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Patrice Louinet nous conte Imaro

Par Gillossen, le jeudi 21 novembre 2013 à 13:25:34

ImaroLe sémillant Patrice Louinet a supervisé et (re)traduit l'intégrale du Imaro de Charles R. Saunders, qui vient de paraître aux éditions Mnémos.
Pour l'occasion, notre homme revient sur cette aventure et nous parle de ce personnage comme de son auteur, tous les deux malheureusement trop souvent oubliés.
A redécouvrir dès maintenant en tout cas, en attendant notre chronique !

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L'entretien

Tout d’abord, peux-tu nous présenter brièvement cet ouvrage, ou disons, ce personnage ? On peut dire que la fantasy moderne l’avait « perdu de vue ».
Oui, c’est vrai qu’Imaro est injustement passé à la trappe de l’histoire de la fantasy alors qu’il est capital pour l’évolution du genre. Imaro a été vendu comme un Conan et/ou un Tarzan (pseudo-)africain. Or Imaro est un personnage qu’on ne saurait enfermer dans un pareil raccourci. C’est un personnage particulièrement complexe, dont les récits, à la façon des Conan de Howard, peuvent paraître simples en surface, mais sont en fait étonnamment riches pour peu que l’on se penche dessus. Je me suis étonné en relisant certains de ces récits lors de mon travail de préparation que certains éléments de la conclusion apportaient une coloration particulière à ce que je venais de lire et, du coup, me donnaient envie de reprendre ma lecture, car je voyais la nouvelle sous un angle différent. Ils ne sont guère nombreux les auteurs qui me font cet effet. Si vous êtes fan des sagas de fantasy lessivielle en dix-huit volumes, Imaro n’est sans doute pas pour vous... Imaro procure à la fois un plaisir viscéral assez jouissif et satisfera également le lecteur plus exigeant. Les personnages sont extrêmement bien fouillés, évoluant au fil des textes.
Peux-tu également nous parler de l’auteur de ce cycle ? Charles Saunders semble être un vrai personnage lui-même !
Saunders est un sacré personnage, c’est vrai. Lecteur atypique de fantasy, parce que d’origine africaine grandissant dans un monde où tous les lecteurs et les auteurs du genre sont encore des Anglo-Saxons de pure souche, il passe ses jeunes années à rêver de « botter le cul de Tarzan » en créant Imaro. Il s’assagit au cours des ans, et devient, comment dirais-je... plus réfléchi, mais tout en restant un homme aux convictions très fortes. Si vous êtes d’accord avec lui, c’est chouette. S’il n’est pas d’accord, vous avez intérêt à vous armer et à avoir des arguments qui tiennent la route sous peine de vous faire démolir aussi sec ! Et ce qui est extraordinaire, c’est qu’en lisant les récits d’Imaro, on assiste à la contrepartie fictionnelle de cette évolution de l’auteur. C’est d’ailleurs vraiment jouissif à la lecture pour peu qu’on y fasse attention. Les nouvelles d’Imaro sont vraiment le reflet de l’époque où les nouvelles ont été conçues et de la maturation de Saunders lui-même, enfant du baby-boom. On y trouve donc de la lutte armée contre le pouvoir en place, de la philosophie mystique, du « Black is Beautiful » remixé façon Shaft et/ou Blaxploitation, de la parodie des grand thèmes « africains » de la fantasy traditionnelle, du kung-fu façon seventies (si, si !), des charges contre l’apartheid, et des retranspositions en mode fantasy d’épisodes purement liés à l’Histoire africaine (Zoulous, Masaï, etc.). C’est vraiment une œuvre différente et très riche.
Comment as-tu toi-même découvert son œuvre ?
Nous sommes au moins 54 personnes en France à avoir découvert Imaro grâce à une première tentative d’édition dans les années 80. Tous ceux qui avaient lu ces trois ouvrages, à l’époque ou plus tard, en parlaient à mots couverts, tels quelques happy few se refusant de partager leur émotion de lecteur avec le commun des mortels. J’ai donc décidé de porter la bonne parole au reste de la population, quitte à m’aliéner les 53 autres. Saunders avait entre-temps profondément remanié le volume 1, ajouté des textes et surtout fait paraître le quatrième tome, donc cette réédition s’imposait. Plus sérieusement, quand j’ai annoncé le projet officiellement, les réactions des gens qui connaissaient allaient de « Enfin ! » à « Justement, je me disais qu’il fallait le faire ! ». Bref, c’était une réédition indispensable et qui s’imposait.
J’ai cru comprendre qu’originellement, cette édition n’était pas prévue chez Mnémos.
(Je tiens à signaler aux lecteurs de cette interview que sous cette tournure journalistique « J’ai cru comprendre.. » se cache tout simplement l’annonce que j’avais faite à la fin du podcast Elbakin consacré à Howard, où j’évoquais ce projet Imaro...) J’avais effectivement apporté le projet à Bragelonne, mais il y a eu du retard, puis cela n’a pas pu se faire pour des raisons assez complexes de calendrier. Je ne voulais pas attendre. Les gens de Mnémos, avec lesquels j’étais rentré en contact peu de temps auparavant, se sont montrés plus qu’intéressés et même enthousiastes à le faire rapidement. J’en ai parlé à Saunders, Saunders s’est montré partant, et Mnémos nous ont assurés qu’ils allaient se montrer à la hauteur de nos ambitions pour cette intégrale. Et voilà le résultat !
