Vous êtes ici : Page d'accueil > Interview > Interview traduite

Interview générale et complète de Mickael Moorcock

Par Nak, le vendredi 4 septembre 2009 à 15:40:32

Moorcock à St Malo 2007Par où commencer quand on veut parler de Michael Moorcock ? A l'instar des personnages de son Multivers, sa carrière et sa formation sont des plus disparates. Romancier, novelliste, éditeur (de New Worlds et d'autres publications), journaliste, musicien – et dans le cas présent, un interviewé très bienveillant.
Dans cette interview traduite pour vous par Elbakin.net, le créateur d'Elric, d'Hawkmoon et de bien d'autres revient sur son travail, sa carrière et ce que ça faisait d'être un auteur de science-fiction durant l'âge d'or des années 1960. Ses réponses détaillées, comme celles que l'on peut trouver sur son site web Moorcock's Miscellany, semblent être parfaitement conçues pour aider les enthousiastes comme les spécialistes à mieux comprendre son Multivers.

Parler de l'œuvre de Moorcock en forum.

L'interview traduite

Elric Sur votre blog, vous parlez d'un film sur Elric. Où en est ce film ?
Universal a mis une option dessus. On travaillait dessus assez rapidement avec Chris et Paul, les frères Weitz, et Universal jusqu'à ce qu'ils rencontrent deux d'échecs au box office, sur lesquels ils avaient dépensé trop d'argent – deux films de fantasy. Ca les a forcé à faire une pause. Est-ce que ces deux films-là ont échoué parce qu'ils présentaient des antihéros (ce qu'ils n'étaient pas vraiment) ? Est-ce qu'Elric n'était pas un antihéros ? Tandis qu'eux faisaient une pause, Chris et Paul devaient continuer à travailler sur autre chose, donc voila ce qui s'est passé. On espère, si tout va bien, commencer à travailler sérieusement l'année prochaine, bien que Chris et Paul ne fassent probablement que de la production. Nous avons un script, et je pense que ce sera psychologiquement plus facile, si ce n'est économiquement, de faire le film.
Psychologiquement plus facile - ça semble être le cas pour Solomon Kane, un personnage fantastique d'Howard. Un film est enfin en préparation, dirigé par Michael J. Bassett. Quand j'ai entendu parler de ça, j'ai pensé, Et bien il est temps. Pourquoi ressentez-vous ce il est temps vis-à-vis d'Elric ?
On gagne des guerres et on se demande pourquoi elles n'ont pas le goût de la victoire. On perd de la certitude dans nos présumées vertus nationales. Regarder le Chaos et espérer trouver un moyen pour supporter l'Ordre. Tirer de l'espoir à partir du désespoir. Nous sommes maintenant dans un état d'esprit réflectif et nous remettons nos valeurs en question, je pense. Kane était, si vous voulez, le personnage le plus réflectif d'Howard. Elric a commencé à remettre en question ses patriarches, sachant qu'ils l'avaient envoyé sur une route qui n'était plus la bonne pour la nation. Kane quant à lui doit faire face aux changements de valeurs et à la fin de l'empire. Elric n'est jamais vraiment sûr de ce qu'il a fait et pourquoi. Je pense que nous sommes probablement en train de nous poser les mêmes questions en ce moment.
Etes-vous surpris qu'il ait fallu autant de temps à Hollywood pour réaliser que la saga d'Elric est parfaite pour le grand écran ?
Non. J'ai reçu beaucoup d'offres à partir du milieu des années 70 mais je les ai toutes déclinées. Je ne voulais pas faire d'Elric un film avant que les effets deviennent secondaires par rapport à l'histoire. Les effets du Seigneur des Anneaux ont montré que cela était enfin possible. Si quelque chose tourne mal avec le projet des frères Weitz, j'attendrai jusqu'à ce que d'autres en qui j'ai confiance arrivent. Il n'y en a jamais eu beaucoup. Je ne veux pas qu'Elric apparaisse sur le grand écran tant qu'il n'est pas entre les mains de gens intelligents.
