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Entretien avec Steven Erikson, 2ème partie

Par Thys, le mercredi 15 mars 2006 à 09:01:00

Après avoir été sous le feu des questions de notre ami Patrick lors de la première partie de son interview, Steven Erikson, l'auteur de Jardins de la Lune répond cette fois directement aux interrogations des fans eux-mêmes !
A découvrir dans cette seconde partie !

Interview de Steven Erikson

Même si vos livres ne sont pas très « épais », pensez-vous toujours réussir à sortir un tome de Tales of the Malazan Book of the Fallen tous les ans ?

Je ne vois pas pourquoi je n'y arriverai pas. Actuellement, l'écriture des romans me prend à peu près huit mois. C'est la finition et la préparation qui peuvent prendre du temps, de même que les préférences des éditeurs en termes de dates de sorties.

Avez-vous des projets concernant une autre série fantasy après la fin du cycle de Malazan ?

J'y pense, mais rien n'est encore définitif. J'ai trois romans autonomes qui attendent, mais je ne sais pas encore dans quel ordre les écrire. Cela me semble encore loin (bien que ça ne le soit pas).

Beaucoup de gens se sont plaint de votre dernière tournée de dédicaces, surtout sur le fait qu'il y ait eu très peu de publicité à ce sujet. Nombre de vos lecteurs aimeraient donc que vous fassiez savoir bien à l'avance les dates de vos futures tournées. Avez-vous une idée des endroits où va vous mener la promotion de The Bonehunters ? Y aura-t-il des dates au Canada ou en Australie ?

Vous parlez sûrement de la sortie par Tor de Memories of Ice. Pour ce que j'en sais, on a tout d'abord traité la côte Ouest des Etats-Unis l'été passé. L'idée de base était dix jours/dix villes, mais pour être honnête, j'ai refusé – dix jours loin de Reaper's Gale c'était trop long. Et pour ce qui est de The Bonehunters je ne suis pas au courant d'une tournée promotionnelle. Je fais une sortie locale à Victoria, avec Scott Bakker, en mars, mais c'est tout.

Les oeuvres de Steve Stone pour Malazan son très particulières. Quelles importance revêt la couverture pour vous ? Avez-vous votre mot à dire à ce sujet ?

On me demande généralement quelle scène je voudrai voir illustrée, ce qui est bien et, je pense, assez rare. Et je peux alors commenter, dans la limite du raisonnable, les premières esquisses. C'est ce qui se passe avec Bantam UK ; avec Tor je ne suis pas vraiment impliqué dans le processus, ce qui est sans doute plus ma faute que celle de quelqu'un d'autre (je n'ai pas testé l'étendue de mon influence sur eux et, pour tout dire, je n'ai pas vraiment envie de le faire). A mon avis, une couverture devrait illustrer le ton et l'atmosphère du roman en question, avec une considération pour le lectorat visé. Le problème avec la première édition de Tor semblait être (si j'ai bien compris) que la couverture donnait l'impression que le livre s'adressait à un public très jeune, à la limite du chevalier en armure avec une grande épée et Tom Cruise. Pas vraiment en rapport avec ce qu'il y avait en dessous de la couverture, hélas.

Serait-il possible de faire une carte du monde qu'on pourrait consulter en ligne (certainement sur malazanempire.com) ? Certains ne voient pas en quoi nous cacher la géographie du monde connu sert l'histoire pour le bénéfice des lecteurs.

Je n'ai aucune volonté de vous cacher quoi que ce soit. La carte que j'ai doit être refaite, c'est un énorme travail. Dans sa forme actuelle j'aurai besoin d'un plus gros scanner, ce que je n'ai pas. Je suis très particulier avec mes cartes. Re-dessiner les cartes de monde, ce que j'ai commencé, prend beaucoup de temps. Si je pouvais trouver un logiciel correct pour les faire…mais en attendant, je dois les faire à la main.

Nous savons que Reaper's Gale se passe à Lether et que Toll the Hounds nous ramènera à Genabackis. Voulez-vous nous révélez les emplacements des deux derniers volumes, où est-ce que ça en révèlerait trop sur l'histoire ? Va-t-on visiter Korelri dans les prochains livres ?

