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China Miéville discute de son nouveau roman !

Par Joss, le vendredi 4 mai 2007 à 21:21:48

Un Lun DunChina Mieville est devenu en quelques années seulement l'un des auteurs préférés du genre, et pas seulement du public, mais aussi de la critique.
Dans ce nouvel entretien, il revient essentiellement sur Un Lun Dun, son dernier ouvrage en date, un roman jeunesse, dont nous avons déjà parlé dans nos colonnes, en attendant une future parution dans la langue de Molière.
A vous de découvrir dès maintenant et pour commencer la traduction de cette interview, et merci une fois de plus à Patrick !

Interview de China Miéville

Sans trop en dire, pouvez-vous nous parler de Un Lun Dun?

China Miéville : Un Lun Dun est un livre pour jeunes lecteurs – bien que j'espère que les adultes vont également l'apprécier. C'est l'histoire classique d'enfants de notre monde qui trouve un chemin vers un monde étrange. Ils arrivent dans une ville tordue. C'est un hommage aux Alice au pays des merveilles et autres Narnia influencé par la tradition urbaine de livres tel que Borribles de Michael de Larrabeiti. C'est un parti pris qui s'amuse des différents poncifs de la littérature pour enfants. Il y a aussi plein de monstres, bien sûr, probablement plus par page que dans la plupart de mes autres livres, dont certains de mes préférés. Je ne peux pas plus en dire sans spoiler.

Pourquoi un livre pour enfants?

J'ai toujours voulu en écrire un. Aucun des livres que j'ai lus en tant qu'adulte, peu importe que je les ai adorés, n'a eu d'impact aussi fort sur moi que les livres de mon enfance, et cela m'inspire beaucoup de penser à la ferveur et à l'abandon absolus avec lesquels les enfants lisent. C'est aussi parce que je ne pourrai jamais utiliser le genre de logique de conte de fée d'un livre pour enfants dans un livre destiné aux adultes, il y a donc une véritable liberté narrative.

Quelle est votre force en tant qu'écrivain/conteur ?

Je ne crois pas que ce soit à moi de le dire – je pense que les écrivains sont souvent les pires juges sur ce qu'ils font bien et mal. Ce que je préfère et que j'espère bien faire, c'est la création des monstres.

Vos opinions politiques concernant le marxisme sont connues, surtout avec la sortie récente de votre livre sur le sujet. Comment cette opinion affecte-t-elle votre écriture ?

Il m'est arrivé de répondre à cette question « à la fois énormément et pas du tout ». Parce qu'évidemment comme tous ceux qui ont des opinions marquées, ma perception du monde, mes préoccupations et mes intérêts ont un impact important sur ce que je vais être amené à traiter dans la fiction. Mais pas du tout, dans le sens où la fiction doit être sa propre fin. Peu importe ce qui intéresse l'écrivain – politiquement, socialement, émotionnellement, scientifiquement, ou autre – sa fiction doit fonctionner par elle-même, même pour les lecteurs qui ne sont pas d'accord ou ne partagent pas ses intérêts.

J'espère que pour les gens qui ont les mêmes intérêts que moi – en politique ou autre – cela se voit dans les livres, mais que, pour les autres l'histoire et les monstres leur suffisent à avoir envie de tourner les pages.

Vos fans ont hâte de savoir quand vous retournerez à Bas-Lag ?

J'y retournerai certainement, mais il y a quelques livres que j'ai envie d'écrire avant cela. Je suspecte que j'y retournerai tout au long de ma vie d'écrivain, mais je veux intercaler ça avec des livres différents. La pire chose serait de devenir une machine auto-répétitive.

Vous avez toujours exprimé votre opinion sur le genre par le passé. Vous avez été critique par rapport à la fantasy épique traditionnelle. Que pensez-vous de l'état actuel du genre ? Comment voudriez-vous que cela évolue ?

Il me semble que la littérature fantastique se porte vraiment bien. J'espère que nous allons continuer dans ce sens, et que les gens vont continuer d'expérimenter.

Ca m'intéresse de voir plus de fiction fantastique sortir du style en prose traditionnel – jouer avec les techniques d'avant-garde de l'écriture au niveau de la construction et de la structure de la prose, par exemple. Evidemment, on n'a pas envie de cela tout le temps, mais même si ça ne marche pas toujours, ça vaut toujours la peine d'essayer. Essayer de nouvelles choses.

Maintenant que vous êtes considéré par de nombreux puristes comme l'un des meilleurs auteurs de fantasy au monde, ressentez-vous plus de pression en écrivant un nouveau livre ?

Je suis risiblement flatté par votre manière de poser la question. En fait, je ressens une grande pression à chaque fois que j'écris. J'adorerais que tout le monde aime tout ce que j'écris, mais bien sûr cela n'arrivera pas, et je pense que, sur le long terme, ça vaut le coup de prendre le risque – même en sachant cela – pour l'amour de faire des choses différentes. J'espère que les lecteurs ont l'indulgence de penser que ça vaut le coup sur le long terme, même s'ils n'aiment pas chaque livre individuellement.

Dans ce cas, évidemment, le fait que ce soit un livre pour enfant constitue un grand changement, et j'espère que les gens trouveront ça réussi.

Qu'est-ce qui vous a inspiré pour écrire Perdido Street Station, Les scarifiés, Le roi des rats et Iron Council ?

Les monstres.

Y a-t-il des conventions de la fantasy que vous avez voulu déformer ou briser lorsque vous avez écrit ces livres ?

