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Ursula Le Guin et la mini série de Terremer

Par Luigi Brosse, le lundi 20 décembre 2004 à 22:27:53

Ursula Le GuinAlors que les deux premiers volumes de Terremer, l'œuvre phare d'Ursula Le Guin viennent d'être adaptés sous forme d'une mini-série par la BBC, l'auteur revient sur sa (non)participation au projet et nous livre son avis sur cette adaptation. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle ne prend pas de gants pour signifier son mécontentement !

A découvrir donc dans notre traduction.

Terremer à la télévision

Contexte : ma (non)implication dans cette production

Pour les gens qui se demandent pourquoi « je me suis vendue à Halmi », ou « je les ai laissé changer l'histoire » -- vous trouverez peut-être quelques réponses ici.

Les producteurs (n'incluant pas encore Robert Halmi Sr.) m'ont abordé avec une offre raisonnable. Mon agence artistique était Williams Morris à ce moment-là. Bien entendu le contrat ne me donnait que le statut standard de « consultante » -- ce qui est exactement le sens que les producteurs veulent lui donner, presque toujours le minimum ou rien. L'agence ne pouvait pas améliorer cette clause. Mais les acheteurs parlaient comme s'ils avaient vraiment l'intention de respecter les livres et de demander ma contribution pour la planification du film.

Comme j'avais adapté les deux premiers livres moi-même il y a des années avec Michael Powell, et que j'avais également travaillé avec d'autres scénaristes pour planifier son script du premier livre, je pouvais être utile pour eux. Je connaissais certaines des difficultés en portant cette histoire à l'écran. Et certaines des possibilités qui pouvaient être accomplies également, les choses qu'un film peut faire et qu'un roman ne peut pas accomplir. C'était une perspective enthousiasmante.

Ils parlaient en ce temps-là d'un grand film pour le cinéma, bien que les possibilités d'une mini-série TV aient été mentionnées. Ils disaient qu'ils s'étaient déjà assuré Philippa Boyens (qui a fait le script du Seigneur des Anneaux) en tant que scénariste principale, et ils avaient dit qu'elle était avide de travailler sur un film de Terremer. Comme le script était, pour moi, capital, sa présence était le facteur clé dans ma décision de leur vendre les droits du film.

Le temps a passé. Avant qu'ils aient obtenu le soutien de la chaîne Sci Fi pour une mini-série - et que Robert Halmi Sr. soit monté à bord - ils avaient perdu Boyens.

Ce fut un choc. Mais je venais de voir la mini-série Dreamkeeper de M. Halmi avec son étonnant casting d'Indiens d'Amérique, donc je leur ai dit dans une conversation téléphonique, Hé, peut-être que M. Halmi choisira certains de ces supers acteurs dans Terremer ! - Oh, non m'a-t-on dit - M. Halmi trouvait impossible le fait de travailler avec des gens comme ça.

Eh bien, ai-je dit, vous réalisez que presque tout le monde dans Terremer est "comme ça", ou en tout cas pas blanc ?

Je ne me souviens pas de leur réponse par rapport à ça - cela aurait pu être ce mot magnifiquement ambigu, « daltonien » -- mais ce n'était pas rassurant, car je me souviens avoir dit à mon mari, Oh mince, je parie qu'ils vont avoir un Ged blanc...

C'était pendant l'été 2004. Ils allaient alors très vite, car s'ils ne commençaient pas la production, ils perdaient leurs droits sur la propriété. Plus tôt durant cette période ils m'ont contacté de façon amicale, et j'ai répondu gentiment ; j'ai demandé s'ils voulaient avoir une liste de prononciation des noms ; et j'ai dit que, malgré le fait que je sache bien qu'un film doit être très différent d'un livre, j'espérais qu'ils ne feraient pas de changements inutiles au scénario ou aux personnages - une chose dangereuse à faire, vu que les livres sont connus par des millions de personnes depuis plus de 30 ans. Pour cela ils ont répondu que le public TV est bien plus grand, et entièrement différent, et des changements à l'histoire du livre et aux personnages n'avaient aucune importance pour eux.

Ils m'ont ensuite envoyé plusieurs versions du script - et ils m'ont dit que le tournage avait déjà commencé. En d'autres termes, j'avais été complètement coupée du processus.

