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Interview de Guy Gavriel Kay, après Under Heaven

Par Nak, le samedi 30 octobre 2010 à 11:52:48

KayC’est juste après la sortie de Under Heaven au Canada que Guy Gavriel Kay (NdT : mon auteur préféré, il fallait bien que je le place !) a donné cette interview.
Vous y découvrirez quelle est sa vision de la Fantasy et la place qu’elle prend selon lui parmi les courants littéraires, son processus de création, des révélations sur Ysabel et bien d’autres choses encore…
Un entretien à commenter sans hésitation bien sûr !

L'interview traduite

Dans une interview récente pour le National Post, vous dites en parlant des lecteurs : Je ne leur donne pas de la Fantasy dans le sens où ils le comprennent. Je fais de l’histoire avec un brin de fantastique. A la lecture de ceci, il semble implicite qu’il y a une division parmi les lecteurs de Fantasy, par exemple avec ceux qui ne lisent que des sous-genres particuliers. Dans le même temps, vous avez souligné que vous bénéficiez vous-même d’une certaine perméabilité dans les frontières du genre. Qu’est-ce qui selon vous motive à la fois la division de la littérature en genres – est-ce que c’est uniquement pour des raisons commerciales ? – et cette perméabilité que l’on constate aujourd’hui ?
Cette citation a un contexte : ce sont les lecteurs des traditionnels 5-10 volumes de Fantasy épique, avec les attentes que ceux-ci entraînent (mondes magiques, autres races, Bien contre Mal, énormes batailles). Une des choses les plus sympas avec Under Heaven jusqu’ici, en termes de retour, c’est de constater que de nombreux critiques qui font partie du monde de la Fantasy ont été très tôt très généreux et enthousiastes à son sujet. Ca fait du bien. C’est peut-être que, à être si tête de mule (un Canadien de l’Ouest, qu’y puis-je ?) et à rester sur la même chose pendant si longtemps, une part essentielle du marché de la Fantasy a évolué ou est en train d’évoluer un peu vers ce que j’essaie de faire. C’est un peu tôt pour dire, on verra bien. Je suis tout à fait d’accord avec l’idée d’une fragmentation dans la culture… Par contre je ne le limiterais pas à une discussion sur ce genre. Notre société toute entière est fragmentée et subdivisée, et le monde en ligne y joue un grand rôle. C’est tellement facile de trouver et choisir ses cyber-voisins et parler uniquement de ce que vous aimez lire (ou jouer, ou écouter, ou regarder) avec les autres qui partagent cet intérêt spécifique. Ce que je vois aussi c’est qu’en termes purement littéraires, une membrane autrefois rigide entre les courants principaux et les genres (de différents types) devient de plus en plus perméable. Je pense que Under Heaven pourrait (je le répète : il est trop tôt pour être sûr !) récolter les bénéfices de tout ça, ou jouer un rôle dans son développement. Je ne pense pas que tout ça soit purement commercial, je pense que c’est démographique… une génération entière de lecteurs pour qui le fantastique constitue une part définie de leur courant principal.
Dans la même interview, il est dit : Plus tard cette année, Kay effectuera un voyage en Chine pour la première fois – il a résisté à l’envie d’aller visiter ce pays alors qu’il écrivait Under Heaven. Qu’est-ce qui vous a retenu de vous payer un voyage alors que vous écriviez le roman ? Par le passé, vos expériences de vie dans certaines contrées – notamment en Provence – ont été une source d’inspiration très riche pour votre travail.
C’est une sténo de l’intervieweur. En gros, je n’avais pas le sentiment que c’était impératif pour moi d’y aller pour faire ce que je voulais faire. J’ai résisté à la tentation pour éviter de commencer le livre puis de le mettre de côté pour un long voyage (tactique de course !). De la description de la période actuelle à ce qui a été fait par le passé, il y a un tel extrême (prenez par exemple le barrage des Trois Gorges, qui va effacer une partie du monde décrit dans le roman…). Rappelez-vous, la période que j’évoque remonte à 1 300 ans. En Provence, quand j’ai écrit Ysabel, je vivais et je me promenais dans la campagne et le cadre que le roman reprend. C’était juste là.
Vous avez expliqué par le passé que vous aimez écrire sur des personnages extraordinaires dans des circonstances extraordinaires. Qu’est-ce qui rend les aspects extraordinaires de ces personnages si attrayant pour vous en tant qu’écrivain, et comment parvenez-vous à maintenir la crédibilité quand vous présentez ces personnages extraordinaires à vos lecteurs ?
