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Retour au Salon du Livre 2008 avec Patrice Louinet

Par Luigi Brosse, le vendredi 30 janvier 2009 à 13:34:06

Les clous rougesNon, non, nous ne parlons pas de l'édition 2009 du salon du livre de Paris, qui aura lieu en mars prochain et mettra la littérature mexicaine à l'honneur. Oui, oui, il s'agit bien d'un retour sur nos rencontres 2008.
Pour diverses raisons sur lesquelles nous ne nous appesantirons pas ici, nous n'avons pas pu vous proposer plus tôt la retranscription de cet entretien exclusif avec le fort sympathique Patrice Louinet, et bien entendu, nous le regrettons. Depuis, certaines choses, comme la sortie du volume dédié à Solomon Kane, se sont concrétisées, et nous l'avons même critiqué ici.
De fait, gardons donc à l'esprit que ces propos ont été récueillis en mars dernier. Et bonne lecture sur les terres de Robert E. Howard !

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L'interview exclusive

Pour commencer, quel est votre sentiment sur le Salon du Livre 2008 ? Est-ce que c'est le premier salon français dans lequel vous intervenez en tant qu'auteur ?
En effet. Je suis intervenu dans des conventions aux Etats-Unis, mais en France c'est la première fois que je fais un salon. Celui-là est énorme, c'est évident, il est gigantesque. Dans les conventions de fantasy ou de SF, le public est surtout composé d'amateurs, de spécialistes, de passionnés, et on rencontre vraiment tous les gens du milieu. Tout le monde sait qui est qui, ce qui est quand même agréable.
Justement, est-ce que vous appréhendez le contact direct avec les fans ?
Non, au contraire ! J'aime bien les voir parce que c'est une façon pour moi d'entendre ce qu'ils ont à dire : s'ils ont aimé le bouquin, s'ils sont contents de découvrir Howard, ce qu'ils aimeraient voir par la suite... Les réactions des lecteurs, savoir vraiment ce qu'ils pensent, c'est important pour moi.
Avez-vous déjà noté, depuis quelques mois maintenant, une différence au niveau des réactions des fans, entre les Américains et les Français, qui ont découvert cette nouvelle édition en septembre 2007 ?
Non, pas vraiment ! Dans les deux cas - avec 5 ans de différence - il s'agit de voir enfin cette oeuvre présentée telle qu'elle doit l'être. La principale réaction que j'ai recueillie était : « J'ai vraiment redécouvert ces histoires en les lisant dans cette édition, alors que je les avais déjà lues et pensais les connaître !». Et cette réaction du public français est géniale, ça fait plaisir.
Mettre les pendules à l'heure, c'était vraiment l'objectif derrière cette réalisation française, et ça a fonctionné.
Depuis la sortie du premier tome il n'y a donc eu aucun « grincheux » ? C'est vraiment une expérience fabuleuse !
Pour l'instant, je touche du bois ! Les critiques sont dans l'ensemble bonnes, voire très bonnes ; je n'ai pas eu d'échos négatifs. Peut-être parce que je ne veux pas les voir, je n'en sais rien. C'est vraiment une forte unanimité qui s'élève, qui arrive à transcender les médias, et cela fait très plaisir. Au départ, il y avait seulement les spécialistes purs et durs d'Howard qui voulaient ce bouquin-là, mais progressivement il y a des gens qui s'intéressent à Conan plus qu'à Howard, qui aiment les jeux de rôles, les films, etc... Et ces gens-là aussi sont venus au bouquin. Par exemple, je suis intervenu plusieurs fois sur le forum d'Elbakin.net parce qu'ils avaient besoin de renseignements.
En ce qui concerne le cinéma - j'ai donné quelques interviews pour différents magazines cinéma - c'est assez marrant pour l'approche du film de Milius : avant c'était « le Milius est génial ! », et maintenant c'est « le Milius est un bon film, mais ce n'est pas vraiment le Conan d'Howard ! ». Et je trouve ça très bien.
C'est vraiment le type d'ouvrage qui tient sur la longueur, cela fait déjà cinq ans !
Oui, aux Etats-Unis, c'est maintenant l'édition standard, c'est rentré dans les moeurs. J'espère que le processus est en train de se mettre en place de la même façon en France.
