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Fabien Clavel aux Imaginales 2011
Par Oceliwin, le lundi 15 août 2011 à 12:14:23
En mai dernier, nous avons croisé Fabien Clavel durant les Imaginales.
Après un court échange le samedi, nous nous sommes donné rendez-vous pour le lendemain matin pour une interview. Tout le plaisir des Imaginales, cette simplicité qui permet de croiser les auteurs, d'échanger quelques mots dans un cadre des plus sympathiques, à l'image de Fabien. Donc on vous prévient tout de suite, l'interview a été préparé rapidement le samedi soir, sur un bout de nappe, par Arantar et moi-même, avec l'aide de Witch.
J'espère que vous apprécierais l'échange, et que celui vous donnera envie de découvrir si ce n'est pas encore le cas cet auteur éclectique dans les littératures de l'imaginaire.
L'interview
- Dans beaucoup de tes livres , on suit l'évolution d'organisations, de sociétés, de clans. Qu'est ce qui t'intéresse dans ce processus ?
Déjà, il y a l'influence du jeux de rôle au départ, au niveau des structures. C'est un peu le groupe de personnages qui est quand même très intéressant à faire évoluer, en voyant les interactions. Et il y a un peu toujours l'idée de construire une société idéale en suivant de nouvelles règles. Donc la plupart du temps les personnages essayent de construire autre chose, une autre cellule organisationnelle qui serait peut-être la base d'une nouvelle société, sauf qu'en général ils échouent.
- Pourquoi ces échecs systématiques ?
Systématiques, je ne sais pas, c'est peut-être mon obsession personnelle. Et, en général, ils n'y arrivent pas vraiment. J'ai fait ça dans Nephilim, c'était un groupe de nephilims, ça se terminait extrêmement mal. Dans Homo Vampiris, pareil c'est un groupe de vampires, ça se termine mal. Dans le Châtiment des Flèches, c'est la mise en place d'une nouvelle société qui réussit mais avec un prix à payer vraiment douloureux. Tellement fort, qu'on ne peut pas parler de réussite total. En fait c'est la confrontation avec l'idéal. L'idéal n'est jamais atteint, donc l'échec est obligatoire.
- Tu passes souvent par les croyances pour ça, dans Homo Vampiris, chaque groupe a sa propre philosophie, croyance,… Dans le Châtiment des Flèches, on remet ça avec la religion : païens/chrétiens et orthodoxes. Qu'est ce qui t'intéresse ?
C'est un thème récurrent. On parlait d'organisations, souvent ce sont des organisations plutôt contre la religion. Ma sympathie va toujours aux personnages qui se construisent contre ça, que ça soit les vampires d'Homo Vampiris poursuivis par la brigade œcuménique qui essayent de les dessouder, parce qu'ils y voient une espèce de symptôme de la fin du monde et donc il faut les éliminer absolument pour éviter l'apocalypse. C'est vraiment cette lutte là qui m'intéresse en général. J'avais déjà fait ça dans La cité de Satan, c'est une uchronie où l'empire romain est redevenu païen et ça se passait à l'équivalent du 19ème siècle. Les chrétiens étaient une minorité terroriste, parce qu'ils n'arrivaient pas à faire entendre leurs idées autrement. L'idée était de faire un anti Quo Vadis en reversant le péplum habituel qui présente les chrétiens comme un facteur de civilisation, un peu ce qu'a fait Agora par la suite, le film. Là par contre, ce qui m'a intéressé dans le Châtiment des Flèches c'est de donner une version beaucoup plus mesurée, c’est-à-dire éviter de donner toute caricature et de pencher d'un côté ou de l'autre, en donnant à chaque personnage une vraie conviction. Istvàn y croit vraiment, il est persuadé que le christianisme va apporter le bien à l'humanité. Effectivement il y a plein de lois qu'il met en place qui sont vraiment une modernisation forte, et de l'autre côté les païens qui luttent contre ne sont pas tous blancs non plus. Ils sont quand même assez brutaux. Je voulais que les deux soient en place pour une raison simple, de l'expérience que j'ai de la Hongrie actuellement, il y a encore ces deux orientations qui restent. La Hongrie aujourd’hui est encore partagée entre son héritage chrétien qui date de l'époque d'Istvàn en l'an 1000 et cette espèce de tradition païenne qui revient très régulièrement et dont ils restent extrêmement fiers. C'est vraiment le mélange des deux, cette espèce d'incohérence, qui les constitue encore aujourd'hui.
