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La parole aux maisons d’édition - place à 2023 !

Par Gillossen, le vendredi 17 mars 2023 à 11:00:00

Argyll éditions - Xavier Dollo et Simon Pinel

Alors que 2022 se termine à peine, quel serait votre premier bilan, à chaud, concernant votre maison ou même la situation globale de l'édition en Imaginaire ?: L’année éditoriale, fut de notre côté très clairement coupée en deux. Entre premier semestre et deuxième semestre. Le recueil de Robert Sheckley, Le Temps des retrouvailles, a eu une très belle mise en place mais ne s’est pas vendu. Un étranger en Olondre, de Sofia Samatar, en avril, a été notre mise en place record, si bien que le livre, dès ses deux premières semaines d’exploitation, a été en rupture sans que l’on puisse réimprimer. Qui plus est, Sofia devait venir en France pour les Imaginales mais a préféré annuler en raison du combo Covid + Guerre en Ukraine. Et, enfin, l’essai de Damon Knight, deuxième volume de la collection « Comment écrire de la fiction », a eu du mal à prendre son envol. Rien n’est figé puisque, concernant Sofia Samatar, les réassorts actuels sont bons et que le titre se maintient à un bon niveau de ventes. Quant à Damon Knight, nous remettons le titre en vente à l’occasion de la réédition de l’essai de Lionel Davoust qui, lui, continue de se vendre très régulièrement. Le deuxième semestre aura été largement meilleur, avec le succès de notre fantasy utopiste Un pays de fantômes (Margaret Killjoy), une œuvre qui se retrouve en coup de cœur un peu partout en librairie, y compris généralistes. Nous avons dépassé les 2000 exemplaires et il est certain que nous devrons réimprimer au cours de l’année. L’autre succès, nous le devons à Camille Leboulanger qui suit la même voie que Margaret Killjoy avec son Eutopia. Si les libraires et critiques ont mis un certain temps à le lire (il est vrai que c’est une brique), le livre est bel et bien lancé sur une trajectoire similaire au Chien du Forgeron (sorti en poche chez J’ai en août), qui reste notre best-seller pour le moment. Petite déception de fin d’année, l’intégrale de L’Oiseau Blanc de la Fraternité de Richard Cowper semble avoir pâti du succès des deux précédents titres. Dommage pour ce classique de la fantasy qui, on l’espère, verra son taux de réassorts grimper en ce début d’année.
Sur la situation de l’édition en Imaginaire, je ne vois pas ce qu’on pourrait en dire, sinon d’aller consulter les statistiques annuelles de l’Observatoire de l’Imaginaire. Je pense que les ventes suivent la courbe générale du reste de la littérature, avec des hauts et des bas, qui sont souvent contextuels (les années d’élections présidentielles, les ventes sont moroses, ça s’est encore vérifié). Hormis cela, pour une deuxième année seulement d’existence, nous ne nous plaignons pas. Le bilan est très positif, nos livres sont suivis et appréciés et nos auteurices sont toustes des gens charmants.

Avez-vous retenu un événement ou une décision particulièrement marquants ? On songe à la flambée du prix du papier, mais il peut s'agir d'autre chose, évidemment.: Oui, c’est certain, la crise du papier affecte tout le monde.
Nos coûts ont largement monté, d’autant que nous continuons d’imprimer en France. Le prix des livres augmente nettement, de 2 à 5 euros quand ils arrivent en librairie. C’est un fait avéré.
Ce n’est pas demain que le livre ne sera plus un produit considéré comme un luxe, on le sait aussi.
Mais le fait marquant de 2022, on ne va pas le cacher, ce n’est pas pour nous le prix du papier mais bien le décès d’Anne Fakhouri. Cette grande autrice, cette grande amie, nous a quittés le 9 novembre après un dur combat contre la maladie. J’avoue que ça nous a tous séchés. Elle avait seulement 48 ans, deux filles, un mari, et un talent fou. Cette perte est irréparable, incompréhensible, injuste. On aimerait rembobiner le temps pour la revoir et l’entendre. De fait, nous n’oublierons jamais cette maudite année 2022.

