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Entretien avec Ange - Salon du Livre de Paris 2010

Par Gillossen, le lundi 18 octobre 2010 à 14:54:08

LivreEn mars dernier, lors du dernier Salon du Livre de Paris en date, nous avons eu le plaisir de rencontrer une fois de plus Anne Guéro, soit la moitié du duo Ange.
Résultat, un nouvel entretien, où l'on évoque aussi bien la BD que le roman, l'actualité de l'auteur que le marché de l'édition, etc, etc... Le tout est à découvrir ci-dessous dès maintenant.
Et encore désolé pour cette attente !

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L'entretien

Cette année, ce sont les 30 ans du Salon du Livre et les 10 ans de Bragelonne. Considérez-vous ce type d’anniversaire comme important ?
Pour ce qui est du Salon du Livre c’est un peu particulier. C’est la seule fois dans l’année où j’ai l’impression de faire partie d’une communauté d’auteurs, car le reste du temps personne ne se connaît vraiment.
Pour ce qui est de Bragelonne, dix ans représentent un cap important, d’autant que nous faisons partie des premiers auteurs qu’ils ont publiés. A l’époque il n’y avait que peu de fantasy en France, et très peu d’auteurs français de fantasy en général. Comme j’ai connu leurs hauts et leurs bas, je suis très contente qu’ils puissent fêter leur dixième anniversaire.
J’ai cru remarquer que certains lecteurs, qui avaient pu s’éloigner par lassitude de la Geste, ont été davantage attirés par l’univers de Marie des Dragons. Comment avez-vous vécu l’accueil critique de Marie des Dragons, par rapport à un album « classique » de la Geste ?
Ce premier tome a été très bien accueilli par la critique Internet.
Et ce n’est que le début de l’histoire. Nous avons laissé entendre certaines choses, au niveau des personnages notamment, et tout se développe dans les tomes 2 et 3. Je suis évidemment très contente que les lecteurs aient aimé et qu’ils aient remarqué qu’il s’agissait d’un univers parallèle, d’une uchronie.
Je pensais que ce dernier point était évident, mais certains ne l’ont pas relevé. On m’a dit par exemple que l’abbaye de Cluny n’existait pas à l’époque. C’est d’ailleurs faux, et de toute façon il s’agit d’un autre univers. Quelque part, j’ai eu peur à un moment que nous ayons été trop subtils, mais cela n’a au final pas été le cas.
La série prendra t-elle fin au bout de trois tomes ?
Non, pas nécessairement. Il y aura au moins 3 tomes, mais si les ventes suivent il peut y en avoir davantage. Dans notre esprit nous sommes partis sur une série en de nombreux tomes, un peu « à la Thorgal », une saga historique grand public.
Mais comme Thorgal il s’agit d’un « faux historique », à la fois pour se laisser une plus grande liberté, mais aussi parce que nous ne pouvons pas nous empêcher d’introduire une pincée d’éléments extérieurs (Thorgal comprend par exemple des éléments de SF).
Marie des Dragons doit beaucoup au dessin de Thierry Demarez. Il est à la fois très classique et dans le même temps incroyablement fouillé et détaillé.
En tant qu’auteur, comment vous positionnez vous avec cet album par rapport à une série installée comme la Geste des Chevaliers Dragons ? Pour en arriver à Marie des Dragons fallait il passer au préalable par la Geste ?
Du point de vue du scénario, l’histoire aurait pu se dérouler n’importe quand. Mais si on prend en compte l’aspect éditorial, cela n’aurait pas été possible, car nous n’aurions pas pu travailler avec un dessinateur comme Thierry s’il n’y avait pas eu au préalable le succès de la Geste, ni proposer ce type d’univers.
Mais je vais revenir sur ce que vous disiez sur la critique qui se lasse de la Geste. Internet c’est en définitive assez peu de gens, 400-500 personnes. Peut être que les critiques de la Geste font ressentir un peu de lassitude, mais en terme de ventes cela ne se répercute pas.
