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Une interview de Bruno Faidutti

Par Akallabeth, le vendredi 21 janvier 2011 à 13:10:41

B. FaiduttiBruno Faidutti est un auteur de jeux français des plus prolixe.
Auteur de best-sellers tels que Citadelles, et d'une multitude de jeux souvent en collaboration avec d'autres auteurs (Novembre Rouge,...), il est considéré comme étant au "centre" du monde ludique.
Il a aimablement accepté de répondre aux questions de votre serviteur, et ce avec une sympathie et une efficacité exceptionnelle. Un grand merci à lui.

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L'Interview

Bruno Faidutti, vous avez déjà fait de nombreux jeux dans des genres très variés, mais toujours avec des thèmes fort, quelles sont vos sources d’inspiration privilégiées ?
Assez curieusement, alors que je suis historien et passionné de littérature, mes jeux s’inspirent rarement d’univers historiques ou littéraires, ou le font sans grand sérieux. Plus qu’un univers, j’essaie dans un jeu de créer une ambiance, et certains thèmes collent naturellement à certaines ambiances. C’est pour cela qu’il est souvent plus judicieux dans un jeu de prendre un thème au second degré, c’est à dire de prendre comme thème l’imaginaire contemporain associé à un thème. C’est ce qui a été fait, par exemple, pour La Vallée des Mammouths, Mystère à l’Abbaye ou, plus récemment, Isla Dorada.
Pour créer un jeu, partez vous d'un thème précis ou bien élaborez-vous les mécanismes en premier ?
C’est la question que l’on me pose toujours, et je donne toujours la même réponse : ça dépend. En fait, les meilleurs jeux sont ceux ou un rapport dialectique se met en place entre thème et mécanisme. Un thème suggère un mécanisme, qui lui même permet de raffiner le thème, et ainsi de suite. Parfois, je pars d’un thème, y intègre des mécanismes… et change de thème.
Combien de temps la création d'un jeu vous prend elle ? Et entre la création d’un jeu et sa commercialisation ?
Là encore, il n’y a vraiment pas de règles. Entre un jeu comme Tempête sur l’échiquier, bouclé en quelques jours, ou même Ad Astra, dont les mécanismes principaux n’ont demandé qu’une ou deux semaines, et dont les réglages ont été ensuite assez rapides, et des jeux comme La Vallée des Mammouths et Isla Dorada, dont il y a eu des dizaines de versions différentes étalées sur plusieurs années, tous les scénarios sont possibles.
Quel est votre apport dans l’aspect visuel de vos jeux ?
Généralement aucun. Je suis un piètre dessinateur, et mes prototypes sont fonctionnels, mais généralement pas ou peu illustrés. Bien sûr, j’ai souvent mes idées sur la manière d’illustrer un jeu, je donne mon avis à l’éditeur, mais ce n’est pas moi qui fait les choix. Cela dit, sur mes trois dernières productions – Agent Double, Isla Dorada et Bugs, je suis vraiment très, très content du look final du jeu.
Comment faites-vous le test du jeu ? Vous avez une équipe-type ou vous choisissez vos cobayes selon la cible clientèle experts, débutants, jeunes, vénérables... ?
Je teste avec mes amis, toujours un peu les mêmes. Souvent, on commence les soirées jeux par les prototypes, parce que l’on sait que si ça ne marche pas, on peut arrêter et sortir autre chose. C’est très informel, il n’y a pas de rapport écrit, de séance de débriefing formalisée ni rien de ce genre. Je ne fais même pas de tests « hors de l’eau», sans participer au jeu et en restant spectateur, comme beaucoup d’autres auteurs le recommandent.

