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Interview de Steven Erikson pour The Crippled God

Par Nak, le jeudi 28 avril 2011 à 14:00:00

La couvertureVoici un tout récent entretien avec Steven Erikson, auteur du dernier opus du Livre Malazéen des Glorieux Défunts, The Crippled God.
De nombreuses questions devaient être posées à l’auteur, en lien avec l’histoire, les personnages, les réactions des fans… Certaines trouvent des réponses, d’autres demeurent. A vous de les découvrir dans cette interview très riche, qui vous donnera l’envie de vous plonger ou de vous replonger dans cette immense série, ou tout simplement de participer aux débats qui suivront sur notre forum.

L'interview traduite

Les réactions des fans envers The Crippled God vous ont-elles plu jusqu’ici ?
Je reçois de plus en plus d’emails de fans via le site StevenErikson.com et parmi ceux-là, seulement un lecteur m’a expliqué sur plus d’une page à quel point il n’avait pas aimé The Crippled God. Ce qui me surprend toujours c’est comment quelqu’un – n’importe qui – peut imaginer que je puisse
a) lire un tel email ; et
b) y répondre.
Imaginez faire une liste de tout ce que vous n’aimez pas chez quelqu’un et ensuite les lui envoyer – je n’arrive pas à trouver une plus grande perte de temps (cette personne avait certainement mieux à faire !). Considérez-le du point de vue opposé : imaginez que vous recevez un mail de haine d’une personne que vous ne connaissez pas, à propos de toutes les manières dont vous l'avez déçue. Qu’est-ce que vous feriez de ça ? Je suppose que si j’étais masochiste je prendrais du plaisir à lire de telles attaques, mais ce n’est vraiment pas mon cas. Je suis content quand les gens m’écrivent pour me dire qu’ils ont apprécié le roman, même s’ils ont des critiques spécifiques à faire, et bien sûr chaque lecteur intègre l’histoire d’une façon différente, ce qui est une bonne chose. Et ce genre d’échange est un cadeau dont je me sens très honoré.
Sur le fan site une participante de longue date s’est enflammée à propos de The Crippled God et a depuis quitté le site. J’admets être un peu interloqué par sa véhémence : Dust of Dreams indiquait clairement la direction qu’allait prendre The Crippled God. Je n’arrive pas à imaginer ce qu’elle espérait, mais il me plait de croire qu’elle relira un jour la série (mais c’est peu probable, puisqu’elle a dit avoir eu l’impression de perdre son temps pendant des années à la lire). La narration de cette série m’a semblé cohérente et régulière, mais cela montre bien qu’on ne peut jamais connaître les attentes de quelqu’un d’autre.
Toutefois en général je suis content de leurs réponses ; et j’ai été enchanté de lire (sur Nethspace) un premier travail de critique de la série entière – ce qui est un projet très intimidant pour n’importe qui.
Il a fallu un certain nombre d’années au Livre Malazéen des Glorieux Défunts pour obtenir à la fois un succès critique et commercial. Bien que la série ne sera probablement jamais dans le "courant traditionnel" de la SF/Fantasy, comme peuvent l’être certaines œuvres de Terry Brooks, Raymond E. Feist, R. A. Salvatore ou Patrick Rothfuss, qu’est-ce que ça fait de voir The Crippled God faire partie de la liste des bestsellers de part et d’autre de l’Atlantique ?
Ça fait plaisir de voir n’importe quel roman de Fantasy faire partie de cette liste : ce serait même encore mieux si quelques critiques du courant traditionnel y faisaient plus attention.
Dans The Crippled God on a vu plusieurs passages éclairs - certains cruciaux - de personnages apparaissant plus tôt dans la série, ce qui ne semblait pas arriver souvent dans les premiers romans. Est-ce que vous avez aimé le fait que dans la seconde moitié de Dust of Dreams et dans la conclusion de la série vous pouviez faire un peu moins attention aux nouveaux venus et peut-être gâter un peu plus les fans en rappelant d’autres intrigues et personnages ?
Considérez-le de cette façon : j’ai demandé humblement aux lecteurs de s’investir et de s’engager dans une histoire de plusieurs milliers de pages et prenant plus d’une dizaine d’années à raconter. Pensez-vous que je pourrais simplement prétendre qu’il ne sont pas là, débordant d’espoir et d’envies ? Quelqu’un a écrit sur le fan site qu’il sentait que c’était comme si j’écrivais directement à certains d’entre eux et pour dire vrai, c’était ce que je faisais. Comment pourrais-je ne pas honorer la loyauté que l’on m’accordait ? En même temps je ne pouvais pas faire ça gratuitement : tout devait soit concorder avec les évènements soit trouver écho avec des scènes plus tôt dans la série. Mais ces deux possibilités m’ont permis de saluer les lecteurs, au moment où (espérons-le) ils reconnaissaient ces échos.
