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Retour au Salon du Livre 2008 avec Laurent Genefort

Par Izareyael, le mardi 28 octobre 2008 à 13:26:17

Laurent GenefortEn ces temps de Toussaint morne et froide, pourquoi ne pas revenir quelques mois en arrière, quand l'atmosphère était chaleureuse et les discussions animées, lors de la 28ème édition du Salon du Livre de Paris, en mars dernier ?
Elbakin.net vous en offre la possibilité : savourez donc l'interview de Laurent Genefort réalisée à cette occasion par Gillossen, à présent retranscrite pour vous !

L'interview retranscrite

Tout d'abord, une question banale : comment se passe cette première séance de dédicace ? le contact avec les fans, par exemple... ?
Je suis un ancien auteur de Fleuve Noir (la maison d'édition, NdR), donc il y a toujours quelqu'un qui arrive avec dix bouquins, sa pile de vieux Anticipation à faire dédicacer ! Ce qui m'intéresse, c'est aussi de discuter avec les lecteurs, de ce qui se fait en SF en ce moment, de nos lectures respectives... Des discussions d'amateur de science-fiction à amateur de science-fiction.
Le deuxième tome de Hordes, Le Vol de l'Aigle, vient de paraître... Que pouvez-vous nous en dire ?
Les bases sont posées, l'histoire peut donc avancer beaucoup plus vite que dans le premier volume : non seulement sur les personnages, mais également sur le reste du monde. Par exemple, les failles commencent à s'agrandir entre le monde des hommes et celui des démons. Par ailleurs, ceux-ci sont plus présents – et nombreux.
On va constater qu'il y a plusieurs factions chez les démons, qu'ils ne réagissent pas tous de la même manière.
Saviez-vous comment cela va se terminer dès le début de l'écriture ?
Oui. Un lecteur très attentif se rendra compte que l'histoire s'achemine vers un but précis.
Dans le second tome ?
Non, dès le premier ! (il rit à cette tentative de lui soutirer des informations) Mais c'est subliminal...
Est-ce que, en comparaison, votre participation à l'Almanach Fantasy 2008 de Bragelonne a été une sorte de récréation ?
En fait, il faut savoir que je l'ai écrit avant, ou pendant, la rédaction des Hordes 1, L'Ascension du Serpent. Mais... oui, c'était une forme de récréation !
Donc vous l'avez abordé sur le même plan ? Pas comme si c'était, si l'on peut dire, pas aussi sérieux ?
Oh, je ne me suis pas vraiment posé la question. Au départ, je n'avais pas l'idée de faire un Almanach. C'était il y a plus de deux ans, en août, entre deux livres... Bref, je lisais un recueil de faits divers façon Détective. En général il s’agit de meurtres insolites, de statistiques un peu bizarres, etc. Après en avoir lu quelques-uns, je me suis dit qu’il serait amusant d'imaginer comme seraient relatés des crimes et autres voies de fait, s'il y avait une presse quotidienne régionale dans les mondes de fantasy ; quelque chose comme Voici en Terre du Milieu… Les faits divers consistent à mettre de l'extraordinaire dans la vie quotidienne ; j'avais envie de faire l'inverse, c'est-à-dire mettre du banal dans l'extraordinaire que sont les quêtes. Parce que, lorsqu’on retire la quête, dans les mondes classiques de fantasy, il n'y a plus rien, on aboutit à quelque chose de complètement banal. Donc, faisons entrer dans l'ennui les longues quêtes de fantasy !
C'est un peu comme si on passait de l'autre côté du miroir au lieu de vivre une aventure passionnante !
Voilà. Dans la rubrique Fées divers de l'Almanach, quelqu’un élève des trolls dans sa cave, tout comme, dans notre réalité, certains élevaient des pitbulls dans leur cave. Par ailleurs, je suivais l'actualité, et je rebondissais en fonction. Par exemple, j'avais lu quelque chose sur le politiquement correct : aux Etats-Unis, les textes classiques sont expurgés périodiquement des manuels scolaires, parce que, parmi les grands écrivains américains des siècles passés, beaucoup étaient antisémites et racistes, leurs personnages fumaient et buvaient… J’ai donc imaginé que dans l’équivalent d’un Seigneur des Anneaux, on ait remplacé la race des Nains par celle des Gens de petite taille, on ait atténué les batailles trop sanglantes, etc.
