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Une nouvelle interview de Mélanie Fazi

Par Luigi Brosse, le samedi 5 juillet 2008 à 02:55:29

On va encore dire que l'on fait du favoritisme sur Elbakin.net, que certains auteurs ont plus de temps de parole que d'autres... Eh bien, ce n'est absolument pas le cas, nous appliquons simplement le principe qui dit que l'occasion fait le larron.
Et donc puisque Mélanie Fazi est en dédicace à Grenoble le soir de la fête de la musique, elle a eu droit à son interview comme les autres, même si nous avions déjà eu l'opportunité de la rencontrer au dernier salon du livre. Le plus dur étant de ne pas se répéter !

Mélanie Fazi 1 Mélanie Fazi 4 Mélanie Fazi 2

Et une dernière pour la route, on voit combien Mélanie Fazi est sérieuse. C'était avant la première question (rires) !

Mélanie Fazi 3

Les photos ont été prises par Gilles Murat.

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L'interview exclusive

Étant donné le ton plutôt sombre de tes histoires, es-tu plutôt glace au chocolat ou glace à la vanille ?
(Long silence) Glace au chocolat, je suis totalement accro au chocolat. C'est peut-être le côté sombre de la glace au chocolat...
Recentrons nous et parlons à présent du paysage littéraire français. Pourquoi, à ton avis, y a-t-il aussi peu d'auteurs français du genre ?
Je ne sais pas s'il y en a vraiment si peu. Il y en a beaucoup qui publient, mais dans des revues, dans des petites anthologies. J'ai l'impression de voir beaucoup de nouveaux noms.
Je pensais plutôt au monde du roman.
Peut-être que les places sont réduites, mais je n'en suis pas sûre.
J'imagine que chez certains, il peut y avoir le problème de placer des choses qui sont un peu inclassables et de ne pas trouver chez quel éditeur le faire. Je pense qu'il doit y avoir quelques cas comme ça.
Moi, j'ai plutôt l'impression de voir apparaître beaucoup de noms.
Quels nouveaux noms peux-tu me citer ? Il me semble que beaucoup d'anglo-saxons sont effectivement publiés, en particuliers des nouveaux venus. Par contre, autant s'il l'on pouvait parler de nouvelle école française il y a quelques années, à l'heure actuelle, il me semble que cela décroît ou que l'on voit toujours les mêmes personnes.
Peut-être que c'est par vagues.
Je me rappelle, quand j'ai commencé à être publiée, je parlais avec un collègue d'une histoire de générations. Je lui disais que j'avais l'impression d'être toute seule dans mon coin, que je n'avais pas l'impression d'appartenir à une génération.
Et après plein de gens sont arrivés en même temps : Jérôme Noirez, Catherine Dufour, Xavier Mauméjean... toute cette vague là qui est arrivée un peu après moi. Et j'ai vraiment l'impression que l'on a trouvé une génération. Peut-être que là, il y a un petit creux et que cela va revenir ensuite. Je suis l'actualité d'un peu moins près qu'avant, ça me marque peut-être moins.
On entend aussi souvent la question qui est : Est-ce que ce sont les éditeurs qui ne veulent pas prendre de risques en publiant des français ? Et les éditeurs répondent que ce n'est pas le cas. Ils cherchent au contraire des français et des manuscrits qui correspondent à leur ligne éditoriale. En particulier, je sais que Bragelonne a ce problème là. Ils cherchent et ils aimeraient bien en publier, mais ils ne trouvent que très peu de choses qui correspondent ou qui sont suffisamment convaincantes.
Que penses-tu du marché du livre, en particulier du segment fantastique ?
Le fantastique est considéré comme mort et enterré, c'est clair. Il y a quelques petites choses qui sont en train de se faire. Il y a les Éditions Nuit d'avril qui se sont créées, il y a Bragelonne et sa collection L'Ombre.
Quand je suis arrivée, il y avait encore quelques supports, quelques collections, la revue Ténèbres qui ont disparu ensuite. Puis il y a eu un gros creux de vague, où il n'y avait strictement rien.