Par exemple, autant l’accueil critique de Marie des Dragons a été très positif, autant celui du tome 8 de la Geste a été très mauvais. Pour autant, il n’y a pas eu d’incidence négative sur les ventes. Je pense que cela est aussi dû à la qualité des dessins et à la qualité de l‘ambiance créée.
Et pour être complète, l’ambiance qui se dégage des textes (du tome 8 de la Geste) doit énormément au superbe roman Au cœur des Ténèbres de Joseph Conrad qui a inspiré ce tome. Nous en avons donc fait notre version pour la Geste des Chevaliers Dragons.
L'an dernier, nous avions évoqué l'adaptation BD des Neuf Princes d'Ambre, finalement parue cette année, mais sans vous. N’êtes vous pas trop déçue ?
Il y a eu un concours de circonstances défavorables. Deux dessinateurs, tous deux très doués, ont abandonné à peu près au même moment (entre la planche 15 et la planche 25). Il n’y a pas vraiment quelqu’un à blâmer, même si j’aurais bien sur préféré qu’ils continuent.
Et comme l’éditeur n’avait les droits que jusqu’à une certaine date et qu’il y avait eu deux abandons successifs, le projet a été confié à quelqu’un d’autre.
Il faut dire aussi qu’il est relativement fréquent, au vu des contraintes que cela représente de voir de jeunes dessinateurs abandonner un projet en cours. On observe d’ailleurs le même phénomène pour les premiers romans, avec beaucoup d’auteurs qui ne les terminent pas.
Je suis quand même très contente que l’album se soit fait, car il s’agit des Princes d’Ambre, une série que j’adore.
Pour en revenir aux romans, la date de sortie de la suite du Grand Pays est elle connue ?
Nous sommes en retard. Normalement, elle devrait sortir en fin d’année. Il n’y a eu aucun blocage d’écriture de notre part, mais nous avons eu beaucoup de travail. Je tiens quand même à m’excuser officiellement auprès des lecteurs et des lectrices (le lectorat du Grand Pays est d’ailleurs plus féminin que masculin).
J’avoue que je ne l’ai pas lu, mais pouvez vous nous dire quelques mots de Tibill le Lilling, qui est sorti il y a quelques semaines, plutôt orienté jeunesse je crois ?
Non, vous avez été trompé par les dessins. Nous avons fait quelque chose que nous aimons bien faire, même si cela n’est pas nécessairement commercialement intelligent, qui est de prendre un dessin associé dans l’esprit de l’éditeur à la jeunesse et de le transposer dans un univers très fantasy.
J’aime beaucoup ce que le dessinateur, Laurent Cagniat, a fait, quelque chose entre Uderzo, Hergé et Loisel. Comme le dessin n’est pas réaliste, un lecteur qui passe par là peut penser qu’il s’agit d’un récit pour la jeunesse. Et en fait nous aimons bien cela, car cela nous permet de partir sur ce type d’ambiance, un début très classique et de surprendre le lecteur avec quelque chose de beaucoup plus complexe. D’ailleurs le Grand Pays, Ayesha, et même la Geste peuvent être classés dans beaucoup de rubriques.
Le début c’est « il était une fois » dans un village. Tibill est un Lilling (un genre de lutin en plus grand) très créatif, qui fait un jour, en toute bonne foi, une erreur. Et à cause de cela il est exilé, et ne peut y revenir que s’il sauve le monde.
Tibill découvre peu à peu le monde de l'infiniment petit et de l'infiniment grand (les humains et Lillings étant à peu près dans la moyenne des créatures qui y existent).
Dans le village de Tibill, il y a des créatures minuscules de la taille d’un poing, qui vivent dans une ruche située dans un arbre, et à l’intérieur des créatures encore plus petites qui vivent en osmose. On va avoir ainsi un marché de fourmis dans un marché humain, et dans le marché de fourmis encore autre chose, et ainsi de suite… La ville est construite dans un crâne de géant, et à l’intérieur toutes ces créatures co- existent en paix. Il en va de même au niveau des constructions, des routes, des commerces...