Et le tome 2 arrive en avril [NdR : il est paru en avril 2008].
En effet. Actuellement, je suis entre Conan le Cimmérien 3 et Solomon Kane. Solomon Kane sort en août et j'ai commencé à travailler dessus il y a une semaine [NdT : le livre est paru le 24 août dernier]. C'était le tout premier livre de la collection américaine, mais l'édition française va être spéciale, parce que le volume US est sorti avant que j'intervienne dans l'équipe. J'ai donc proposé aux Américains de « remasteriser » le volume original, parce qu'il y avait des choses qui ne me convenaient pas : je voulais que le volume soit à l'image des Conan et des {{Kull} que j'ai dirigés. L'ordre des nouvelles va être modifié, les sources externes vont être différentes sur certaines nouvelles, parce qu'entre-temps j'ai réussi à retrouver des carbones originaux d'Howard. Et je rajoute bien sûr des bonus à la fin, des versions inédites, des variantes... j'aime bien les petits bonus en général !
Pour voir comment le travail de l'auteur évolue ?
Oui... Il y a aussi une première version d'une nouvelle de Kane qui s'appelle Bruits d'ossements en français, que je ferai paraître pour la première fois dans le volume français. Cela sort au mois d'août, il y aura a priori deux éditions simultanées, une édition de luxe très limitée et une classique.
Pensez-vous que Bragelonne soit le seul éditeur en France à pouvoir porter cette édition, ou bien est-ce simplement par affinité que vous avez choisi cette maison d'édition ?
En fait, lorsque cela s'est fait, vers fin 2003 - début 2004, mon souci était que je ne connaissais absolument pas le marché de la fantasy française, puisque j'avais consacré six ou sept ans à travailler exclusivement avec les Anglais et les Américains. Donc j'ai posé des questions, comme « Qui tient la route aujourd'hui ? », et la réponse était systématiquement Bragelonne. Je me suis dit que j'allais essayer. Je les ai appelés un jour de but en blanc : « Voilà, je m'appelle Patrice Louinet, ça vous dirait de publier Conan ? » et leur réponse a été du genre « - Mais oui, c'est ça, tu es gentil, mon garçon ! ». J'ai réussi à avoir un rendez-vous quand même, et quand je suis arrivé avec les bouquins américains de luxe, qu'ils ne connaissaient pas, ils ont été assez épatés. Et nous avons commencé à travailler très rapidement dessus.
Et si cela ne marchait pas, quelle était la démarche pour continuer ?
Je ne m'inquiétais pas, je savais que de toute façon il y aurait quelqu'un d'intéressé !
Il fallait ensuite respecter un certain cahier des charges...
Voilà. Je voulais que cette édition soit fidèle à ma vision. Après, honnêtement, trouver un éditeur qui soit capable de dire « Oui, ça m'intéresse », cela ne m'inquiétait pas vraiment. Bragelonne a apporté d'abord leur puissance, ainsi que le fait qu'ils étaient intéressés par tout le catalogue Howard, ce qui est un plus assez énorme, car il y a quand même beaucoup de choses. Et si le volume 2 marche aussi bien que le premier, on devrait avoir un maximum de parutions, toujours en remasterisé - pas forcément l'intégrale, parce que ce n'est pas nécessairement ce que je recherche, mais le plus de choses intéressantes possibles.
Justement, découvrez-vous encore des choses qui vous surprennent dans l'oeuvre d'Howard ?
Sans arrêt, en tant que lecteur ! Et en tant que spécialiste ma dernière découverte remonte à 4 jours, en lisant...
Un papier carbone ?
En ayant récupéré la quasi-intégralité des scans des manuscrits d'Howard, je me suis rendu compte il y a quelques jours qu'il y a une nouvelle de boxe qui est totalement différente de la version publiée : ça n'a rien à voir, le personnage n'est pas le même... c'est vraiment très technique, mais c'est le genre de chose qui me fait vibrer ! J'ai aussi récemment appris plein de choses très intéressantes sur la vie de la mère d'Howard en faisant des recherches aux Etats-Unis.
