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Interview de Bruno Cathala au salon d’Essen 2010

Par Akallabeth, le vendredi 12 novembre 2010 à 18:43:11

La boîteLors des dernières Internationale Spieltage d'Essen, notre envoyé spécial Arantar a réussi à coincer Bruno Cathala (auteur de Cyclades et des Chevaliers de la Table Ronde entre autres) et nous en a tiré l'interview ci-dessous.
Merci à nos deux interlocuteurs pour cet échange !

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Nos questions / ses réponses

Bruno Cathala, vous avez fait de nombreux jeux pour deux joueurs. C’est le côté « duel » du Western qui vous inspire ?
Non, je pense que c’est une histoire d’expérience, enfin, de parcours ludique. C’est-à-dire que j’ai passé toute ma vie, et tout particulièrement mon enfance à la campagne, sans partenaire de jeu, hormis ma sœur, ou éventuellement mon père ou ma mère s’ils avaient le temps, ce qui était très rare, et donc ma première expérience ludique a toujours été du jeu à deux abstrait : les échecs, le go, l’Othello,… et je pense que du coup ma structure mentale est orientée de cette façon-là, et j’ai plus de facilité à construire des mécanismes qui se jouent à deux.
Vous dites que ce qui est important pour un jeu c’est le côté « frustration ». On peut faire le parallèle avec un livre, où l’un des moteurs pour que le lecteur accroche, c’est de voir le héros rater de peu certains objectifs ?
De toute façon, on s’identifie (et plus particulièrement en France) plus facilement à celui qui a presque gagné qu’à celui qui a écrasé tout le monde. Ce mécanisme de la frustration est vraiment important pour moi. Les jeux que l’on aime ne sont pas ceux où l’on écrase les autres, ni ceux où l’on se fait laminer par les autres, c’est ceux où l’on est sur le fil. C’est « je gagne », et si je gagne de justesse, je peux penser que j’ai été bon, et si je perds de justesse je peux penser que je n’ai pas eu de chance. Et puis si je perds de justesse, j’ai juste le petit niveau de frustration qui me dit « j’y retourne, parce que la prochaine fois, je vais les avoir ». Et c’est ça qui fait qu’on va avoir un maximum de personnes qui vont adhérer au concept. Après, chacun a ses propres limites de frustration, et ce qui va être le juste niveau pour moi ne va pas être le juste niveau pour quelqu’un d’autre. On peut prendre l’exemple du hasard (enfin, de la façon dont les gens pensent appréhender le hasard, qui est souvent d’ailleurs complètement fausse). Certains joueurs ne vont pas pouvoir jouer à un jeu où l’on lance des dés, parce qu’ils ont le sentiment de ne rien maîtriser du tout, et donc pour eux la frustration est beaucoup trop forte. C’est vraiment un moteur ludique auquel je fais très attention.
Vous dites « créer, c’est douter ». Vous doutez combien de temps pour faire un jeu ?
Tout le temps en fait. Au moment de la première idée, au cours de son développement en permanence, parce que des voies, des chemins possibles, il y en a une infinité. « Est-ce que j’ai pris le bon ? », « Est-ce qu’on a pris le bon ? », parce que je travaille souvent en collaboration, et puis jusqu’à la sortie du jeu, parce que même une fois qu’il est signé avec l’éditeur, on ne sait pas si le jeu va rencontrer son public.
Combien de temps s’écoule entre l’idée du jeu et sa commercialisation ?
En moyenne, c’est deux ans. Ça peut aller de six mois (j’ai vécu ça, ça a été le circuit le plus rapide : six mois entre l’idée initiale et la sortie) jusqu’à quatre ans…
Qui teste les jeux ? Vous adaptez cela au public ?
En fait, j’ai des Hongrois que j’enferme dans ma cave, et ils sont assez bons… de toute façon, ils n’ont pas le choix, sinon ils ne mangent pas… Non, j’ai évidemment un cercle de proches, pas des gens de ma famille, mais sur lesquels je peux m’appuyer pour béta-tester. Mais mon premier béta-testeur, c’est moi. Parce que je pense que quand on est en phase de développement, il y a une sorte de fascination pour la création, et les gens qui sont autour ont toujours envie de changer des choses, pas parce que ça ne tourne pas, mais pour y mettre une part d’eux-mêmes à l’intérieur. Donc j’ai besoin d’eux, j’écoute ce qu’ils disent, parce qu’il y a souvent des choses très intéressantes, et qui relèvent de points importants à modifier, mais il y a aussi des idées qui fusent, et qui sont simplement « ça pourrait être autrement ». Mais pas forcément mieux. Donc voilà, je m’écoute avant tout moi-même, j’emmène le jeu avant tout là où j’ai envie de l’emmener, moi, en étant à l’écoute, mais pas de tout.
Vos sources principales d’inspiration sont les westerns, la mythologie,… Pour adapter Sans Foi ni loi dans un autre domaine, ça n’a pas été trop dur de « lâcher » le western ?
En fait, c’était une demande de l’éditeur, pas pour des raisons thématiques. Quand Descartes a disparu, et qu’Asmodée a racheté Descartes, ils ont racheté le jeu, mais les illustrations n’appartenaient pas à Descartes, et donc pour ressortir Sans Foi ni loi, ils étaient obligés de payer des illustrations, et tant qu’à faire, ils ont décidé de changer d’univers, et c’est eux qui m’ont suggéré les Mille et une nuits, et j’ai adhéré au projet. Donc non, ça n’a pas été dur, et puis ça m’a permis de retravailler le jeu différemment.
Est-ce que vous lisez de la fantasy ?
J’en ai beaucoup lu, je lis moins aujourd’hui. La dernière saga épique que j’ai lu, c’est Le Trône de fer. Dans mon adolescence, et jeune adulte, j’en ai lu énormément. Aujourd’hui, je n’ai pas assez de temps pour lire. J’ai lu à peu près tout Jack Vance, tout le Cycle des dragons de Pern, d’Anne McCaffrey, ce genre de choses… Dune évidemment… c’est de la SF, mais ce n’est pas très loin si on regarde bien…
La fantasy, une aide pour faire passer des messages politiques, comme dans Trollland ?
Ce n’est pas que ça aide, c’est que ça n’est pas possible de faire autrement. Le même jeu que Trollland, avec des humains contemporains blancs qui sont en train d’expulser des Roms et autres, c’est insupportable. Donc la seule façon de faire passer un message tout en restant ludique, c’est de basculer complètement l’univers. Les gens qu’on expulse dans Trollland sont tellement normaux, puisqu’il s’agit avant tout d’hommes, et femmes, etc. qu’on se rend bien compte à quel point les trolls sont des c******, donc ça permet de mettre en lumière les choses différemment.
Quelques coups de cœur parmi les jeux de société fantasy qui existent ?
Citadelles, évidemment, c’est un must incontournable. Même si ce n’est pas vraiment de la fantasy, mais de la mythologie au premier degré, j’ai mon Cyclades, dont je suis fier d’avoir pu travailler dessus avec Ludovic Maublanc, et une extension qui sort l’année prochaine avec toute la partie des enfers. Et sur ce salon, le gros gros coup de cœur, et je pense que ça va devenir un jeu incontournable, c’est 7 Wonders (NdR : d’Antoine Bauza). Si vous ne l’avez pas, il faut l’acheter tout de suite, vraiment !

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