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Un entretien avec Patrice Louinet

Par Gillossen, le dimanche 2 septembre 2007 à 13:56:19

ConanVous le savez, Elbakin.net fête ce week-end son anniversaire, avec une bougie de plus sur le gâteau, et pour l'occasion, même si nous n'avons pas déserté, voici quelque chose d'un peu plus consistant qu'une "simple" brève pour marquer le coup !
Annoncée depuis quelques semaines, que diriez-vous d'une interview de l'un des plus grands spécialistes mondiaux de Robert E. Howard et de ses créations, dont évidement Conan le Barbare, qui revient dès le mois d'octobre en version française !
Et c'est donc précisément ce que nous vous proposons avec cet entretien avec Mr. Patrice Louinet, à découvrir sans plus attendre... Et nous le remercions encore d'avoir accepté de répondre à nos questions !
A vous de réagir à présent !

Questions/Réponses !

Pour nos lecteurs qui ne vous connaîtraient pas encore, pourriez-vous présenter les points importants de votre parcours ?
Tout a commencé en première année de Fac, je pense. Mon professeur de Littérature nous faisait un cours sur le Fantastique, ayant lui-même écrit une thèse sur Algernon Blackwood. Au cours de mon oral de fin d’année, il m’a suggéré d’écrire un Mémoire de Maîtrise sur Howard, et m’a promis de le diriger ; ce que j’ai fait et ce qu’il a fait, 3 ans plus tard. Durant la phase d’écriture, je me suis rendu pour la première fois à Cross Plains, ai passé quelques jours avec Glenn Lord, fait la connaissance de Rusty Burke et suis rapidement devenu membre de la Robert E. Howard United Press Association (REHUPA). A partir de là, la machine était lancée : mémoire de DEA sur Howard, second séjour à Cross Plains, rencontre avec Novalyne Price (la girlfriend de Howard en 1934-1935), World Fantasy Convention aux USA… En 1997, j’ai fait paraître deux articles aux USA, dont l’un, « The Birth of Conan » est le prototype des essais « Hyborian Genesis » qui apparaissent en fin de volume des éditions américaines de Conan (et prochainement, de la version française). Au départ simple collaborateur pour un article, j’ai fini par faire partie intégrante de l’écurie Wandering Star à partir de l’an 2000, pour finalement prendre la direction éditoriale des trois Conan et de Kull. Depuis l’an dernier enfin, je suis l’un des co-directeurs (avec Paul Herman et Rusty Burke) de la Robert E. Howard Foundation, fondation à but non-lucratif dont l’objectif est de rendre tout Howard disponible à tout moment, d’encourager la promotion de son œuvre et de faciliter le travail des chercheurs.
Une question très classique : à quand remonte votre première rencontre avec l’œuvre d’Howard ?
La première nouvelle que j’ai lu était « La Tour de l’Éléphant », vers 1983 je pense. Je ne connaissais Howard que par les comics Marvel traduits chez Lug puis Artima à l’époque.
En quoi Conan se détache-t-il, ou pas, des autres créations de l’auteur ?
J’ai l’habitude de dire que je ne raisonne pas en termes de personnages howardiens. Je m’intéresse avant tout à l’auteur, et je préfèrerai toujours une excellente nouvelle de Steve Costigan (par exemple), à une mauvaise de Conan. Cependant, ce qui est marquant avec les nouvelles de Conan, c’est l’évolution inhabituelle de la série. Habituellement, Howard frappait fort avec sa première nouvelle d’un nouveau personnage (« Ombres Rouges » pour Solomon Kane, ou « Le Royaume des Chimères » pour Kull), puis la série déclinait ou venait à se répéter. Avec Conan, il y a eu une très bonne première période, une seconde plus commerciale, et une troisième partie absolument extraordinaire et très souvent expérimentale. En ce sens Conan est un « véhicule » bien plus abouti que la plupart des autres personnages d’Howard, car il offre des perspective assez illimitées.
En tant que spécialiste, quel est selon vous le cliché le plus répandu concernant Howard ou son œuvre ?
Aux États-unis et en France : tous ses personnages sont grosso-modo les mêmes, sous un nom différent. Sur le plan biographique : Howard s’est suicidé parce que sa mère était mourante.
En France, il reste l’incontournable : « Howard était un colosse de près de deux mètres de haut. » Pas mal pour un type qui mesurait un peu moins d’une mètre quatre-vingt !
Vous avez travaillé avec un éditeur américain, Wandering Star, afin de restaurer l’œuvre de l’auteur. Comment cette collaboration s’est-t-elle déroulée ?
