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Utopiales 2011 : au tour de Justine Niogret !

Par Linaka, le lundi 19 décembre 2011 à 09:50:07

Mordre le bouclierAprès avoir interviewé Lionel Davoust pendant ces Utopiales 2011, nous sommes passés à un autre écrivain de fantasy française, Justine Niogret. Comme vous le verrez pendant votre lecture, l'auteur de Chien du Heaume et de Mordre le Bouclier, diptyque de fantasy médiévale remarqué, se tourne maintenant vers des horizons différents, bien que toujours dans l'imaginaire.
Toujours aussi chaleureuse, Justine Niogret nous fait partager ses projets dans une interview riche en nouvelles, qui fut un plaisir à mener. Espérons que vous prendrez autant de plaisir à la lire - n'hésitez pas à nous le dire en forum !

L'interview

On sait que Chien du Heaume a rencontré beaucoup de succès, auprès des lecteurs comme auprès des prix de l'imaginaire. Qu'en est-il pour Mordre le Bouclier, maintenant que ce dernier est sorti ?
Pour l'instant, j'ai rencontré très peu de lecteurs, car comme j'habite très loin des festivals, ce n'est pas toujours très pratique d'en faire beaucoup. C'est vrai que je me concentre sur les plus gros.
Du coup je n'ai pas vu énormément de lecteurs – les Utopiales sont le premier festival où je rencontre des gens qui ont lu Mordre le Bouclier. Par contre, il y a eu beaucoup de chroniques sur internet, qui sont bonnes et extrêmement agréables. Ça fait très très plaisir ! Et surtout, pour moi, le deuxième livre est vraiment important, parce que c'est à partir de là que s'articule un métier, ou un projet de métier. Sortir un livre, c'est un coup d'épée dans l'eau : il est tout seul. Mais avec un deuxième, on commence à construire quelque chose. Les choses commencent à s'articuler, et c'est à partir de là que ça devient intéressant. Georges Bormand est le premier à avoir fait une chronique sur les deux livres en même temps ; j'ai trouvé ça très pertinent.
Donc voilà, pour l'instant tout est positif, les choses sont à peu près comme j'aurais aimé qu'elles le soient ; j'entends beaucoup dire que Mordre est beaucoup plus abouti que Chien, et c'est ce que je voulais.
Justement, à propos du diptyque : en avez-vous fini avec cet univers, ou souhaiteriez-vous le compléter avec une suite éventuelle ?
Je pense que pour l'instant, je dois m'éloigner du médiéval, car deux livres sur le sujet, c'est déjà beaucoup pour un début. J'ai envie de faire totalement autre chose.
Peut-être que je reviendrai sur cet univers-ci, peut-être avec l'enfance de certains personnages, ce genre de choses, mais ce sera plus tard. Il faudra vraiment que je mette des projets entre eux et Chien et Mordre.
Pour montrer que vous savez faire autre chose ?
Oui – enfin, pour montrer que j'essaie de faire autre chose ! Mais surtout pour éviter d'être ultra-cataloguée moyen-Âge. Je pense que c'est un peu un danger – c'est pour ça que je pars sur un projet de post-apocalyptique.
Justement, pour cet univers médiéval, avez-vous fait beaucoup de recherches, ou étaient-ce des connaissances que vous possédiez déjà avant l'écriture des deux livres ?
J'ai toujours été passionnée par le Moyen-Age, les Scandinaves, les Celtes – un peu moins par le Moyen-Age français, d'ailleurs, même si bizarrement j'ai écrit là-dessus !
C'est vraiment une passion, oui – j'ai fait des recherches sur le sujet parce que ça m'intéresse. Pour moi, Mordre le Bouclier et Chien du Heaume sont vraiment deux livres celtes, le fond du discours est celte. C'est pour ça qu'ils parlent autant, c'est pour ça que c'est, qu'on aime ou pas, poétique, que les choses sont aussi enjolivées, brutales : pour moi, c'est de l'esprit celte, du moins c'est ce que j'ai voulu faire.
Donc après avoir commencé, j'ai continué à lire ce qui m'intéressait dans ma bibliothèque. Je n'ai pas fait de recherches spéciales pour Chien du Heaume et Mordre le Bouclier. J'avais acheté une énorme trilogie historique, des documents sur les croisades, et je ne l'ai jamais lue par manque de temps … Par contre, pour les livres suivants, là oui j'ai fait beaucoup plus de recherches.
Depuis la sortie de Chien, on a souvent souligné votre style, qui ne ressemble à aucun autre. Est-ce votre façon d'écrire en général, pourriez-vous en changer ?
En ce moment, je travaille sur un roman post-apocalyptique qui s'appelle Gueule de Truie. Le roman part du principe qu'un jour Dieu a ouvert la bouche et le monde est mort, c'est le jour du flache, et que l'Église survivante part du principe que c'était le jour du jugement dernier – et pour que la pesée des âmes ait lieu, il faut que tout le monde soit mort. Du coup, ils envoient un inquisiteur, Gueule de Truie, tuer les survivants.