En ce moment, on essaie, il y a une espèce de tentative très timide. On en publie un ou deux, on voit si ça passe. Est-ce qu'on l'appelle fantastique, est-ce qu'on le déguise en l'appelant fantasy, qu'est-ce que l'on fait ?
Je me rends compte en plus à quel point c'est quelque chose de rare, parce qu'on me met à part comme l'un des rares auteurs fantastiques du moment. J'aurais tendance à dire que je ne suis pas la seule. Les autres ont plus de mal à percer, je ne sais pas. Mais c'est vrai que je suis l'une des seules à publier en ce moment, et qui publie en tant qu'auteur fantastique, annoncé comme telle.
Entre tes propres écrits et ton activité de traduction, tu as une vie assez remplie. Serais-tu tentée par une activité éditoriale si on te le proposait ?
Je ne pense pas.
Le fait de travailler dans l'édition déjà, ça enlève un peu du plaisir que l'on a à lire. Quelque part, il y a des aspects vraiment géniaux, mais on est moins émerveillé par les livres qu'avant.
Je suis quelqu'un de très solitaire, je n'aime pas trop fonctionner en équipe. J'aime bien travailler avec des gens, mais au quotidien je travaille vraiment toute seule. Le fait d'avoir cette espèce de responsabilité, de pouvoir en tant qu'éditeur, c'est quelque chose qui ne me conviendrait pas du tout.
Et je pense que je suis assez occupée avec l'écriture et la traduction. Si je devais prendre une autre activité, ce serait un moment de ras-le-bol et je plaquerais l'édition. Je ne me vois pas faire autre chose dans le domaine. D'autant plus que cela ne conviendrait pas à mon tempérament, mais alors pas du tout.
Pourquoi ?
Comme je le disais, je suis assez solitaire. Et puis le fait de devoir lire énormément de livres alors que j'en ai un peu assez, que je lis aussi beaucoup plus lentement qu'avant, ce sont des petites choses qui font que c'est un type de responsabilité dans lequel je ne me vois pas du tout.
En revenant à ton oeuvre, quelle nouvelle (ou roman) dont tu es l'auteur, préfères-tu ?
C'est un peu délicat. Je préfère mes nouvelles à mes romans, ça c'est clair. Cela va beaucoup dépendre des périodes. La première qui me vient, c'est une nouvelle de Serpentine qui s'appelle Nous reprendre à la route. Mais ce n'est pas tellement parce que je suis attachée à cette nouvelle que parce qu'on m'en reparle énormément. Il y a un lien, quelque chose qui se passe avec ce texte. Récemment aux Imaginales, j'ai entendu lire un extrait par Claude Ecken, qui présentait une table ronde. Et j'étais assez impressionnée en l'entendant, il y a quelque chose que j'aime dans son rythme, ses sonorités et son ambiance. Mais c'est un texte en particulier.
Sinon, il y en a beaucoup dont je peux dire, à un moment donné, que j'y ai tenu énormément ; comme la dernière nouvelle de Notre Dame aux Écailles qui s'appelle Fantômes d'épingles. C'est le texte le plus récent du recueil et c'est le texte dans lequel je me reconnais le plus à l'heure actuelle. Et si j'y suis très attachée maintenant ; je ne le serais peut-être plus dans dix ans. Cela évolue pas mal.
Pour revenir à ce texte des Imaginales, de l'entendre lire est-ce que tu as toujours l'impression d'en être l'auteur, ou au contraire cela t'as donné un peu de recul et t'a permis de le découvrir d'une autre façon ?
Le recul, on le prend déjà à la base quand c'est publié. Des fois également quand d'autres personnes le lisent et se l'approprient.
Mais aussi parce que l'on évolue .Quand je relisais Notre Dame aux Écailles pour les corrections, j'ai été frappé en relisant une nouvelle comme Le Noeud cajun que j'ai écrite il y a dix ans. C'est n'est pas du tout la même personne qui l'a écrite. Donc là, j'ai déjà un recul, c'est une autre période de ma vie, c'est autre chose, ça m'amuse de le relire mais je ne m'y reconnais pas.