Wandering Star était – et est toujours – une firme anglaise, même si elle ne s’occupe plus de livres, mais uniquement de cinéma de nos jours. Rusty Burke m’avait demandé si je voulais bien écrire un essai sur le thème « Barbarie et Civilisation » pour le deuxième ouvrage des éditions Wandering Star, THE ULTIMATE TRIUMPH, ce que j’acceptai bien évidemment avec plaisir. Après une seconde collaboration, un article écrit à quatre mains avec Rusty, ce dernier, qui connaissait mes travaux sur l’étude des tapuscrits howardiens, m’a demandé si je voulais bien diriger l’intégrale Conan. J’ai évidemment sauté sur l’occasion ! Les e-etextes de base étaient préparés pour la plupart par Dave Gentzel, et j’ai mis ces textes en conformité avec les manuscrits (originaux ou carbones) d’Howard, ou les textes de Weird Tales quand ces derniers n’existent plus, tentant de respecter au mieux le texte originel. Rusty Burke relisait le travail final et faisait quelques centaines de suggestions ! Nous avons été assez jusqu’auboutiste dans notre démarche. Je me rappelle en particulier de l’expression « swine my kingdom » dans « La Citadelle Écarlate ». Si le nom « swine » (porc, pourceau) est attesté, ni Rusty ni moi n’avons pu trouver le verbe « swine » dans aucun de nos nombreux dictionnaires. Finalement, et en faisant une recherche sur les textes enregistrés dans mon ordinateur, j’ai trouve ce verbe swine utilisé par Jack London, un des auteurs favoris d’Howard ; donc, nous avons conservé ce « swine » ! Bref, on s’amusait bien. La mise en page était faite par Stuart Williams, et les illustrations et le design d’ensemble étaient dû à Marcelo Anciano, qui a un œil remarquable. Il a tyrannisé les artistes pour obtenir le meilleur d’eux-mêmes. C’était donc une production assez internationale, entre Washington DC, Londres et Paris.
De même, comment Bragelonne vous a-t-il approché à propos du retour de Conan sur le marché français ?
En fait, c’est moi qui ai un jour passé un coup de fil à Bragelonne en leur demandant de but en blanc s’ils étaient intéressés pour publier Conan. Ils ont été très polis, du genre, « mais oui, c’est ça… » Je pense qu’ils se demandaient qui était ce type qui leur tombait dessus de nulle part, mais dès notre première rencontre le contact est très bien passé, même si le projet a mis bien plus longtemps que prévu pour aboutir, « pour des raisons indépendantes de notre volonté », comme ils disent à la télé.
Ces versions françaises seront-elles des copies à l’identique de leurs homologues américaines ? Ou bien aurons-nous droit à quelques bonus ?
Ce seront, grosso-modo, les mêmes volumes ; j’ai légèrement modifié mon introduction et mon article de fin de volume pour les adapter au lectorat français, mais pour les textes, on ne pouvait toucher à rien.
En quoi le texte originel né de l’imagination fertile entre toutes de l’auteur avait-il été altéré ?
Pour les nouvelles parues dans Weird Tales, Sprague de Camp s’était borné à changer quelques mots et rajouter quelques dizaines de virgules. Pour les autres nouvelles, il avait procédé à des réécritures pures et simples, paraphrasant Howard. Pour « The Black Stranger », il avait carrément réécrit une bonne portion du récit et modifié l’histoire ; il voulait faire de Thoth-amon l’ennemi juré de Conan, ce qu’il n’est pas : pas de vision manichéenne chez Howard. Mais le plus dommageable c’est que de Camp a organisé la série de façon à en faire une success-story à l’américaine, Conan partant de voleur (c’est-à-dire rien), et décidant, à la force du poignet (le fameux « struggle for life ») de devenir roi. Ne manquaient plus que les stock-options !
Or, ce qui fait l’originalité et la force des récits d’Howard, c’est au contraire cette liberté, cette indépendance du personnage vis-à-vis de sa biographie, mais aussi l’indépendance de chaque nouvelle vis-à-vis des autres. Cette série est une forme d’hymne à la liberté, pas un quête du pouvoir.
On imagine qu’il s’agit pour vous d’une opportunité éditoriale très importante afin de rendre à Conan toute la place qu’il mérite. Ressentez-vous une « pression » particulière ?
Elle est importante, c’est évident, mais sans vouloir jouer les blasés, elle était bien plus grande encore lors de la sortie des volumes Wandering Star. C’était la première fois qu’on publiait les nouvelles de Conan comme ça. Aujourd’hui, mes seuls doutes concernent le public français : va-t-il apprécier ce changement radical ou pas ?
A votre avis, qu’est-ce qui peut bien rendre Conan encore si populaire parmi les amateurs de nos jours ?