Donc au niveau du style, comme c'est un monde très différent de celui de Chien du Heaume et de Mordre, ça n'a plus rien à voir avec le Moyen-Age. Cela se déroule sur les ruines de la technologie, des cités, etc. Du coup, c'est un style que je trouve extrêmement différent : là où, dans Chien et Mordre, il y avait des envolées lyriques, des chants du cygne celtes, dans le monde de Gueule de Truie, les gens perdent l'art de parler, et ça devient donc très compliqué pour eux de s'exprimer. Ils n'ont plus le recul nécessaire pour gérer leurs propres émotions et leurs propres désirs. Ça reste du style extrêmement basique, surtout dans les discussions, puisque les gens sont incapables de dire autre chose que : J'ai faim. Je t'aime pas. Tuer. Par exemple, il n'y a aucune ponctuation. Ça m'a donc forcée à développer un style complètement différent, et même contraire à Mordre et à Chien sur plusieurs points.
De toute façon, ça sera reconnaissable, parce que ça restera une histoire assez brutale, assez bizarre, on va dire. Mais pour le style verni, là j'ai vraiment été obligée d'en changer, et ça fait partie des choses qui sont intéressantes à découvrir en tant qu'auteur.
Les descriptions sont quant à elles normales ; le narrateur raconte ce qu'il voit. Mais même là, il ne reçoit pas du tout les mêmes informations que si on mettait Chien dans le monde de Gueule de Truie ; par exemple, elle verrait où les animaux sont restés dormir, ce qu'il y a à manger, etc. alors que le narrateur de Gueule de Truie est beaucoup plus froid, beaucoup plus méthodique, vraiment différent.
Justement, vous aviez un personnage féminin pour Chien et Mordre – maintenant vous semblez vous tourner vers un personnage masculin. Est-ce que vous mettez beaucoup de vous-même dans les personnages, est-ce que vous vous identifiez beaucoup à eux ?
C'est une très bonne question. C'est difficile à dire, en fait, car quand j'écris je le fais sans synopsis, la plupart du temps. J'ai très peu de recul sur ce que j'écris ; le réalisateur de l'excellent film Valhalla Rising disait qu'il ne comprenait ce qu'il avait voulu dire qu'une fois que le film était en salle. Pour moi c'est exactement la même chose : c'est une fois que le livre est sorti et que les gens m'en parlent que je comprends ce que j'ai voulu mettre dedans. Il y a toujours un discours sous-jacent, mais qui finalement passe plus ou moins, et c'est un autre message qui passe.
Je pense que je mets énormément de moi dans tous mes personnages, je mets beaucoup de ce que je projette aussi sur certaines personnes. Je sais que Gueule de Truie est un amalgame de plein de personnages, de plein de gens qui se sont cristallisés au fil des années ; ça doit faire vingt-cinq ans que ce personnage-là couve. On en parle parfois avec certains auteurs ; il y en a qui arrivent à créer des choses qui sont assez étrangères à eux-mêmes, comme la fille qu'ils voudraient rencontrer, ou leur patron qu'ils détestent. Je pense que je n'arrive à écrire que de façon viscérale – du coup, effectivement, on est beaucoup plus bourbeux dans ce qu'on écrit, et ça nous touche peut-être beaucoup plus.
Vous dites que vous travaillez sans synopsis ; vous connaissez sans doute la différence entre scripturaux et structurels, faite par Francis Berthelot. Dans quel camp vous placez-vous ?
Sauf quand c'est une demande spécifique de l'éditeur, je ne fais jamais aucun plan ni aucun synopsis, je ne fais jamais aucune feuille de personnage. Quand on me demande un synopsis, j'en fais un, d'une page ou deux, mais l'écriture très froide du synopsis me refroidit, justement ! C'est vraiment de l'écriture journalistique, et je ne me sens pas à l'aise là-dedans, j'aime bien que les choses soient tout le temps charnues.
Mais sinon, j'ai tendance à construire chaque chapitre une fois que j'y mets un pied. Je pars d'un problème, d'une situation de départ, je vois ce que les personnages feraient ou font tout seuls – car je dirais même que parfois ils font les choses tout seuls. Ils font ce qu'ils ont à faire selon leur façon de réagir aux choses, et je clos le chapitre quand eux en ont marre – et puis je recommence.
Enfin, pour conclure, outre Gueule de Truie, le roman post-apocalyptique qui sortira chez Critic, avez-vous d'autres projets en cours ?
Oui, j'ai d'autres projets : chez Critic encore, un roman drôle, extrêmement classique au niveau fantasy épique. Du moins, j'espère et j'essaie de faire en sorte qu'il soit drôle ! Un roman sur la gladiature romaine, qui s’appellera Secutor, pour lequel j'apprends le latin (histoire de pouvoir placer de belles insultes). C'est tout ce qui est sûr et certain ; trois livres, donc. Un projet sur Mordred aussi, et ensuite on verra.
Eh bien merci beaucoup !
Merci !

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