Question délicate. D’une part, en tant qu’écrivain (et je commence comme ça), la conjonction des personnages et de l’intrigue est simplement de trouver un bon jumelage pour un roman que j’apprécierais de lire (le langage étant un troisième élément). Donc, en tant qu’auteur, je travaille dans cette direction. En parallèle de cela, je suis attiré en tant que lecteur par des personnages intelligents, ça m’énerve si je me sens trop bon par rapport à eux (à moins que ça ne soit fait exprès, ce qui est possible). Enfin, pour ce qui est des cadres historiques sur lesquels je travaille, beaucoup d’intelligence, d’acuité, de ruse (et parfois de pure force brute et d’endurance) ont été des éléments essentiels à mon succès (de même que la beauté physique parfois). Nous vivons dans un monde où on attend souvent des politiciens qu’ils soient normaux, le genre de types avec lesquels on peut prendre une bière… c’est ça la nouvelle dimension des qualités d’un leader. C’était rarement le cas par le passé.
Il y a de nombreuses perspectives différentes en ce qui concerne la fonction qu’un monde secondaire ou la Fantasy épique véhicule auprès des lecteurs. Le Guin a écrit un jour qu’un tel genre de Fantasy rendait plus profonds et plus intenses les mystères de la vie. De son côté, R. Scott Bakker (un auteur de Fantasy Canadien) a mis en avant que l’humanité est psychologiquement mal équipée pour un monde moderne et rationaliste, ce qui en mène certains à chercher des accès vers une vision du monde pré-moderne (ou fictionnelle) où la réalité se conforme à l’irrationalité de l’esprit, à des attentes électroniques évolutionnistes. D’autres l’ont dénigré et considéré comme un simple échappatoire, une alternative aux narcotiques pour les masses.
Quelle est votre vision de la fonction de la Fantasy ?
Je résiste, par nature, à des théories de grand mouvement unificateur. Je m’écarte des exemples que vous avez donné autant que je suis mal à l’aise avec quelqu’un qui m’explique la fonction de la musique, de l’art ou des romans dans leur ensemble (psychologiques, évolutionnistes, peu importe). D’une part, comme vous l’avez noté vous-même plus tôt, le terrain de la Fantasy est de plus en plus fragmenté et il est aussi de plus en plus mêlé au grand courant de la fiction. Est-ce que quelqu’un veut vraiment essayer d’être définitif sur la fonction d’une romance paranormale mettant en scène un détective vampire ou sur Robert Jordan ou Guy Kay ou Lavinia de Le Guin (comparée à son Earthsea ? Bonne chance à lui). Et si on va plus loin : est-ce que la fonction pour vous d’un même roman serait très différente de la mienne ou de celle de quelqu’un d’autre ? Je pense qu’il y a de fortes chances que ces fonctions soient différentes, à divers degrés. L’art sert des besoins divers et variés, et le même travail peut représenter un but différent pour des gens différents – et pour la même personne à des moments différents de sa vie.
Qu’est-ce qui vient en premier pour vous quand vous envisagez votre prochain roman : les thèmes que vous souhaitez explorer, un cadre qui vous intéresse, des personnages sur lesquels vous voulez écrire?
En général le cadre précède le thème (qui prend de l’ampleur au fur et à mesure que j’en apprends plus sur le temps et le lieu), puis le personnage, et de ce processus une narration émerge. Mais ce n’est pas gravé dans le marbre et certains de mes livres sont nés différemment.
Dans Ysabel vous avez réintroduit certains personnages de vos premiers travaux, La Tapisserie de Fionavar. Avant cela, tous vos romans étaient un clin d’œil à Fionavar, mais seulement comme note d’agrément. Qu’est-ce qui vous a motivé pour attirer ces personnages dans cette histoire après si longtemps, et est-ce quelque chose que vous envisagez de refaire dans le futur ?
Je l’ai combattu. Déjà j’ai dû faire face à un challenge technique énorme… Le roman devait marcher, à fond, pour quelqu’un qui n’avait jamais ne serait-ce qu’entendu parler de Fionavar… et la trilogie avait plus de vingt ans déjà. Donc beaucoup de gens ne connaissaient pas la Tapisserie, en 2006. En reprenant deux des personnages comme personnages secondaires, je me suis donné un énorme mal de crâne pour en tirer le maximum d’avantages (et limiter les inconvénients). Donc pourquoi ? Ces deux-là sont apparus dans mon esprit d’un coup, un soir, comme une solution presque parfaite pour résoudre des questions qui me contrariaient bien plus que certains lecteurs. J’ai un problème avec le hasard dans la fiction, et ça