Donc à la base l'idée était de vous, ce n'était pas une commande ?
Je n'ai jamais eu de commande de Bragelonne ! Les faits divers dont j’ai parlé plus haut, j'en écrivais deux ou trois par jour, et je les envoyais par email à des amis. Lorsque j’en ai accumulé une soixantaine, un copain – David Oghia, rendons à César… – m’a dit : Il faut en faire quelque chose ! J'ai répondu : Tu sais, c'est du niveau Almanach Vermot !, et il a répliqué : Très bien alors, proposons un almanach ! Il était évident que cela ferait tilt chez Alain Névant…
Plus généralement, puisque vous continuez à passer d'un univers à l'autre, ou même d'un éditeur à l'autre, est-ce que ce champ d'action, cette liberté d'action, est vraiment une nécessité pour renouveler les frontières, en tant qu'écrivain ?
Oui, c'est une nécessité, parce que l'édition ne permet plus aujourd'hui de rester dans une seule maison d'édition, si l’on veut vivre de sa plume. C'est aussi bête que ça... C'est une contrainte économique.
Il y a aussi cet aspect-là des choses ?
Si Fleuve Noir était resté ce qu’il était dans les années 70-80, j'aurais peut-être terminé chez eux, comme beaucoup d'auteurs des années 50 qui ont écrit pendant trente ans pour le même éditeur. Migrer vers d’autres cieux a été une nécessité, simplement parce que les collections ont disparu les unes après les autres.
Mais les projets en eux-mêmes restent des désirs ?
Je ne conçois pas d’écrire autrement. Il se trouve que le fait que la collection Anticipation disparaisse m'a permis de passer à d'autres formats que les 190 pages habituelles, même si cela s’était un peu assoupli, sur la fin... Aujourd’hui, je trouve que le format court manque. Difficile de faire publier un roman de 300 000 signes ! Les petits romans denses, très resserrés, ce n'est plus guère possible aujourd'hui.
A part en poche, peut-être.
L'inédit en poche a quasiment disparu, et l’on ne peut pas faire un grand format avec 300 000 signes. Cela crée un conditionnement des auteurs pour faire lourd, sans doute aussi fort que celui d’Anticipation qui poussait à faire court.
Pour revenir sur ce que vous disiez au sujet du passage d'un éditeur à un autre, il y a le côté financier, mais y a-t-il aussi un côté exploration d'autres facettes, pour ne pas rentrer dans un cadre ?
La disparition des collections a eu des effets négatifs et d’autres positifs. Les effets négatifs, c'est facile : c'est une récession du genre. Moins de collections, moins de livres de science-fiction française inédits, moins d'auteurs, et par-là même, moins de lecteurs. De plus, le fait d’habiter une collection permettait de construire une œuvre cohérente, un univers… Aujourd'hui, on repart plus ou moins de zéro à chaque fois.
Ce n'est plus que du court ou du moyen terme.
Et il est difficile d'avoir une continuité dans une œuvre. Je suis un cas un peu particulier : mes histoires de SF sont individuelles, tout en se rattachant à un univers global cohérent. Donc je peux, même en changeant d'éditeur, garder le même univers.
En fantasy, il n'y a pas ce problème, parce qu'on propose généralement à l'éditeur un cycle, et ce cycle paraîtra de toute façon chez l'éditeur. Ce n'est pas la même logique.
C'est du moyen terme, basé sur un même univers.
Voilà.
La première fois que vous avez été édité, en 1998 chez Fleuve noir, vous aviez vingt ans. Pouvez-vous dégager une espèce de fil directeur, que l'on verrait dans vos pages dès le début et qui y serait encore maintenant ? que ce soit au niveau du fond, de la forme...
