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Jean-Philippe Jaworski nous parle de Même pas mort

Par Gillossen, le vendredi 13 septembre 2013 à 17:00:00

MPMMême pas mort est sorti officiellement fin août et fait partie des ouvrages marquants de cette rentrée, pour ne pas dire de l'année.
À cette occasion, le passionnant Jean-Philippe Jaworski a bien voulu nous accorder quelques minutes de son temps pour répondre à nos questions, qui concernent aussi bien ce roman que plus généralement la carrière de l'auteur dans son ensemble et la fantasy elle-même.
Merci encore à lui !

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L'entretien

Quel cheminement vous a conduit à vous lancer dans ce projet plutôt qu’un autre ?
Tout d'abord, Rois du Monde est un projet ancien, bien antérieur à Gagner la guerre. Mes premiers brouillons remontent à l'an 2000, mais j'ai longtemps différé l'écriture du livre par manque de temps et parce que j'avais d'autres projets en cours. Ce qui m'a donné envie d'écrire sur le monde celte de l'Antiquité, ce sont les avancées opérées au cours des trente dernières années par l'archéologie et la linguistique dans le domaine gaulois comme la très grande pauvreté du corpus romanesque sur le sujet. Le monde celtique nous a légué une grande partie de notre imaginaire et demeure pourtant, sous sa forme la plus archaïque, très peu abordé par les littératures de l'imaginaire. Ce que l'on trouve souvent, ce sont des réécritures de la matière de Bretagne et des littératures insulaires de la fin de l'Antiquité et du Moyen Âge ; en revanche, je ne vois guère que Robert Holdstock qui, dans son cycle Celtika, a cherché à traiter en fantasy les Celtes de l'Antiquité. Toutefois, bien qu'il soit très documenté, en raison des anachronismes qu'il opère (en mélangeant héros achéens et Celtes brittoniques, par exemple) il ne livre pas une vision très crédible de la Celtique antique. (Ainsi, Merlin, le personnage central de son cycle, n'aurait pu s'appeler Merlin dans l'Antiquité : c'est un nom français forgé à la fin du XIIe siècle à partir du nom gallois Myrddin, lui-même déformation médiévale d'une racine celtique.) En d'autres termes, j'avais conscience qu'il y avait là un territoire fictionnel à peu près vierge à explorer.
Qu'est-ce que cela change dans l'écriture avec une telle pression pour ces nouveaux romans, après le succès du premier ? Vous avez d'ailleurs publié entre-temps pas mal de nouvelles qui n'ont pas forcément eu le même écho, est-ce que vous ressentiez moins d'attente dans ce cas ?
L'attente du public génère une certaine pression, c'est certain. Mais comme je suis terriblement individualiste, je n'écris pas vraiment en fonction des désirs des lecteurs – sans quoi, j'aurais probablement composé une suite des aventures de Benvenuto. J'écris surtout en fonction de mes horizons d'attente personnels. Même quand je m'efforce de respecter la thématique d'une anthologie, j'y ajoute généralement quelques contraintes personnelles me permettant d'intégrer ces textes de commande dans une dynamique littéraire qui me reste propre. Si j'écris pour divertir mes lecteurs, car je trouve que le divertissement est une activité très noble, j'écris aussi pour satisfaire mes propres aspirations, qui mêlent l'évasion, le jeu et quelque infatuation esthétique. En fait, mes attentes l'emportent sur celles du public dans ma motivation à écrire.
D'autre part, qu'est-ce que cela change (si cela change quelque chose) de présenter ce texte à votre lectorat par tiers et non plus après l'écriture de la totalité, comme c'est le cas pour des nouvelles par exemple ?
En fait, cela change peu de choses parce que la logique de mon écriture reste sérielle et elliptique. Sérielle, car la plupart de mes nouvelles se situent dans le Vieux Royaume et communiquent entre elles, même si on peut très bien les lire individuellement ; or composer une trilogie s'inscrit aussi dans une logique sérielle. Elliptique parce que mes nouvelles sur le Vieux Royaume, relevant de la narration fragmentée, génèrent des solutions de continuité ; le même phénomène interviendra dans la trilogie Rois du Monde, quelques années séparant les histoires racontées dans chacun des trois volumes.
Vous aviez dit pour Gagner la guerre que vous n’aviez rien détaillé à l'avance hormis le départ et l'arrivée du récit, est-ce la même chose ici ?
Non, j'ai procédé différemment. D'une part, mon sujet m'a été donné par une page du Livre V de l'Histoire romaine de Tite-Live : je savais donc d'emblée où j'allais. D'autre part, j'ai construit un synopsis détaillé qui était indispensable pour pouvoir, dans un deuxième temps, jouer sur la structure narrative. Il m'arrive encore de modifier tel ou tel point du synopsis initial, mais j'ai globalement un plan assez précis de la trilogie, plan que j'ai d'ailleurs communiqué à mon éditeur quand je lui ai proposé mon projet.
