Vous êtes ici : Page d'accueil > Interview > Interview traduite

Nouvel entretien avec David Anthony Durham !

Par Darkfriend, le mardi 11 septembre 2007 à 13:32:17

Eh oui, encore !
En attendant toujours des nouvelles de sa plus que probable publication en français, un de ces jours, nous avons décidé de vous proposer une nouvelle interview de l'auteur, intégralement traduite pour vous.
Sur ce, avec une concision identique à celle caractérisant notre édito du jour, nous n'allons pas vous retenir plus longtemps, bonne lecture !

L'interview proprement dite

Sans trahir quoi que ce soit, que pouvez-vous dire à des lecteurs potentiels au sujet de Acacia : The War with the Mein ?

Ce « sans trahir quoi que ce soit » m'est justement présent à l'esprit, maintenant. J'ai d'ailleurs à rédiger une critique d'une page entière pour Entertainment Weekly. Cela m'excite, mais je dois admettre qu'elle trahit plusieurs éléments capitaux de l'histoire, jusqu'à la fin du livre. Cela m'a rendu de plus en plus conscient de ce que je dis, lorsque j'en parle. Mais retournons à ce qui nous intéresse... .

Ce que j'espère, c'est que Acacia sera, pour les lecteurs, de la fantasy mature qui se lit un peu comme un récit épique, historique mais dont le lieu est un monde imaginaire et contenant des éléments du genre comme la magie, d'anciennes malédictions, des combats avec des pouvoirs massifs, et même quelques duels avec des bêtes monstrueuses. J'aimerais penser qu'il peut se lire comme une aventure qui suivrait les destinées de quatre frères et sœurs de sang royal, qui se retrouvent ballottés dans un bouleversement majeur. J'espère aussi que les lecteurs vont le trouver bourré de thèmes et de problèmes liés au monde réel, un mélange complexe d'histoire et de politique, trahisons, vengeance et (occasionnellement) de rédemption. J'espère que ma perspective – en tant qu'écrivain de romans historiques, et de personne de couleur ayant vécu à l'étranger – imprègne passablement le roman, aussi. Acacia n'est pas une histoire transparente de bien contre le mal. Il s'agit d'un monde multi-culturel rempli d'une quantité d'acteurs qui ont tous des griefs/désirs/espoirs légitimes. De plusieurs façons, je suis un supporter des « méchants » tout comme des « bons », et j'espère que les lecteurs vont le ressentir de manière similaire. En plus, j'aimerais que les gens sachent que ce roman est bel et bien structuré par un arc narratif complet. Toutes les intrigues les plus importantes aboutissent à une forme de conclusion à la fin du livre. Oui, il y a deux livres supplémentaires qui sont en cours de réalisation, mais les lecteurs n'ont pas besoin de lire tous les trois pour se sentir satisfaits. Bien sûr, j'espère qu'ils iront jusqu'à la fin d'Acacia et voudront en lire plus. Mais je promets qu'ils ne seront pas obligés.

Qu'est-ce que les lecteurs peuvent attendre des livres suivants ? Avez-vous déjà un titre opérationnel pour le second volume ? Quel est l'état d'avancement ? Quelle date de publication annoncez-vous ?

J'ai bel et bien un titre opérationnel, même si je ne l'ai pas tellement fait savoir. Dans ma tête, il s'appellerait Acacia : The Other Lands. Alors que le premier volume traite des guerres entre les Akarans et les Meins, le second volume s'ouvre sur une histoire plus large. C'est au sujet de ce qui arrive lorsque les dirigeants du Monde Connu – « Known World » – (du premier livre) prennent contact avec la puissance qui réside au-delà de l'océan – le peuple avec lequel ils commerçaient depuis des années au travers d'intermédiaires. Il suffit de dire qu'établir ce contact se révèle être une erreur, et nos héros (et même les vilains) se retrouvent dans un combat d'une dimension plus large encore que The War with the Mein.

Concernant un rapport sur l'état d'avancement ? Disons simplement qu'il le livre en est encore à ses premiers jours. Rappelez-vous que j'ai bel et bien un travail fixe. Je sors d'ailleurs d'une année d'enseignement chargée, mais l'année prochaine j'aurai un nouveau travail qui devrait me permettre d'obtenir un horaire pour écrire à plein temps. Quoi qu'il arrive, mon contrat stipule la livraison du livre à Doubleday en mai prochain. C'est ce que je projette, ce qui signifie que la publication sera pour l'été 2009.

Quelle a été en fait l'étincelle qui a déclenché l'idée de l'écriture d'Acacia : The War with the Mein ?

Avant que j'en vienne à l'étincelle, j'ai passé pas mal de temps à collecter le bois d'allumage. Il y a longtemps, j'ai dit à mon premier éditeur que je voulais écrire un jour de la fantasy. Le genre a été si important pour moi comme jeune lecteur, et en étant un écrivain adulte, j'ai senti qu'il le genre offrait un potentiel magnifique pour explorer des thèmes substantiels tout en bénéficiant de grandes envolées d'imagination. Je pense depuis très longtemps que la fiction littéraire manque cruellement à la bonne vieille façon de raconter des histoires. Et j'étais un écrivain littéraire. (J'en suis toujours un, d'une certaine manière). Je me suis formé comme écrivain à l'université et via un système MFA ( ?), et mes deux premiers romans non publiés sont définitivement « littéraires ». Mais dès que je terminai mon MFA, je commençai à sentir l'envie de simplement raconter à nouveau de bonnes histoires. J'espère que mes trois premiers romans historiques l'étaient réellement, et je pense que c'est en grande partie pourquoi ils ont été publiés et lus (contrairement à ces deux premiers romans non publiés). J'ai eu du plaisir dans la fiction historique, mais à travers toutes ces années je n'ai jamais oublié ce que la fantasy pouvait signifier pour moi.