(Il réfléchit un moment.) Je pense qu'il y a une approche fondamentalement SF – y compris dans mes bouquins de fantasy, d'ailleurs. Je tiens toujours à cet aspect création de mondes étrangers, avec l'altérité que cela comporte, et un développement logique. Mais c'est un constat très général, qui pourrait s'appliquer à d'autres auteurs, je suppose.
Sur l'aspect un peu plus général des choses, quand vous écrivez, avez-vous une journée de travail type, par exemple vous mettez-vous à écrire de huit heures jusqu'à seize heures, ou cela dépend-il de l'inspiration ?
Au début, j'écrivais surtout la nuit, mais je me suis rendu compte que ma vie privée se désagrégeait complètement. Je me suis retrouvé en face d'un choix : c'était soit l'un, soit l'autre, et je me suis dit que je préférais une vie privée à une vie d'écrivain. J'ai arrêté d'écrire la nuit, et je me suis aperçu que j'étais tout à fait capable d'écrire la journée. Mon principe est d'écrire cinq pages par jour. A partir du moment où j'ai décidé d'entrer dans la rédaction d'un livre, j’avance à ce rythme précis, qui correspond à peu près à 7.500 signes par jour. C'est la seule règle que je m'impose, et elle valable quand on écrit des ouvrages assez volumineux comme ceux d’aujourd’hui. Sur un Fleuve Noir Anticipation, on pouvait écrire dans une sorte de frénésie ; il m'est arrivé d'écrire un roman en douze jours. En dormant trois heures par nuit, en mettant tout ce que j'avais dans le ventre... Mais cela, c'est valable quand on écrit une histoire de 280.000 signes. Quand on est à 700.000 signes (le format d’Omale), ce n'est pas une méthode que l'on peut tenir. Là, la régularité dans l'écriture est beaucoup plus importante.
J'imagine qu'en plus de la régularité vous avez peut-être aussi à chaque fois un plan déjà établi, au lieu de vous laisser porter ? Par exemple, nous parlions de la fin de Hordes que vous avez en tête...
Il y a un peu des deux. J'essaie d'avoir les avantages sans les inconvénients. C'est-à-dire que je sais toujours où je vais – je crois que je n'ai que très rarement changé une fin prévue –, mais le plan reste ouvert, et je m'octroie des plages d'improvisation, qui me permettent de ne pas avoir l'impression d'aller à l'usine quand je rédige. Je connais des auteurs qui ont des plans extrêmement détaillés et qui s'y tiennent. Par exemple, Pierre Grimbert m'a montré des plans ; j'admire cela, c'est nickel, quasiment des mini-romans.
C'est comme s'il se mettait sur des rails...
Ensuite, il développe de façon rigoureuse son projet, et cette rigueur est très payante. Je sais que je ne pourrais pas faire cela, parce qu'il faut que je tire du plaisir de la rédaction, sinon je ne peux pas écrire. Le jour où je cesserai d'avoir du plaisir à écrire, j'arrêterai et je passerai à autre chose.
Est-ce que vous avez déjà connu cela sur un roman, pas forcément sur le roman entier, mais un passage où vous vous êtes demandé si vous alliez continuer ?
Je n'ai jamais hésité. Il m'est arrivé de commencer des romans que j'ai arrêtés, en général, au bout de trente pages, cinquante pages – et puis c'est fini, et je le jette à la poubelle.
Vous n'y revenez jamais ? On pourrait par exemple penser que deux ou trois ans plus tard, ou en arrivant à la page cent cinquante... ?
Je vois très vite quand cela ne marche pas.
Pour en revenir aux maisons d'édition, est-ce que vous voyez une différence quand vous écrivez pour Bragelonne ou pour les éditions Octobre ? Par exemple vous avez peut-être plus de pression pour Bragelonne, puisque c'est une maison installée, avec un certain type de demande, alors que pour Octobre il y a peut-être plus de libertés...