Si le détail n'est pas encore planifié, les retours sur cette première branche pourraient-ils avoir une influence sur la suite ?
Non, d'une part car Tite-Live me donne une ligne directrice dont je peux difficilement m'écarter, d'autre part car cette première branche comporte déjà un certain nombre de prolepses, ou anticipations, sur la suite. Certains rêves de Bellovèse, par exemple, livrent des détails prémonitoires ; certains discours sont prophétiques, même s'ils ne sont pas toujours présentés en tant que tels. Les trois branches du récit sont d'ores et déjà liées.
Vous avez pris une place prépondérante dans le catalogue des Moutons et vous êtes largement mis en avant à l’occasion de la rentrée des Indés de l’imaginaire. Avez-vous perçu un changement de « statut » dans le regard d’autrui ?
Oui et non. Bien sûr, figurer dans le trio d'écrivains que mettent en avant Les Indés de l'Imaginaire est flatteur et contribue à ma publicité. (Je me trouve d'ailleurs en excellente compagnie avec Justine Niogret et Armand Cabasson.) Mais mon statut, honnêtement, n'a qu'une importance marginale. Ce qui importe, ce sont les textes et leur réception par le public. Mon statut d'écrivain est conditionné par cela. L'essentiel, c'est ce que j'écris et ce que je parviens (ou échoue) à communiquer ; ma position personnelle est purement accessoire. J'étais et je reste monsieur Tout-le-monde.
Hormis la symbolique celte, des raisons pour avoir choisi le format très classique, voire banal, de la trilogie ?
Initialement, Rois du Monde devait être un roman composé de trois parties. Cette structure tripartite m'était imposée par l'importance du chiffre trois dans la culture celtique : trois points cardinaux, trinités païennes ou dieux trifaces, siècles de trente ans, fêtes de trois nuits (comme Samonios / Samain), trimarkisia (trio guerrier), triades mnémotechniques… Quand le projet a pris de l'ampleur, chaque partie est devenue un volume, chaque chapitre est devenu une partie. Mon but est d'avoir un roman qui, non seulement dans son contenu, mais aussi dans sa forme, soit un hommage aux structures celtiques. La narration en rinceau, qui génère récits enchâssés et paradoxes achroniques, est conçue dans le même but. Soit dit en passant, l'impression de banalité provoquée par l'organisation tripartite est un indice de l'antiquité de cette structure… C'est un des héritages de notre passé celtique.
Auriez-vous des lectures à conseiller pour les lecteurs qui auraient envie d'en savoir plus sur la période et la culture abordées dans Rois du Monde ?
Pour une vision claire et synthétique de la civilisation celtique, je recommanderais Les Celtes de Barry Cunliffe (éditions Errance), Les Celtes d'Olivier Buchsenschutz (éditions Armand Colin, collection « Civilisations ») ou, plus spécifiquement sur la société gauloise, Les Gaulois de Jean-Louis Brunaux (Guide Belles Lettres des Civilisations). Les Celtes, histoire et dictionnaire des origines à la romanisation et au christianisme, de Vencesclas Kruta (éditions Robert Laffont, collection « Bouquins ») est une somme incontournable, mais plus austère à lire. Pour les lecteurs curieux de découvrir l'univers mental des Celtes, je recommande Mythologie du monde celte de Claude Sterckx (Marabout) et le discuté, mais passionnant, ouvrage de Jean-Louis Brunaux : Les Religions gauloises (éditions Errance).
Quelle place pour la magie dans un tel cadre, d’ailleurs ?
La magie est centrale parce que le surnaturel fait partie du quotidien celtique. Pour bien en rendre compte, voici quelques précisions sur le rapport du Celte au surnaturel. Dans ses Commentaires, César précise que les Gaulois sont « les plus religieux des hommes » et que la peine suprême que peut prononcer un druide est l'interdiction de célébrer des sacrifices. L'accès au sacré, chez les Celtes, a bien plus de valeur que la vie humaine. Et le sacré, en réalité, s'exprime dans une vie très ritualisée, dont les célébrations avaient tellement d'importance qu'elles ont survécu sous l'Empire romain, puis qu'elles se sont agrégées au christianisme. L'offrande d'ex-voto, le culte des sources (dont le pèlerinage de Lourdes représente à mon sens une résurgence tardive et spectaculaire), la fête des morts au lendemain de la Toussaint, le brin de muguet du premier mai comme la fête de l'arbre de mai, les feux de la Saint-Jean ou l'organisation conventuelle des groupes religieux sont des traditions héritées, sous un vernis plus ou moins christianisé, des pratiques religieuses celtiques. Pour que ces rites aient survécu si longtemps, cela implique que la pensée collective qui les a produits y accordait une énorme importance. Par ailleurs, dans le folklore, nombre de mythes ou de contes témoignent de la prégnance du surnaturel et de la magie. Des fées célèbres possèdent un substrat celtique : Morgane, qui est à l'origine une déesse celte ; Nimue ayant