Plusieurs choses évidemment, et les récits howardiens n’en sont qu’un élément. Qu’on les aime ou pas, le film et les pastiches ont créé des « cult followings » avec eux, des gens qui ne s’intéressent pas vraiment à Howard, mais uniquement à Conan. S’il n’y a qu’un seul Howard, il existe, qu’on le veuille ou non, plusieurs Conan. Dans sa version déclinée par les pastiches, les bédés et, dans une moindre mesure, par les films, Conan s’est retrouvé transformé en une icône marketing instantanément reconnaissable, censée symboliser une certaine liberté féroce (doublée d’une attraction sexuelle bien évidemment irrésistible !) dans une société qui n’en offre que peu.
Ceci dit, je me méfie assez des gens qui sortent de chez eux pour aller courir en slip de fourrure au fond des bois le week-end...
Une autre question que l’on a dû vous poser des dizaines de fois : quelle est donc votre histoire préférée mettant en scène Conan ?
La plupart des spécialistes répondent « Au-Delà de la Rivière Noire », qui est la nouvelle dans laquelle Howard met véritablement en scène son thème de prédilection, à savoir barbarie et civilisation, mais je lui préfère, et de loin, « les Clous Rouges », car c’est pour moi sa nouvelle de Conan la plus personnelle, la plus riche du point de vue des résonances biographiques.
Comment organisez-vous votre travail d’enseignant et vos activités annexes ?
J’ai la chance d’avoir un directeur compréhensif qui m’a aménage des horaires répartis sur trois jours. Ceci me laisse trois jours pleins pour me consacrer à mes travaux d’écriture. J’ai aussi la chance d’avoir une résistance assez forte au travail.
Lisez-vous beaucoup de Fantasy vous-même ? Voyez-vous aujourd’hui un écrivain pouvant prétendre être le successeur d’Howard, qu’il le revendique lui-même ou non ?
Je ne lis que très peu de Fantasy. D’une manière générale, je n’aime pas les quêtes initiatiques, les barbares analphabètes et j’ai une profonde aversion pour les elfes !
Je me méfierai aussi instantanément d’un « successeur » autoproclamé d’Howard ! De tout ce que j’ai pu lire, Gemmell peut retrouver le souffle howardien, j’ai de très bons souvenirs du IMARO de Saunders, mais un seul auteur m’a vraiment marqué : Karl Edward Wagner et son cycle de Kane, (qui viennent juste de commencer à paraître en France). Les trois romans sont corrects (DARK CRUSADE est quand même très bon) mais toutes les nouvelles ou presque sont extraordinaires, et je pèse mes mots. Wagner adorait Howard, avait d’ailleurs tenté de faire une intégrale pur-Howard que sabota Sprague de Camp, avait une vision très pessimiste des choses, un tempérament autodestructeur, et se passait « la Horde Sauvage » de Peckinpah en boucle. Il est mort lui aussi prématurément. Deux œuvres très différentes, mais qui procèdent d’une même vision de choses, entre pessimisme et nihilisme. Mes plus vives recommandations.
Depuis quelques années déjà, on parle d’un véritable serpent de mer, un troisième film tiré des aventures de Conan. Est-ce qu’un retour de Conan au cinéma, ou ses incarnations passées, vous semblent une bonne idée ?
Un film, bon ou mauvais, amènera toujours des lecteurs nouveaux, et en ce sens, c’est positif. Malheureusement, Hollywood est plein de scénaristes qui comprennent mieux le personnage que son propre créateur… Le film de Milius est un bon film d’heroic-fantasy, mais ce n’est pas Conan. Conan ne peut pas être esclave : s’il est capturé, il s’échappera ou mourra en voulant s’échapper. Il ne restera pas captif pour tourner une roue pendant dix ans ! Prendre un bodybuilder lourdaud à la diction teutonne pour incarner un Cimmérien (c’est-à-dire un Highlander irlandais) vif comme une panthère montre bien cette totale incompréhension. Le cas Howard/Conan n’étant pas isolé, je suppose qu’il faut s’attendre à tout et n’importe quoi, et conserver une faible lueur d’espoir de ce côté-là…
De même, au niveau de la bande dessinée par exemple, Conan connaît un véritable renouveau : rééditions d’anciennetés, nouvelle saga… Le monde créé par Howard aurait-il « besoin » de donner vie à toutes ces visions ? La prose d’Howard est particulièrement évocatrice.
Elle est très évocatrice, c’est pourquoi tant de gens ont pu illustrer Howard dans tant de styles différents. J’adore le Conan de Frazetta, celui de Barry Smith, certains des Buscema, celui de Greg Manchess, etc. Rien de tout cela n’est incompatible. La prose d’Howard n’a pas besoin d’illustrateurs, mais il est évident qu’elle a le pouvoir de susciter le meilleur chez nombre d’entre eux !
Auriez-vous un dernier mot pour les fans qui comptent désormais les jours sur leur calendrier ?
Accrochez-vous ! La chevauchée va être rude et, si vous ne connaissez que Conan, laissez-vous emporter par les autres personnages howardiens. Vous risquez d’aimer…

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