Et je n'ai pas eu énormément de retours sur mes textes qui contredisent l'image que j'en ai. En général, ça me conforte plutôt dans ce que j'ai essayé de faire, ça correspond assez bien, des fois ça me surprend, mais on ne m'a jamais dit quelque chose qui soit en contradiction flagrante.
Quel serait le texte que tu conseillerais à quelqu'un qui ne t'a jamais lu ? Est-ce que ce serait l'un de tes préférés ?
Je pense que je recommanderais un des recueils : l'un ou l'autre selon la personne en ciblant. Mais je ne peux pas isoler une nouvelle. J'ai fait lire Serpentine récemment à quelqu'un parce que l'on parlait de tatouages. Et donc, je lui ai dit de commencer par ça.
Sinon, je conseillerai un recueil parce qu'ils représentent chacun une période de ma vie mais aussi parce qu'ils couvrent une partie de la gamme de ce que je fais. Et c'est pour moi la meilleure manière de me découvrir. On a dix exemples différents dans lesquels on va se reconnaître, ou pas. Je pense que c'est le meilleur moyen.
En rebondissant là-dessus, est-ce que tu penses qu'écrire des nouvelles, et plusieurs histoires, cela permet au lecteur de s'identifier plus facilement à l'une d'entre elles, tandis que pour un roman c'est un peu le quitte ou double ?
Je sais que beaucoup de gens ont du mal à accrocher aux nouvelles et se reconnaissent plus dans les personnages de romans parce qu'ils ont le temps d'apprendre à les connaître. Ce n'est pas au niveau des personnages, c'est plus les thèmes qui vont parler plus ou moins suivant les personnes.
En général, les gens aiment ou pas le texte, mais on ne m'a jamais dit je me sens plus proche de tel personnage. C'est assez indissociable.
On m'a fait remarquer récemment dans Notre Dame aux Écailles qu'il y a beaucoup de narratrices qui parlent à la première personne et qui me ressemblent. C'est plus marqué qu'avant et peut-être qu'à l'approche de la trentaine, j'ai plus projeté de choses dans mes textes. Je pense que cela se ressent dans ce recueil parce qu'il y a une unité de ton entre les narratrices comme si c'était moi qui parlait. Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou pas, je n'ai pas décidé...
Au cours d'une précédente interview, tu nous as confié que tu flirtais avec la fantasy urbaine. Quelle définition en donnerais-tu ?
Je suis un peu embêtée parce que j'ai appris la définition de la fantasy urbaine sur le tas en constatant qu'il y avait des choses que moi j'aurais classé en fantastique et auxquelles on a collé cette étiquette. Je ne suis donc vraiment pas sûr de comprendre ce que c'est.
En se basant sur les quelques exemples que je connais, il peut y avoir la notion de monde parallèle à l'intérieur d'une ville. Je pense à Neverwhere de Gaiman par exemple.
Il peut y avoir aussi tout ce qui touche au mythe et à la magie. Les textes que je considère comme de la fantasy urbaine chez moi, ce sont les textes mythologiques. On peut citer Mémoire des herbes aromatiques qui parle de Circé et d'Ulysse dans un restaurant grec à l'heure actuelle. Pour moi c'est de la fantasy urbaine puisque cela touche à des thèmes de la fantasy comme les mythes mais dans un cadre contemporain. Néanmoins, le reste de ma production est à mon avis du fantastique classique.
Je ne sais pas trop, je vois ça comme une transposition d'éléments que l'on associe d'habitude à la fantasy : mondes parallèles, magie, mythes, contes... dans un cadre contemporain.
Pour toi, le terme urbain signifierait donc contemporain ?
A priori, mais j'ai une connaissance du genre très limitée donc c'est une définition sur laquelle je peux changer d'avis très rapidement.
Changeons totalement de sujet, en profitant de cette fête de la musique. On sait que la musique tient une place très importante dans ton processus de création. Mais est-ce que tu joues d'un instrument ou est-ce que tu fais partie d'une formation musicale ?
Non et c'est une des grandes frustrations de ma vie !
