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Interview d’Edouard Brasey pour L’Anneau du Nibelung

Par Gillossen, le mardi 21 octobre 2008 à 17:04:44

Les chants des WalkyriesAlors que la critique des Chants de la Walkyrie, le dernier roman d'Edouard Brasey est encore chaude, nous en avons profité pour l'interviewer. L'auteur revient en particulier sur les raisons qui l'ont poussé à "adapter" cette saga nordique mais également sur ses rapports avec le public et les critiques littéraires.
Savourez donc ces quelques questions !

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L'interview exclusive

Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous frotter à un tel « monument mythologique »?
Oui, l’entreprise semble un peu démesurée, et j’ai attendu des années avant de m’y frotter. La mythologie nordique est très complexe, et la Tétralogie de Wagner – qui est l’une des mes sources d’inspiration, mais pas la seule – est à elle seule un monument un peu « intouchable » de l’opéra, l’ »oeuvre d’art totale »… Ce qui m’a poussé à prendre ce risque, c’est d’une part le fait que je suis « tombé dans la marmite » de L’Anneau du Nibelung il y a plus de trente ans – j’ai notamment assisté au fameux Ring du centenaire de Bayreuth de Pierre Boulez et Patriche Chéreau en 1976 ; le soir je campais dans un jardin public et mangeait des patates à l’eau – ; et d’autre part la conviction que ces légendes et mythologies représentaient un fabuleux vivier d’inspiration pour des romans de fantasy. N’ayant jamais lu de tels romans, adaptés directement de ces mythologies, je me suis décidé à les écrire.
Vous avez effectué de nombreuses recherches avant de vous lancer (Il suffit de jeter un œil à vos sources en fin d’ouvrage). N’avez-vous jamais été pris de doutes devant l’ampleur de la tâche ?
Oui, bien sûr ! En dehors des livrets des opéras de Wagner, j’ai épluché les différents livres de l’Edda nordique, et des récits rédigés entre les VIIIe et XIVe siècles tels que La saga des Wälsun, La chanson des Nibelungen, Siegfried à la peau de corne, etc. Dans un premier temps j’ai voulu demeurer le plus possible fidèle à ces sources, mais cela m’a paru impossible et inutile, car en fonction des époques où ils ont été écrits, ces récits se contredisent souvent. Alors, après les avoir lus, digérés et intégrés, j’ai prix de la distance et me suis lancé dans l’écriture « romanesque », en partant à la découverte de mes personnages et de leur histoire. Odin, Loki, Brunehilde… J’ai eu très peur qu’ils ne soient pas présents au rendez-vous que je leur avais fixé. Mais ils sont venus, et mon raconté leurs aventures à l’oreille. Je n’ai eu qu’à les transcrire…
Quel est selon vous le « quelque chose » que ces romans ont à transmettre aux lecteurs d’aujourd’hui ?
Ce qui distingue les dieux de la mythologie nordique, c’est qu’ils ne sont pas immortels. Leur fin est liée au Ragnarök, au crépuscule des dieux. Ceci les rend fragiles, touchants. Les héros humains, en revanche, n’ont pas peur de la mort, car ils ont l’assurance, s’ils meurent noblement et avec courage, de se rendre au Walhalla, le paradis des élus, où les conduiront les belles Walkyries. J’aime ce panache des héros nordiques. Ce qui m’a intéressé aussi, et me semble très actuel, c’est le rôle et la place des femmes. Brunehilde, la Walkyrie qui « chante » les aventures de ce premier tome, est une divinité qui choisit de devenir simple mortelle. Elle choisit le monde des hommes de préférence à celui des dieux ! Cet amour inconditionnel pour la condition humaine et sa noblesse me semble plus que jamais d’actualité, dans notre monde où les hommes sont réifiés et manipulés, et où l’on cherche parfois le sens de la vie sans le trouver…
Parmi tous ces nombreux personnages à hanter ces pages, y en a-t-il un qui vous fascine plus que les autres ?