Dans mon esprit, c’est toujours un dialogue, et peut-être que la relation entre un auteur et son audience a évolué dans ce sens depuis les vingt et quelques dernières années. Il y a du donnant-donnant qui n’avait jamais existé jusque-là, pas à ce point en tout cas, et pour moi ce serait insensé de l’ignorer ou de le dénigrer. Si je chausse mes lunettes d’anthropologiste, j’irais même jusqu’à dire que l’on revient aux origines du conte en tant qu’événement participatif, et tandis que l’on s’y engage on devient également, même si on en est pour la plupart inconscient, partie de l’histoire nous-mêmes. Les gens pensent rarement à leur participation dans une histoire, par exemple, à moins que ça ne soit facile à reconnaître, à des moments pivots : mais les choses les moins reconnaissables sont les forces motrices de l’histoire, et nous en faisons tous partie, tout le temps. Par certains aspects, c’était tout ce que racontait le Livre Malazéen des Glorieux Défunts, pas seulement en tant qu’histoire racontée, mais dans le dialogue qu’il présentait (si ça semble un peu pédant, ce n’est pas voulu : je parle ici de ma propre appréhension des choses, de ce en quoi j’ai investi douze années de ma vie, continuellement, dans cette histoire, et de ce que j’ai ressenti lors d’une conversation soutenue avec des milliers de personnes ; et quand tout a été fini, je suis plus ou moins tombé de l’estrade, à la fois sonné (j’ai pris pas mal de coup en cours de route) et épuisé. Mais malgré tout, ça ne semble être qu’une modeste contribution de ma part).
La fin de The Crippled God laisse quelques personnages-clés se balader dans les restes brisés de l’Empire de Kolanse. On apprend dans l’épilogue que quelques-uns finissent par revenir dans l’Empire malazéen, mais il semblerait qu’il y ait encore quelques petites choses floues. Est-ce que c’est quelque chose sur lequel vous laissez les lecteurs méditer ou est-ce que l’un de vos futurs livres – ou celui d’Ian – en dira plus sur ce qui est arrivé aux Bonehunters survivants et aux membres de l’Host à la fin de la série ?
Un peu des deux. Cam a besoin d’espace pour ses histoires et elles ont besoin de rester pertinentes. Et peut-être que je vais revisiter certains des personnages dans la trilogie de Karsa (ou pas). Mais prenez aussi en compte la notion d’histoire, telle que je l’ai mentionnée plus haut – alors que chacun des lecteurs continue sa vie, les personnages de fiction en font autant. On s’est tous rejoints pour l’histoire (bon sang, j’ai écrit cette scène un nombre incalculable de fois pendant la série, non ?) et maintenant on reprend tous notre chemin, et la vie continue. Curieusement, quand j’étais sur le point de terminer The Crippled God, mon esprit a commencé à revenir à mes années de lycéen. J’ai été jusqu’à essayer de retrouver d’anciens amis. Ce n’est pas une coïncidence. On a tous cette envie de savoir ce qui est arrivé aux personnes qu’on a un jour connu. Mon subconscient réagissait sûrement à ce que j’étais en train d’écrire, à cette idée de dire au revoir et de laisser derrière tous ces vieux amis. L’idée qu’un écrivain peut simplement quitter son travail à la fin de la journée n’a aucun sens : l’écriture c’est être hanté, sans répit, jusqu’à ce que l’histoire soit écrite. Cette série m’a hanté pendant une vingtaine d’années, tout est dit. Je suis toujours engourdi par le silence soudain.
Est-ce que les fans auront une chance de vous voir avec Esslemont lors de conventions ou d’événements dans les prochains mois ?
Je fais un tour à Milan en juin, ensuite il y a San Diego et bien sûr la Convention Anglaise de Fantasy à Brighton cet automne. L’année prochaine je serai à Paris pour un colloque super cool, pour parler des influences classiques dans ma série. J’ai vraiment hâte d’y être. En ce qui concerne Cam, et bien, vivre à Fairbanks rend les voyages un peu difficiles, mais j’espère le voir à San Diego, au moins.
Vous et Cam avez répété de nombreuses fois que le monde malazéen et l’histoire que vous racontez vient à l’origine d’une campagne en role-play et que vous avez joué un grand nombre de personnages qui sont en vedette dans la série. Puisque les deux personnages qui sont au croisement de tout sont Shadowthrone et Cotillion, on peut supposer que vous avez dû passer beaucoup de temps à jouer avec eux. Donc, êtes-vous Shadowthrone ou Cotillion ?
