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La Ménagerie de papier

Titre VO: The Paper Menagerie

ISBN : 978-284344133-2
Catégorie : Aucune
Auteur/Autrice : Ken Liu

 « Elle plaque la feuille sur la table, face vierge exposée, et la plie. Intrigué, j’arrête de pleurer pour l’observer. Ma mère retourne le papier et le plie de nouveau, avant de le border, de le plisser, de le rouler et de le tordre jusqu’à ce qu’il disparaisse entre ses mains en coupe. Puis elle porte ce petit paquet à sa bouche et y souffle comme dans un ballon.
     « Kan, dit-elle. Laohu. » Elle pose les mains sur la table, puis elle les écarte.
     Un tigre se dresse là, gros comme deux poings réunis. Son pelage arbore le motif du papier, sucres d’orge rouges et sapins de Noël sur fond blanc.
     J’effleure ce qu’a créé Maman. Sa queue bat et il se jette, joueur, sur mon doigt… »

Critique

Par Gillossen, le 01/04/2015

Que dire que l’on n’ait pas déjà raconté sur Ken Liu ?
Nous avons justement déjà présenté ce jeune auteur dans l’introduction de la chronique de The Grace of Kings, son premier roman de fantasy épique, qui sort d’ailleurs enfin officiellement en langue anglaise en ce beau mois d’avril.
Dans le cas présent, Le Bélial’ a choisi de faire découvrir à celles et ceux qui n’auraient encore rien lu de lui le versant auteur de nouvelles de Ken Liu, celui-là même qui lui a permis de se faire connaître et d’accumuler les prix les plus prestigieux de la sphère des littératures de l’imaginaire, en un laps de temps aussi court qu’impressionnant.
Et si La Ménagerie de papier donne son nom au recueil proprement dit, le fait est que le présent ouvrage balaie tout l’éventail de ce champ des possibles, et, autant le signaler d’emblée, la science-fiction occupe une large part du recueil. La fantasy n’est pas en reste et a même droit à plusieurs pépites, mais globalement, les nouvelles penchant davantage vers d’autres genres de l’imaginaire dominent. Est-ce un problème ? Bien sûr que non. Dans tous les cas, la bonne littérature, quelle qu’elle soit, prime toujours.
Et Ken Liu incarne à lui seul cette claque salutaire, l’alliance du fond et de la forme. Peu importe les genres, Liu est un écrivain au talent pur et irradiant, dont l’éclat brille de récit en récit, du début à la fin du recueil. L’auteur le dit lui-même en introduction : pour lui, il est avant tout question de raconter des histoires, peu importe les quelconques questions de classifications. Ce besoin, c’est quelque chose que l’on partage tous, depuis bien longtemps ; nous raconter des histoires pour supporter un monde « froid et hasardeux ».
Et ce sont bien ces mêmes histoires qui sont ici au cœur de tout. De la pure SF en quête d’une nouvelle Terre, mais une SF baignée de philosophie japonaise - Mono no aware - à un récit beaucoup plus inquiétant et même pessimiste, tel que Faits pour être ensemble, Ken Liu semble à l’aise dans tous les registres, et pas seulement les genres. Mais peu importent les nouvelles : il y a toujours chez lui une humanité prégnante qui émane de ses mots, une délicatesse ouatée qui n’a d’équivalent que la puissance de ses thématiques. Qui dit humanité dit émotions, en tout cas, le plus souvent, et là encore c’est un sans faute de la part de l’écrivain américain. Jamais il ne tombe dans le pathos, alors que les occasions semblaient pourtant nombreuses à première vue, quand on songe là encore à tout ce que Liu met de lui dans ses nouvelles. S’il puise effectivement dans ses racines et son parcours (sa famille a quitté la Chine pour les États-Unis quand il avait 11 ans), il s’adresse surtout à tout un chacun, ne serait-ce que parce que ses textes, voire ses univers, sont souvent liés à notre (triste ?) réalité. Il sait rester sur le fil du rasoir, laissant le lecteur la gorge nouée sans jamais donner l’impression de chercher à manipuler ses émotions. Le lecteur précisément demeure toujours libre de faire ses choix et de suivre ou pas son cœur.
Mais les qualités de Ken Liu ne se retrouvent pas seulement dans le choix de ses thèmes ou la façon dont il sait faire naître l’émotion, pure et vibrante. Parfois, en quelques pages seulement, l’auteur parvient à faire preuve d’une inventivité renversante, portée par une plume toujours aérienne, mais qui ne s’étiole pas au gré de ses envolées. Il faut dire qu’il y a souvent plusieurs niveaux de lecture chez lui et que le point central de telle ou telle nouvelle n’est pas forcément celui que l’on croit. Ainsi, encore une fois, les relations entre personnages s’avèrent souvent plus importantes que tout le reste, aussi réussi soit ce reste (le cadre, l’atmosphère, voire le sujet de base lui-même, etc.).
Pour reprendre les propos de Ken Liu, tout acte de communication est un miracle de traduction, activité que l’auteur pratique aussi. Qui peut nous assurer que ses mots provoquent chez nous les mêmes visions que chez lui au moment de les coucher sur le papier ? Il n’y a pas de garantie, certes. Mais, l’espace de quelques pages, nous avons su établir un lien avec lui, fragile, peut-être, mais finalement ô combien rassurant. Et cette connexion, difficile de nier qu’elle ne se fait pas toujours avec certains auteurs, malgré la meilleure volonté du monde, de leur côté ou du nôtre.
C’est sans doute cela aussi le talent.
Le seul reproche que l’on pourrait faire à ce recueil, c’est de laisser de côté certains textes de Liu que l’on aurait souhaité voir compilés ici avec les autres (Small Little Favors, Good Hunting…), car tout à fait à la hauteur de cette sélection. Tant pis. On espère d’ores et déjà un second volume de ce genre, histoire d’avoir toutes ces nouvelles à portée de main. Car, s’il fallait encore vous inciter à vous procurer ce recueil, sachez que l’œuvre de Ken Liu supporte très bien la relecture. Nous n’irons pas jusqu’à dire que l’on découvre à chaque fois de nouveaux éléments, mais pas loin. Et dans le « pire » des cas, si le concept est un peu en-dessous, vous pouvez toujours compter sur l’exécution, brillante.
Fantasy, science-fiction, fantasy… à chacun sa porte d’entrée. En tout cas, il serait bien dommage de rester sur le seuil !

9.5/10

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