Korelri est le territoire de Cam. Je ne peux rien vous dire de plus, à part qu'après Toll the Hounds on découvrira de nouveaux territoires, géographiquement parlant.

Dans quels sites archéologiques avez-vous été impliqués, et qu'y a-t-on trouvé ?

La réponse pourrait être très longue. J'ai travaillé partout sur 15 à 25 projets (mon cerveau est mis à rude épreuve lorsque j'essaye de tous me les rappeler). Certains étaient de la prospection, ce qui signifie marcher dans des fermes, des lacs et des plages, faire toutes sortes de relevés, s'aventurer jusque dans les forêts boréales, faire du canoë jusqu'à des lacs et des rivières précambriens. Et trouver des sites. Et pour ce qui est des fouilles, voyez la liste précédentes de lieux et ajoutez des sites en villes, dans les jungles, des garrigues tropicales (à moitié désert, à moitié savane).

Les projets allaient de sites d'occupation paléolithiques, de carrières etc. jusqu'à des zones de commerce de fourrures au XIXème siècle. Cam et moi travaillions ensemble sur nombre de ces projets. Pour moi, l'archéologie, ça a toujours été des vacances rémunérées. J'adorais travailler dehors tout l'été (à part un projet au cœur de Winnipeg à superviser une équipe de 15 fouilleurs). J'aimais l'atmosphère du camping, dormir dans des tentes, se faire dévorer par des moustiques, pourchasser par des ours, et bien sûr résister avec le reste de l'équipe (mon dieu, le nombre de bière que nous avons pu boire). Hélas, comme on dit, les temps changent.

On nous a dit que Kruppe vient entièrement de vous. Y a-t-il des personnages qui viennent entièrement de ICE ?

Hm, est-ce vraiment intéressant? Voyons voir. Il est possible que je me trompe ici ou là. Cam était Whiskeyjack, Hedge, Trotts, Coll, Murillio, Turban Orr, Simtal, Vorcan, Draconus, Osserc, l'Empereur, Dassem Ultor, Rhulad, Fear, Trull (avec des noms différents pour ces trois là), Envy, Baruk, le Seguleh, Kallor, le Prince K'azz, Cowl, toutes la Garde Pourpre sauf les exceptions citées ci-dessous, Leoman des Flails, peut-être Kalam, le Dieu Infirme, la Reine des Rêves, et pas mal d'autre qu'aucun d'entre vous n'a encore rencontré.

Dans ce contexte, j'étais Fiddler, Mallet, Quick Ben, Kruppe, Rallick, Rake, Brood, Dancer/Cotillion, et parmi la Garde Pourpre, hm, Fingers, Blues et Jorrick Sharplance, et quelques autres.

Il y a des personnages crées dans le jeu. D'autres sont entièrement indépendants de nos jeux, crée pour servir les romans (Temper, Kiska, Paran, Crokus/Cutter, Icarium, Mappo, etc)

Où sont tous les mages ? Dans Gardens of the Moon, il semble que chaque armée ait un cadre de Hauts Mages, mais dans House of Chains, il y en a peu. L'armée de Dujek a été réduite à Tayschrenn après la mort de Tattersail, mais la conversation qu'ont eu Tattersail et Calot auparavant implique la présence de plus de Hauts Mages, et sûrement aussi de mages moins importants. C'est un point mineur, mais l'Empire Malazan paraît assez peu puissant niveau magie et je suis curieux de savoir pourquoi.

Ils ont en effet peu de Haut Mages et même de moyens. Prenez en compte le fait qu'il y a plein de mages mineurs dans les armées. La plupart sont médiocres mais ce n'est pas le cas de certains. Ceux qui ne le sont pas ont pu voir de leurs propres yeux l'épouvantable taux de casse parmi les mages remarqués. De ce fait, ils font profil bas parce qu'ils ne sont pas stupides. On parle plus de la magie (plus précisément dans l'armée de Tavore) dans le prochain roman. Pour l'instant à part Tayschernn, le seul autre Haut Mage est quelqu'un que vous connaissez bien. Mauvaise passe pour l'empire.

Si vous lisiez les livres de Malazan en tant que lecteur, quelle note leur donneriez-vous par rapport à d'autres séries fantasy connues ?