J'ai retiré mon offre de guide de prononciation (ainsi Ogion, qui devrait se prononcer « O-gu-ionne », devient « Oh-dji-onne » dans le film). En ayant lu le script, j'ai réalisé qu'ils n'avaient aucune compréhension de ce dont parlent les deux livres, et qu'ils n'avaient aucun intérêt pour découvrir cela. Leurs uniques intentions étaient d'utiliser le nom Terremer, et certaines scènes des livres, dans un vulgaire film de magie avec un scénario vide de sens basé sur le sexe et la violence. (Et la foi -- selon M. Halmi. La foi en quoi ? Qui sait ? Qui s'en préoccupe ?)

Larry Landsman, qui s'occupe des derniers points du livre chez Sci Fi et qui a été très gentil, m'a envoyé un premier CD du film, donc je l'ai vu quelques semaines avant qu'il sorte.

Je ne pouvais plus rien y faire à ce point, et je n'ai rien dit de négatif en public. Cela semblait malhonnête de gâcher ça avant que d'autres personnes aient une chance de le voir. De toute façon, à quoi bon se plaindre ? Prenez l'argent et allez-y, comme n'importe qui. Un jour, quelqu'un fera un vrai film sur Terremer...

Mais ensuite M. Lieberman a publié une déclaration affirmant aux gens ce que Ursula (qu'il n'avait jamais rencontrée) attendait par rapport aux livres. Cela changeait la situation. Ils profitaient de mon silence en plaçant les mots dans ma bouche. J'ai mis une réponse sur mon site web, et depuis ils ont parlé librement aux journalistes qui demandaient mon opinion sur la production.

Mon sentiment général par rapport à cela est la tristesse, la perte. Une opportunité gâchée, à grands frais. Je suis désolée pour les acteurs. Ils ont tous ardemment essayé. Je suis désolée pour les gens qui pensent avoir vu Terremer, mais qui ont vu au-lieu de cela une reprise sans intérêt et absurde de morceaux d'autres films de fantasy. Je suis extrêmement désolée pour mes lecteurs qui attendaient impatiemment en pensant voir une version filmé de mes livres. Auprès de vous, lecteurs, je m'excuse. J'adore les films, et je voulais voir un film Terremer, donc je suis abattue par rapport à ça. Je suis désolée ! Nous ferons mieux la prochaine fois.

Concernant les race, les couleurs et le blanchiment

La plupart des personnages dans mes livres de fantasy et de SF ne sont pas blancs. Ils sont métis, ils sont arc-en-ciel. Dans mon premier grand roman de SF, La Main Gauche de la Nuit, la seule personne venant de la Terre est un homme noir et tous les autres dans le livre sont basanés Inuit (ou Tibétain). Dans mes premiers romans de fantasy (ceux sur lesquels la mini-série est « basée »), Le Sorcier de Terremer et Les Tombeaux d'Atuan, tout le monde est basané, à la peau rouge, ou noir, à l'exception du peuple Kargish à l'Est et leurs descendants dans l'Archipel, qui sont blancs, avec des cheveux blonds ou foncés. Tenar est un Karg, une personne blanche foncée. Ged vient de l'Archipel, c'est un homme à la peau rouge-brun. Vetch, venant du Reach Est, est noir.

Cet arrangement de couleurs était intentionnel et délibéré depuis le début. Je ne voyais pas pourquoi tout le monde dans la SF devait être un blanc nommé Bob ou Joe ou Bill. Je ne voyais pas pourquoi tout le monde dans l'héroïc-fantasy devait être blanc (et toutes les femmes avaient « des yeux violets »). Je n'y croyais même pas. Les blancs sont en minorité sur Terre maintenant - pourquoi ne seraient-il pas encore soit une minorité, ou alors simplement engloutis par les gênes de couleurs, dans le futur ?

La fantasy traditionnelle que j'écrivais vient de l'Europe du Nord, voilà pourquoi cela concernait des blancs. Je suis blanche, mais pas européenne. Mes personnages pourraient être de n'importe quelle couleur. J'ai aimé, et j'aime les peaux-rouges, les basanés et les noirs. J'étais un peu rusée dans mon arrangement de couleurs. J'ai pensé que certains enfants blancs (les livres ont été publiés pour « jeunes adultes ») pourraient ne pas s'identifier facilement avec un enfant basané, donc j'ai en quelque sorte atténué l'information concernant la couleur de peau par niveaux - en espérant que le lecteur entrerait « dans la peau de Ged », et ne découvrirait que par la suite qu'il n'est pas blanc.