Il n'y a pas de pression particulière chez Bragelonne. La pression, c'est le temps imparti entre deux volumes, qui impose une certaine rapidité. Sinon, j'ai toute liberté... Dans les deux cas, cela se passe très bien.
Cela dit, Stéphane Marsan n’hésite pas à faire retravailler les manuscrits – ce dont je suis ravi.
Mais justement, est-ce que par exemple avec les éditions Octobre vous pouvez vous permettre de retravailler autant ?
Il n'y a aucune différence.
Que ce soit de la courte fiction ou du roman ne change rien pour vous ?
Non, ni ma façon de travailler, ni autre chose. J'utilise les mêmes méthodes, je fais cinq pages par jour... et j'ai autant de plaisir à écrire dans les deux cas.
Justement, puisqu'on parle des éditions Octobre fondées par Pierre Grimbert, j'aurais voulu savoir si vous trouvez intéressante cette démarche de créer une maison d'édition comme il l'a fait ?
Je pense qu'il est courageux. Aujourd'hui, créer une maison d'édition, c'est beaucoup d'embêtements pour une reconnaissance limitée, et je trouve qu'il faut un sacré courage à se lancer dans cette entreprise. De la part des bragelonniens aussi : quand ils ont monté leur boîte, ils n'avaient rien hormis leur expérience chez Mnémos, et chez Science-fiction magazine pour Alain Névant.
Il y a un côté familial chez Octobre : Pierre Grimbert fait travailler sa femme et un peu la famille et les amis. Ce qui m'intéressait chez Octobre quand ils ont repris le cycle d'Alaet, c'était la possibilité de développer une fantasy vancienne. Wethrïn est un monde presque humoristique, une fantasy qui se rit gentiment des clichés. Ainsi, dans le premier volume du cycle des Eres de Wethrïn, Le Nom maudit, j’ai pris comme fondement la nécessité d’un héros dans toute quête. Or, que se passe-t-il quand le héros se fait massacrer dès le prologue ? Paradoxalement, c’est là que tout commence, car les héros de remplacement oeuvrent sans filet et tout devient possible.
Chez Bragelonne, c'est autre chose. J'y ai rencontré des lecteurs de Gemmell, et je me suis dit : Il faut que je joue le jeu avec ces lecteurs-là. Et j'aime l’heroic fantasy au premier degré. Ce qui est stimulant et sympathique chez Bragelonne, c'est que l'on peut faire de la pure fantasy et en même temps s'en moquer, par exemple avec l'Almanach. Là, j'ai parodié des éléments que je prends totalement au sérieux dans Hordes. Mais on peut se permettre de rire de quelque chose quand on ne le méprise pas. Si j'adore lire de l'heroic fantasy au premier degré, je ne suis pas dupe de ses clichés ; on peut donc s'en amuser, parce que tout cliché est destiné à la parodie.
Et justement, est-ce qu'Alaet pourrait revenir ?
Pas dans l’immédiat. S'il revient, il y a des chances que ce soit en jeunesse... mais je n'ai pas le temps, avec tous mes projets en cours.
Donc, c'était une démarche naturelle de le proposer à Octobre ?
Totalement. Et puis on se connaît et on s'apprécie, Pierre et moi. C'est tout bête, mais l'édition, c'est ça ! Quand on a déjà été publié, c'est une histoire de personnes : je n'ai pas publié chez Bragelonne, j'ai publié chez Stéphane Marsan et Alain Névant.
Pour changer de registre, quelle place Internet a pour vous, par exemple au niveau des recherches, ou les sites d'actualité, le contact avec les fans... ? Est-ce que ce sont des choses qui vous intéressent, ou est-ce que c'est uniquement un outil pratique pour des recherches ?
Non, ça m'intéresse. J'ai toujours été sur les réseaux – avant Internet, d'ailleurs. J'étais déjà sur les BBS, l'équivalent des forums, avec les machines 8 bits... – Ça ne nous rajeunit pas, tout ça ! – Les BBS, c'était l'équivalent des newsgroups avant la lettre. Les modems avaient un débit très lent. On se branchait la nuit parce c'était moins cher, et de façon très brève, le temps d'envoyer les messages compressés et de recevoir le paquet de réponses... On envoyait tout d'un coup, il n'y avait pas le flux permanent de l'ADSL. Mais l'aspect d'un vrai réseau était là : quand on postait un message, il était retransmis, recodé, transféré sur un serveur et redispatché sur les autres machines.