Ce n’est pas juste un décor, le dessinateur Laurent Cagniat rend tout cela vivant avec une grande précision. Les grandes créatures, quant elles marchent, font ainsi trembler la terre, causent des raz de marée…
Tibill (le lecteur en quelque sorte) part d’un village qui pourrait presque être le village d’Astérix (je dis cela d’autant plus facilement que le dessinateur est proche d’Uderzo), et il entame son périple, un peu comme dans le Seigneur des Anneaux.
J’aime ce côté archétypal, car cela permet de montrer que le monde est plus complexe et plus sombre qu’il n’y paraît. Dans le tome 2, Tibill et l’héroïne, Lorette, fuient les méchants et sont aidés dans leur fuite par des créatures minuscules qui finissent dévorées. Et avec le dessin estampillé « jeunesse », c’est assez horrible, pire que mille morts sur un champ de batailles !
C’est donc une BD tout public, au sens propre (c'est-à-dire qu’elle s’adresse aussi aux adultes).
Elle est destinée à être une série, et j’espère que, le succès aidant, la suite pourra sortir. J’ai pu voir des planches du deuxième tome, et elles sont merveilleuses. Il est allé beaucoup plus vite que pour le premier, sans perdre pour autant son sens du détail.
Et sur le tome 10 de la Geste, qui arrive le mois prochain ? Dix tomes, c'est un cap pour une série ?
La Geste c’est un peu notre petit miracle à nous. Nous ne pensions pas pouvoir vivre de la BD et nous n’imaginions sûrement pas un tome 10. Et quand Vent d’Ouest a arrêté la série, Soleil a racheté les droits et l’a relancée, ce qui est un événement très rare.
Voyez-vous un tome 20, un tome 30 ?
Oui, d’autant que je peux révéler pour la première fois qu’à partir du tome 10, on entre dans une nouvelle époque. Les tomes sont certes indépendants et sans chronologie précise, mais sur les 9 premiers, 5/6 se passent à peu près à la même époque.
Là, l’action se passe 300 ans après, et l’Empire est menacé par les Sardes (un peu l’équivalent des Huns de notre monde). On apprend que l’ordre des Chevaliers Dragons, qui se veut apolitique, ne l’est pas vraiment. Pour que les chevaliers dragons puissent atteindre leur but, ils ont besoin de l’appui de l’Empire. Si un dragon apparaît et qu’il y a des armées ennemies entre les chevaliers dragons et leur cible, ils ne pourront jamais remplir leur mission.
Un tome se passera sur la mer et comportera donc des batailles navales. Dans le tome 10, on verra un personnage qui sera (attention spoiler !) le futur roi des Sardes. Le tome 11 parlera de la déclaration de guerre des Sardes à l’Empire. Et certains albums se passeront du côté des Sardes.
Pour aborder un registre plus général, faites vous, en tant qu’auteur, une différence entre la littérature jeunesse et adulte ? Atténuez vous certains aspects ?
Oui, ne serait-ce qu’en raison des éditeurs, nous écrivons différemment, surtout en roman où on ne raconte pas les choses de la même manière. La taille du livre fait déjà une différence.
Nous avons des enfants pré-ados de l’âge de nos lecteurs, et je sais ce qu’ils comprennent ou pas. Avec Heroes, les jeux vidéo, ils jonglent plus facilement avec les éléments de SF que les adultes. Nous pouvons donc nous permettre plus d’audaces au niveau du scénario. Par contre, sur la manière, il faut éviter les longues descriptions et privilégier le dynamisme.
Sur la BD, je ne fais pas vraiment de différence.
Avez-vous un avis sur le marché fantasy de 2010, avec de plus en plus d'éditeurs ?