Loki, le génie rusé du feu : c’est un peu le Satan nordique. Séducteur, ambigu, androgyne, il tire les ficelles du drame… Et Odin, le dieu suprême qui se révèle faible, infidèle, contradictoire. Odin et Loki sont liés par une sorte de fatalité étrange, qui en font des êtres mystérieux et en même temps terriblement humains. En même temps, il s’agit peut-être de la même entité présentée sous deux jours différents : le dieu de lumière et sa part d’ombre. Mais le dieu de lumière est lui-même souvent obscur, et son « ombre » est composée de feu ! Ces paradoxes me passionnent…
Le Centre national du livre vous a apporté son soutien pour ce roman. Est-ce à dire que monter un tel projet sans une telle aide aurait été impossible ?
Disons que cette aide a beaucoup aidé les choses. D’un point de vue financier, d’abord, car cette aide à la création m’a permis de me consacrer complètement à l’écriture du premier tome. Mais cette aide a surtout été pour moi un signe de reconnaissance par mes pairs. Les auteurs, critiques littéraires, libraires, etc. qui m’ont accordé cette bourse ont lu mon projet et l’ont adopté de manière enthousiaste. Cela a été pour moi un encouragement très fort.
Une question plus courte : pourquoi Belfond ? Cet éditeur a en tout cas réalisé de grands efforts avec la mise en ligne d’un site officiel particulièrement complet et réussi consacré à votre tétralogie !
Je publie depuis plusieurs années mes livres de « fantasy illustrée » comme La Petite Encyclopédie du merveilleux au Pré aux Clercs, qui fait partie du même groupe éditorial que Belfond, au sein de Place des éditeurs. De cette manière la stratégie éditoriale est facilitée entre mes deux éditeurs. Et puis la directrice littéraire de Belfond français, Geneviève Perrin, a accueilli avec enthousiasme mon projet. Or, l’enthousiasme d’un éditeur est aussi nécessaire à la bonne réalisation d’un livre que celui de l’auteur. L’idée de réaliser un site officiel autour de la série de La Malédiction de l’anneau, avec extraits de textes, extraits audio et vidéo, carte des neuf mondes, arbre généalogique, etc., est également un joli cadeau offert par le département publicité et communication web de Place des éditeurs, dirigé par Anne Chamaillard qui a « chapeauté » avec intelligence et goût ce site. Un remerciement aussi à Pierre Nageli, qui a dessiné la carte des neuf mondes, et à Olivier Borde et Sébastien Renault, qui ont mis en ondes et musique un extrait du texte que j’ai enregistré…
De fait, ressentez-vous une certaine pression, une certaine attente ? Êtes-vous satisfait des premiers retours ?
Oui, je ne peux m’empêcher de ressentir une pression, une attente, un espoir ! Une tétralogie, quatre gros romans publiés entre 2008 et 2010, représente un gros investissement pour l’auteur comme pour l’éditeur. Mais il faut que les lecteurs suivent, adhèrent à ce projet, lisent les livres, en parlent autour d’eux ! Le relais que vous me permettez d’avoir auprès d’eux est essentiel… Quant aux retours, j’ai pour l’instant celui de lecteurs fidèles qui se sont procurés mon livre dès sa sortie et l’ont lus en un week-end. Certains l’ont déjà relus une deuxième fois, pour mieux s’en imprégner ! Comme ils ont aimé, ils en parlent autour d’eux, à leurs amis, sur les forums… Le bouche à oreilles se met en place. Et les signes de reconnaissance : comme dans le roman, ses lecteurs se saluent en levant la main, index et auriculaires dressés, les autres doigts repliés, en lançant un joyeux : « Gloire à Odin ! » C’est un clin d’œil aux gothiques, en leur rappelant l’origine nordique de ce salut utilisé par les amateurs de metal
Vous êtes un spécialiste reconnu des contes et des légendes. Mais lisez-vous beaucoup de fantasy récente, que ce soient des pointures du genre ou des auteurs plus confidentiels ?
Eh bien, j’avoue que j’en lis peu, par manque de temps. Mais j’ai beaucoup aimé le ton décalé et les qualités d’écritures de romanciers français tels que Pierre Pevel ou Georges Foveau. Sire Cedric aussi, d’ailleurs nous allons publier un roman de lui en mars prochain au Pré aux Clercs, pour lequel j’ai été directeur de collection.