Dans la nouvelle anthologie, une courte introduction d'une nouvelle sur Elric raconte qu'il a été créé en réponse au Conan d'Howard. Est-ce que c'est vraiment la façon dont l'un de vos personnages le plus connu a vu le jour ?
Pas vraiment. Quand on m'a demandé d'écrire les premières histoires – ce que j'ai accepté comme une commission de travail, comme n'importe quel boulot à l'époque – j'ai décidé d'essayer de faire quelque chose d'un peu différent, surtout des histoires de Conan, qui étaient la référence à l'époque. Il y avait peu de Fantasy - Tolkien était toujours considéré comme un peu marginal, comme Morrison ou E. R. Eddison, et je ne voulais pas écrire comme eux non plus. On retrouve une touche de Peake ici et là, mais j'étais un grand admirateur d'un personnage populaire des années 1930 appelé Zenith l'Albinos, et je travaillais sur une étude d'un roman gothique du XIXe siècle, en publiant des petits bouts dans Science Fantasy, que l'éditeur calquait consciencieusement sur Weird Tales et essayait consciencieusement de rendre aussi littéraire que possible. (J'étais le bleu, payé deux guineas (NdT : ancienne monnaie britannique) le mot tandis que Ballard et Aldiss étaient en place depuis suffisamment longtemps pour gagner deux livres, dix shillings !)
J'ai emprunté pas mal d'aspects de Zenith et je les ai mariés à des caractéristiques trouvées dans des classiques comme Melmoth the Wanderer de Charles Maturin et ainsi de suite. Des Américains comme Poul Anderson étaient mes influences contemporaines majeures. Le personnage était bourré, bien sûr, de mes angoisses existentielles d'adolescent (j'avais 19 ans quand il est venu à la vie et 21 ans quand il a été imprimé pour la première fois) et de mes propres attitudes et complexes, donc il est rapidement devenu le personnage qui l'a rendu si populaire et si influent par la suite. Une version de moi-même. Je voulais qu'il soit populaire, bien sûr, donc je n'ai pas oublié dans mon étude du personnage les aspects qui concernaient Freud et Jung (dont une partie a été publiée en tant qu'étude dans Wizardry and Wild Romance).
Il semble parfaitement normal que, dans Voici l'homme, il n'y ait que deux personnes qui puissent dire qu'ils appartiennent au monde à venir et au monde qui est tout en étant parfaitement honnêtes : un Messie ou un voyageur du temps. Quelle était l'origine de cette histoire ?
J'étais assis à la table de ma cuisine vers Pâques, parlant des démagogues et de combien les gens s'intéressent à eux, les transforment en instruments de la volonté populaire. J'avais trouvé un certain nombre d'exemples, Hitler y compris. Je viens d'un milieu presque entièrement laïc et je n'ai rien contre la religion. J'étais surpris de recevoir d'aussi bonnes critiques de la presse chrétienne et juive, de même que des puissants hebdomadaires britanniques et de recevoir des lettres complètement terrifiantes de lecteurs américains, pour la plupart des fondamentalistes, qui menaçaient de me tuer. J'ai grandi dans un monde qui voyait la religion comme ayant presque complètement disparu dès le XIXe siècle, j'ai donc été très surpris quand je suis arrivé pour la première fois aux Etats-Unis ! Il faut que je vive une partie de l'année en Europe ou bien je pense que je deviendrais fou.
Vous avez dit que Jerry Cornelius (qui fait une brève apparence dans la nouvelle anthologie) est autant une technique qu'un personnage - qu'est-ce que cela veut dire ? Le voyez-vous moins comme un personnage ayant une dimension pleine et entière que comme un cryptographe ?