Je suis très contente de cette évolution. Les grands éditeurs comme Bragelonne font paraître les grands succès étrangers, et de plus petits éditeurs donneront leur chance à des auteurs moins connus et à des romans fantastiques, de science-fiction.
Pensez-vous que l’offre fantasy soit supérieure à la demande ?
Je ne sais pas. Mon avis sur ce point est très cynique. Si cela se révèle être le cas, des éditeurs feront faillite. En BD tous les 5 ans il y a une crise. Mais ensuite le marché reprend, les éditeurs recommencent à sortir n’importe quoi, et cela recommence.
On ne peut pas faire autrement ?
Non, et puis le faut-il ? Si on limite, cela se fera au détriment des jeunes auteurs. En matière de romans fantastiques les jeunes auteurs ont leur chance.
En BD, je pense que l’on est plutôt en crise actuellement, mais c’est aussi à nous auteurs de nous remettre en question. Mes enfants lisent des mangas car d’une part il y a des bonnes histoires, mais aussi parce que cela leur permet de lire des longues séries sans avoir à débourser 12 euros pour 46 pages.
Et nous sommes actuellement coincés dans ce format franco-belge de 46 pages, et je ne sais pas comment nous en sortir.
Vous aviez fait un essai dans ce sens.
Oui, mais cela n’a pas marché, sans que la qualité du dessinateur ou du livre soit en cause. Le prix était élevé, l’album était cher à faire. Ce n’est pas comme cela que l’on va toucher le public des mangas.
Le marché devrait donc repartir d’ici deux ans ?
Oui, mais cela serait bien d’avoir un nouveau format de BD, moins cher et plus long. Mais je ne vois pas comment faire. Il faut arriver à intéresser le lectorat des mangas. Si on sort un nouveau format en noir et blanc, qui ne soit ni un comics ni un manga, personne ne va nous suivre, mais il faudrait pouvoir le faire malgré tout.
On parle beaucoup du livre électronique en ce moment. Cela vous intéresse t-il en tant qu’auteur ?
Je suis très intéressée. J’ai vu certaines de mes amies, qui ne lisent pas de BD d’habitude, en lire sur leur i-pod. J’aimerais bien sortir une BD noir et blanc, contemporaine, avec des cases spécialement conçues pour ce support. Maintenant je ne suis pas seule à décider.
J’aime pouvoir raconter des choses très classiques mais qui touchent à l’émotionnel.
Au niveau des romans, c’est plus l’éditeur qui est concerné. Autant pour la BD il faut le savoir en amont, mais pour un livre cela ne changera pas la manière de raconter l’histoire.
Les relations éditeurs/auteurs ont-elles changé ces dernières années ?
Non, mais nous avons de notre côté de bons rapports avec notre éditeur. Je crois que rien n’a fondamentalement changé, tout dépend de quel côté de la barrière on se trouve.
La situation n’est elle pas plus difficile pour un premier album ?
Si. C’est pour cela que, pour en revenir aux éditeurs, le fait de publier beaucoup permet aussi de faire découvrir de jeunes auteurs. Et en période de crise ce sont ces derniers qui en font les frais. Quand les jeunes auteurs ne trouvent plus à s’éditer, ils créent leur propre maison d’édition. Cela s’est produit quand Bragelonne a fermé ses portes aux jeunes auteurs français. Et c’est la même chose en BD.
Les gens créent toujours, que ce soit en période de crise ou de prospérité. S’ils ne peuvent pas être publiés par une grande maison d’édition, ils trouvent un autre média. Avant c’était par les fanzines, maintenant c’est par le biais d’Internet ou de petites maisons d‘édition. Le seul problème, c’est que ces jeunes auteurs ne sont pas payés. Mais si tout va bien, dans 3-4 ans, ils seront repérés par une autre maison d’édition, ou leur maison d’édition marchera, ou ils se seront fait un nom tous seuls.
L’important c’est que le flot de la création ne se tarisse pas ?
Oui, tout à fait.

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