me préoccupait de savoir comment j’allais expliquer (dans mon propre esprit) pourquoi cette famille était liée comme elle l’était, à travers Ned Marriner, aux personnes et aux évènements qu’elle rencontre. Si vous vous souvenez, dès le début de L’Arbre de l’Été, la même question s’est posée (au tout début de ma carrière !) en ce qui concerne Kim Ford et sa façon d’être accrochée aux cinq personnages de Fionavar. La solution qui m’est venue, en ramenant deux personnages pour résoudre ce problème de hasard, me semblait à la fois artistiquement élégante et férocement préoccupante. Je l’ai repoussée pendant des semaines avant de capituler et de me mettre au travail. Si vous lisez Ysabel en gardant en tête ce problème, vous verrez comment j’ai résolu ce challenge. Dans un sens (et je l’ai déjà dit) c’est un livre qui est plus conduit par la perspective de quelqu’un qui ne connaît pas Fionavar – parce que le lecteur est mis dans la même position, en ce qui concerne cette partie de l’histoire, que les personnages qui ont contemplé le triangle amoureux millénaire. On le comprend presque, mais pas tout à fait… on est juste un peu en dehors, ça passe juste à côté de nous. C’est aussi le point de vue de Ned sur les trois personnes qui viennent du passé, et celui des autres. Le lecteur qui retrouve des allusions à Fionavar renvoie aux personnages qui aperçoivent des allusions à l’histoire d’Ysabel. Pour les lecteurs de ma première trilogie c’est un livre différent : Under Heavenils perdent cet effet de musique presque entendue mais (je l’espère) ils sont récompensés par ce que certains appellent des moments fondants (NdT : squee moment, intraduisible ! Ca désigne l’entichement de quelqu’un, alors j’ai rien trouvé de mieux que fondre…). C’était un livre très complexe à écrire.
Quelques auteurs admettent avoir un livre préféré parmi ceux qu’ils ont écrit précédemment, d’autres que leur préféré est leur travail en cours, et d’autres encore que c’est toujours le prochain livre, qui n’a pas encore été écrit. Et pour vous ?
C’est la vieille question choisissez votre enfant préféré et je suis de ceux qui ne peuvent tout simplement pas répondre. Ce n’est jamais le travail en cours, puisque c’est toujours un match à mort avec ce livre-là et que j’ai toujours l’impression de perdre. Pas le prochain livre non plus, parce que je n’ai aucune idée de ce à quoi il va ressembler ou de ce qu’il deviendra. Je n’ai pas de favori tout prêt à vous donner parmi mes anciens travaux. Mais je l’ai dit avant, avec un bras tordu dans le dos, Arbonne est probablement le monde dans lequel j’ai le plus apprécié de vivre.
Est-ce que vous serez en tournée pendant le printemps pour promouvoir la sortie de Under Heaven ? Si oui, est-ce que certaines dates spécifiques ont déjà été confirmées ?
Toutes les déplacements sont (ou devraient être !) en ligne sur http://www.guygavrielkay.ca/ pour le Canada et http://www.brightweavings.com/ mais pas sur la page d’accueil, indiquant les évènements qui auront lieu partout dans le monde dans un futur immédiat. Je pense qu’ils seront aussi relayés dans le magazine Locus sur la page consacrée aux venues des auteurs. Pour l’essentiel, je serai pas mal en tournée entre la mi-avril et la mi-mai, puis en Chine dans la deuxième moitié de juin pour faire la promotion du roman. Je suis aussi inscrit pour la Convention mondiale de Fantasy à la fin du mois d’octobre.
L’art des couvertures de livre est devenu un sujet brûlant dernièrement. Maintenant que la plupart de vos livres sont réédités avec une nouvelle couverture, que pensez-vous de cette facette d’un roman, et que pensez-vous des couvertures qui mettent en valeur vos livres ?
C’est délicat de commenter plusieurs couvertures. Je dirais que la nouvelle couverture hongroise pour Ysabel est tristement drôle – et ils savent que je le pense. La polonaise pour L’arbre de l’été, l’originale, avait placé la barre très haut (ou très bas) en étant la plus déconnectée et la plus inattendue… elle montrait la femme la plus nue que j’avais jamais vue sur une couverture, une des miennes ou de quelqu’un d’autre. (On se précipite pour commencer ?) Je pense que les derniers livres en Amérique du Nord ont eu des couvertures absolument mgnifiques, la plupart par Larry Rostant, et celle de Under Heaven est juste formidable. Je l’adore, et sa beauté est parfaitement appropriée pour la Dynastie Tang que le livre évoque.

Interview originelle
Traduction réalisée par NAK


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