Quel est votre avis sur l’évolution du marché français, qui s’est beaucoup développé ces dernières années ?
Je pense que les auteurs français – et les éditeurs qui les publient - ont tout à gagner à se distinguer de leurs homologues anglo-saxons. Il y en a assez des resucées et des imitations du Seigneur des anneaux ou de Harry Potter ! Je trouve que la Fantasy à la française devrait se développer autour de thèmes tels que l’uchronie (comme le font avec brio Piere Pevel ou Pierre Bordage), le merveilleux (nous attendons un nouveau Barjavel) ou le fantastique (Sire Cédric).
Vous disposez d’un site officiel, ce qui n’est pas encore le cas d’une majorité d’auteurs, vous tenez également un blog.
Quelle place occupe internet pour vous, quant à la visibilité de vos ouvrages ?
Je ne suis pas trop calé en informatique, et hélas mon site personnel n’a pas été remis à jour depuis deux ans ! En revanche je tiens régulièrement le blog que m’a « offert » mon éditeur – encore un cadeau d’Anne Chamaillard – et je suis surpris et touché des lecteurs qui le lisent et apportent leurs commentaires ! C’est une façon de garder le lien…
Avec une carrière comme la vôtre, êtes-vous encore sensible aux critiques de vos ouvrages, ou cherchez-vous avant tout à vous faire plaisir ?
Je mentirais si je disais que je suis insensible aux critiques de mes livres… L’an passé, un critique, par ailleurs auteur et directeur de collection, a publié sur un site internet de fantasy une critique d’un ouvrage de contes que j’avais publié, L’Amour courtois et autres contes ; une critique assez blessante et injuste. J’avoue avoir été peiné, d’autant plus que j’avais côtoyé à de multiples reprises l’auteur de cette critique négative. Je n’attends pas forcément des éloges, attention ! Et certaines critiques sont constructives ! Mais casser pour casser, c’est méchant et inutile. Je crois que tous les auteurs sont pareils, ils ont besoin d’être encouragés, pas démolis. J’ai moi même été jadis journaliste littéraire pour le magazine Lire, et j’ai eu l’occasion ainsi d’approcher et d’interviewer des « grands », tels qu’Anthony Burgess, l’auteur d’Orange mécanique. Il était aussi sensible aux critiques, bonnes ou mauvaises, que s’il avait été un débutant. Je ne m’estime pas plus sage que lui.
Qu'appréciez-vous le plus d'ailleurs dans l'écriture, plus particulièrement de romans comme c’est le cas avec Les Chants de la Walkyrie ?
J’aime l’idée que l’histoire que j’écris existe déjà, quelque part, dans une sorte de grande bibliothèque fabuleuse : l’Akasha, la bibliothèque de Babylone de Borgès, la prison d’air de Merlin… La seule chose que j’ai à faire est de trouver la clé de cette bibliothèque, et de choisir le bon livre, ou plus exactement d’être choisi par lui – comme les chats que l’on adopte ; en réalité ce sont eux qui adoptent leurs maîtres. Je ne suis plus ensuite qu’un passeur, un scribe, un messager. Messager se dit angelos en grec : ange. Un écrivain, c’est un ange, un messager. Un facteur porteur de nouvelles venues d’un autre monde. L’inverse de l’ange, c’est le fantôme, celui qui enterre les secrets, les emportent avec lui dans la tombe. J’ai choisi d’être ange plutôt que fantôme… Nous avons tous ce choix à faire, quoi que nous soyons dans la vie…
Vous participez à de nombreux festivals. Cette semaine encore, par exemple, vous êtes à Saint-Étienne. Quelle est l’importance du contact avec le public à vos yeux ?
C’est essentiel ! Chaque salon du livre, se reproduisant chaque année dans la même ville à la même époque – comme Fuveau, Nancy, Saint-Etienne, Brive ou Epinal, auxquels je suis fidèle – permet de revoir les mêmes lecteurs fidèles, qui reviennent vous rendre visite chaque année, et de faire la connaissance avec des lecteurs nouveaux.