Quelle place pour la fantasy dans votre programme 2023 ?: C’est une belle année fantasy chez nous. On débute l’année avec une nouvelle autrice, Anouck Faure, dont nous publions le 3 février le premier roman, La Cité diaphane. Je vous invite toutes et tous à découvrir l’histoire de cette cité qu’une malédiction a rendu infréquentable mais que l’archiviste du Royaume, quand débute le roman, vient visiter pour comprendre les raisons de sa chute. Et, je vous l’assure, rien n’est acquis à Roche-Étoile, personne ne peut plus y avoir de certitudes, surtout pas le lecteur qui se retrouve immergé dans cette histoire qui sait prendre, avec subtilité, des chemins tellement inattendus ! Ce manuscrit a été pour nous un véritable coup de foudre, d’abord pour la plume de son autrice, que nous connaissions un peu pour ses illustrations (Folio, Albin Michel, etc.), ensuite pour l’univers mystérieux et bizarre qui y est déployé, et enfin pour ses personnages minutieusement pensés et construits et qui ne cessent de nous surprendre. Un véritable régal. Pour l’occasion de la sortie de son roman, Anouck a réalisé 9 gravures intérieures dignes de Gustave Doré. Nous avons lancé les précommandes, jusqu’au 27 janvier, et on offre un ex-libris signé et numéroté pour l’occasion (avec une superbe licorne noire !). Anouck va très vite devenir, nous en sommes persuadés, une voix importante de nos littératures de l’Imaginaire. Ne ratez donc pas ses débuts !
Je parlais d’Anne Fakhouri dans la question précédente. Il se trouve que nous devions publier son prochain roman et nous le ferons bel et bien en avril. Je ne vous cache pas que nous aimerions que tout le monde lise son magnifique Trois battements, un silence, chef-d’œuvre de l’autrice. Admiratrice de John Crowley autant que de Pierre Dubois, et de féerie en particulier, Anne revisite avec maestria ce thème qui lui était cher, en révisant avec une modernité folle les mythes, d’Orphée à Mélusine. Dans ce roman brillamment écrit et construit, qu’Anne portait depuis des années, on suit Marco, un homme brisé par l’enlèvement de son enfant par des fées. Lui et sa famille, les Délusi, semblent intiment liés, depuis des générations, au monde de la féerie. Marco, retranché dans la vieille maison familiale pense avoir tiré un trait sur son passé, jusqu’au jour où, pour une obscure raison qui va tout déclencher, son fils lui est rendu. Anne n’a pas son pareil pour traiter les personnages, toutes et tous inoubliables, dans leurs beautés comme dans leurs médiocrités, jusqu’un final de toute beauté qui reste gravé dans nos mémoires longtemps, très longtemps. Il faut lire Trois battements, un silence, c’est une fantasy hors-normes, dernier fruit d’une autrice elle-même hors normes. Parallèlement à la sortie grand format du roman, les éditions L’Atalante sortiront la version poche de Narcogenèse, livre miroir de Trois battements, un silence.
En juin, ce sera le tour de quelqu’un que vous connaissez bien ici : Emmanuel Chastellière. Emmanuel est un auteur qui a fait son trou depuis quelques années, un auteur fort talentueux qui s’exprime à divers niveaux de la fantasy ou du fantastique, dans des sous-genres parmi les plus intéressants des dernières années, comme la fantasy à poudre ou le steampunk dans Célestopol. Cette fois-ci, il s’est attaqué à la fantasy historique avec Himilce. Himilce, c’est l’épouse d’Hannibal (pas Lecter, voyons…) restée à Carthage pendant que son époux, lui, s’en va guerroyer. Rien n’est facile pour cette femme dans cette cité où grouillent les intrigues, où la jeune femme doit se faire sa place en respectant ses convictions. Quelque part entre le Boudicca de Jean-Laurent Del Socorro et les romans de Guy Gavriel Kay, Emmanuel nous emporte dans une fantasy peu courante encore, qui à la fois nous dépayse avec un exotisme certain (la période est peu explorée), un worldbuilding passionnant, et des thématiques modernes qui résonnent avec nos problématiques actuelles. Après avoir été décalé plusieurs fois, le roman sort – c’est sûr – avant l’été.
Vous l’avez compris, notre premier semestre est exclusivement dédié à la fantasy. Le deuxième semestre nous apportera quelques titres qui pourraient intéresser les lecteurs d’Elbakin. Un post-apo de Floriane Soulas (Tonnerre après les ruines), un roman de SF anthropologique d’Eleanor Arnason (Women of the iron people, traduit par Patrick Dechesne), un essai de Christophe Lambert sur l’architecture d’un récit, et enfin, un sublime recueil de nouvelles de Christian Léourier, Les Oiseaux d’Argyl.

Enfin, quel sera votre plus grand défi pour cette nouvelle année ?: Achever de pérenniser notre projet. Ouvrir en avril, comme prévu, notre librairie coopérative, L’Astrolabe, dans ses locaux définitifs, à Rennes (Maurepas). Créer enfin ce lieu que nous voulons accessible et rassembleur pour toutes et tous. Faire en sorte que nos auteurices se sentent bien dans leur travail. Prendre quelques vacances de temps en temps sans avoir rien d’autre à penser que d’en profiter.

Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière.