quand je travaille sur des projets qui me tiennent à cœur et qui sont plus longs – si je les ramène juste à la qualité de vie, à l'argent qu'on gagne... D'autres plans se font plus vite et rapportent beaucoup plus, mais il faut trouver l'équilibre entre les deux.
- Douze ans de carrière... Vous projetez-vous déjà au niveau des vingt ans ? Et si oui, où peut-on imaginer vous croiser ?
- J'ai quelques envies, qui sont déjà là depuis longtemps, mais je n'ai pas un profil très clair. J'aimerais continuer à faire ce que je fais, découvrir de nouvelles choses. Notamment il y a cette grande aventure avec mon studio de jeu vidéo que j'ai cofondé il y a deux-trois ans, sur lequel je travaille depuis quatre ans. On est partis de rien, on a monté une structure pour développer notre univers, notre création à nous. C'est une grosse production, un travail en équipe – j'ai découvert beaucoup de choses. Je ne peux pas parler du contenu à l'heure actuelle. Cela m'a fait réfléchir, je n'aborde plus mes collaborations comme avant, cela m'a permis de découvrir le spectre complet de tout ce qui se passe dans le processus ; entre la partie créative, vendre le produit quelque part, le rapport avec un éditeur, un distributeur, penser au marketing, comment placer le produit. Les enjeux sont tellement forts - l'industrie a pas mal changé - que la marge de manœuvre au niveau liberté est moindre, on peut moins être expérimental – ce qui ne veut pas dire que c'est moins jouissif, mais c'est plein de choses à avoir en tête.
Sinon j'aimerais bien revenir à la partie traditionnelle – mon livre m'a permis de faire un petit break, de souffler, de faire une rétrospective personnelle. J'ai commencé un peu à revenir à la peinture, juste pour moi, et j'ai retrouvé un plaisir phénoménal – j'aimerais aussi me remettre à la sculpture. Il y a toujours le cinéma, les clips vidéos – l'image en mouvement en général m'intéresse, mais on verra plus tard. Disons que j'ai pas mal d'idées, des petits projets très intéressants se sont profilés, mais je laisse les choses se faire et je ne cours après rien. - Pouvez-nous dire quelques mots de votre activité chez Dontnod ? Nous avons eu la chance d'entendre Alain Damasio à ce sujet en août dernier évoquer son projet de jeu pour PS3.
- Je peux juste rapidement évoquer la création du studio. On est cinq associés cofondateurs à la base ; quand on s'est rencontrés on n'avait rien d'autre que nos CV, nos connaissances et l'envie de faire un jeu original. Ça nous a pris énormément d'énergie, de temps – d'ailleurs je ne sais pas comment on a fait pour rester focalisés là-dessus aussi longtemps alors que cela paraissait un peu utopique. A l'heure actuelle, c'est quasiment impossible de produire un jeu à partir de rien, à cause des enjeux. Et nous, à force de détermination et de gros travail, on a réussi à monter un studio, à trouver des fonds, à développer la chose. J'ai découvert beaucoup d'autres aspects que la simple création artistique. Il y également la partie management, donner des impulsions à une équipe, que j'aime beaucoup – mais à un certain stade je me suis retrouvé à ne faire que ça, et j'ai un peu perdu de vue tout ce que je faisais depuis dix ans, mes autres travaux bande dessinée. Donc là récemment j'ai essayé de rééquilibrer, de rester investi dans le projet – je suis directeur artistique, et j'opère plus comme un consultant. Je continue à produire autre chose pour me ressourcer.
Mais je pense que la mise en avant de ce projet en particulier sera faite par une autre personne du studio ; le directeur de production, le gérant et le directeur créatif, qui portent toute l'équipe et le projet sur leurs épaules au jour le jour, et ce sera à leur tour de mettre en avant le projet quand ça sortira. - Plus spécifiquement, comment l'année 2011 se présente-elle pour vous ?
- 2011... Eh bien il y a encore du travail à faire au niveau de la promo du livre, c'est très bête mais l'édition est un monde difficile malgré tout, et les beaux livres sont quelque chose de particulier – il y a un gros soutien à faire pour parler de son bébé. Ce livre représente beaucoup pour moi : ça ne m'intéresse pas d'avoir mis autant d'efforts là-dedans pour que cinquante personnes seulement le voient. J'ai envie de le faire vivre et de le pousser au maximum. Il y aura encore quelques événements autour de ça, je vais sortir faire quelques séances de dédicace – pas trop, car cela prend énormément de temps et d'énergie. Fin 2010 je pars au Japon pour une expo (NdR : ce déplacement aura finalement lieu en début d'année prochaine), donc c'est super, ça va peut-être aussi m'ouvrir de nouvelles portes, des rencontres avec des artistes japonais.
Je vais peut-être aussi travailler avec un gros groupe musical, mais je ne peux pas encore trop en parler – ça m'ouvrirait en tout cas encore un autre champ de travail. J'irais à Angoulême très certainement. En février il y a un autre Workshop international, ce que je fais depuis plusieurs années – en fait je prends part à des évènements de ce genre, à des démonstrations de mon travail. Je vais à Amsterdam – en mars je repars au Japon pour un événement Magic, pour aller signer à Kobé. D'autres évènements se sont profilé, mais il faut juste que je gère un maximum pour me recentrer également au niveau travail, sur notre projet de jeu vidéo – continuer à produire des images et me remettre dans le bain.
Auteur
Aleksi Briclot
Biographie
Bibliographie
- Worlds and Wonders
Les interviews
- Les Utopiales 2010 : une interview avec Aleksi Briclot
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