Pour ce qui concerne l'étincelle qui a allumé ce bois d'allumage... d'une certaine manière, c'était le SDA de Peter Jackson. J'ai adoré ces films à plusieurs titres. Mes enfants aussi, et avec eux, j'ai regardé les films un nombre incalculable de fois. Donc je suis un grand fan. Mais... je souhaitais réellement pouvoir voir et lire plus de fantasy qui soit un reflet de la diversité culturelle humaine actuelle. Ce qui m'a perturbé, c'est que la seule évocation de personnes de couleur dans les films survient sous la forme d'hordes sans visages et importées en vue de se battre pour Sauron. Il s'agit de tels films épiques, mais je doute que j'aie vu une histoire avec autant d'heures dans laquelle aucune personne de couleur n'a la moindre ligne de dialogue qui ne soit signifiante. Cela me rappela à quel point je voulais écrire ma propre épopée, une dans laquelle les gens de couleur ne seraient pas complètement « l'autre » et un monde dans tout ce qui est blanc ne serait pas nécessairement bon et dans lequel toutes les tout ce qui est noir ne serait pas nécessairement mauvais.

Quelles recherches d'importance, s'il y en a eu, ont été exigés durant l'écriture d'Acacia : The War with the Mein ?

Beaucoup plus que vous ne pensez, étant donné que tout a été inventé ! Dès le départ, j'ai voulu m'inspirer de la complexité de notre monde réel afin que le Monde Connu donne une impression d'authenticité. Donc, je me suis servi de mythologies : de la Grèce antique, norvégienne, et du Moyen Orient. Je me suis aussi inspiré de l'Histoire : l'ascension et la chute de diverses dynasties, le commerce des esclaves à travers l'Atlantique, la consommation de l'opium chinois. Et j'ai repris des éléments du monde moderne : la guerre biologique, des alliances tendues avec des « amis et alliés » sans scrupules, monopoles sur le commerce mondial. Durant une année environ, je me suis vraiment soucié de couvrir toutes les bases que je pouvais faire en terme de construction d'un monde (« worldbuilding »). Cependant, après cela, je me suis relâché. Le Monde Connu était alors devenu mon monde, et je me sentais plus à l'aise et j'ai fait confiance à mon propre instinct pour continuer à le bâtir. Il en est ressorti un énorme mélange. L'Epopée de Gilgamesh a inspiré en partie la tonalité du culte de Maeben dont Mena est une prêtresse, mais celui-ci est placé sur une île qui est en partie maori, en partie indienne, avec une petite communauté rurale japonaise très fermée. C'est vraiment mélangé, mais c'est ce que j'ai adoré lorsque j'ai écrit cela. Je pouvais prendre et choisir des pans de notre propre monde et les réinsérer dans des situations différentes et créer ou changer ce que je voulais. C'était vraiment amusant.

Avec le succès de Pride of Carthage, pour parler sous un angle professionnel, enchaîner avec un roman de fantasy épique comme celui-ci, est quelque peu un pari. En tant qu'auteur acclamé par les critiques, pourquoi prendre ce risque ? Je sais que vous êtes un fan de fantasy, mais pourquoi agir ainsi à cette étape de votre carrière ?

Je ne suis pas exactement réputé pour ma capacité à faire de bonnes décisions. Qui sait ? Il se pourrait qu'il s'agisse d'une lamentable erreur. Si c'est le cas, ce sera une que j'ai faite droit du cœur. Tous mes livres m'ont séduit, nonobstant la question de savoir si ils étaient de véritables bonnes idées. Gabriel's Story était un Western Noir – pas spécialement vendeur, d'autant plus que c'est aussi un roman littéraire qui nécessite d'atteindre une audience littéraire grand public. Walk Through Darkness est le récit d'un esclave en fuite – et qui a fait long feu, comme il se trouve que les romans impliquant des esclaves ont du succès à peu près tous les dix ans, dans le pays. Pride of Carthage était un roman de guerre antique. Celui-là, au moins a atteint un marché fort, avec des auteurs populaires comme Steven Pressfield, Conn Igguldan et Bernard Cornwell qui ont eu du succès avec des thèmes proches. Le problème, c'est que mon roman de guerre est en fin de compte un roman anti-guerre dans lequel l'héroïsme des personnages est sapée par la réalité que chacun souffre plus qu'il ne gagne dans cette histoire. Cela ne correspond pas exactement au public-cible de tels livres. Mais avec chacun de ces livres, l'histoire et les personnages me « rentraient dans la peau », et ils semblaient être les plus importantes, les plus stimulantes histoires que je pouvais raconter.

Acacia, eh bien, laissez-moi dire ceci... Je n'ai pas considéré comme acquis que je pourrais être capable d'écrire des livres longs comme je le voulais. La vie ne fonctionne pas ainsi. J'ai balancé le livre à mon éditeur en disant, sincèrement, que si je ne pouvais écrire plus qu'un seul livre, ce serait Acacia. J'espère qu'il y en a bien d'autres à venir, mais je ne voulais pas présumer que je pouvais le travailler juste durant mes moments de liberté. Pourquoi Acacia ? Parce que je me rappelais mon amour pour l'épique, des histoires avec beaucoup d'imagination, et parce que j'ai basé la structure familiale fondamentale des Akarans sur la base de la famille de ma femme, et parce que je croyais qu'un monde de fantasy avait un grand potentiel pour me permettre d'explorer des thèmes du monde réel de manière créative, et parce que je voulais honorer le fait que la fantasy m'a amené (ainsi qu'à tant d'autres) à la lecture et que pour cela elle mérite l'opportunité, au moins, de gagner le respect du grand public, et parce que c'était le premier de mes romans dont je pouvais discuter avec mes enfants. Je pouvais parler à mon fils au sujet d'Aliver se battant contre les créatures Antok, et parler avec ma fille au sujet de Mena, qui devient une princesse maniant l'épée, et qui va au combat avec un dieu ailé... ..J'ai adoré cela. Pour toutes ces raisons, cela en valait la peine, pour moi.