Du coup, sans forcément participer, est-ce que vous consultez tout ce qui est sites d'actualités, etc. ?
Je l'utilise essentiellement pour la recherche documentaire.
Les auteurs de SF s'aventurent assez souvent dans la fantasy, alors que l'inverse est beaucoup plus rare. Est-ce que vous auriez une explication à cela ?
Je ne sais pas. En France, jusqu'au milieu des années 80, si on lisait de la science-fiction, on lisait forcément de la fantasy, parce que celle-ci paraissait sous le label SF. De toute manière, moi qui étais, et qui suis toujours, un grand lecteur de SF – jusqu'à un bouquin par jour quand j'étais au collège – je lisais forcément de la fantasy, simplement parce que je voyais SF sur la couverture. J'ai lu Le Cycle des épées en SF, par exemple.
Même chez Folio SF en effet, il y a aussi des séries fantasy...
Sauf que maintenant, c'est indiqué. Mais effectivement, la plupart des auteurs de SF d'entre nous en écrivent parce que nous en avons lu beaucoup et que cela nous semble naturel.
Pour l'inverse, je ne connais pas les auteurs, je ne peux donc pas répondre à leur place.
Ça fait un peu cliché et ça a tendance à beaucoup s'atténuer, mais pendant un temps il y avait aussi un certain mépris des lecteurs de SF pour la fantasy.
Je ne suis pas si sûr, en fait. C'est peut-être vrai pour certains vieux auteurs qui ne supportent pas la fantasy...
Mais je parlais même des lecteurs.
Peut-être, mais je dirais qu’ils ne forment pas la majorité. Et puis, critiquer de mauvais livres de fantasy, ce n’est pas critiquer la fantasy. Parfois, c’est même la défendre.
Qui aime bien châtie bien ?
C'est un peu ça... Quand je vois un mauvais bouquin de fantasy, ou une décalogie calquée sur un jeu de rôle, à mon avis, cela ne fait pas de publicité au genre. J'ai un peu le regard qu'a eu Damon Knight à une époque, dans les années 60 : il ne faut pas fuir l'évaluation littéraire, et il n'y a pas de raison de ménager, au nom de la défense du genre, telle ou telle bouse ! C'est pareil pour la SF. La fantasy a besoin de livres qui fassent mûrir le genre.
Un peu comme Scott Lynch avec Locke Lamora ?
Ce sont des livres comme celui-là qui font avancer les choses. Mais, parce que la fantasy est aussi protéiforme que méconnue, on se rabat sur les chiffres de vente pour déterminer ses canons au lieu de se concentrer sur les meilleurs.
Pour moi, la fantasy en est encore au stade de l'enfance. Elle a ses chefs-d'oeuvre fondateurs (Tolkien, etc.), mais pas encore la génération de chefs-d'oeuvre d'après, celle que précisément possède la SF. La fantasy a eu l'équivalent de Fondation ou de Dune, mais pas encore son Silverberg, son Sterling et autres néo-classiques de la SF. Mais bon, c’est un avis éminemment personnel et il est fort probable que je fasse fausse route !
Mais est-ce que justement le fait que la fantasy dernièrement a explosé un peu sur la scène, par rapport à la SF qui ne rayonne plus autant, même s'il y a de bons titres, joue un rôle là-dedans ?
Effectivement, c'est le rayonnement qui est en baisse, non le contenu. Les ventes baissent – ont baissé, car en fait elles sont stables depuis quelques années –, mais c'est le rayonnement qui importe. Je vois maintenant un certain inconscient collectif, un socle culturel commun à base d'extraterrestres et de robots, une certaine imagerie en train de disparaître chez les moins de vingt ans, pour être remplacée par des icônes de fantasy. De 1945 à 2000, l'imaginaire populaire disposait d’une imagerie SF très puissante avec les soucoupes volantes, les abductions d'aliens... Cela se résorbe aujourd’hui. Cela ne m'étonnerait pas que dans les prochaines années, les phénomènes de masse empruntés à la SF glissent vers des abductions par des lutins, des rencontres elfiques, etc.