En fait, j'ai parlé une fois avec une photographe qui travaillait dans la musique et qui adorait filmer ou photographier des musiciens parce qu'elle ne faisait pas de musique elle-même. C'est exactement mon cas ! J'adore intégrer des éléments de musique, je chronique aussi pas mal de disques pour un site. Cela me permet de faire semblant.
C'est une de mes grandes frustrations. Je suis vraiment fascinée par la musique et les musiciens. J'idéalise ça d'une façon dont je n'idéalise pas les auteurs.
J'aurais adoré jouer, mais je n'en suis pas capable. Ce n'est vraiment pas mon mode d'expression. Je n'ai aucune connaissance de la musique et je ne me sens pas capable d'en composer. Même s'il y a d'autres processus qui m'intéresseraient, comme monter sur scène.
J'ai un peu fait de théâtre, je ne m'y sens pas forcément très à l'aise, mais cet aspect d'être devant des gens est intéressant.
Je ne suis pas sûr que j'aurais la patience de jouer d'un instrument ; surtout de devoir apprendre maintenant, en fait.
Je ne suis pas très douée pour chanter, je commence tout juste à y arriver un peu.
Je sens que ce n'est pas mon truc, j'adorerais mais ce n'est pas mon truc.
Sinon, y'a t-il une différence entre la musique que tu écoutes quand tu travailles et celle que tu peux écouter pour te détendre ?
Globalement c'est la même. Mais il y a certaines choses qui vont me déconcentrer quand je travaille. Notamment certains morceaux hyper entraînants, qui donnent envie de chanter, de sauter partout. Ce qui n'est pas forcément le bon plan pour se concentrer quand on travaille.
Sinon, j'écoute globalement le même type de musique toute la journée. Quand je traduis, j'ai tendance à passer le dernier CD que j'ai acheté et que j'écoute à ce moment là. Quand j'écris c'est autre chose. C'est orienté spécifiquement sur les chansons qui sont associées à un texte. Dans ce cas là, je me fais une sélection que je passe en boucle.
Pour conclure, peux-tu nous donner ton morceau préféré, ton livre phare et un tableau (ou un cliché) que tu ne te lasses pas d'admirer ?
Un morceau préféré, c'est très difficile à isoler. J'ai tout le temps des morceaux préférés à des moments donnés. S'il fallait en sélectionner un, je dirais une chanson de P.J. Harvey parce que c'est l'artiste que j'ai le plus écouté et qui me frappe le plus. Il y a une chanson d'elle qui s'intitule To bring you my love et qui m'a énormément marquée. Je ne l'écoute pas forcément beaucoup mais il y a un coté presque religieux dans son ambiance qui est émouvant. C'est un morceau que j'ai adoré entendre en concert entre autres.
Le livre, il pourrait y en avoir beaucoup. Le premier qui me vient à l'esprit est de Nancy Huston, car c'est l'un de mes auteurs préférés. J'ai adoré l'un de ses essais qui s'appelle Journal de la création. Elle l'a écrit alors qu'elle était enceinte : elle parle donc de la création en tant que mère qui réfléchit à la maternité, à l'écriture, aux rapports de certains couples d'écrivains connus comme Sartre et Beauvoir. Elle entremêle tout cela pour traiter des femmes et de la création. Je n'ai jamais rien lu qui ressemblait à cela, ça m'a beaucoup fait réfléchir à mon rapport à l'écriture.
C'est beaucoup plus difficile pour trouver un tableau car ce n'est pas tellement dans ma culture. J'ai visité beaucoup de musées quand j'étais petite en Italie. Et j'ai un peu fait un blocage sur la peinture. Je m'y remets doucement ; je suis fascinée par les préraphaélites notamment. Mais je n'y connais strictement rien, j'ai juste commencé à entrevoir ce que c'est. Il y a cet aspect très onirique, quelque chose dans les ambiances qui m'a parlé.
La photo, c'est vraiment très récent. A la limite, les photos qui m'ont le plus marquée, et là on rejoint la musique, ce sont soit des photos de musiciens, soit des pochettes d'album. Celle de Horses de Patti Smith par exemple.
Merci beaucoup et à une prochaine !

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