Comment êtes vous « rentré dans le métier » ?
Un peu par hasard. J’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment, au début des années quatre-vingt, quand les jeux de rôles ont débarqué en France et ranimé un peu l’univers compassé du jeu de société. J’ai été parmi les premiers joueurs de jeu de rôles « modernes » en France, puis j’ai découvert Cosmic Encounter, traîné sur les tous premiers salons, croisé les tous premiers éditeurs, et ça s’est fait tout seul car on était finalement peu nombreux. Ce serait certainement beaucoup plus difficile aujourd’hui.
Votre Citadelles est un best-seller du monde ludique. A votre avis, qu’est ce qui fait qu’un jeu va connaître un tel succès ou disparaître rapidement des boutiques ?
Honnêtement, je n’en sais rien. Je ne sais toujours pas pourquoi, de Castel et Citadelles, qui étaient parus en même temps et, les deux premières années, se vendaient aussi bien, c’est Citadelles qui est resté et Castel qui a disparu. Aujourd’hui, avec des sorties de plus en plus nombreuses, le succès d’un jeu est devenu extrêmement aléatoire. Il faut que le jeu soit bon, bien sûr, mais ça ne suffit pas. Il faut aussi qu’il ait de la chance. Hier soir, j’ai rejoué à Wizards Gambit, un petit jeu de cartes que je trouve vraiment excellent, paru il y a trois ou quatre ans. Il a dû s’en vendre deux ou trois mille, le jeu a disparu, l’éditeur a disparu. Pourtant, c’est le type même du jeu dont j’aurais parié qu’il ferait un tabac…
Elbakin.net étant dédié à la fantasy, êtes vous un lecteur assidu/occasionnel /pas du tout de fantasy ? Pensez vous que jouer à un jeu de société puisse procurer des sensations comparables à la lecture d’un roman et s'imaginer en être le héros ?
On va dire très occasionnel. Je suis un grand lecteur de romans américains, mais assez peu porté sur la Fantasy. Bien sûr, j’ai relu Tolkien deux ou trois fois, comme tout le monde, et j’aime beaucoup Harry Potter. Je me suis même surpris à me laisser prendre par Le Trône de Fer, dont la qualité littéraire est proche du zéro absolu mais dont l’univers et les personnages vous accrochent comme un vieux roman feuilleton. Le dernier bouquin de Fantasy que j’ai trouvé vraiment bon est The Lies of Locke Lamora, de Scott Lynch. Un bel univers, et une belle écriture.
Jeu et roman ont un peu la même fonction, reposer la tête en plongeant le lecteur dans un univers plus simple que la réalité, dont il comprend les tenants et les aboutissants. C’est d’ailleurs particulièrement vrai des romans de Fantasy, dans lesquels les bons sont le plus souvent vraiment bons et les méchants vraiment méchants, ce qui n’est pas le cas dans la vraie vie – enfin, pas toujours. Cependant, les procédés sont assez différents, il y a plus d’action et d’interaction dans un jeu, plus de rêve dans un roman. On ne peut pas lire à plusieurs.
Beaucoup de jeux sont à thèmes fantasy, pensez vous que c’est un phénomène de mode ou que c’est un genre qui se prête facilement au monde ludique ?
Je dirais que c’était un phénomène de mode. Il y a une vingtaine d’années, vous pouviez trier vos boites de jeux entre d’une part celle avec des dragons et des chevaliers, et d’autre part celles avec des vaisseaux spatiaux. Aujourd’hui, la science fiction a quasiment disparu du monde ludique, et la fantasy est devenu assez marginale. Il sort des jeux sur des thèmes très variés, aussi fascinants que la vie des agriculteurs au dix-septième siècle ou la gestion d’un parc de centrales électriques en Allemagne.

Vous avez fait une thèse d’Histoire sur la Licorne, avez-vous cherché à faire un jeu ayant un thème centré autour de celle-ci ?
J’y ai vaguement pensé de temps à autre, mais je n’ai jamais vraiment trouvé d’approche satisfaisante. « La licorne », ça ne fait pas un thème de jeu ou de roman. Il faut une licorne dans un endroit précis, à une date donnée, et ça devient alors trop restrictif.
Quelles pistes aimeriez vous explorer dans le futur ?
J’avoue être un peu lassé de la création ludique. Je suis en train de reprendre un peu mes études, et mis à part quelques tous petits projets, j’ai arrêté de réfléchir à des systèmes de jeu. J’ai encore pas mal de jeux qui vont sortir, mais ce sont tous ceux que j’avais signés il y a un ou deux ans. Ensuite, ce devrait être le calme plat pendant quelques temps.

Avez-vous des coups de cœur à nous faire partager ?
En littérature un peu fantastique, même si ce n’est pas vraiment de la fantasy, Infinite Jest, de David Foster Wallace, et Against the Day, de Thomas Pynchon. En jeux de société, plein de trucs, des tous petits Dobble ou Timeline aux plus ambitieux Norenberc ou Troyes, en passant par des trucs bizarres comme Gosu ou Le Donjon de Naheulbeuk.

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