Lors de mes premières années d'écriture, je parlais beaucoup de ce genre de choses. La plupart de mes opinions sur le sujet sont publiquement connues, et je pense qu'il y a un réel danger pour moi de devenir extrêmement ennuyeux là-dessus, surtout avec des idées simples et sans controverses qui pourraient paraître prétentieuses. Je me rappelle des répétitions sans fin du comédien d'Alan Alda dans Crimes and Misdemeanors qui répétait sa phrase « Si ça plie, c'est marrant, si ça casse, ce n'est plus marrant » chaque fois avec l'impression de dire quelque chose de remarquable et profond. Donc j'espère que vous me pardonnerez d'éluder la question dans un souci de ne pas devenir ma propre parodie.

Vos livres sont maintenant cultes, cependant, nombreux sont ceux qui doutent du fait qu'ils deviendront un jour « mainstream ». En sachant cela, est-il encore plus gratifiant de réaliser le succès des romans à travers le monde ?

Evidemment, chaque succès est incroyablement gratifiant, et un succès qui vous permet de vivre de l'écriture est tout ce que je pouvais espérer. J'ai été très chanceux.

Vous avez remporté le Arthur C. Clarke Award, le British Fantasy Award, et vous avez été nominé pour le Hugo Award, le Philip K. Dick Award, le World Fantasy Award et le British Science Fiction Award. Qu'est-ce que cela représente pour vous ?

C'est incroyablement flatteur que les livres soient reconnus par des jurys. Bien sûr, ces choses sont toujours subjectives, je pense donc qu'il serait insensé de croire que si on gagne devant un autre livre, votre travail est nécessairement « meilleur » - ce serait risible. Je suis assez souvent en désaccord avec les jurys des prix pour savoir qu'ils ne sont pas infaillibles. Mais c'est toujours un immense honneur de gagner, même avec ces – parfaitement justes – avertissements.

Pensez-vous honnêtement que le genre sera un jour reconnu comme de la véritable littérature ? Pour dire la vérité, selon moi, il n'y a jamais autant eu de bons livres/séries que maintenant, il y a pourtant toujours aussi peu de respect (pour ne pas dire aucun) pour le genre.

Probablement pas, malheureusement. J'espère avoir tort, et il y a certainement plus d'ouverture d'esprit maintenant que par le passé, mais ces choses sont souvent cycliques.

Les personnages acquièrent souvent une vie qui leur est propre. Quels sont ceux parmi vos personnages que vous trouvez les plus imprévisibles à écrire ?

Je ne suis jamais surpris par mes personnages. Je n'écris pas de cette manière. Ils changent parfois beaucoup dans le développement du livre, mais je n'ai pas l'impression qu'ils m'échappent. Je connais plein de très bons écrivains qui écrivent et ressentent de cette manière, mais je n'en fais pas partie.

Tolkien : Middle Earth rencontre Middle England, cet article est mal passé chez nombre de lecteurs, certains vous ont trouvé pompeux dans ce texte. Certains se demandent comment est-ce que vous pouvez affirmer de telles choses sur les écrits de Tolkien et les clichés qu'ils ont suscités, alors que les romans de Michael Moorcock souffrent des mêmes problèmes. Que répondez-vous à cela ?

Vous avez raison, beaucoup de gens détestent cet article (qui a une vie indépendante surprenante – c'est l'effet d'Internet. Il a été écrit, rappelez-vous, dans le but d'être une critique humoristique pour une audience relativement réduite) et j'y vois au moins deux raisons. L'un est qu'ils ne sont pas d'accord, l'autre qu'ils n'aiment pas le ton. Bien sûr, je n'aime pas que les gens me pensent pompeux, en partie parce que je n'aime pas cette idée, et en partie parce que cela peut signifier que les arguments n'ont pas été compris. Si les gens veulent en parler, je pense qu'il est très important d'établir de laquelle des deux critiques – ou les deux – on parle. Critiquer l'essai parce qu'il est pompeux, par exemple, parce que quelqu'un n'est pas d'accord avec les arguments, ce qui est parfois arrivé, me paraît une erreur de procédé.

Mais je préfère ne pas m'attarder là-dessus. J'ai dit ce que j'avais à dire, mes opinions n'ont pas changé et elles sont très faciles à trouver, mais ce qui m'embarrasse ce sont certaines de mes formulations, je pense que ma critique de Tolkien n'a rien de nouveau ou de particulièrement intéressant, et il n'y a pas vraiment de raison de la réitérer, donc (pour des raisons similaires à tout à l'heure) je n'aime pas reparler de cela – je l'ai déjà fait bien trop souvent. C'est vraiment difficile de le critiquer en ce moment.

Ce qui me paraît bien plus intéressant est la question de savoir quels éléments dans le travail de Tolkien est-ce que j'admire et/ou trouve intéressants : ses obsessions, son tragique, sa relation pathologique avec la guerre, et par-dessus tout son hostilité de l'allégorie. Ca me semble un terrain très fécond de pensée, peut-être même d'inspiration.

(J'ajoute entre parenthèses que je ne comprends pas cette histoire avec Moorcock, dont les romans me semblent basés sur une morale, une politique et une esthétique très différente de celle de Tolkien. Désolé de ne pas comprendre).

Quelque chose à ajouter ?

Seulement que je suis plus angoissé par la réaction des gens aux illustrations de Un Lun Dun qu'aux textes, parce que j'ai déjà publié des livres mais je n'ai jamais montré mes dessins. Je détesterais que les gens pensent qu'il s'agit d'un projet vaniteux et que les images nuisent au livre – je veux rappeler le fait que je n'ai jamais insisté pour que mes illustrations soient utilisées dans le livre. J'espère que les gens les aimeront, mais sinon, j'espère qu'ils ne les trouveront pas lamentables.

Merci beaucoup d'avoir accepté cette interview. Je vous souhaite beaucoup de succès pour votre carrière et bonne chance pour la sortie de Un Lun Dun.

Merci beaucoup, Patrick !

Article originel par Patrick St Denis, le 31 janvier 2007


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