Mais souvent, lorsque je dois relire une nouvelle en tant que directeur de collection - par exemple pour vérifier qu'il n'y a pas de fautes d'orthographe, ou de coquilles, etc - mon gros souci, c'est que je lis la première page et qu'à la deuxième je suis en train de relire la nouvelle ! Et pourtant ce sont des nouvelles que j'ai du parfois lire quinze fois, c'est terrible ! Mais ce n'est pas grave, je suis embarqué. Cela prouve que cet auteur résonne toujours très fortement chez moi.
Nous avons déjà parlé de Conan, le film. Cela m'a rappelé l'époque du Seigneur des Anneaux, quand à l'époque, en France, les réactions étaient assez mitigées. Par exemple, Vincent Ferré, grand spécialiste de Tolkien, avait été engagé par la production pour travailler sur la version française du film, mais il avait trouvé l'expérience peu satisfaisante. Est-ce que vous accepteriez de vous mettre dans une telle situation ?
Bien sûr, j'ai proposé mes services à Paradox, mais ils ont l'air d'avoir déjà leur propre vision, avec leur projet bien cadré. J'ai envoyé un traitement qui n'a même pas été lu. Maintenant, je me dis que le film va se faire de toute façon. Je peux donc me dire « ils ne vont jamais faire exactement ce qu'il faudrait, ce ne sera jamais parfait et donc je m'en vais », mais je ne suis pas naïf non plus, et s'il y a quelque chose à sauver là dedans, peut-être que je peux essayer d'apporter ne serait-ce qu'une petite chose... Je n'ai pas de grands espoirs, un film reste un film, et les adaptations hollywoodiennes réussies sont assez rares.
Après, les personnes avec qui ils vont travailler, comment ça va se faire, ce n'est pas encore décidé. Je garde espoir...
Est-ce qu'il y a un script ?
Pour l'instant, il n'y a que des noms qui circulent. Apparemment le premier script est déjà écrit ; je n'ai pas pu le voir, mais il serait déjà fait. Visiblement c'est une trilogie qui serait en préparation... Tout ce que je sais, c'est que ce ne sera pas Verhoeven, des gens de cette génération-là. Ils veulent quelqu'un de plus jeune. Il y a plein de noms qui circulent, ils voient du monde, ça, c'est sûr.
Et pour Solomon Kane ?
Je n'ai strictement rien à voir dessus, ne suis pas non plus consulté, ni d'ailleurs Paradox, parce qu'en fait pour ce film il s'agit d'une compagnie anglaise, Wandering Star - celle qui lançait au début les livres de Solomon Kane et les Conan qui a les droits. A la base c'est une maison de production de cinéma. Et un jour, Marcelo Anciano, qui travaillait avec eux, leur a dit : « Au lieu de dépenser des millions en publicité, on va faire des livres de luxe qu'on va envoyer aux réalisateurs avec qui on veut travailler. » Donc voilà, en fait, l'argent des bouquins était un budget pub. C'est pour cela qu'ils sont très, très visuels, parce qu'ils ont été envoyés pour des gens qui ne lisent pas, ou qui sont des gros feignants ! - ils voient des images, et se disent « Ah, OK, voilà ce que je veux faire ! ». Le livre a donc été envoyé massivement aux gens du cinéma.
On n'en parle pas beaucoup, mais l'adaptation suit son cours dans son coin...
Oui, et cela fait très peur aux spécialistes...
Ça a l'air tellement secret !
Non, le type a un blog et il vient communiquer sur les forums. Et il nous explique par exemple que Solomon Kane, il lui manquait quand même une origine, donc il lui en crée une, avec un pacte avec le Diable qui a l'air... pitoyable ! Il n'a pas compris le personnage.
Mais j'ai lu pas mal de scripts de Solomon Kane, et ce n'est pas le pire. J'en ai lu un qui ne se passait plus en Angleterre à l'époque élisabéthaine, mais aux Etats-Unis à l'époque des procès de Salem, et il y avait une histoire avec un sorcier qui avait tué son père et sa mère...
A priori ça ne va pas être un très gros budget... On dirait que ça ne va pas être formidable... On verra bien !