J’étais Cotillion ; Cam était Shadowthrone. Nous le sommes toujours et l’avons toujours été tout au long des romans. La critique Nethspace de la série a enfin parlé du fait que la série est une fantasy postmoderne. Vous n’avez pas idée de combien de temps j’ai attendu pour que quelqu’un dise ça.
Vous écrivez actuellement le premier roman d’une nouvelle trilogie et, dans une autre interview vous avez mentionné que vous le considérez plus traditionnel que la série que vous venez de terminer. Est-ce que vous structurez ce nouveau livre comme un point d’entrée pour de nouveaux lecteurs ou est-ce que vous pensez que les nouveaux lecteurs continueront à suivre l’ordre de publication ? Est-ce que vous ressentez la nécessité de varier vos registres ou de chercher de nouveaux lecteurs, en faisant des choses différentes ? De quelle façon cet aspect "traditionnel" distingue le nouveau livre des autres, et même votre approche en ce qui les concerne ?
J’ai retourné cette question dans ma tête pendant pas mal de temps (je suis encore en train, en fait). Pour moi, cette nouvelle trilogie doit satisfaire les deux audiences. La première audience est celle que j’ai déjà, et elle devrait apprécier la trilogie, puisque de nombreuses questions trouvent des réponses comme en ce qui concerne les origines, etc. La seconde audience est peut-être un peu effrayée par l’idée de plonger dans le Livre Malazéen des Glorieux Défunts, et donc pour eux je prends un chemin plus traditionnel, en termes de présentation et de structure. L’écriture semble plus mesurée, je pense, mais en même temps je devais le faire car j’ai une approche différente en tête pour cette trilogie (non homérique). Trouver un équilibre entre les deux est un vrai challenge. Jusqu’ici ça a été un vrai plaisir à écrire.
Vous avez dit que les prochains livres, les préquelles et les séquelles en trilogies, prendront plus de temps à écrire. Vous pensez qu’ils seront aussi longs que les romans du Livre Malazéen ?
Probablement pas, et pour être sûr que ceci reste vrai, je réduis mon total de chapitres de 24 à 20. On verra si ça suffit. Le fait est aussi que je suis plus vieux et que je me sens encore vaguement fatigué (créativement) après avoir complété la série.
Est-ce que l’Encyclopédie malazéenne est toujours d’actualité ou est-ce qu’elle a été repoussée à après la publication des livres de Ian Esslemont, et peut-être des nouvelles trilogies ?
C’est dans les tuyaux. On devrait vraiment s’y mettre, n’est-ce pas ?
Est-ce qu’il y a une chance pour que vous dévoiliez une copie de votre propre carte de l’univers malazéen ?
Voir plus haut. Je ne suis pas délibérément évasif en ce qui concerne cette carte. C’est juste que mon unique version est sur un énorme fichu morceau de papier, impossible à photocopier et que cette version ne contient que les grands traits continentaux, sans autres détails – lesdits détails étant sur une carte plus petite. J’ai besoin d’un cartographe, de préférence mort et désintéressé de l’argent, de la nourriture, etc.
A travers vos livres vous avez développé une relation assez intéressante avec vos fans et vos critiques. Vous jouez un peu avec ça dans la série principale avec des personnages comme Kruppe, l’Artiste Impérial Ormulogun et Gumble, son critique, et d’autant plus dans la nouvelle Crack’d Pot Trail, où les artistes sont obligés de se produire devant des fans très critiques qui vont ensuite voter et décider quel artiste sera tué et dévoré. Est-ce qu’écrire cela a été une sorte de réaction thérapeutique ou est-ce que ça va plus loin ?