Et peut-être que c'est ce glissement qui permettra dans quelque temps à la fantasy de faire émerger de nouvelles choses, quand ce sera vraiment entré dans l'imaginaire.
Je pensais qu'une génération plus adulte d'écrivains de fantasy arriverait plus vite en scène. Je vois beaucoup de jeunes auteurs qui refont Le Seigneur des Anneaux au premier degré, sans se poser de questions. Je pensais que ceux-là voudraient produire, avec le matériau de leur jeunesse, quelque chose d'adulte... En Angleterre, apparemment, il y a un mouvement d’auteurs plus exigeants. Mais je ne suis pas sûr qu’ils rencontrent le public.
Oui, parfois le buzz ne se traduit pas forcément en succès de librairies.
Peu importe. Un mouvement a d’abord besoin d’auteurs ; ensuite seulement, il faut voir si le public suit. Regardez ce qu'il s'est passé pour la science-fiction fin des années 80, début des années 90 : Banks, Simmons, Baxter, Egan… des auteurs très talentueux, écrivant de bonnes histoires, d’un très haut niveau spéculatif... On n'avait pas vu ça depuis vingt-cinq ans ! Presque un nouvel Age d'or, avec une remise à plat des thématiques (la post-humanité, les nanotechnologies, les biotechnologies démocratisées)… or, le grand public n'a pas suivi. Cela aurait pu se passer comme dans les années 40... là, le public était à l’écoute. Dans les années 90, un renouvellement des thèmes aussi riche a eu lieu, mais le public avait disparu. Mais au moins, il y a eu les auteurs !
Et les livres sont là, donc.
Qu’en restera-t-il ? On ne sait pas, mais en tout cas il y aura eu le renouvellement ; ces quinze dernières années ont vu naître des œuvres majeures – mais pas forcément très connues : peu de gens connaissent La Mère des tempêtes de John Barnes, ou certains romans de Neal Stevenson, ou Greg Egan, qui est pour moi le plus grand auteur vivant de SF... Ces auteurs-là vendent quelques milliers d'exemplaires en France.
Peut-être que le genre de la fantasy ne veut pas grandir...
Est-ce que la fantasy est vraiment destinée à produire des oeuvres adolescentes ou adultes ? C'est-à-dire des questionnements sur le réel, comme en a produit la SF ? Je ne suis pas sûr que ce soit sa vocation. J'espère du reste que son registre s'avérera plus étendu. Pour le moment, la fantasy s'adresse surtout à l'enfant qui est en nous. Cela ne veut pas dire qu'elle ne traite pas de thèmes adultes, mais elle fait appel à des structures mentales ressortissant à l'enfance, telles que le merveilleux non rationalisé, la répétition des motifs, la forme du conte... Alors que dans la SF, on trouve des éléments typiques de l'adolescence – par exemple l'expérimentation littéraire : c'est quelque chose de très adolescent, d'essayer de bousculer les formes… ce qu'a fait la BD, le surréalisme, la SF – trois médias typiquement adolescents selon moi. Je n'ai pas du tout vu cela dans la fantasy.
C'est pour cela que je n'arrive pas à mettre SF et fantasy sur le même plan, et que je ne pense pas non plus que l'essor de la fantasy ait causé la perte de la SF ! Nous vivons dans une société de consommation, et le langage de la consommation relève de l’enfance : Consomme, achète, maigris, fais ci, fais ça... La science-fiction questionne cette réalité, et tout questionnement génère de l’anxiété. Quand de surcroît ce questionnement se conjugue au futur, alors que chacun a peur de quoi sera fait le lendemain, il ne faut pas s’étonner que la SF patine, et qu’aucun écrivain relevant de la pure SF n’atteigne les chiffres de vente qu’a pu réaliser un Arthur C. Clarke naguère.