Avez-vous une approche différente, quand il s'agit d'écrire de la fantasy épique ou des romans historiques ?

Non, pas vraiment. Je dois tout créer, en fantasy, mais dans tous les romans historiques, vous devez également beaucoup inventer. Vous pouvez bien avoir un cadre général avec des faits acceptés par tous, mais cela ne fait pas en soi un roman. Les choses qui rendent les faits vivants, ce sont les nombreux détails narratifs du récit. Il en est de même dans la fantasy. Je dois construire l'arrière-plan historique, mais aussitôt qu'il est en place, je dois y insérer des personnages crédibles et les laisser trouver leur voie dans ce cadre. Ainsi, Imco Vaca, le fantassin de Pride of Carthage n'est pas si différent de Leeka Alain, un officier de la Garde Nordique. Hannibal et ses frères ne sont pas non plus différents d'Aliver et ses frères et sœurs, ou Hanish et ses frères, pour ce qui les concerne...

De plus en plus d'auteurs qui ne sont pas connus pour écrire de la fantasy et de la science-fiction se lancent dans le(s) genre(s) avec des succès variables. Lecteurs de fantasy, comme tous les lecteurs bien informés, pourraient être réticents lorsqu'un écrivain « du dehors » du genre essaie de se lancer dans leur genre (fantasy). Etait/est-ce quelque chose auquel vous avez songé lorsque vous avez décidé d'écrire Acacia : The War with the Mein ? Avez-vous le sentiment que vous devez vous « prouver » à nouveau, cette fois-ci à des fans d'un genre différent ?

Oui et oui. J'ai entendu un peu de ce scepticisme dans des critiques qui démarrent assez honnêtement en disant qu'ils abordaient le livre avec « un certain scepticisme », mais jusqu'à maintenant cela a été suivi d'un « mais j'ai été agréablement surpris », et alors ils continuent à parler au sujet du livre et m'acceptent dans le genre. Cela, de mon point de vue, est brillant. Tout ce que je peux espérer, c'est que les lecteurs viendront au livre – même avec des réticences – et lui laisseront une chance. Je voudrais leur faire savoir que je suis sérieux dans ce genre, et que j'avais l'intention d'y écrire plus. Dans les premiers jours de la création de ce projet, je voulais croire que les lecteurs de fantasy seraient plus ouverts que les lecteurs de littérature. J'ai lu plus d'un lecteur de fantasy disant qu'il n'était pas heureux avec les séries épiques boursouflées qu'il était en train de lire. Je les ai entendu réclamer plus de qualité de la part de leurs auteurs favoris, et de nouvelles idées/approches dans le genre en général. Je les ai pris au mot, et j'espère toujours qu'ils trouveront que mon œuvre offre quelques uns des qualités qu'ils recherchaient – avec en sus quelques éléments que j'ai insérés en plus.

Vous bénéficiez de l'impressionnante machine de PR (Public Relations) de Doubleday pour contribuer à la promotion de ce livre, ce qui est quelque chose dont rares sont les auteurs du genres qui en bénéficient. Etant donné cela, avez-vous l'impression que les attentes d'un bon résultat d'Acacia : The War with the Mein sont plus élevées par rapport à ce qu'elles devraient être pour un débutant ?

Ce que je ressens par rapport à ma maison d'édition est ce que j'ai toujours ressenti envers eux. Ils adorent ce livre comme ils ont adoré mes autres livres. Je sais Doubleday capable de promouvoir les plus grands auteurs de la planète – pensez par exemple à Dan Brown et John Grisham – mais je les ai aussi découverts équilibrés et conscients des limites existantes. Ils font le meilleur travail qu'ils peuvent faire en vue d'attacher le livre aux lecteurs, et ensuite ils reconnaissant que la magie qui fait que cela fonctionne n'est pas entièrement en leurs mains. Je ne pense pas que quiconque chez Doubleday ait supposé que ce serait facile de me propulser dans ce marché. Ils savent que ce serait un défi, mais ils ont senti que c'était un défi qui en valait la peine.

Allez-vous effectuer des tournées cet été pour promouvoir le livre ? Si oui, y a-t-il des dates fermes qui ont déjà été confirmées?

Pour la première fois, je ne vais pas faire de tournées ! Auparavant, j'ai toujours eu des tournées nationales, mais cette fois Doubleday voulait dépenser l'argent de la tournée pour autre chose. Je les soutiens totalement. J'ai eu – et je pense que la vaste majorité des auteurs l'ont – des sentiments mêlés vis-à-vis des tournées. Certains événements sont formidables, mais parfois cela ressemble seulement à un gaspillage d'argent colossal. Je préfère d'abord me construire un public, et ensuite effectuer des tournées lorsque je saurai qu'il y aura des gens qui sortiront pour me voir.

En écrivant Acacia : The War with the Mein, quels sont les éléments les plus forts de nos histoires qui vous sont passés à l'esprit durant l'écriture et durant la mise au propre des brouillons?

Oh, les éléments de notre monde qui affectent le Monde Connu sont nombreux et variés, et ils sont également si mélangés que cela en rend inopérantes les comparaisons les plus directes. Il y a dedans un peu de l'Europe féodale, aussi bien que de l'Afrique tribale, et de la Chine impériale. Il contient des éléments du commerce des esclaves à travers l'Atlatique, de la mondialisation moderne, la sous-traitance de forces militaires. Je voulais juste créer un monde comme le notre, mais où les repères habituels auraient disparu, où moi – et les lecteurs – pourrions explorer des thèmes qui se joueraient dans un mode à la fois familier et non familier, et qui dépendent du puzzle d'un nouveau monde.