Difficile à dire. Je pense que ces livres sont différents sur certains aspects cruciaux, dont la plupart ont souvent été abordé par les fans. Je joue sans doute plus avec les sous-entendus que dans les romans fantasy classiques (au moins certains de ceux qui m'ont vraiment ennuyé) ; mais ceux que j'ai préféré font ça aussi. On m'a dit, il y a longtemps, que plus le monde que vous écrivez est étrange, plus le langage doit être claire et propre. Mais j'ai trouvé un moyen de contourner cela, en faisant jouer certains de mes personnages avec la langue – dans les dialogues et les monologues, et avec ceux que je peux laisser se lâcher sur les jeux de mots, les calembours, etc. Je peux jouer avec la gêne, la métaphore, et délibérément emmêler les analogies et les comparaisons. Embrouiller les choses avec la voix est l'une des choses qui m'a toujours intéressée en tant qu'écrivain. Les points de vue multiples lâchent cela comme les chiens de l'enfer. Cela permet aussi de donner plein de fausses pistes, ce qui est encore plus marrant. Bien entendu, chaque mot, chaque phrase, chaque paragraphe devraient pouvoir servir plus qu'un seul objectif. S'il n'y en a qu'un seul (faire avancer l'action) alors ça doit être court et précis ; sinon, si cela établit le contexte, ou si c'est du dialogue/monologue/introspection, cela devrait avoir plus d'un niveau de compréhension et de communication. C'est une règle que je suis, quoi qu'il arrive. Peut-être est-ce inhabituel parmi les écrivains, mais peut-être pas.

Lorsque Autrefois les Ténèbres de R. Scott Bakker est sorti, vous avez dit que quelque chose de remarquable avait commencé. Que pensez-vous de The Thousandfold Thought ?

Le livre est sur mon bureau. Il m'est difficile de lire de la bonne fantasy pendant que je suis en train d'essayer d'en écrire. Inutile de préciser que j'ai pris un sacré retard.

Parmi les auteurs actifs, vous êtes certainement celui qui est le plus entremetteur du travail des autres : Bakker, Kearney et maintenant David Keck. Qu'y a-t-il de si spécial dans In the Eye of Heaven de Keck ?

Pour commencer, la notion d'entremetteur est vraiment offensante. Au jour d'aujourd'hui, j'ai fait des recommandations pour six écrivains : Cam Esslemont, Paul Kearney, Scott Bakker, Tim Lebbon, David Keck et sur le dernier livre de James Barclay. Il y a un salut non-officiel dont j'ai connaissance pour le dernier livre de Glen Cook (qui a été pris d'un interview que j'ai donné – je l'ai su en achetant le livre à la librairie du coin). Est-ce que ça fait de moi un entremetteur ? On ne s'en approche même pas. J'ai été clair dès le début en disant que je soutiendrai le travail des autres lorsque j'en apprécierai la lecture. J'ai reçu d'autres épreuves (sans les avoir demandé la plupart du temps) auxquelles je n'ai pas donné de réponse, parce le travail en question ne me touchait pas. Donc, pour nous épargner à tous ma réponse à la première partie de votre question qui consisterait à vous décapiter, concentrons nous plutôt sur la seconde.

J'ai vu de nombreuses versions du roman de David, dont le premier jet alors que je n'étais qu'un conseiller externe de thèse lorsque David passait ses examens en Angleterre. Avec chaque nouvelle version, j'ai pu voir l'émergence de talent et de visions qui ont finalement donné l'un des romans de fantasy médiévale les plus durs que j'ai jamais lu. C'est de la fantasy noire, très noire. Claustrophobe et attirante à la fois. Même aujourd'hui, des mois après l'avoir lu, j'y pense encore, ça m'a vraiment marqué. C'est pourquoi je l'ai recommandé.

Pensez-vous que Tor Books espère un jour pouvoir sortir les livres de Malazan en même temps de Transworld ?

Cela pourrait se faire – Tor fait des sorties tous les huit mois. Vers le dixième livre nous devrions être synchronisés.

Quels sont vos auteurs ou séries fantasy favoris ?

Oh, je suis sûr de l'avoir déjà dit plusieurs fois avant.

Avez-vous une idée du nombre de livres de la série Malazan que vous avez vendus ?

Non, et je préfère me boucher les oreilles quand on en parle.