C'est quelqu'un qui apprend à exister, à travers toute une série de stratégies, dans notre monde contemporain. Je voulais un personnage qui serait un peu comme Elric (moi) mais qui devrait faire face à une mythologie moderne de différente sorte. C'est pour ça que les premiers chapitres de Programme final font écho à la première histoire d'Elric, La Cité qui rêve. Il fallait que j'en vienne à penser que le genre de Fantasy que j'écrivais pouvait traiter de grands problèmes philosophiques mais pas de ceux spécifiques à la vie moderne. Je voulais un personnage qui pouvait exister selon plein de contextes différents dans les cités contemporaines, Londres particulièrement. Je voulais replacer Londres dans son contexte mythologique moderne, que j'ai ensuite étendu autre part – l'Amérique rurale, le Vietnam et ainsi de suite. La première histoire qui a tenté de réaliser cela était The Deep Fix, qui était le plus près de Burroughs que j'ai jamais pu écrire et qui était sensé être une sorte de pont pour un lecteur étant à la limite entre la fantasy qu'il lisait dans le magazine et ce que j'appréciais dans les livres de l' Olympia Press Burroughs.
Cornelius, toutefois, était le premier travail pour lequel j'ai ressenti que j'avais trouvé ma vraie voix littéraire. C'est un personnage. Je pense à lui comme un personnage à part entière qui joue une infinité de rôles. Mais il est également un appareil, une technique – un moyen d'examiner le monde.
Birds of the Moon apparaît pour la première fois en imprimé dans cette anthologie – que raconte cette histoire et que lui est-il arrivé, pourquoi n'a-t-elle pas vu plus tôt la lumière de l'imprimerie ?
Elle est parue sous la forme d'une brochure, publiée aux frais de John Davey, après qu'elle n'ait pas pu paraître dans The New Statesman. NS (l'équivalent britannique de The Nation (NdT : un journal de gauche aux Etats-Unis)) m'avait demandé de l'écrire pour faire partie d'une publication qu'ils prévoyaient de vendre à Glastonbury. J'ai écrit régulièrement pour NS pendant cette période. Il y a ensuite eu un changement dans l'équipe d'édition, et je suppose qu'un groupe de néo-Marxistes l'a remplacée et pensait que la publication pour Glastonbury était frivole. Donc ils ont laissé tombé cette publication (ou la plus grosse partie), et ça a été la fin de cette histoire.
L'épitaphe de Crossing into Cambodia dit que l'histoire est un hommage à Isaac Babel, et ça devient vite apparent quand vous lisez des passages comme : Les Cosaques ne se réjouissaient pas de ce genre de guerre et dès qu'il y avait une accalmie nous montions à cheval, mettions le matériel dans les charrettes et, avec les sabres au clair, chargions en hurlant les Khmer stalinistes…
C'est comme si l'Armée Rouge de Babel avait été déplacée de la Pologne des années 1920 au Vietnam contemporain. Est-ce que Babel est quelqu'un que vous admirez ? Quels autres auteurs considérez-vous comme ayant une influence sur vous ?
Babel est un excellent nouvelliste. C'est son économie que j'admire. Une liste d'autres auteurs qui ont pu m'influencer inclut un groupe d'auteurs américains et britanniques populaires et des écrivains pour enfants comme E. Nesbit et Richmal Crompton. P.G. Wodehouse a eu une énorme influence sur moi quand j'étais plus jeune, tout comme Edgar Rice Burroughs et George Bernard Shaw. Dickens. Stevenson. Camus, Sartre, Cendrars. George Meredith. Balzac. Aldous Huxley. Mervyn Peake. Elizabeth Bowen. Angus Wilson. Elizabeth Taylor. La liste est bien sûr sans fin. Je lis très peu de Fantasy ou de Science-fiction ces jours-ci, sauf quand les gens me demandent d'en lire en particulier. Ainsi, je n'ai jamais lu les histoires de fantômes de Bowen ou le Le meilleur des mondes d'Huxley.
Ok, en gardant en tête votre réponse à la dernière question, quel est le livre que vous n'avez JAMAIS lu – pourquoi ?
La Montagne magique de Thomas Mann. Il m'ennuie. J'ai lu presque tous les autres livres de Mann, incluant ses œuvres non fictionnelles, mais il n'y a pas moyen que j'accroche à La Montagne magique.
Quand vous avez commencé à travailler en tant qu'écrivain, que recherchiez-vous ?