Un détail du livre qui m'a vraiment frappée était la puissance du mythe. Au début, les personnages semblent considérer les histoires mythiques depuis un point de vue externe, et à la fin, le lecteur était en train d'observer le mythe de la famille Akaran. Etait-ce une dichotomie que vous avez posée en vue de l'élaborer, ou bien était-ce quelque chose qui s'est développée lors de l'écriture de la narration ?

Super. J'adore la manière dont vous avez dit cela « observer le mythe de la famille Akaran ». J'étais réellement intéressé par cette dynamique. Je ne pense pas que cela trahit trop de dire que l'Empire Acacien possède une mythologie touffue qui expliquerait qui ils sont, ce qui justifierait leur statut et a l'intention de fonder leur morale. Le truc, c'est que, comme nous en apprenons plus sur eux, nous voyons ces mythes contestés. Certains faits historiques ont été altérés. D'autres sont des mensonges purs et simples. D'autres sont des croyances religieuses difficiles à identifier ou à croire. Et certaines ont pu tout simplement être perdues dans la traduction à un moment donné...

Ce que j'adore, c'est que les enfants Akarans sont dans l'obligation de découvrir cela par eux-même, et doivent tenter de trouver un sens de certaines choses lorsque leur Histoire et leur mythologie – et leur propre identité – est révélée comme étant quelque chose de différent par rapport à ce qu'ils avaient appris. Mais en même temps, ils sont en train de créer de nouveaux mythes avec leurs actions. Ils affrontent des défis incroyables et s'élèvent dans des positions que les générations futures pourraient immortaliser. Mais combien de ce que nous observons va-t-il survivre de manière fidèle pour ces futures générations ? Cela ne dépend-t-il pas de qui détient le pouvoir, n'est-ce pas ? J'adore avoir ce genre de choses qui baigne dans le mélange des thèmes du roman.

La première section d'Acacia : The War with the Mein se déroule plusieurs années avant les deux sections suivantes, et est spécifiquement contrastée avec la différence d'âge entre les enfants Akaran durant ces deux périodes de temps. Comment avez-vous décidé cela pour votre introduction à la trilogie ? Cela a dû être compliqué à mettre en place.

C'est le résultat après avoir fait des choix – quelque chose que, nous auteurs, faisons tout le temps – afin de traiter avec l'arc narratif global du livre en un seul volume. Je savais où l'histoire débutait et je savais où elle finissait, mais je sentais aussi que pour tout faire en un seul livre, je devais éviter de me disperser. La scène initiale est nécessaire pour ce qui survient après, mais une fois que les enfants sont éparpillés aux quatre coins du monde, je sentis qu'il était temps d'aller à l'essentiel de ce qu'ils étaient sur le point de faire au sujet de la main du destin (ça c'est moi) qui les avait traités ainsi. Cela impliquait de faire de nombreuses coupes dans le texte. Il y a des scènes dans ma tête au sujet de ces années intermédiaires que les autres ne liront jamais. Mais c'est toujours le cas. Pour tous mes livres, j'écrit bien plus de matériel que ce que j'emploie en réalité. Beaucoup de passages coupés m'étaient chers, mais ainsi soit-il. Je pense que le roman monte à un cran supérieur lorsqu'il transite dans la seconde partie, et c'est une bonne chose.

En dépit d'être passablement répandues dans notre société, les drogues sont rarement, si ce n'est jamais, évoquées dans le cadre de la fantasy. Qu'est-ce qui vous a inspiré pour ce qui est de l'emploi/abus de drogues endémiques dans la société Acacienne ?

« Les drogues sont rarement, si ce n'est jamais, évoquées dans le cadre de la fantasy ». C'est suffisant pour m'inspirer immédiatement ! Pourquoi pas ? Les drogues ont joué un rôle dans maintes sociétés dans le monde. C'est un problème endémique sur plusieurs plans, et qui ont eu une responsabilité dans la destruction de communautés, en contrôlant le travail, en amenant à l'incarcération de millions de personnes... Pourquoi une chose qui fasse tellement partie de notre monde ne devrait-elle jamais apparaître dans nos mondes imaginés ?

Je devine que vous pourriez argumenter en disant que nombreux sont ceux qui lisent de la fantasy en vue de s'évader de ce monde et de vivre dans un lieu sans quelques uns de nos problèmes les plus fondamentaux. Ce n'est pas exactement ce que j'ai offert dans Acacia. Très tôt, il était clair pour moi que l'arrière-fond de ce monde était tissé par un accord commercial conclu entre les anciens Acaciens et le peuple d'un continent qui leur sont séparés par un océan. C'est un accord qui a réellement vendu l'âme de l'empire directement lors de son fondement. La drogue – qui est appellée « le brouillard » dans le roman – fait partie de cet accord pour plusieurs raisons.

Un aspect d'Acacia : The War with the Mein qui est malheureusement inhabituel dans le genre de la fantasy, c'est le fait que les personnages principaux bénéficient d'un temps égal et sont également travaillés, qu'ils soient hommes ou femmes. Trop souvent, la fantasy sert, que ce soit conscient ou inconscient, à renforcer des stéréotypes sexuels. Votre approche était-elle une subversion délibérée de cette regrettable norme ? Quel est votre avis au sujet des relations hommes/femmes dans le genre de la fantasy ?

Je pense que le sort des femmes est expédié dans de nombreux genres littéraires. Pourtant, tenter de corriger cela n'est pas facile. Pride of Carthage, par exemple, pourrait être classé comme un roman de guerre dans l'antiquité. C'est un peu les goûts des mecs, même si je ne l'ai pas abordé de cette manière. J'ai inséré une série de personnages féminins – femmes, sœurs, mères et au moins une est isolée. J'ai eu le sentiment que cette tentative vers une égalité homme/femmes a dérangé quelques uns des mecs. Comme si inclure des femmes et leurs problèmes et expériences fictives adoucissaient le roman. Comme si cela adoucissait Hannibal de le montrer éprouvant des émotions concernant des affaires de sa vie privée...