pour étymologie le nom gaulois « Nemetona », qui signifie « Sacrée » ; peut-être Mélusine, elle aussi une divinité initialement, même si les opinions sont partagées sur son origine celtique ou latine. La croyance dans les sidhs comme lieux de passage vers l'autre monde est directement héritée des fêtes royales celtiques qui se célébraient sur des tertres… Et ne parlons pas des syncrétismes comme les saints céphalophores (les martyrs chrétiens dont on a raconté qu'ils avaient porté leur tête coupée, comme saint Denis) ou certaines déesses rhabillées en saintes (comme sainte Anne en Bretagne, en l'occurrence la déesse Ana, ou sainte Brigitte en Irlande, en l'occurrence la déesse Brigit ou Brigantia). Que tirer de ces héritages si divers et si vivaces ? Que la culture celtique était saturée de sacré, et que même quand les populations celtiques ont été romanisées, puis christianisées, le surnaturel est demeuré indissociable de leur vécu. Du coup, en ce qui concerne mon roman, la magie est intégrée au quotidien et complètement ordinaire. C'est une donnée normale de l'existence. Elle s'exprime dans le rite, dans le chant, dans le rêve, dans le rapport au temps et à la terre. Les dieux marchent parmi les hommes, et on ne les perçoit pas toujours comme des puissances supérieures, mais parfois comme de simples compagnons ou des visiteurs de passage. Le commerce entre les hommes et les dieux est dangereux, mais aussi très familier.
Pourrait-on déjà avoir une idée de ce qui nous attend dans la deuxième branche ?
Chasse royale aura pour sujet la grande crise des royaumes celtiques qui déstabilisera le pouvoir du haut roi et mettra en branle la dynamique historique ayant accompagné le passage du premier au deuxième âge du fer.
Au passage, est-il prévu un jour de rassembler certaines de vos nouvelles parues dans des anthologies (notamment celles des Imaginales) dans un volume commun ?
En effet, j'ai le projet de rassembler les nouvelles qui traitent du Vieux Royaume. À terme, j'en ferai un recueil consacré à la guerre des Grands Vassaux, puisque toutes les nouvelles publiées à ce jour ont cette époque pour cadre. Mais ce n'est pas un projet à court terme, car il me reste encore pas mal à écrire sur le sujet.
Vous êtes notamment réputé pour votre plume. Travaillez-vous la moindre de vos phrases « au mot près » ou est-ce que cela vous vient naturellement la plupart du temps ?
Je suis un écrivain besogneux. Vingt fois sur le métier je remets mon ouvrage. C'est d'ailleurs l'une des raisons de ma lenteur.
Cette année 2013 est particulièrement relevée en termes de « grosses sorties » françaises. Trouvez-vous que l’on peut parler, comme dans d’autres domaines, de « ''french touch'' » ou pas du tout ?
Je ne perçois pas une école française, car la production hexagonale en fantasy me semble très diversifiée, mais il existe indéniablement un dynamisme et une créativité francophones. (Car des auteurs canadiens ou belges participent ou sont sur le point de participer à la vitalité du genre.) J'ai le sentiment que les auteurs de langue française cherchent à renouveler les canons de la fantasy, aussi bien dans un souci d'esthétique formelle (je pense au style de Justine Niogret), par le désir d'exploiter une matière française (comme en attestent les romans de Paul Beorn ou de Johan Heliot, par exemple) et par celui d'explorer de nouvelles formes de fantasy (urban fantasy ou fantasy steampunk) qui favorisent la production d'œuvres transgénériques.
De façon plus générale, trouvez-vous que la fantasy et son image ont évolué ces dernières années ?
La fantasy évolue très vite. En France, en trente ans, elle a gagné son indépendance hors du rayon SF, puis elle s'est affinée et a perdu l'épithète « ''heroic'' » qu'on lui a accolée une dizaine d'années, et elle fleurit maintenant en courants très diversifiés. Son image évolue également aux yeux du public : perçue initialement comme de la paralittérature, et même si elle rencontre toujours quelques résistances, elle se diffuse de plus en plus largement et commence à entrer dans le champ de la culture générale, à travers des canaux aussi divers que le jeu vidéo ou la mise en place de cours sur la littérature jeunesse à l'université.
Enfin, pour conclure, songez-vous déjà à votre prochain projet d’envergure ?
Quand j'en aurai fini avec ma trilogie celtique, je reviendrai au Vieux Royaume. Je ne fais pas mystère du roman sur lequel je travaillerai, probablement intitulé Le Chevalier aux épines ; il se déroulera dans le duché de Bromael environ dix-huit mois après l'action de Gagner la guerre et aura pour personnage central le trop courtois Ædan de Vaumacel. Mais j'ai en tête le sujet de deux autres romans du cycle du Vieux Royaume, dont le fil rouge pourrait être les répercussions de l'expédition mystérieuse de Sassanos dans Gagner la guerre

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