Deux choses m'ont attirées étant enfant, surtout parce qu'elles étaient à la marge, étaient mal vues par l'Autorité et que, en tant qu'adolescent, vous pouviez en créer votre propre version. L'une était la SF/Fantasy et l'autre était le Rock 'n' roll. C'était assez commun pour les enfants Anglais de mon âge d'être très enthousiasmé pour ces deux choses, et on a pu voir cela se refléter dans les chansons de plusieurs artistes quelques années plus tard.
Est-ce que votre intérêt pour la SF a été immédiat ?
Ca m'a pris un moment pour entrer dans le monde de la SF, et je n'ai jamais vraiment aimé la plupart de ce qui a été écrit.
J'aimais la Fantasy ou la fiction d'épées et de planètes : T. H. White (avec qui je correspondais) et Peake (que j'ai appris à bien connaître) étaient mes préférés. Ensuite j'ai commencé à apprécier quelques Américains comme Ray Bradbury, Fritz Leiber, James Branch Cabell et Poul Anderson. Donc j'étais souvent à rebours de la communauté des fanzines (NdT : magazines des fans) de SF dont les enthousiasmes allaient à Asimov, Heinlein, Clarke. Je ne connaissais rien à propos des fandom (NdT : groupes de fans) de SF quand j'ai fait mes premiers fanzines, le premier s'appelait Book Collectors News et n'avait que peu de choses à voir avec la SF/Fantasy, et le second s'appelait Burroughsania, sur Edgar Rice Burroughs. A travers ces fanzines je suis entré en contact avec le monde des fans de SF et je m'y suis fait quelques amis. J'ai également apprécié quelques conventions. Je continue de bien m'entendre avec les amis que je me suis fait, on reste en contact grâce à des fanzines faits pour des vieux gars comme nous…
Aimiez-vous les communautés SF parce qu'elles étaient plus petites et plus intimes ?
J'ai fini par ressentir que le petit monde des groupes de fans était un peu comme tous les petits mondes des collectionneurs et des enthousiastes, que ce soit le club de vélo local ou un groupe de cinéphiles ou ce que vous voulez et finalement, je ne m'y sentais pas si bien. Quand les gens parlaient de notre domaine, j'avais toujours le sentiment d'être un mouton parmi un troupeau de moutons.
Peut-être parce que je suis devenu un journaliste assez tôt, de même qu'un musicien, et impliqué dans différents mondes, je me suis senti un peu restreint par ce domaine. Je n'aimais que quelques romans de SF, la plupart romantiques, quelques-uns ayant lieu dans l'espace. Mais je ne pensais pas que la SF avait un grand potentiel pour donner du souffle à la fiction générale. Ballard et moi en particulier avons vu les conventions de SF et les conventions du modernisme fusionner pour créer une fiction dépassant l'expérience du XXe siècle.
Avez-vous vu reçu de l'aide pour ramener ces deux conventions ensemble ?
Notre héros a été William Burroughs, qui a fait ce que nous avions suggéré. Quand j'ai repris New Worlds, j'ai commissionné Ballard pour écrire un éditorial sur Burroughs. Ca s'appelait A New Literature for the Space Age. Nous donnions comme argument que le monde de l'après-guerre avait besoin de nouvelles façons de manipuler la fiction. Nous prédisions que la fiction telle que nous l'envisagions allait devenir la fiction de référence pour notre temps. Ca n'a donc pas été une surprise pour nous de la voir grandir en popularité et, en ce qui concerne la fiction littéraire, de la voir lentement adopter le genre de conventions dont nous avions parlé. On était tellement près de l'absurde par certains aspects que nous ne croyions pas nécessaire de trop rationnaliser notre fiction.
C'est ce qui nous a positionné tellement à contre-courant des fans de SF ordinaires. En fait nous faisions l'expérience d'être marginalisés dans un monde marginalisé, mais puisque nous ne nous sentions pas trop impliqués dans ce monde, ça n'avait pas grande importance. Ballard, Aldiss, moi-même et par la suite les Américains associés à New Worlds (comme Disch et Sladek) étions aussi fréquemment critiqués dans les pages de fiction générale des journaux de grand format que nous l'étions dans la section rassembleuse de science fiction dans laquelle 10 livres recevaient une critique sur une feuille d'environ 15 centimètres de long.