- Dans Homo Vampiris, très moderne, on est dans l'extrémisme à l'inverse du Châtiment des Flèches. Fais-tu un lien avec l'histoire actuelle ? On parle beaucoup plus d'extrémisme, les organisations religieuses ont perdu de leur influence par rapport à l'époque du Châtiment des Flèches où l’on est sans doute plus intiment convaincu du bien-fondé par l'emprise des croyances sur la société, avec peut-être moins de discernement.
Non je ne pense pas puisque l'extrémisme est déjà là sauf que du point de vue des personnages, eux ne sentent pas comme extrémistes. Du coup la vision du lecteur est influencé par le ressenti des personnages. Si on regarde les chrétiens d'Istvàn, le père Géza s'est converti, mais lui n'est pas convaincu. C'est un calcul politique. Il est connu par exemple pour avoir fait enterrer vivant un chef qui refusait de se convertir. Il l'a enterré vivant pour lui dire : « tu vas te faire baptiser à côté d'une rivière, tu seras baptisé et mort en même temps et j'aurais gagné ». Non ce sont des extrémistes, y a un côté un peu exterminations. C'est quand même un rouleau compresseur. Quand Istvàn met ça en place, c'est une église pour 10 villages, tout est très cadré, les règles mises en place sont faites exprès pour détruire toutes les organisations tribales, notamment en insistant sur le mariage, sur tout ce qui est règles de successions, tout est vraiment étudié pour convenir à la pensée chrétienne et en même temps pour casser tout ce qui est du paganisme avec ces traditions : chamanisme, le fonctionnement d'héritage et ce qui va avec.
- Pourquoi choisir l'angle de la fantasy pour traiter ces sujets là ? Bit-lit, SF, roman historique ?
Ce que j'aime dans la fantasy, c'est que justement c'est du faux. A partir du moment où je met un dragon, où je met un Turul, qui est l'oison géant qui y a dans la mythologie Hongroise, je dis au lecteur : « Ce que je te raconte c'est inventé, tu n'es pas forcé d'y croire, tu n'as pas à prendre ça pour argent comptant ». Pour moi ça me semble vraiment important que le roman se définisse comme une fiction et qu'il avoue son caractère fictionnel. Même si à l'intérieur je vais tout faire pour créer des effets de réel, pour que le lecteur y croit le temps du livre. Mais qu’en le refermant, il ne se dise pas, c'est la réalité, enfin je sais. Mais en même temps, il va apprendre des choses sur la réalité, c'est à dire que historiquement, je suis la trame historique, j'ai respecté scrupuleusement la chronologie prévue par les historiens sauf quand il y a une fourchette, je choisis la date qui m'intéresse. Mais je reste dans la fourchette. Du coup je pense que l'effet est plus fort. Un peu comme dans les contes, ou l'effet du conte va fonctionner parce que c'est merveilleux et on n'a pas à y croire forcément, ça n'empêche pas que le conte soit efficace, sur l’enfant, et même l’adulte, en temps qu’histoire. Et l'autre point du roman historique, comme c'est extrêmement troué, la magie permet vraiment de remplir ces trous de façon un peu « sexy » et rigolote. S'agissant de croyances, c'est le troisième point si je puis dire, il faut un effet quasi-magique. Le point de vue d'Istvàn par exemple, quand il affronte son ennemi, il demande aux moines de prier pour lui, il est persuadé que c'est la force de la prière qui va l'aider à l'emporter, il en est persuadé. D'ailleurs dans le roman je laisse un peu la question en suspens. On ne sait pas si c'est effectivement la puissance des moines, qu'ils ont l'impression d'entendre au moment du combat qui les font vaincre, ou pas. C'est non décidé. Ici la fantasy je l'ai laissé très légère, souvent c'est vraiment les personnages pas tout à fait convaincu ou déliré, c'est au lecteur de faire son propre avis.
- Vous allez bientôt quitter Budapest, cette grande source d'inspiration. Comment vous allez faire maintenant ?
Budapest, cela fait quatre ans que j'y habite, ça m'a effectivement inspiré, mais ça m'inspire depuis le début. J'y vais depuis 1997, assez régulièrement, dès mon deuxième bouquin, c'était Anonymus, ça se passait à Budapest. Dans tous mes bouquins, il y a au moins un personnage hongrois qui traine quelque part, y a des mots hongrois partout. Les mots hongrois c'est vraiment super, puisqu'il n’y a aucune racine commune avec la plupart des langues européennes, tout de suite, on a l'impression de parler elfique. Il suffit de mettre un mot hongrois : « waouh c'est super ». Et en plus, j'ai le plaisir de savoir ce que ça veut dire exactement, ça m'évite le problème de créer une langue par moi-même. Et en plus j'apprends des mots de vocabulaire : je vais les chercher, souvent je les connais pas au début. Donc voilà pour la Hongrie je n'ai pas d'inquiétude. Par contre c'est vrai que pour le Châtiment des Flèches, c'était important d'être à Budapest pour vraiment sentir le pays vivre. Je crois que je n'aurais pas pu l'écrire avant sans y avoir habité, mais ayant la connaissance livresque, en y étant passé, j'avais besoin de ça. D'ailleurs ce bouquin, c'est aussi pour moi un bilan de mon séjour à Budapest. Mais après ça va continuer. Il y aura encore des hongrois qui vont trainer partout, la Hongrie fait vraiment partie de mon univers, de mes livres.