Par ailleurs, il y a un Bran Mak Morn en développement depuis plus de deux ans. D'après les résumés de scripts que j'avais lu, Bran Mak Morn n'était plus un Picte mais moitié picte et moitié romain parce que sa mère était romaine, etc. C'est effrayant. Enfin, c'est le cinéma, il ne faut pas leur en demander trop.
Je reviens à ce dont on parlait avant, les textes d'Howard qu'on retrouve. Est-il possible d'imaginer qu'un jour on retrouve un roman entier ou des nouvelles inédites ?
Il y a toujours des chances de tomber sur quelque chose. Il y a trois mois, par exemple, un manuscrit du poème Cimmérie a été retrouvé - ce n'est pas l'original de 1932, mais une copie préparée par Howard en 1934. D'ailleurs, j'utilise cette nouvelle version pour la réédition dans l'édition brochée. Donc on en trouve. Cependant, des textes majeurs dont on n'aurait ni le nom ni rien - même pour ce qui s'est perdu, on connaît le titre des nouvelles, leur longueur, la date de composition approximative - il ne faut pas s'attendre à en retrouver miraculeusement. Et pourtant, il y a pas de manuscrits dans la nature, mais ils sont sans doute définitivement perdus ! Le volume de Kull tel qu'il existe aux Etats-Unis à l'heure actuelle - et prochainement en France - s'appuie principalement sur des carbones, parce que les versions finales n'existent plus. Elles ont disparu au début des années 50, et on ne les a jamais retrouvées.
Ce sont donc des nouvelles perdues ?
On peut considérer qu'elles sont perdues, sauf miracle extraordinaire. Il arrive parfois que des choses refassent surface : il y a des manuscrits qui traînent à droite à gauche, dans des collections privées. Je sais où sont environ 90% d'entre eux, je sais qui les possède, et il n'y en a plus que deux en tout sur lesquels je n'ai pas réussi à mettre la main pour avoir une copie. Il y aurait par exemple un manuscrit original de La Reine de la Côte Noire en circulation depuis vingt-quatre ans. Le vendeur de l'époque m'a confirmé l'avoir eu entre les mains.
Ce n'est pas un serpent de mer, il existe ?
Oui - en tout cas, il existait il y a vingt-quatre ans, date à laquelle on perd sa trace.
Mais on a bien retrouvé le manuscrit de la nouvelle de Lovecraft, Dans l'abîme du temps, il y a cinq ou six ans...
Enfin, même si certaines choses réapparaissent parfois, il n'y aura pas de grand changement, à vrai dire : on aura peut-être des versions un peu améliorées, un peu plus claires, des versions finales, mais on ne verra pas de nouveau texte majeur, fondateur, remonter à la surface.
Pouvez-vous nous parler brièvement des récits de boxe et de western, que vous abordez dans l'introduction de l'ouvrage et qui sont vraiment très méconnus par rapport au reste ?
Les récits de boxe sont nés d'une passion d'Howard. Il a commencé à les écrire en 1928, lorsque le premier magazine dédié entièrement à la boxe est paru ; il s'appelait Fight Stories. Il a créé un personnage qui s'appelait Steve Costigan, le marin boxeur, un personnage très « howardien » : il n'a jamais d'argent, il est sur un bateau, toujours en train de se batailler ; il a un compagnon inséparable, son bouledogue, qui est en fait quasiment son frère jumeau puisqu'ils ont le même caractère. Howard a donc écrit une quarantaine de nouvelles de boxe. Certaines sont répétitives, mais les toutes premières sont très souvent excellentes. Il y a par exemple The Bulldog Breed, une nouvelle exceptionnelle, une vraie nouvelle howardienne, dans laquelle on retrouve vraiment notre auteur. Il n'y a pas la dimension épique, mais le personnage est howardien, et c'est de l'aventure. On peut dire en plaisantant que le personnage n'a pas forcément tendance à être très intelligent, très brillant, et il se retrouve toujours fourré dans des situations assez incroyables. Il y a du bon et du mauvais là-dedans, pour être honnête : il ne faut pas lire les quarante à la suite, sinon ça devient un petit peu répétitif.
Mais on peut l'identifier tout de suite.
Ah, oui, c'est Howard ! Ça s'appelle Steve Costigan, mais quiconque a lu un peu d'Howard sait que Steve Costigan c'est Howard lui-même.