Oh c’est uniquement thérapeutique, croyez-moi. Pendant une conférence il y a quelques semaines, il y avait un panel de personnes avec moi et Steve Donaldson à la barre, modérés par Bill Senior. Un des sujets principaux était une sorte de mise en garde pour notre audience (incluant des universitaires spécialisés dans la Fantasy et la SF), à savoir : la littérature de fantasy épique est la colonne vertébrale du genre (Steve Donaldson a continué en disant que c’était en fait la colonne vertébrale de la littérature occidentale) et pourtant elle est ignorée par de nombreux soi-disant experts du genre. Au lieu de ça, lors de cette conférence (que j’ai adoré d’ailleurs) on devrait voir, année après année, des articles exposant des travaux sur la périphérie de cette colonne vertébrale, arrachant les côtes en quelque sorte, et se réjouir de voir les innovations de ces travaux et les risques pris en tentant de repousser les frontières du genre. Le problème est que la plupart des travaux ne repoussent rien du tout, ce qui apparaîtrait clairement si quelqu’un examinait en profondeur le cœur de la fantasy épique. On peut discuter pendant des heures sur comment différents auteurs font des choses nouvelles avec le genre (Abercrombie, Bakker, Gaiman, etc.), mais en fait, rien de tout cela n’est aussi neuf que ce que croient leurs partisans. Au risque de trop simplifier, Glen Cook et Steve Donaldson nous ont envoyé au tapis il y a très longtemps – ils ont aidé la fantasy à devenir adulte, et depuis lors on a tous surfé sur la vague avec eux (qu’on les ait lus ou pas). Comment tout ceci est lié à Crack’d Pot Trail ? Et bien, Steve Donaldson avait le livre et l’a montré bien haut pour encourager les gens à le lire (plutôt qu’une série épique de mille pages) pour avoir une idée du bazar que je mets dans le genre, en particulier comment ce livre a violé la première règle de la fantasy, qui est l’exclusion de l’incrédulité et l’utilisation de l’ironie. Je ne vais pas me plonger là-dedans davantage, mais j’ai toujours su que Crack’d Pot Trail allait enflammer certains lecteurs (Pat ?), mais tant pis, je ne me rappelle pas m’être autant amusé à écrire une nouvelle.
Quand peut-on espérer avoir une autre nouvelle de Bauchelain et Korbal Broach ?
C’est intéressant, j’attends d’être d’humeur à me lancer. Ces travaux me demandent vraiment d’être dans le bon état d’esprit. J’ai commencé, avec une satire bien en tête, mais c’est vite devenu trop vicieux donc je reconsidère mon approche. Il faut que je trouve ce bon équilibre entre les rires et la cruauté…
Il a été dit que vous avez récemment recommandé Le Trône de Fer lors d’une séance de dédicaces donc on en a déduit que vous avez lu le livre et que vous l’avez bien apprécié. La question est plus générale, êtes-vous en contact avec le marché actuel ou est-ce que vous gardez une distance respectable ? Est-ce que vous continuez à suivre l’exemple des travaux de ceux que vous avez "approuvés" comme Bakker, Cook ou Morgan ? D’un point de vue très général, certains aspects de la série malazéenne, comme le renversement de certains clichés et la rupture de certaines structures typiques, sont devenus en eux-mêmes une tendance très représentative aujourd’hui. Dans l’article sur votre site à propos des origines JdR de votre série, vous avez décrit comment une partie de la créativité qui a alimenté votre œuvre est venue des contraintes et des limites du genre de l’époque, de l’envie d’élever la barre selon vos propres conditions. Donc je me demande quelle est votre position concernant le marché du genre actuel et s’il a ou pas un impact différent sur votre écriture du moment ?
Ha, comment vous savez ça ? – j’en ai parlé il y a un bon moment, il me semble. J’ai recommandé Le Trône de Fer ? Vraiment ? Peut-être que j’étais ironique, car ce premier roman est le seul que j’ai lu et c’était il y a très longtemps et je m’en souviens très peu, ce qui veut dire qu’il a eu peu d’impact sur moi. J’ai aimé la première trilogie de Bakker mais je n’ai pas continué plus loin. J’ai lu tous les écrits de Morgan. En ce qui concerne les autres travaux du genre, j’y jette un œil à l’occasion, et pendant la conférence dont j’ai parlé plus tôt, j’ai eu un bon aperçu de ce qui est au premier plan des pensées critiques en ce qui concerne le genre (bien que ça puisse être un exercice frustrant – par moment j’ai l’impression que les dix dernières années de la fantasy épique ont été virtuellement ignorées, à part quelques superstars. Mais honnêtement, de combien d’articles avons-nous besoin sur Harry Potter et sur la façon dont c’est, de même que n’importe quelle fiction vampirique, une innovation pour le genre ?).
En ce moment tout ceci est au premier plan de mon esprit, alors que je suis encore dans le tourbillon de ladite conférence ; mais normalement je ne pense pas trop à ce genre de questions. Laissez-moi reformuler ça : je ne médite pas trop là-dessus.
L’édition limitée des Jardins de la Lune, publiée par Subterranean Press, était de toute beauté. Avez-vous vu des esquisses des travaux qui vont embellir les pages de l'édition limitée des Portes de la Maison des Morts ? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Je n’ai vu que les toutes premières esquisses. Ça devrait être magnifique.
Est-ce qu’il y a assez d’informations, par-ci par-là dans la série qui permettent aux fans de les regrouper et de savoir, avec une certaine précision, qui est réellement Ben le Vif ?