Quelque chose à dire sur The Return of the Crimson Guard par ICE ?

C'est en route, mais je ne pourrai pas vous dire quand se sera prêt. Il faudrait demander à Cam pour ça.

Quelles sont les dernières nouvelles sur le film de Chain of Dogs ?

En ce moment, toute l'énergie de Chris est concentrée sur The Dark. Des projets aussi importants que Chain of Dogs vont prendre du temps et beaucoup de travail de préparation avant que rien ne se mette en place. Il a un autre film que Cam et moi avons écrit sur lequel travailler avant – puisqu'il a déjà été annoncé. Et deux autres scripts pour lesquels nous avons participés à l'écriture. Travailler à l'écriture d'un épisode de 12 minutes de The Dark a été une révélation.

Juste un mot sur le site de Malazan. J'y ai jeté un œil et ai suivit quelques discussions fascinantes (le questions-réponses avec Paul Kearney par exemple) dont celle de la politique est fantasy. C'était très convaincant. Je me rends compte dans une certaine mesure du dogme objectiviste de Goodkind, et de ses justifications brutales. Il y a des années, j'ai lu tout le travail d'Ayn Rand, j'ai rencontré Leonard Piekoff (l'héritier du mouvement à cette époque), et avec mon comportement obsessionnel habituel, j'ai cherché Rand elle-même. L'une de ses premières doctrine est : si quelqu'un perçoit une contradiction, il est en droit de contredire ses propres hypothèses. Et pour continuer : il n'y a aucune contradiction. Cela m'a intrigué parce qu'elle vit clairement dans un autre monde que le mien. M'informer sur sa vie personnelle a enfoncé le clou, les plus grandes contradictions y étaient révélées dans une odieuse série de sales coups, de trahisons et de méchanceté pure. Et il m'est apparu que si une idée ne résistait pas à la mise en pratique, c'est qu'il y avait un problème (Thatcher est allée dans un extrême similaire en affirmant que la société n'existait pas, puis en se dépêchant de détruire chaque notion de société qu'elle a pu trouver). Alors que Piekoff était un gentleman, la plupart des Objectivistes avoués que j'ai rencontré se sont montrés non seulement brutaux et arrogants, mais aussi réservés, prompts au jugement, inflexibles et froids. Tout ceci m'indique que cette philosophie attire des gens avec des inclinaisons pré-existantes (comme les Nazis à un swastika), et à la fin, la philosophie sert à justifier les penchants les plus flagrants de la personne, sans doute à leur propre satisfaction suffisante. Ce qui m'a amené à reconsidérer la doctrine mentionnée plus tôt.

La fiction didactique est d'un ennui. J'ai toujours pensé que le premier roman de Rand We the Living était le plus réussi en terme littéraire, d'autant plus impressionnant qu'il a été écrit dans sa troisième langue. Elle n'a pas caché dans ses autres romans que pour elle, la forme servait le fond. Dans We the Living , il en va autrement, et c'est d'autant plus efficace à mon avis. Une approche plus simple de sa vision libertaire des choses peut être lue dans Harrison Bergeron de Vonnegut ou The Roads Must Roll de Heinlein. C'est à peut près la même chose en plus court.

La fiction didactique est d'un ennui, mais elle est aussi très populaire. L'écriture qui expose ce que l'on souhaite voir réalisé a toujours eu sa place, là où les gentils gagnent, et les méchants, étant faibles, gauchistes, obstinés et assez inutiles face à la rigueur du quotidien, sont écrasés. Là où échouent les mensonges dans l'aversion de son auteur à remettre en causes ses propres idées (ironiquement) dans le difficile processus de l'écriture. Pour ce qui me concerne, si vos thèmes survivent à la narration de l'histoire, vous avez mal bossé – vous n'avez pas été assez dur avec vous-même, avec vos idées chéries. Vous n'avez pas laissé vos personnages les remettre en cause, les tailler en pièces (comme ils le font d'habitude), vous n'avez pas laissé l'histoire réclamer sa propre vérité (ce qui pourrait signifier qu'il existe plusieurs vérités), en somme, vous avez choisi l'approche lâche de l'écriture. Mais finalement, ça fait vendre des livres, pas vrai ?

Salut à tous,

Steve

Article originel par Patrick St-Denis, le 2 février 2006.


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