Pour les nouvelles de western, c'est un petit peu plus complexe. En fait, on peut distinguer deux catégories de nouvelles de western. D'un côté, les nouvelles de type burlesque (mais je n'aime pas trop le terme français) : ce sont des histoires totalement exagérées avec des personnages improbables qui se passent au début du XXe siècle. Le héros, c'est pareil, c'est un personnage plus grand que nature à qui il arrive des aventures assez incroyables. A mon avis, il faut lire ces nouvelles en anglais parce qu'il y a tout un dialecte, une utilisation de termes régionaux purement américains qui se traduisent très difficilement puisqu'on perd automatiquement toute la saveur de l'original. Ce sont des nouvelles tellement réussies - vraiment supérieures aux Steve Costigan à mon sens - que lorsque je les relis, je ris à voix haute. Les auteurs qui me font rire à voix haute, je les compte sur les doigts d'une main.
De l'autre côté, Howard a aussi écrit des nouvelles de western « sérieuses ». La plupart sont assez moyennes, parce que les magazines de l'époque ne voulaient que des textes standardisés : les gentils, le shériff, les méchants. Howard a cependant écrit une nouvelle très longue - elle doit faire 90 pages en manuscrit -, The Vultures of Wahpeton, une nouvelle exceptionnelle, du niveau des meilleures de Conan. Elle est inédite en français, et un film est en train de se préparer là-dessus - soit en tournage, soit ils sont en train de rédiger le script. Mais je répète que c'est une nouvelle exceptionnelle, une des vingt meilleures de la carrière d'Howard.
Est-ce que le film serait dans la ligne de l'auteur ?
A priori, oui, pour ce que j'en sais... Mais je ne veux pas non plus m'avancer, je ne suis pas vraiment dans le secret des dieux pour ce qui est des films... Je suis plutôt tenu à l'écart.
Est-ce que ces nouvelles sérieuses sont teintées de fantastique ?
Absolument pas. Il y a quelques nouvelles de westerns fantastiques, qui sont sorties en France, mais là c'est du western pur et dur. Il existe une autre nouvelle remarquable : Wild Water, une nouvelle de western contemporaine, qui se passe près de Brownwood, la région où vivait Howard. Il a écrit deux ou trois nouvelles de western fantastique qui sont à mon sens superbes, dont The Man on the Ground, très courte mais fabuleuse, et donc The Vultures of Wahpeton, un pur western.
Pour en revenir à Conan, que tout le monde connaît, comment sort-on de ce carcan ? Comment passer à Kull ou Solomon Kane ?
Je pense que cela vient des personnages avant tout, et de la façon dont les nouvelles ont été écrites. En 1932, lorsque Howard écrit Conan, il a déjà écrit des nouvelles fantastiques, des nouvelles historiques ; il a envie de faire de la fantasy et de mélanger tous ces genres. Kull, écrit trois ans auparavant, reste malgré tout de la fantasy très « européenne » : on retrouve un petit peu cette atmosphère de récit de fantasy qu'il pouvait y avoir en Europe, voire aux Etats-Unis, à la fin du XIXe siècle.
Avec Conan, il passe à quelque chose de totalement différent : il américanise un genre, et donne ainsi naissance à la fantasy moderne, à savoir avec des personnage pragmatiques, violents, grossiers, et des gens du peuple. C'est la plus grosse différence : Conan est un héros prolétaire. On n'est plus du tout dans les quêtes de royauté, de jeune prince exilé qui va retrouver sa couronne et sa princesse au bout de quatre cents pages. Conan est un barbare, il n'est pas de sang royal mais est fils d'un forgeron. Il s'est fait tout seul, et c'est quelqu'un qui n'a pas d'ambition royale - on ne le voit jamais, dans une nouvelle, dire « Je veux devenir roi et voici mon plan... » Conan vit pour l'instant : aujourd'hui il est pirate, demain il sera bandit, après-demain il sera roi, dans trois jours il sera voleur... Il vit la vie au moment où elle se présente, et si l'opportunité se présente de devenir roi, il devient roi. C'est ce qui lui arrive dans une nouvelle, il devient roi parce que l'occasion s'est présentée - il a juste saisi une occasion. Ce n'est pas quelqu'un qui a un plan de vie, de carrière. Et c'est ce qui fait que ce n'est pas une saga avec un type qui part de rien pour finir roi, c'est tout le contraire... C'est comme cela que la nouvelle fonctionne : ce qu'il se passe avant et après, on ne le sait pas, lui non plus.