Vous semblez avoir été très chanceux.
Nous étions chanceux dans le sens où les intellectuels de notre époque ont aussi vu le potentiel de la SF. On est rapidement arrivés sur des programmes culturels à la radio et à la télévision, où on a été interviewés par des grosses pointures. On a vu ce à quoi on était arrivé en partant de là où on est partis, tandis que la nouvelle vague américaine et un certain nombre de gens au Royaume-Uni essayaient d'amener la SF aux standards des grands courants littéraires. Nous, on voulait remplacer le courant !
Le remplacer ? Avec quoi ?
Une fusion entre l'impulsion de la création de mythes et le modernisme, si vous voulez. J'ai trouvé le succès d'Asimov et de la fiction spatiale en générale aussi nostalgique et rétrospective que ce que peut l'être le plus réussi des divertissements. C'était l'esprit du temps, d'accord, qui a reçu un énorme engouement grâce à 2001 : Odyssée de l'espace, mais nous ne faisions pas partie de cela. Pour moi le succès de Tolkien, sa façon de mettre en place le modèle et le ton d'un genre peut-être encore plus nostalgique et non conflictuel que la plupart des genres de fiction, n'a pas aidé non plus.
Vous mentionnez Tolkien, et le début des années 2000 a été dominé par l'énorme succès des films de Peter Jackson. Je sais que vous n'êtes pas un fan de Tolkien, mais n'a-t-il pas – ainsi que la version de Jackson de ses histoires – été extrêmement bénéfique pour le marché de la Fantasy en touchant une audience plus large ?
Pour être honnête, tout ce que j'ai vu c'est un film ennuyeux après l'autre. J'ai dormi pendant la plupart du truc de Tolkien (comme je l'avais fait pendant 2001, pour ceux que ça intéresse) et je n'ai pas vu grand-chose d'autre. J'ai aimé Blade Runner, Dark City et un ou deux autres films de SF. J'ai aimé La Boussole d'Or plus que bien d'autres (Pullman est l'un des rares auteurs de Fantasy que j'ai lus) ; j'ai aussi bien aimé le film de Neil Gaiman Stardust. J'ai vraiment beaucoup apprécié les films de Fantasy chinois comme Hero. Mais la Fantasy, comme je l'ai dit, a besoin de contenir certains éléments pour être commerciale et la plupart de ces éléments ne m'intéressent pas. J'aime les comédies romantiques – ce que les gens appellent des films à l'eau de rose -, les dessins animés, tous les genres de films, mais je vais rarement au cinéma pour les voir. J'ai vu très peu des séries si populaires, que ce soit sur le grand écran ou à la maison. J'ai vu le dernier film Star Trek chez un ami sur une version russe piratée. J'ai trouvé qu'il était vraiment pas mal. Mais je n'aurais pas non plus fait un détour rien que pour aller le voir. Combien de vraiment bons films de Fantasy avez-vous vu ces dernières années ?
Quoi qu'il en soit, n'enviez-vous pas les avantages d'un auteur de SF/Fantasy qui débute aujourd'hui – plus de débouchés pour leur travail dans les film, à la télévision, dans les bandes dessinées ?
Non. J'ai souvent dit que si j'étais un enfant de nos jours, je ne penserais même pas à écrire de la SF/Fantasy. Je ne suis pas certain que je voudrais être un musicien professionnel non plus. Revenons au rock 'n' roll – quand vous entriez dans un studio, disons à la fin des années 1950, vous ne saviez jamais avec quoi vous alliez en ressortir. Vous aviez une heure ou deux pour produire un single, et c'était tout. De même, avec la SF et la Fantasy de ces années-là, vous vous asseyiez sans avoir d'idée précise sur ce que vous alliez obtenir à la fin de la journée, et c'était quasiment certain que des magazines achèteraient l'idée. Mais j'étais journaliste et écrivain romancier (avec un roman terminé à 18 ans que je n'ai pas pris la peine de publier) et j'aurais publié dans tous les cas. C'est juste que ça n'aurait pas été de la SF. Par contre j'aurais probablement publié quelque chose d'expérimental.