Comment as-tu abordé cette nouvelle aventure éditoriale ?
Comme pour les Howard. Les bons auteurs d’heroic fantasy (c’est un terme que je n’aime pas vraiment, mais bon...) sont rares, et souvent sous-estimés ou méconnus. (Je parle ici principalement des pères fondateurs du genre.) J’ai donc suivi ma recette éprouvée : bel objet, textes revus & corrigés, appareil critique qui, sans être universitaire dans sa portée, permet de replacer l’ouvre dans son contexte et souligner son importance. J’ai aussi lu pas mal de choses sur l’histoire et les légendes africaines, afin de mieux saisir les allusions et les références de Saunders. Mes découvertes m’ont permis d’apprécier encore plus son travail.
Quels sont selon toi les caractéristiques principales de cette série ?
Il y en a tellement ! Je réponds en partie à cette question un peu plus haut, mais un des aspects que j’aime dans cette intégrale, c’est, quelque part, l’impossibilité qu’il y a de l’aborder dans sa globalité. Il y a eu tellement de textes, de réécritures, de remaniements, une telle évolution de la pensée de Saunders au fil des ans et des textes, que la saga d’Imaro ne saurait être réduite à une vision, une approche, un tout synthétique. Il y a un côté kaléidoscopique qui me plaît beaucoup.
À première vue, le « risque » est de se dire qu’on a simplement affaire à une sorte de « Conan Black ». Que pourrais-tu dire pour confirmer ou infirmer ce possible a priori, alors que l’auteur qualifie lui-même son héros d’anti-Tarzan ?
Saunders explique de son œuvre qu’il a voulu faire œuvre de « décolonisation », c’est-à-dire qu’il en avait assez de voir l’Afrique utilisée comme matériau pour des récits fantastiques par des auteurs blancs et anglo-saxons. Saunders se moque donc, détourne, parodie souvent les conventions et les clichés du genre. Enfin et surtout, dans un second temps, il utilise la « matière » africaine pour confectionner des récits authentiquement africains. On peut donc dire qu’Imaro a été conçu comme un anti-Tarzan mais qu’il s’est vite affranchi de cette origine. En ce qui concerne les liens avec Conan, c’est plus complexe. Les deux personnages fonctionnent tous deux en tant que commentateurs du monde dans lequel ils évoluent, mais évidemment, et sans trop en dévoiler, Imaro va finir par se révéler être une pièce essentielle du Nyumbani, l’équivalent « saundersien » de l’Âge Hyborien, alors que Conan reste simple commentateur – et pourfendeur de – la civilisation.
En lisant la postface de l’ouvrage, on se rend compte que l’auteur n’a vraiment pas eu de chance dans son parcours éditorial. Quel est selon toi le statut auquel il aurait pu aspirer ?
Saunders est, en ce qui me concerne, la charnière (avec Karl Wagner et, dans une moindre mesure, Michaël Moorcock) entre la Fantasy barbare telle qu’élaborée par Howard et ce qu’on va retrouver aujourd’hui chez des auteurs comme G.R.R. Martin, Scott Oden, Gemmell, Abercrombie : des auteurs de Fantasy où on ne voit pas, ou peu, l’ombre de Tolkien, qui sont avant tout férus de récits d’aventures et historiques, et partagent une vision assez sombre et en tout cas non manichéenne du monde. La redécouverte de Saunders intervient à un moment où ces auteurs ont le vent en poupe, le « dark and gritty » remplaçant l’écœurante prolifération des sous-hobbits ventrus et autres elfes gentils du fond des bois qui ont noyé le paysage de la Fantasy pendant si longtemps. Il est toujours bon, en ce qui me concerne, d’aller voir ailleurs que dans le pseudo-médiévalisant européano-centré.
Pourrais-tu revenir plus en détails sur la partie inédite en France que l’on découvre ici, sa genèse ?
Le quatrième et dernier tome d’Imaro était écrit depuis très longtemps, ce que savaient tous les amateurs du genre, mais il était resté inédit pour des raisons que je détaille dans la postface de l’ouvrage. Pour faire court, son importance tient bien plus au fait qu’il fournisse une conclusion à la série qu’à l’adjonction d’un tome de plus à la saga...
Une question valable aussi bien pour un Conan que pour Imaro, mais crois-tu que l’on pourra un jour avoir droit à une adaptation fidèle mettant en scène de telles figures ?
Si je suis impliqué dans le projet : oui. En d’autres termes : aucune chance de voir ça sur les écrans ! Mais si vous aimez Gemmell, vous risquez d’aimer le prochain Conan...
Concernant l’actualité howardienne, que peux-tu nous annoncer pour les mois à venir ?
J’ai passé pas mal de temps à l’élaboration puis au lancement du site robert-e-howard.fr, et me voilà en ce moment plongé dans la traduction du onzième et avant-dernier volume de la série Howard chez Bragelonne : Agnès la Noire, qui paraîtra au printemps 2014. J’ai en outre deux gros chantiers howardiens qui avancent bien mais plus lentement que prévu, mais que je ne peux annoncer pour l’instant. Les deux feront plaisir aux puristes. En tout cas, attendez-vous à d’importantes révélations dans les semaines qui viennent...

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