Mais ce n'est pas de cette manière que je vois le monde. Je sens l'obligation de peupler mon monde avec des races diverses, de la même manière il me semble qu'il est naturel de donner un traitement aussi égal que possible aux personnages féminins. (D'ailleurs, vous pouvez vous attendre à avoir des personnages féminins plus forts dans les volumes futurs). J'aime penser que mon approche à l'écriture est toujours « une subversion délibérée de la regrettable norme ». Honnêtement, je n'aurais pas été séduit à l'idée d'écrire dans le genre, si je n'adorait pas cela d'un côté, et me sentirais déçu de l'autre. C'est cela, cette complexité des sentiments qui m'attire.

Cela me rappelle une très importante expérience littéraire que j'ai eue lorsque j'étais adolescent. J'avais déjà pas mal lu de « fantasy pour jeunes hommes », mais un jour j'ai pris The Tomb of Atuan de Ursula K LeGuin. C'était la première fois que je la découvrais, et durant quelques chapitres, je me sentais mal à l'aise et je ne savais pas quoi faire de cette histoire à propos d'une jeune fille et d'une religion étranger, une histoire qui n'avait ni guerriers ni dragons à portée de vue. Mais j'ai finalement adoré le livre à cause de cela. J'ai adoré le fait qu'il était différent, qu'il me rappelait qu'il y a moult histoires à raconter et beaucoup de personnes des deux sexes dont il faut raconter le récit. C'était un peu une révélation (mais que je n'ai partagée avec personne). Ursula K LeGuin reste une base d'inspiration.

Y avait-il des conventions clairement identifiables du genre fantasy que vous vouliez détourner ou briser, lorsque vous vous êtes mis à écrire Acacia : The War with the Mein et sa suite ?

Oui. Dans Acacia vous trouverez... ..non pas des bons types sans défauts. Pas d'entité maléfique irrationnelle. Pas de garçon d'écurie/prince qui découvre sa véritable identité et apprend que le destin du monde repose sur ses épaules. Pas de sauvetage facile et immérité à a la dernière minute. Pas d'anneaux magiques. Pas de créatures magiques traditionnelles. Pas d'elfes, de nains, de trolls, d'hobbits, etc. Pas d'absurdité comme bien = blanc et noir = mal.

Cela dit, Je ne me suis pas mis à écrire pour réinventer le genre, non plus. Je voulais simplement y ajouter mes pièces. Mais il y a toujours des histoires parlant de l'avènement d'un nouvel âge, toujours des créatures à tuer, des envahisseurs à repousser, de la magie et du mystère. Et je n'ai pas tout à fait écrit au sujet de l'emploi d'une épée magique dans le volume deux...

Un des aspects du livre que j'aime le plus, c'est le grand choix de cultures présentes et leur inspiration provenant très clairement des cultures de notre monde. Pourriez-vous prendre un peu de temps pour nous exposer comment vous avez fait pour créer une des cultures qui apparaît de manière prédominante dans Acacia : The War with the Mein ?

Certainement. Jetons un coup d'oeuil sur Vumu, l'île-Archipel, sur la plage de laquelle les enfants Akaran échouent (littéralement)...

Je crois que la première idée que j'ai eue des Vumuans provient d'une émission quelconque du genre Animal Planet Show qui traitait des aigles géants qui vivaient autrefois en Nouvelle-Zélande. Ils étaient suffisamment larges pour parfois fondre et emporter des enfants. La simple pensée de cela me stupéfiait – rappelez-vous que je suis le père de deux enfants encore jeunes. Je trouvais simplement terrifiant d'imaginer qu'une créature pouvait tomber du ciel et capturer une personne que j'aimais si chèrement. Mais cela est réellement arrivé. Ces choses existaient réellement. Comment, me suis-je demandé, les gens font-ils pour gérer cela ?

Cette question était le fil rouge sur lequel j'ai développé la culture de cette île. Que faisons-nous avec les choses que nous craignons le plus au monde ? Souvent, je le crois, nous en faisons des dieux. Nous leur conférons une place prédominante dans nos vies et nos traditions, et nous espérons qu'en agissant ainsi, nous serons favorisés par eux et serons saufs. C'est ce que font mes Vumuans sous mes yeux, qui vivent de cette manière sous la menace d'une mort venant du ciel. Ils transformèrent les très réels aigles de mer en une seule entité divine, Maeben, et ils créèrent des traditions afin d'expliquer pourquoi leurs vies – lesquelles étaient si riche de moult manières – étaient mis à l'épreuve par ce grand prédateur.

Le truc c'est que, lorsque je commençai é créer cette mythologie, je me retrouvai moi-même attiré par de nombreuses autres influences qui n'avaient rien à voir avec la façon dont les Maori ont géré leur situation, qui était semblable. A la place des traditions Maori, je me suis retrouvé saisi par la poésie emphatique de L'Epopée de Gilgamesh. J'y ai adoré la sensualité, les héros qui se frappent la poitrine, la sexualité transparente. J'ai mélangé ça avec la notion croissante que Maeben était une déesse jalouse qui avait fait l'erreur de s'adonner aux joies du plaisir avec un humain. Ce dernier, bien qu'il fût une véritable machine sexuelle, s'était bien plu avec cette Maeben-dans-une-forme-humaine, mais n'avait pas été aussi impressionné par elle qu'elle par lui. Bien sûr, étant une déesse, Maeben le punit d'une façon qui mit un terme définitif à tous ses moments de plaisir. (frissons). Mais même après cela, elle resta furieuse. C'est pourquoi elle punit occasionnellement des humains en se saisissant du produit de leurs amours – leurs enfants. Sur Vumu, un culte s'est répandu autour de cette conviction et devint centrale à la culture de l'île.