La librairie du coin de la rue où mes parents habitaient était l'endroit où j'ai découvert votre travail (dans un magazine appelé Epic) ; le magasin proposait aussi beaucoup de science-fiction populaire des années 1950, et à l'époque ça me semblait assez être de la camelote : je me souviens d'une couverture de livre montrant un robot géant en forme de bloc qui portait une jolie femme dans ses bras.
J' aimais la camelote – ou au moins le genre de camelote qu'ils publiaient dans Planet Stories et les trucs populaires vraiment tape-à-l'œil. J'aimais l'énergie qui ressortait de cette camelote et je détestais les magazines comme le Magazine of F&SF, qui essayaient de rendre la SF respectable. Ces mouvements vers la respectabilité me faisaient me sentir comme les voyous du coin qui essayaient de se faire passer pour le pasteur et son vicaire. On nous identifiait, si vous préférez, aux méchants qui éteignaient la bonne musique et identifiaient la nature de la révolution, à ceux que la majorité considère comme vulgaires.
Les anthologies peuvent avoir des résultats variés. Pour certains auteurs, ce sont d'excellentes introductions et on sait qu'elles ont ainsi sauvé quelques auteurs. Il y a l'exemple classique de l'édition de The Portable Faulkner de Cowley. Cowley voulait montrer comment tous les travaux de Fantasy étaient liés, interconnectés et je pense que l'on peut dire la même chose de The Best of Michael Moorcock. Chaque sélection semble appartenir d'une certaine manière au même travail. Quand vous avez débuté, envisagiez-vous déjà que toutes vos histoires et vos romans allaient se fondre dans un multivers, ou est-ce que ce concept d'une structure d'ensemble a émergé petit à petit ?
J'ai vite compris que je n'étais pas doué pour la fiction spatiale, mais avant que je ne m'en rende vraiment compte, j'ai écrit une histoire en deux parties pour Science Fiction Adventures dans laquelle je suis arrivé à quelques idées sommaires sur les trous noirs (vraiment trop prévisibles) et une sorte particulière de structure de monde alternative, que j'ai appelée le multivers. A l'époque, je ne savais pas que William James avait inventé le mot pour désigner les différentes personnalités qui existent en chaque individu. Ce n'était pas encore dans de notoriété publique. Ce qui ETAIT de notoriété publique c'était la Théorie du Big Bang et la compréhension que la seconde loi de la thermodynamique – l'entropie – nous montrait ce qui nous attendait dans le futur, à la fin de toutes choses. Pendant un moment ça a été une idée formidable, sachant que je flirtais aussi avec les existentialistes français, mais je n'aimais pas vraiment l'idée que tout allait se dissiper comme ça.
Donc le multivers a été votre réaction à ça ?
J'ai conçu le multivers en opposition directe à l'idée d'une mort de l'univers par combustion. Je suspecte que c'est une idée qui était dans l'air, car j'ai appris, des années plus tard, que quelques physiciens jouaient avec ces idées. Ils les ont transformées en mathématiques. Je leur ai donné des images.
Quand est-ce que le concept du Champion Eternel a vu le jour ?
A la même époque. Dans le magazine Science Fantasy, j'ai écrit la première version du Champion Eternel, basée pour la plupart sur mes lectures de gothique victorien, dans lesquels un personnage est condamné à ne jamais mourir, à toujours devoir intervenir dans un conflit, à se battre pour un côté ou pour l'autre afin d'atteindre l'équilibre.