C'est vrai qu'au niveau des auteurs, autant on peut comprendre que Terry Brooks par exemple ait fait Shannara, c'était les débuts ; autant, dans les années 2000, que d'autres auteurs pourtant jeunes continuent à faire du sous-Seigneur des Anneaux, jusqu'au format identique, parfois c'est un peu lassant...
Mais je vais revenir à votre actualité... Pourriez-vous me dire deux mots – justement, c'est de la SF – sur Mémoria ?
Mémoria va paraître en juin aux éditions Le Bélial' (rappelons que cette rencontre a eu lieu en mars dernier, l'ouvrage est donc déjà paru, NdR). Le texte a connu pas mal d'avanies éditoriales, je l'ai écrit il y a déjà trois ou quatre ans.
Vous ne l'avez pas repris entre-temps ?
Non, pas du tout. Il a été accepté tel quel.
... Donc, de quoi ça parle, ce machin... ? (rires)
C'est compliqué à expliquer ?
Les bases sont très simples, et pas très originales. L'histoire se déroule dans un univers bien connu de ceux qui m'ont déjà lu, avec ce réseau de planètes reliées entre elles par les Portes de Vangk, qui permettent un voyage instantané. Cela a permis à l'humanité d'essaimer dans les étoiles. Mon héros n'a pas de nom. D'abord parce que le récit est à la première personne, ensuite parce que le personnage change sans cesse d'identité, s'appropriant les corps et les mémoires de ses hôtes, au point que sa personnalité s'est diluée au cours des siècles. C'est un être étrange, à demi humain... un tueur à gages, qui utilise ce don – en fait une simple machine de transfert, qu'il transporte dans une mallette et lui permet d'aller d'un corps à l'autre. Lui-même ne sait pas d'où vient cette mallette, si elle est d'origine humaine, extraterrestre, vangke... Il sait seulement la faire fonctionner.
Il va de contrat en contrat, ce qui lui permet de vivre un certain nombre de semaines, voire d'années, dans un corps avant de le quitter. On suit la trajectoire de ce personnage jusqu’à sa fin, puisqu’il s’agit en quelque sorte d’un compte à rebours. Il est rongé par un cauchemar, qui l'oblige à s'injecter des souvenirs conservés dans de petites capsules appelées mémorias, et qui font tampon contre le cauchemar qui gagne du terrain tous les ans. Il peut survenir au beau milieu d’une mission, de sorte que cela se passe de plus en plus mal.
Il s’agit d’une réflexion sur ce qui fait notre identité. Est-ce qu'on n'est que la somme de nos souvenirs ? C'est quoi, être humain, être je, aujourd'hui ? Quels sont les souvenirs qu'on puisse se dire authentiquement nôtres ? Le déclencheur de l'écriture de Mémoria, c'est la numérisation de films de deux familles ; je me suis rendu compte à quel point les films étaient identiques. Les films de plage, où tout le monde est habillé pareil, où tout le monde réagit pareil... Le conditionnement pour conformer son comportement et sa perception aux schémas généraux est très fort. Si on élimine toutes ces influences, que reste-t-il ?
J'ai donc essayé de mettre à nu un personnage qui se drogue à la mémoire des autres. Car c'est un peu notre lot : celui qui s'avachit devant le journal télé en croyant se relier au reste de la société, ne fait finalement pas autre chose qu’emprunter la mémoire de quelques personnes...
Dernière question : que peut-on vous souhaiter pour cette année 2008 ? En dehors du succès en librairie...
Rien, parce que j'ai tout ce qu'il me faut ! Je collabore à un jeu vidéo, ce qui a toujours été mon rêve – depuis Space invaders !
C'est signé pour quel support ?
Pour console.
Et ce sera un univers SF, j'imagine ? Ou de fantasy ?
Ni l’un ni l’autre à proprement parler.
Et on ne peut pas en savoir plus ?
Non. (rires)

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