Donc en fait on peut dire que ce qui fait que Conan a réussi à durer, c'est le personnage.
Tout à fait.
Avec une véritable notoriété d'Howard à travers le monde, peut-on justement penser qu'il sera toujours plus fort que ce qui sort au cinéma ou en comics et qui parfois le dénature ?
Bien sûr ! Il a survécu à 70 ans de films, de bandes dessinées, de pastiches, d'adaptations, de réécriture, de tripatouillages...
Est-ce qu'il y a aura toujours des passionnés ?
Oui, à mon avis, sa place ne fait pas de doute à ce niveau-là ; il est de plus en plus reconnu comme étant un fondateur. Pendant des années il était de bon ton de dire : « Howard, c'est bien mignon, mais ce n'est pas très sérieux, c'est de la low fantasy, ou de la sword-and-sorcery...» On mettait des étiquettes assez marrantes, alors qu'Howard n'a jamais parlé de sword-and-sorcery ni d'heroic fantasy, ni même de low fantasy ou de high fantasy, ni d'ailleurs de fantasy tout court. Pour moi, c'est de la fantasy, point, mais c'est avant tout une étiquette commerciale, rien de plus.
La plupart des gens qui ont connu Conan l'ont découvert avant tout par les bandes dessinées ou le film... Rares sont ceux qui sont entrés dans l'oeuvre d'Howard, par le biais des nouvelles - et, lorsque c'est le cas, elles étaient trafiquées. Et pourtant, à travers tout cela, on sentait qu'il y avait quand même quelque chose. Et c'est Howard, en fait, qui est au fondement : on a beau lire tout ce qu'on veut, à partir du moment où on découvre Howard, on se dit : « Waou, ça c'est un bon truc ! Le reste est peut-être pas mal, mais ça, c'est génial ! » La première fois que je l'ai lu, c'était La Tour de l'éléphant, je n'avais pas lu la première nouvelle du recueil, et j'avais commencé directement par cette nouvelle pour découvrir qui était ce Howard, et je me suis dit « ouch !  - Ça y est, voilà, on y est.» Je me suis pris une gigantesque baffe dans la gueule.
En effet, en quelques lignes, on est entraîné dans le livre, mais on ne sait pas ce qui se passe après...
C'est ce qui est extraordinaire ! On lit une nouvelle, puis on prend la suivante - c'est peut-être la suite ? Ah, non, tiens, là il est roi - ou ah, tiens, là il est général - ou ah, tiens, là il est pirate ! C'est ce qui est extraordinaire dans Howard : comme je le dis dans la préface, le fait d'avoir lu une nouvelle de Conan ne nous met, en tant que lecteur, dans aucune situation privilégiée pour savoir ce qui va se passer dans la suivante. C'est vraiment, à ce niveau-là, une littérature de liberté totale : pas de biographie, pas de généalogie, pas de quête qui s'étale sur 3000 pages et 53 romans, c'est juste un personnage qui devient au fil des années une sorte de véhicule pour Howard, pour exprimer ses idées sur la civilisation et la barbarie.
En lisant la préface, on s'aperçoit qu'il y a une manière d'interpréter Howard, un côté répétitif parfois de certaines nouvelles, et même un peu de racisme...
Oui, La vallée des femmes perdues est une nouvelle gênante, assez répugnante parfois... C'est gênant, il ne faut pas s'en cacher.
Est-ce que ce recul est justement au fondement de la démarche, ou bien vient-il au fil des années ?