Non.
Quel était le but de l’histoire des Eres ? Quel est son rapport avec la série ?
Et bien, c’est une intrigue qui n’a pas encore été terminée. Il en fallait bien quelques-unes, non ?
Vous avez mentionné ailleurs que beaucoup des scènes de The Crippled God sont des idées que vous aviez à l’esprit durant toute l’écriture de la série, et j’imagine que les écrire enfin après tout ce temps a dû être à la fois intimidant et incroyablement libérateur. Il y a une chose que je me demande : est-ce que tout s’est passé plus ou moins comme vous l’aviez espéré, ou est-ce qu’il y a eu des surprises pour vous lors de l’écriture ? Y a-t-il eu des choses qui ont finalement changé ?
Ça s’est plus ou moins passé comme je l’avais envisagé, et oui c’était intimidant. Quant à leur effet chez les lecteurs, certains d’entre eux au moins les ont trouvées assez percutantes pour m’écrire et me maudire de les avoir fait pleurer pendant trois cents pages. D’autres, hélas, les ont trouvées trop tièdes. Il n’y a vraiment pas moyen de prédire ces choses. J’ai écrit pour que cela me touche et puis j’ai espéré que ça se passerait bien. C’est tout ce qu’on peut faire.
Pouvez vous expliquer l’origine de la connaissance de Tavore tout au long de la série ?
Olar Ethil est un personnage intriguant, mais ses motivations et ses buts conservent une part de mystère. Est-ce que vous avez pu entrer un peu dans les détails de ses plans dans The Crippled God ?
J’aurais tendance à grouper ces deux questions, car les réponses seront les mêmes. Tout est une question d’interprétation, et dans ce contexte je ne fais plus partie de la conversation. Mon travail est bouclé, aussi frustrant que ça puisse être. Interprétez cela comme vous le voulez. De la même façon que vous ne pouvez pas connaître l’esprit des gens, vous ne pourrez pas connaître complètement et de façon absolue ces deux personnages. Tavore sera toujours un mystère, fermé et caché. Elle est un peu comme la vie d’Alexandre le Grand (c.-à-d. qu’est-ce qu’il fichait dans le nord de l’Inde ? Qu’est-ce qu’il y cherchait ? Est-ce qu’il a bu un truc mortel pendant une séance ésotérique d’un culte de l’Est ? Est-ce que toute la conquête est née des remords qu’il éprouvait suite à la mort de son père – est-ce qu’il était impliqué ? – ou simplement du désir fatal de vouloir faire mieux que son père ? Etc.). Si on avait toutes les réponses à cela, on ne serait de toute façon pas contents. Donc ce que vous demandez ne peut pas avoir et ne trouvera pas de réponse. En ce qui concerne Olar Ethil, c’est la même chose. Elle pourrait être folle, ou pas. Ses motivations étaient peut-être morales, ou pas. Est-ce qu’elle a mérité son sort ? C’est à vous de décider.
Avez-vous déjà écrit une scène pour vous retrouver complètement abasourdi par votre réaction en la relisant ?
Abasourdi ? Je ne crois pas. Écrire implique deux routes, une émotionnelle et une intellectuelle. La seconde permet à la première de prendre forme et de créer son effet en utilisant les mécaniques du langage. C’est comme ça que je le vois en tout cas (au moins aujourd’hui, en ce moment). L’intellect est actif, allant de l’avant, cherchant. Le truc émotionnel c’est ce qui transforme et mélange le tout à partir de ce groupement de mots arrangés comme ça. Je commence peut-être avec un sentiment vague, très vague, une sorte d’issue émotionnelle et cathartique, mais ça ne peut pas trouver corps sans appliquer les mécaniques du langage. Donc c’est impossible, je pense, d’être ébahi par une scène qu’on vient d’écrire. Content, c’est sûr. Satisfait, il faut l’espérer. Impressionné – il est temps de prendre un peu de recul, ou de changer mes initiales pour TG.
Pour moi, l’aspect le plus intéressant de cette série commence maintenant. Elle est finie, et la question de comment elle va vieillir, comment elle va résister aux différentes analyses qui vont en être faites, et de savoir si oui ou non elle va acquérir une vie d’étagère pour de nouveaux lecteurs, tout cela reste à découvrir. Bien sûr ma plus grande peur est qu’elle soit oubliée… sans témoins. Bien sûr j’ai utilisé ce mot à dessein, et ça me rappelle (avec un vague grésillement de… peu importe) cette étiquette sinistre… postmoderne.

Interview originelle
Traduction réalisée par NAK


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