Aucun éditeur ne m'a jamais posé de question là-dessus. Aucune objection n'a jamais été faite. Je pense que c'est grandement à l'honneur de mes premiers éditeurs chez Parnassus and Atheneum, qui ont acheté les livres avant d'avoir une réputation pour les vendre. Ces éditeurs ont pris un risque sans se plaindre.

Mais j'avais des problèmes interminables avec les couvertures. Pas sur la super couverture de la première édition - un profil correct de Ged - ou avec les quatre belles peintures de Margaret Chodos Irvine - mais toutes, trop souvent. La première anglais du Sorcier était ce gars blafard, sans couleurs - j'ai hurlé en le voyant.

J'ai eu graduellement un peu plus d'influence, un peu plus de permissions sur les couvertures. Et très, très, très graduellement, les départements couverture des éditeurs principaux ont commencé à perdre leur terreur aveugle et angoissée de mettre un visage de couleur sur un livre. Ca gâche les ventes, ça gâche les ventes, tel est le mantra. Ouais, et alors ? Sur mes livres, un Ged au visage blanc est un mensonge, une trahison - une trahison des livres, et des lecteurs potentiels. Un visage basané pourrait gâcher les ventes à court terme, mais mes livres sont des coureurs de longue date, et pour une longue route, seule la vérité est utile.

Je pense qu'il est possible que certains lecteurs n'aient même jamais remarqué la couleur des gens dans cette histoire. Ne remarquent pas, ne se préoccupent pas. Les blancs ont bien entendu le privilège de ne pas se préoccuper, d'être « daltonien ». Personne d'autre ne le fait.

J'ai entendu, pas souvent, mais de façon très mémorable, venant de lecteurs de couleur qui me disaient que les livres de Terremer étaient les seuls livres du genre dans lesquels ils avaient l'impression d'être compris - et à quel point c'était important pour eux, particulièrement en tant qu'adolescents, qui n'avaient rien trouvé à lire en fantasy et en SF à part les aventures de gens blancs dans un monde blanc. Ces lettres ont été une récompense formidable et une vraie joie pour moi.

Je n'ai pas eu de protestations venant de lecteurs blancs qui n'appréciaient pas du tout le fait de lire ce qui concernait des personnes de couleur, mais les sectaires raciaux cachent souvent leur sectarisme derrière des accusations de « sorcellerie » et autre. Les livres de Terremer ont été forcé à plusieurs reprises de passer par toute la gamme d'interdictions scolaires mises en place par les chrétiens fondamentalistes. Ces opérations de censure contre les écoles et les librairies sont plus fortes que jamais dans le climat actuel de religion et de politique. Ils se focalisent souvent sur les livres de fantasy et de SF, qui stimulent cet ennemi mortel vers le sectarisme et la foi aveugle, l'imagination. Jusqu'ici aucun lecteur de couleur ne m'a dit que je ne devrais rien faire, ou que mon sens ethnique était incorrect. Quand ils le feront, j'écouterai. En tant que fille d'anthropologiste je suis intensivement consciente du risque d'impérialisme culturel ou ethnique - un auteur blanc parlant de personnes de couleurs, désignant leurs voix, un acte d'une extrême arrogance. Dans un monde fantasy totalement inventé, ou un futur de SF, dans le monde arc-en-ciel que nous pouvons imaginer, le risque est atténué. C'est la beauté de la SF et de la fantasy - la liberté d'inventer.

Mais toute liberté est accompagnée de responsabilité...

...ce que ces cinéastes semblent ne pas comprendre.

Ces livres parlent de deux jeunes personnes découvrant quels sont leurs pouvoirs, leur liberté et leur responsabilité. Je ne sais pas de quoi parle le film. C'est rempli de scènes provenant de l'histoire, mais dans cette intrigue différente, elles n'ont plus de sens. Son héros traverse plusieurs expériences de Ged, mais n'en apprend rien. Comment pourrait-il ? Il n'est pas Ged. Ged n'est pas un irascible garçon blanc.

C'est comme d'avoir choisi Eminem pour Jim dans Huckleberry Finn.

Et comment est arrivé Danny Glover, le Grand Mage, dans cet archipel de Clorox ? De quelle île vient-il ? Pauvre gars ! Pas étonnant qu'il obtienne un mélange du vrai nom et du surnom, et qu'il baptise solennellement Ged avec son surnom !

Je suis vraiment désolée pour les acteurs. Ils ont tous ardemment essayé. Ce n'est pas de leur faute.

Traduction réalisée par Guybrush


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