Je n'ai en outre pas dépeint les Vumuans comme étant des Maoris. En lieu et place, ils tiennent plus du genre Sri Lankais pour la couleur de la peau. Pourquoi ? Je ne sais pas. Cela semblait sonner juste. J'ai emprunté quelques unes des pratiques fermières aquatiques des clans fermiers japonais, que j'avais lues quelque part. Leur art martial principal – combat avec un bâton – était inspiré par une tradition provenant de Trinité, l'origine de ma famille, et j'ai imaginé que les Vumuans allaient guerroyer en étant essentiellement nu, tout comme les Nouveaux-Guinéens. Ainsi je peux mettre en relief des traits spécifiques que j'ai empruntés au monde, mais ils sont mélangés avec des traits imaginaires afin que cela devienne quelque chose de différent, plutôt que simplement l'une ou l'autre de ces influences.

Dans tout cela débarque un de nos jeunes Akarans. Pour plusieurs raisons, ce personnage n'est plus jamais le même après avoir été confronté à cette culture ; pour d'autres raisons, cette culture ne sera plus jamais la même pour avoir été confrontée à ce simple étranger qui était parmi eux. La même chose s'applique à tous ses frères et sœurs, et de manière similaire, toutes les cultures du roman sont construites sur des influences diverses. J'espère que cela fonctionne.

La diversité ethnique n'a jamais été un trait dominant des œuvres de fantasy. Récemment, des auteurs comme Steven Erikson et R. Scott Bakker ont attaqué ce thème, les deux ont créé des mondes multiculturels qui donnent une impression de profondeur. Etant donné que vous êtes un Afro-américain, avez-vous le sentiment qu'on « attend » cela de vous ?

Ce que je craindrais, c'est que l'on attende de moi que je produise quelque chose comme de la fantasy « noire », quelque chose qui reprendrait les thématiques sur le racisme dans notre monde, les calquerait dans un autre univers et en donnerait une « perspective noire ». Un lecteur qui a donné son avis sur Internet disait qu'il avait ouvert le livre en supposant qu'il traiterait principalement de personnages noirs. Eh bien ce n'est pas le cas. Je n'ai aucun intérêt à corriger des déséquilibres dans le passé par de nouveaux déséquilibres, et je ne me sens limité, en aucune manière, pour écrire dans une seule perspective bien spécifique. Ma famille peut bien être Afro-américaine et être originaire des Caraïbes, mais elle vient aussi d'Ecosse et de Nouvelle-Zélande. Le sang dans les veines de tous ces gens est dans les veines de mes enfants, et j'ai suffisamment passé de temps à l'étranger pour être fier de reconnaître les liens qui les lient.

Toujours est-il que je suis fier d'être un écrivain de couleur. Je pense effectivement que les gens de couleur doivent être prêt à rencontrer d'autres gens – de toutes les couleurs – de manière plus fréquente par rapport aux blancs. Nos vies et nos histoires ont toujours été bouleversées par des gens d'autres races, et ce, d'une telle façon dont nous sommes très conscients. Dans mes œuvres de jeunesse, par exemple, même mes romans « Afro-américains » sont composés seulement de moitié par des personnages noirs : Gabriel's Story est également un étalage de personnages blancs et espagnols, et Walk Through Darkness est un récit en deux voix, dans lequel le second personnage principal est un immigré écossais. Et Pride of Carthage est par défaut une histoire de Romains, Ibériens, Gaulois, Grecs et d'une variété de peuples nord-africains et sémitiques.

Ce sont seulement les écrivains blancs qui peuvent se permettre le luxe d'imaginer des mondes remplis exclusivement avec des variations de blanc. Je trouve cela un peu stupide, sincèrement, et c'est également une attitude raciste dont les auteurs – qui sont toujours de bonnes personnes – ne s'en rendent pas compte. Ayant dit cela, je rends hommage à des auteurs comme Erikson, Bakker et Martin – ainsi qu'à des pionniers tels que Ursula K LeGuin et Octavia Butler – qui ont su laisser une place à la diversité dans notre passé, notre futur et dans nos imaginations. Espérons que nous aurons d'autres fruits de leur part et également plus de gens comme eux – et un peu plus de diversité chez les écrivains eux-mêmes ne ferait pas non plus du mal.

Comme je l'ai dit, j'ai adoré la très large palette culturelle que vous avez créée dans Acacia : The War with the Mein, et pour cela, j'ai trouvé un peu regrettable que nous n'ayons pas pu passer plus de temps avec quelques une de ces cultures. Dans les prochains volumes allons-nous avoir une plus grande palette de perspectives à partir des cultures du Monde Connu ?

J'entends ce que vous dites. De plusieurs façons, j'aurais souhaité pouvoir tout ralentir et réellement vivre à l'intérieur de ces cultures si variées. Si j'avais fait cela, j'aurais eu quelques détracteurs qui m'auraient objecté que l'histoire serait trop lente. (Et certains disent qu'elle l'est déjà). J'ai opté pour la solution d'introduire les cultures le plus complètement possible tout en gardant un œil sur mes personnages principaux et leur progression à travers l'histoire. Cela, en définitive, devait être suffisamment ferme pour que le tout tienne en tant que « roman ».

Si les lecteurs me le permettent, alors je vais certainement m'étendre sur tout ce que j'ai déjà introduit dans les prochains volumes, et je prendrai garde à user plus encore de personnages principaux provenant de peuples différents. C'est tout de même une entreprise assez conséquente, et je sens la nécessité que se développe une relation entre les lecteurs et moi-même. Une fois qu'ils sauront qu'ils peuvent me faire confiance, et moi leur faire confiance – alors je pense que tout ce qui existe déjà en germe dans le Monde Connu pourra s'épanouir.

La couverture montre des chaînes à la place de racines. Alors à quelles sortes de « chaînes » devrions nous rechercher à l'intérieur du roman ?

Les chaînes du passé qui affectent la réalité du présent. Les chaînes de l'esclavage. Les chaînes qui relient des continents par le commerce. Des chaînes qui ancrent les enfants Akaran dans une tradition et qui, plus tard, se dilatent pour les maintenir en contact alors qu'ils recherchent leurs destins, qui sont à la fois séparés et partagés. J'irai même jusqu'à dire qu'il y a une chaîne de causes et de conséquences qui lient les personnages en dépit de leurs meilleures intentions.