Et dans les histoires d'Elric, pour le même magazine, je développais la notion d'Equilibre Cosmique, qui idéalement devait être exactement entre l'Ordre et le Chaos. Pour moi, le Chaos devait être assez horrible, tout étant dans un état de changement constant, instable, tandis que l'Ordre représente la stabilité et la justice cohérente. Toutefois, j'ai rapidement commencé à comprendre que le monde nécessite des doses égales d'Ordre et de Chaos pour survivre. Pas de vie sans mort, par d'ordre sans chaos. Le débat éternel et constant de l'artiste.
Je pense que Milton a été d'une grande influence ici. J'avais un magnifique Milton illustré par Doré, qui, avec le Pilgrim's Progress de Bunyan, a eu une énorme influence sur moi étant enfant, surtout à cause des illustrations et parce que je supposais que tout récit devait reposer sur au moins deux histoires ! Finalement, le multivers et le champion éternel m'ont offert des façons de voir le même évènement sous différentes perspectives, ce qui m'a permis de mettre les mêmes personnages dans différents contextes.
Avec votre multivers, vous avez surpassé la création du Yoknapatawpha de Faulkner.
Plus tard, j'ai réalisé que quelques auteurs, dont Zola et Faulkner, avaient relié tout leur travail ensemble, dans leur cas pour la plupart grâce aux liens familiaux, sur un seul plan. Je n'ai jamais été un grand fan de Zola, mais j'en suis venu à adorer Faulkner, le prenant pour le meilleur de ses contemporains. De toute façon, la réponse en un mot est que j'y suis venu graduellement mais aussi très rapidement, en partie bien sûr à cause du nombre de choses que je produisais à cette époque.
Nous avons dit adieu à J.G. Ballard cette année. Que vous a-t-il appris de l'art d'écrire ?
C'était un de mes amis les plus chers, mais je pense qu'il est juste de dire qu'il ne m'a quasiment rien appris de l'art d'écrire ! Je n'ai rien lu de lui jusque bien après avoir commencé à vendre mes histoires au même magazine. Je l'ai initié à Burroughs, qui nous a donné de l'espoir à tous deux, nous a stimulés sans nous influencer trop. Il avait tendance à balayer tout ce qui n'était pas accroché aux idées de l'histoire, ce qu'il admettait volontiers en disant que c'était mieux quand il l'écrivait. Ce qui était vrai.
Parfois vous entendez des écrivains dire combien leur style a été stimulé par une amitié avec une autre écrivain.
Quand nous nous sommes rencontrés, nous étions déjà bien établis. Honnêtement je ne vois pas comment il aurait pu m'influencer. J'avais pour habitude de lui résister parce qu'il disait toujours aux gens ce qu'ils devaient écrire, et parce qu'il avait une idée dans la tête qui n'avait rien à voir avec vous. J'étais son éditeur, bien sûr, durant la période NW et j'ai peut-être pu glaner une chose ou deux, mais il était très idiosyncratique. Il n'était pas très doué en dialogue, donc à la place il faisait de longs passages de dialogue rapporté. Il y a un passage dont je me souviens qui paraphrase un discours d'Ahab de cette manière. Je l'ai toujours considéré comme un écrivain qui savait tirer de grandes choses de petits riens. C'était un talent de peintre, par bien des aspects. Je suis un grand fan de son travail, un admirateur de son intensité, de la consistance de sa vision, mais nous étions deux personnalités et deux écrivains complètement différents.
Comment définissez-vous ces différences ?
Il était bien plus lent que moi et il ne pouvait pas se permettre d'essayer toutes les choses que j'essayais. Sa portée était plus réduite, ses intrigues étaient son tendon d'Achille, mais il a développé un vocabulaire et une technique spéciaux, ce qui faisait de lui le grand écrivain qu'il était. J'ai trouvé qu'il commençait à se répéter après L'Empire du soleil et qu'il est même passé à des méthodes de SF plus rationnalisées et conventionnelles après les années 1980, ce qui était presque auto-parodique. Pour moi, le point d'orgue de son travail est La Foire aux atrocités. (Peut-être avec les trois livres qui ont suivi.) Peut-être que j'ai appris quelque chose de ceux-là.