- Est-ce qu'il y a des auteurs qui t'inspirent ?
Oui il y en a beaucoup. Des influences y en a vraiment énormément, par exemple, toujours pour le Châtiment des Flèches, j'aime bien relire des auteurs pour me mettre en condition. Pour le style ça aide toujours beaucoup, et là comme je voulais un style épique avec du souffle, quelque chose de puissant, j'ai relu du Hugo par exemple. J'ai relu des passages de la Légende des Siècles, des choses comme ça. Souvent c'est des classiques, parfois des auteurs modernes. Pour ce roman là, une de mes inspirations principales, c'était Michel Pagel avec Le roi d'août. Je l'avais lu il y a très longtemps et je me suis dit que c'était un truc que j'aimerais bien faire. Et j'ai suivi le même principe pour le Châtiment des Flèches, c'est à dire une trame historique, et dès qu'il y a un trou dans les sources, on remplit avec de la fantasy. Donc là Michel Pagel a vraiment été déterminant, puis après Hugo pour le style. Michel Pagel c'était plus les intrigues politiques, il ne s'était pas intéressé exactement au même thème , avec plus les batailles.
- En quoi ta profession t'aide ?
Il y a un lien continuel entre l'enseignement et l'écriture : soit je vais avoir une idée de roman, je vais me documenter, et ça va me donner des idées pour mes cours. Soit je me trouve avec une œuvre plus ou moins imposée au programme, qui peut m'intéresser. Je n'ai plus d'exemple en tête mais les aller-retour sont vraiment continuels. L'un nourrit l'autre que ça soit pour l'inspiration, et d'un point de vue plus professionnel, dès que ça ne va pas d'un côté, on a l'autre côté pour compenser. A chaque fois ça s'équilibre. Il ne faut pas que les deux aillent mal en même temps. Ca donne un équilibre et une forme de liberté. Un chef d'établissement avec qui je ne m'entends pas bien (ça ne m’est pas encore arrivé), ou avec des collègues, une classe, on relativise. Je m'en fiche, je vais écrire mon bouquin et je ne penserais plus à eux. Et si on a des grosses corrections sur un bouquin et on en a marre de travailler ce manuscrit parce que ça fait des semaines qu'on est dessus et qu'on en peut plus, on va faire un cours avec des élèves qui va bien se passer et on va plus y penser non plus. Le plaisir est d'aller de l'un à l'autre, c'est les deux ensembles qui font une espèce d'identité complète.
- Tu disais que tu utilise la fantasy pour le lecteur se souvienne que c'est de la fiction. Ca rejoint un peu Bruno Cathala avec son jeu de société Trollland où il dit qu'il avait besoin de la fantasy faire passer ce message. Le monde du jeu est un monde que tu connais bien ?
Par forcément, Bruno Cathala, par exemple, je le connais de nom, mais je ne l'ai jamais rencontré. J'ai des jeux à lui à la maison, j'ai beaucoup de jeux, je joue beaucoup. Pour moi ça participe de la même démarche, c'est à dire que le jeu est un espace intermédiaire, rassurant entre soi et le monde. C'est quelque chose qui permet de faire le lien, c'est un espace régulé comme le roman. La fiction et le jeu, il y a beaucoup de filiation. On peut faire des tentatives, des expériences, mourir plusieurs fois, s'identifier à des tas de personnages, conquérir une galaxie. Une fois que le jeu est termine, ça s'arrête et on revient à la vie réelle. Comme quand on referme le roman, on revient à la réalité, ce qui n'empêche pas d'avoir des souvenirs de ce qui s'est passé. Les deux c'est une manière de combattre l'angoisse que peut susciter le monde en l'apprivoisant. on fait un essai de, ça parait acceptable, l'esprit est prêt à l'envisager dans le réel.
- Tu as quelques découvertes récentes en fantasy à nous partager en terme de livres, jeux ?