Ayant dit tout cela, je dois aussi mentionner le fait que les chaînes sur la couverture ne sont pas de mon fait. C'est celui du département artistique de Doubleday.

Pendant que vous écriviez, aviez-vous dû lutter avec la « voix » avec laquelle vous vouliez transmettre le récit, ou êtes-vous naturellement à l'aise avec le PoV (Point of View – point de vue) limité à la 3e personne du singulier?

Je suis un type naturellement limité à la troisième personne. Pour une raison que j'ignore, ça a toujours été le POV à partir duquel j'ai écrit. Ce que j'ai fait avec Acacia est assez similaire avec la structure de Pride of Carthage. Et mes premiers romans montrent bien comment mon style s'est développé. Tous mes romans, si ce n'est Walk Through Darkness – lequel a seulement deux POVs – affichent un casting de plusieurs personnages qui ont un œil narratif qui leur est attaché par périodes.

Je devine que cela vient du désir de fournir une vision des événements de tous ces récits qui soit le plus large et le plus panoramique possible. Je trouve que les récits, dont la narration est à la première personne, sont souvent lacunaires, limités ou alors sont acrobatiquement étirés afin de raconter une histoire plus grande que celle dont serait en fait capable un seul personnage. Alexandre le Grand, par exemple, ne pourrait pas fournir une relation complète, neutre, de sa propre vie. Que pourrait-il savoir de la manière dont les autres le voyaient, quels sentiments éprouvaient ses victimes et ses conquêtes, et même comment ses généraux le considéraient ? De la même manière, je n'aurais pas voulu prendre un seul et unique narrateur pour conter cette histoire. Celle-ci appartient à bien plus qu'un seul personnage.

M. John Harrison écrivait ce post sur son blog l'hiver dernier : « Chaque instant d'un récit de science-fiction doit représenter la victoire de l'écriture sur la construction du monde ad hoc (« worldbuilding »). Le monde ad hoc est ennuyeux. Le monde ad hoc prend au premier degré ce qu'est l'urgence d'inventer. Le monde ad hoc fournit une permission inutile pour des actes d'écriture (en vérité, pour des actes de lectures). Le monde ad hoc émousse la capacité du lecteur à accomplir sa propre part du contrat, parce que le monde ad hoc est certain qu'il doit faire tout ce qui se déroule autour de lui, pour que tout puisse se réaliser.

Par-dessus tout, le monde ad hoc n'est pas techniquement nécessaire. C'est le grand pied bot de la médiocrité. C'est la tentative de passer exhaustivement en revue un lieu qui n'existe pas. Un bon écrivain ne voudrait jamais tenter de faire cela, même avec un lieu qui existe. Ce n'est pas possible, et si ça l'était, le résultat serait illisible : il ne consisterait pas en un livre mais dans la plus grande bibliothèque jamais construite, une place consacrée à des études d'une vie. Cela nous donne un indice sur le type psychologique de celui qui construit un monde ad hoc et de sa victime, et cela nous fait peur. »

Inutile de le dire, une multitude de gens sont en désaccord avec les affirmations de Harrison. Quel est votre avis sur ce post de Harrison et le concept d'un monde ad hoc en général ?

Je ne pense pas que construire un monde ad hoc soit toujours de ce genre là. Mais je pense que cela peut aussi l'être, et que les écrivains devraient être prudent en établissant un cadre crédible pour leurs histoires sans être ennuyeux ou en abrutissant le lecteur ou en étant le grand pied bot de la médiocrité, etc. Dans mon cas j'ai passé un temps incroyable pour m'assurer que mon monde donnerait l'impression d'être réel. Cela ne veut pas dire que toutes les réflexions et pensées que j'y ai mis doivent nécessairement être infligées au lecteur. Je pense que la construction d'un monde ad hoc nécessite d'être suffisamment complète afin de permettre au lecteur de suivre le récit d'une manière qui ait du sens et de sentir qu'il explore un paysage différent. C'est cela la construction d'un monde ad hoc. Et au-delà, ce sont les personnages et le récit qui comptent.

Dans Acacia, j'ai ôté des passages qui étaient réellement longs : faits historiques, listes et autres explications. J'ai tenté d'insérer harmonieusement l'information qui nécessitait d'être reliée avec le flot des interactions, pensées et révélations des personnages. Vous pouvez bien avoir quelques paragraphes d'informations concernant les anciens rois, ou de quelle manière la Ligue a été fondée ou bien comment les Mein ont été exilés, mais de tels moments viennent parce qu'un personnage est confronté à des circonstance qui font que cette information devient importante. C'est quelque chose sur lequel ils ruminent ou bien on les briefe à ce sujet.

Donc je ne suis pas en désaccord avec Harrison sur ce qu'il ne veut pas voir dans la construction d'un monde ad hoc, mais je ne peux pas dire que ce n'est pas nécessaire.

Quels livres de fiction ont eu plus qu'un effet sur vous, à la fois personnellement et en tant qu'écrivain – ceux que vous avez lus dans un cadre académique comme étudiant ou ceux que vous avez lu pour votre propre plaisir ?

Question intéressante mais je ne pense pas que je puisse séparer les deux. Il y a bien trop d'échanges entre ces deux aires. Je pense que ces deux types d'expérience de lecture sont importants. Oui, être sensibilisé au collège à Gabriel Garcia Marquez, à Milan Kundera et à Ben Okri m'ont élargi mes horizons en y intégrant une véritable perspective sur la littérature mondiale. Cela ouvre l'esprit. Mais puis-je dire que c'était plus important que de lire Tolkien, Ursula LeGuin et Lloyd Alexander lorsque j'étais adolescent ? Cela ouvrait aussi l'esprit, et si je n'étais pas tombé amoureux de la lecture à cause d'eux, je n'aurais peut-être pas abouti en tant qu'étudiant en littérature au College. Etudier Toni Morrison et Don Dellilo et William Faulkner à partir d'un point de vue critique était incroyablement important pour mon développement en tant qu'écrivain. Mais c'était aussi le cas pour la découverte que j'avais aussi à apprendre par des écrivains de polars comme James Lee Burke, Walter Mosley et George Pelecanos.