L'utilisation d'icônes (personnes, lieux ou marques) comme exposition ou histoire, quand vous invoquez un nom ou un évènement par exemple, avec ses propres associations narratives, était quelque chose que nous avions en commun, mais je pense qu'il a trouvé une méthode plus tôt que moi pour cela.
Vous faites mention de Ballard comme étant un écrivain lent. Oserais-je vous demander de raconter l'écriture presque légendaire d'un livre en trois jours – comment se débarrasser de ça, on doit vous poser la question sans cesse ?
J'étais journaliste professionnel, habitué à respecter des contraintes de temps allant d'un jour à l'autre – voire même plus courtes. Vous êtes mieux payé que pour des livres quand vous écrivez 1 000 mots en tant que journaliste, mais généralement ces mots deviennent la propriété de celui pour qui vous travaillez, tandis que vous êtes payé moins au mot quand il s'agit d'une avance sur un roman. Et vous ne touchez jamais de royalties. Pour rendre ces premiers livres de Fantasy viables, tout en supportant financièrement une famille et un magazine qui se battait contre la censure, vous deviez les écrire en très peu de temps. Trois jours étaient la période rentable. Et j'éditais un magazine et j'écrivais aussi d'autres choses.
Est-ce que votre musique a influencé cette capacité à écrire rapidement ? Quand un guitariste fait un bœuf, il improvise et, s'il y a une fausse note, il continue comme si de rien n'était.
C'est tout à fait la façon que j'avais d'écrire – tout comme quand je faisais un bœuf – en transformant peut-être une fausse note en une nouvelle note – et en continuant avec. Encore une fois, j'avais l'impression que si vous aviez l'essentiel de la structure bien en place, vous aviez plein de chambres dans lesquelles pratiquer. Et bien, vous travaillez toujours avec une structure quand vous faites un bœuf – en partant du principe que tout le monde est dans le même univers.
Je devine que ce n'est plus la façon dont vous écrivez aujourd'hui.
Et bien, j'ai toujours une inclinaison à vouloir avoir une structure parfaite et ensuite de voir ce que je peux produire. La plupart de mon travail, en Fantasy ou autre, est dirigé par le personnage, donc vous devez laisser à vos personnages la plus grande marge de manœuvre possible, pour voir ce qu'ils vont faire.
Est-ce que vous revenez sur des choses écrites il y a longtemps, dans les années 1960, comme A Dead Singer et The Deep Fix – inclus dans cette anthologie – et avez l'impression que c'est une personne différente qui les a écrits ? C'est parfois ce que l'on entend de la part d'écrivains : que leur connexion à une histoire change avec le temps. Avez-vous le sentiment d'avoir évolué en quelqu'un d'autre en tant qu'auteur ?
Je ne crois pas que ce soit le cas, et mes quelques vieux amis encore en vie continuent de me dire que je n'ai pas changé. Mes obsessions sont toujours les mêmes pour la plupart. Je pense que je me suis un peu amélioré techniquement parlant et je n'ai pas l'impression de me noyer à chaque fois que je jette un œil à un nouveau livre ou à une nouvelle histoire quand ils sont publiés.
Lesquels de vos travaux espérez-vous que les gens continueront à lire dans quelques années ?
Mother London
The Pyat Quartet
Les livres et les histories de Cornelius
Blood et The War Amongst the Angels
Mais je serai reconnaissant, au nom de mes enfants, si n'importe quoi est vraiment lu d'ici à dans quelques années.

Interview originelle
Traduction réalisée par Nak


Dernières critiques

Derniers articles

Plus

Dernières interviews

Plus

Soutenez l'association

Le héros de la semaine

Retrouvez-nous aussi sur :