Il aurait fallu que je réfléchisse, il est un peu tôt (10h du matin c'est tôt à Epinal, nous confirmons). Dans les derniers livres que j'ai lu, c'était pas une découverte personnelle, puisque c'est le livre de Jean-Philippe Jaworski, Gagner la Guerre, qui m'a vraiment bien plu, je suis loin d'être le seul à l'avoir apprécier, ça ne va pas aider grand monde. Parmi les jeux, j'en reste aux classiques : les Chevaliers de la table ronde qui est un grand bonheur de jeu, SmallWorld qui est sorti récemment, très sympathique. En ce moment j'aime bien les jeux de coopération. Ca me rappelle justement le jeu de rôle, en plus court, ça évite l'idée du jeu, d'affrontement, où il y a un vainqueur, un vaincu, que le meilleur gagne. Justement on est tous ensemble, on est tranquille, on est cool, détendu, on va dans un même but. Je trouve ça plus positif que le "je vais t'éclater la tête", parce que je suis le meilleur, je me suis entrainé, je suis une brute, toi tu es faible, et que tu dois disparaître.
- Ma masse est plus grosse que la tienne.
Exactement, toutes ces histoires-là m'intéressent moyennement. Tout ce que j'aime dans le jeu, c'est découvrir de nouvelles règles, de nouveaux mécanismes qui sont parfois riches d'ingéniosité. Souvent mon premier plaisir est de lire les règles et de me dire que l'auteur a trouvé un truc extraordinaire. Par exemple, un jeu de coopération, Novembre Rouge de Bruno Faidutti où il a réutilisé, il le dit lui même, le système de temps qui était présent dans Thèbes, (de Peter Prinz, ndlr) où chaque joueur joue, et chaque action coûte un certaine quantité de temps, donc à la fin on aura tous la même quantité de temps. Sauf que l'on joue, on avance son pion et c'est toujours le dernier sur l'échelle du temps qui peut de nouveau agir. Certains vont faire une action très longue et dépasser tous les autres, ou faire une action courte et rester le dernier et agir de nouveau. Et c'est vraiment la manière de répartir son temps qui est géré. Je trouve ça extraordinaire. Le gars qui a pensé à ça, bravo. Donc c'est vraiment un plaisir. Comme dans le roman, ils ont inventé un truc et c'est toujours renouvelé. Il y en a un qui est super, mais pas extrêmement récent non plus, c'est l'Age de Pierre, c'est un jeu de gestion à l'allemande où on gère sa tribu d'hommes préhistorique. Déjà le jeu est très beau et c'est vraiment super sympa. Encore une fois, un jeu un peu non violent. C'est ces choix d'actions qui vont permettre de mieux se développer que l'autre, c'est tout. Et par exemple, il y a une idée rigolote. Il faut agrandir sa tribu de temps en temps et donc on peut s'installer dans la hutte. On y place deux personnages au début du tour, et à la fin du tour, il y en a trois. Ce genre de petites idées, c'est très drôle. Il y a Fresco, un autre jeu de gestion à l'allemande, ou on doit reconstituer une fresque, celui là est vraiment sympa. Il y a l'heure du lever, plus on se lève tôt, plus on va jouer en premier, on va accéder plus tôt au marché, c'est plus cher par contre, les marchands ont toute la marchandise, ils savent qu'ils vont l'écouler. Mais à la fin du tour on est de mauvaise humeur, on perd en points d'humeur, si on est vraiment trop désagréable, on perd des apprentis, donc des possibilités de jeu. Il faut aller au théâtre pour regagner un peu de bonne humeur. Et le jeu est magnifique, encore un grand plaisir de jeu.
- Que dirais tu à quelqu'un qui n'a jamais entendu parler de toi ou de tes livres pour lui donner envie ?
J'espère que je l'ai fait depuis le début de l'interview ! Si il n'est toujours pas convaincu, je ne sais pas ce que je vais pouvoir lui raconter. Une idée qui peut être une manière de l'aborder, c'est que si il ne connait pas du tout la fantasy, il peut se demander quelle genre peut lui correspondre. Et comme j'essaye de changer un peu de genre, de sous-genre de la fantasy à chaque bouquin, passant de fantasy de cape et d'épée, fantasy de peplum, uchronique, science-fiction, thriller vampirique, le post-apocalyptique, le roman historique médiéval. Il a un vaste choix, si il a envie de découvrir un peu, ça peut être une manière de l’aborder sachant que j'ai envie de continuer ça, faire une cartographie du merveilleux, pour reprendre le titre de Ruaud et tout explorer petit à petit. Donc j'ai encore du boulot, mais ça me motive, j'y arriverais peut-être, je ne sais pas.
Auteur
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