Je pense que nous progressons le plus lorsque nous lisons le plus largement possible, et lorsque nous reconnaissons qu'il y a différentes choses à apprendre depuis des livres différents. Je souhaiterais que plus d'académiciens aient ce point de vue. Si ils le faisaient, ils auraient plus de succès dans leur travail à inciter des étudiants à aimer lire.

Le fait qu'il y a un site web dédié à votre œuvre (www.davidanthonydurham.com) est un indice que l'interaction avec vos lecteurs est important pour vous en tant qu'auteur. Dans quelle mesure est-ce si spécial d'avoir la chance d'interagir directement avec vos fans ?

Très spécial. Je ne suis pas un auteur qui a l'impression (ou qui le mériterait, d'une certaine façon) qu'il a besoin d'être à l'écart des gens qui lisent ses livres. Je n'ai jamais oublié à quel point c'était un privilège d'avoir des gens qui prennent le temps d'entrer dans votre monde imaginaire. Lorsque quelqu'un m'écrit, ou poste sur mon blogue, ou rejoint mon Forum parce qu'il a apprécié mon œuvre, 1) je me sens honoré et 2) je le respecte pour être un lecteur dans un monde qui ne contient pas suffisamment de lecteurs.

Là maintenant, je réponds à chaque mail qui m'a été envoyé. Un moment peut arriver (si je suis très très chanceux) où je ne pourrai plus le faire, mais les lecteurs peuvent savoir que si cela arrive, ce sera juste une question de temps et de volume. Je suis un écrivain avec quatre romans. J'ai eu ma part de succès, d'options pour des films, des contrats à l'étranger, et des superbes critiques : rien de tout cela ne m'a rendu snob. (Et je connais quelques personnes qui sont devenues insupportables pour bien moins de raisons !). En fait, cela me fait simplement respecter encore plus la relation entre l'écrivain et le lecteur.

En passant, si quelqu'un en train de lire cela et est intéressé à discuter, envoyez-moi simplement un mail à acacia.triolgy@yahoo.com . Je serai heureux de savoir que vous êtes quelque part et que vous êtes une personne intéressée à la discussion. Et, en fait pour plus de plaisir peut-être, vous pouvez réfléchir à l'idée de rejoindre mon forum (http://davidanthonydurham.com/forum/). Il est de taille modeste mais il y a quelques gens sympas qui y parlent à propos de tout et n'importe quoi. Et ils sont très accueillants. J'y jette souvent un coup d'œil, et j'adore cela ; je voudrais juste qu'il y ait plus de personnes qui y soient inscrites !

Honnêtement, croyez-vous que le genre littéraire des romans de fiction (= science-fiction et fantasy) sera un jour reconnu comme de la véritable littérature ? A vrai dire, à mon avis il n'y a jamais eu autant de bon livres / de bonnes séries comme c'est le cas aujourd'hui, et pourtant il n'y a toujours eu que très peu de respect (pour ne pas dire aucun) qui soit associé avec ce genre littéraire.

Je pense assez improbable que ce genre littéraire soit globalement reconnu comme de la littérature. Ce n'est pas si illogique parce que la plupart de ce qui a été publié dans ce genre n'est pas de la littérature, n'essaie pas de l'être, ni est intéressé à l'être, et n'en n'a pas non plus besoin. Je pense que ce qui pourrait / devrait par contre arriver, c'est que quelques écrivains et quelques séries pourraient réussir à obtenir du respect de la part du monde profane au genre.

Le truc, c'est que je ne vais pas dire à un écrivain de SF/Fantasy que, parce qu'il/elle se met à écrire de la véritable littérature, il/elle ne fait plus du tout partie de ce genre littéraire. Je pense que les deux vont ensemble. C'est de la littérature à cause de ses qualités. C'est un genre à cause des lieux communs de la tradition à partir de laquelle il est écrit. Mon approche, c'est d'appliquer les mêmes standards à tout ce que je lis, tout en reconnaissant que des livres de différents genres aboutissent au succès de manière dissemblable. Non pas toute l'écriture « littéraire » est réellement de la littérature – ce n'est pas le cas si la qualité de l'écriture, des idées, de la pensée, son exécution et ses thèmes sont ce qui définit quelque chose en tant que littérature. La différence c'est qu'un mauvais roman littéraire est toujours un roman littéraire parce qu'aucun autre genre ne le veut. Qui d'autre s'en réclamerait ? Par contre, un mauvais roman de fantasy peut être banni en étant ravalé à son label de genre. Pour moi, c'est quelque chose de douloureusement évident. Tout de même, je trouve que c'est un problème qui est souvent spécifique à la littérature conventionnelle.

Voulez-vous ajouter quelque chose ?

Seulement ceci : merci pour tout ce temps – et toutes ces questions. Je me sens totalement « interviewé », et c'est une bonne chose. Je serais très heureux si quelques uns de vos lecteurs laissent une chance à Acacia. J'ai vraiment travaillé très dur pour en faire un livre qui durera, et je maintiens mes efforts pour que la série ait quelque chose de spécial. Je sais que c'est à vous d'en décider, mais sachez que je fais de mon mieux, avec tout ce qui est en mon pouvoir.

Article originel
  1. L'interview proprement dite
  2. L'interview proprement dite

Dernières critiques

Derniers articles

Plus

Dernières interviews

Plus

Soutenez l'association

Le héros de la semaine

Retrouvez-nous aussi sur :