Je pense qu'il faut un peu de temps. Au départ, quand j'ai commencé en tant que lecteur, j'avais les yeux brillants.... Et une image assez idéalisée. Puis il y a eu un moment où j'ai commencé à prendre un peu de recul : au fil de correspondances avec certaines personnes, il est venu un moment où mon esprit critique à commencé à se développer, et je me suis rendu compte que c'était un être humain, qui avait ses qualités et aussi ses défauts. Howard n'a pas écrit que des chefs-d'oeuvres, il a même pondu des bouses, il faut être très clair par rapport à ça ! Je ne me considère pas comme un fan. Il y a des nouvelles que j'adore toujours, d'autres que j'aime moyennement et d'autres que je n'aime pas. C'est vrai que dans le premier volume il y avait quelques nouvelles alimentaires ; par exemple Chimères de Fer dans la Clarté Lunaire n'est pas une nouvelle extraordinaire, elle est quand même très routinière, mais je l'adore : c'est une nouvelle que j'ai toujours trouvé assez jouissive, pour je ne sais quelle raison. Mais je reste honnête par rapport à ça : d'un point de vue critique, ce n'est pas une grande nouvelle, ce n'est pas celle qui va me faire dire « Tiens, lis Howard, tu vas voir, c'est génial ! » - ce n'est pas celle-là que je conseillerais.
Justement, avez-vous déjà eu envie d'écrire ?
Jamais. Je prends mon pied, je trouve mon plaisir, à faire de la recherche et de la critique littéraire, je m'éclate et je considère cela comme une démarche créative. Au début, j'avais parfois du mal avec l'idée de devoir traduire, mais à partir du moment où j'y ai pris du plaisir, où j'ai abordé ce travail avec une démarche que je sens créative et créatrice, il n'y a plus eu de souci. Si je devais faire un travail routinier et mécanique, j'aurais abandonné depuis très, très longtemps.
Voilà, je suis un dingue de critique. J'aime bien expliquer pourquoi les choses sont comme elles sont, j'aime bien comprendre. Disons que j'ai une âme d'horloger.
Vouz avez trois jours de disponibilité par semaine, c'est cela ?
Oui, j'ai un plein temps réparti sur trois jours par semaine, et je ne travaille pas le dimanche en général, sauf en cas de deadline comme pour Conan 2.
Il n'y a pas de routine dans le travail en lui-même ?
C'est un panard absolu ! Je m'éclate, si je pouvais y passer plus de temps encore je le ferais. Ceci dit, j'essaye d'avoir une vie sociale quand même ! C'est vrai que c'est un plaisir, j'ai la chance de faire un boulot que j'aime et que j'ai choisi - je parle du travail de prof. Quand j'ai fini de traduire le Conan 2, j'ai pris trois jours pour souffler et dormir parce que j'en avais besoin, et après j'ai passé une semaine à pouvoir travailler sur les manuscrits sans avoir la pression d'un bouquin. J'ai donc travaillé sur Howard et j'ai écrit un article...
Par rapport au métier de professeur, est-ce que certaines de vos élèves sont fans ?
Eh bien, la première chose que fait un élève, c'est chercher le nom du prof sur internet... J'en ai croisé d'ailleurs aujourd'hui au Salon du Livre. Bon, ce sont des choses assez marrantes, mais j'essaye de ne pas faire de pub, d'arriver à cloisonner. Mais on n'arrive jamais vraiment à le faire, et c'est sympa quand même d'entendre « Eh, je vous ai vu, j'ai téléchargé votre vidéo, votre interview... »
Professeur d'anglais, c'est pratique pour traduire !
Ça aide !
Que peut-on vous souhaiter pour cette année 2008 ?
Eh bien, son programme est très chargé : j'ai un bouquin à paraître - qui est terminé, donc ça va -, deux bouquins pour Bragelonne, j'en dirige deux aussi pour les Etats-Unis en parallèle, et peut être un troisième si le projet de remasterisation de Solomon Kane se fait aux Etats-Unis, plus des articles à côté. Donc du courage. Mais franchement, je ne me plains pas, je suis aujourd'hui un homme heureux par rapport à ce que je peux faire, par rapport au fait que je fais redécouvrir Howard. C'est quelque chose qui me tient à coeur.
En dehors de la France, y a-t-il d'autres éditeurs intéressés ?
Oui, ils sont parus en Allemagne, en Espagne et au Brésil et en Italie c'est en train de se faire. C'est en train de s'internationaliser !

Interview réalisée par Emmanuel Chastellière, transcrite par Izareyael


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