Conteur, auteur, voyageur, comédien… La facette auteur domine-t-elle votre actualité ou vous sentez-vous toujours tout cela à la fois ?
Je suis et j’ai toujours été avant tout auteur. Mais j’aime aussi utiliser la voix, la scène… C’est une autre façon d’exprimer cet « autre monde » qui m’est cher. On parle d’ailleurs, pour le conte, de « littérature orale » !
En tant que directeur des collections fantasy au Pré aux Clercs, est-ce que l’aspect éditorial de votre travail influe sur l’auteur que vous êtes ? Du fait d’être des deux côtés de la barrière, auteur et éditeur, etc…
Lorsque je rencontre un auteur plus apte que moi à écrire un ouvrage, je lui donne la priorité, me contentant d’être son directeur de collection. C’est ainsi que j’ai proposé au Pré aux clercs une Encyclopédie des elfes d’Edouard Kloszko, qui étudie depuis vingt ans les langues elfiques chez Tolkien ! J’aurais bien été tenté par le sujet, mais pourquoi faire en moins bien ce qu’un spécialiste fera de façon impeccable ? Le livre sort le 13 novembre, et je lui souhaite un grand succès, à lui et son auteur…
Côté lectures, quel est le dernier roman, ou plus généralement ouvrage, à vous avoir véritablement enchanté ?
En fantasy française, je citerai Les Enchantements d’Ambremer de Pierre Pevel et Harmelinde et Deirdre de Nicolas Cluzeau. J’aime ce mélange d’humour, d’uchronie et e mystères à la Gaston Leroux ou Maurice Leblanc. Sinon, dans les auteurs français du siècle dernier, j’ai redécouvert Anatole France, un auteur fin et drôle, aux récits remplis de merveilleux, injustement oublié aujourd’hui. Notamment La Rôtisserie de la reine Pédauque.
Pouvez-vous déjà nous dire deux mots de votre actualité des mois à venir, que ce soit en tant qu’auteur avec Le Sommeil du dragon ou bien comme directeur de collection ? Le Pré aux Clercs va-t-il continuer sur sa lancée très dynamique des derniers mois ?
Je suis en pleine rédaction du second tome de ma tétralogie, Le Sommeil du dragon, qui raconte l’initiation de Siegfried et sa confrontation avec le dragon. J’ai choisi, pour une fois, d’adopter le point de vue de l’ennemi, qui est aussi le perdant : le dragon ! C’est lui qui raconte l’histoire. Il sait parfaitement que Siegried va le tuer. Il le sait, et il l’accepte et l’attend. Car les dragons ne sont pas uniquement des bêtes cracheuses de feu. Les dragons sont de vieux sages, qui vivaient bien avant les hommes. Côté Pré aux Clercs, je vais publier le 13 novembre une Encyclopédie du légendaire consacrée aux trésors et objets magiques, illustrée par Sandrine Gestin et Didier Graffet. Il y aura aussi l’Encyclopédie des elfes de Kloszko dont j’ai parlé. Au printemps, nous allons lancer une nouvelle collection de traités ésotériques anciens, dont je vais m’occuper, avec un Traité de vampirologie du au celèbre Docteur Vahn Helsing, et un Traité de Faerie datant de 1466, rédigé par Ismaël Mérindol, un authentique changelin fils de fée ! Il y aura aussi le roman de Sire Cédric, qui sera un véritable thriller gothique. Le Pré aux Clercs va poursuivre sa politique d’édition dynamique et même monter en puissance, sous l’impulsion de sa nouvelle directrice, Carola Strang, et de sa directrice littéraire, Isabelle Lerein.
Et pour conclure, auriez-vous un petit mot à transmettre à nos visiteurs ?
Oui, rêvez ! Rêvez ! Rêvez encore et toujours. Car comme le dit si bien mon maître à penser, Ismaël Mérindol : « Rien n’existe qui n’ait au préalable été rêvé. » Gloire à Odin !

Interview réalisée par Emmanuel Chastellière


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