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Krystal Camprubi, l’illustration comme un tout

Par Witch, le jeudi 25 avril 2013 à 15:04:40

Connue pour ses nombreuses couvertures de livres et pour ses illustrations, Krystal Camprubi est l'auteur de Oghams, le Temps des Elfes, sorti en 2009 et qu'elle avait entièrement réalisé. Elle a travaillé activement sur la suite, très attendue par ceux qui avaient aimé le premier opus, et c’est principalement autour de la réalisation de ce projet, dont la sortie est imminente, que nous avons devisé avec elle.
L'interview est suivie de deux images de la publication à venir.

Merci à Orfilinn pour cette interview exclusive.

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L'interview

Avant d'en venir à votre actualité, vous êtes illustratrice, comment a commencé pour vous cette activité et comment se sont passées vos précédentes collaborations avec des auteurs ?

Mon parcours a été plutôt sinueux. Si j'avais pu, cela aurait été quelque chose comme « un artiste total ». J'ai débuté dans la musique avant de me tourner vers les arts graphiques, sur le conseil de Siudmak. Pour les amateurs de peinture, il reste bien sûr une figure de proue de l'art fantastique, dans la digne lignée de Dali. Le public plus jeune, hélas, le connaît moins. Mais fut un temps, tous les amateurs du genre se ruaient sur les livres de Pocket, éditeur qui avait pris Siudmak pour fleuron. Certains avouent même volontiers qu'ils ont acheté des livres pour les couvertures, sans en lire une ligne par la suite.
Siudmak a été un mentor pour moi, entre autres parce qu'il est l'exemple d'un peintre qui a fait son chemin dans l'illustration. Or pour moi, les deux aspects comptaient. Siudmak m'a présenté à mes premiers éditeurs. C'est ainsi, donc, que j'ai commencé mon parcours dans l'illustration.
J'ai toujours été attirée par les métiers d'interprétation. En musique, mon goût m'avait poussé non à la composition, mais à l'interprétation. Je suis attirée par le cinéma aussi, et j'ai suivi quelques stages dans le milieu, notamment de l'acting (au cours Florent à Paris).
Finalement, le métier d'illustrateur, c'est dans le monde du livre ce qu'est le métier d'acteur dans le monde du cinéma. Nous nous coulons dans un rôle écrit par un auteur. L'éditeur joue le rôle de la maison de production, qui assure le bon déroulement de tout le processus et la partie financière.
Mais curieusement, j'ai constaté que le métier d'illustrateur était bien souvent regardé avec une certaine condescendance par une partie du milieu, comme si nous étions la dernière roue du char. Des « faiseurs ». Mais l'illustrateur n'est pas moins artiste que l'acteur qui incarne un rôle et prête son talent pour entrer dans la peau d'un autre ! Illustrer demande la même disponibilité, la même capacité à prêter sa maîtrise technique à un univers que quelqu'un d'autre a d'abord pensé et imaginé. Un bon illustrateur est pour moi celui qui peut changer de peau et sait se faire oublier derrière son rôle...

Si j'étais attirée par l'illustration, c'était non seulement par goût du livre, mais aussi parce que je trouvais extraordinaire la possibilité de faire se répondre deux arts en un produit : sur un livre, l'auteur et l'illustrateur partagent un même univers, chacun avec son langage.
Je me suis vite rendue compte qu'en dehors de la BD, auteurs et illustrateurs travaillent rarement en synergie. J'ai donc essayé d'inverser la tendance, car c'était pour moi une partie importante du plaisir et du challenge. C'est ainsi qu'est né Toi Lumière de ma Nuit, avec Christian Grenier. Nous avons décidé de faire de cette synergie une base du livre, puisque chacun s'est nourri de l'univers de l'autre pour créer, à quatre mains, une histoire commune. On peut dire que Christian a tenu la plume et moi le pinceau, mais le monde est bien un produit de nos deux imaginaires. Il s'est construit par connivence. D'une manière générale, lorsque je travaille à une couverture, je trouve plus enrichissant d'être en contact avec l'auteur.

On se rend souvent compte que maintenant, la majorité des couvertures de livres sont des illustrations exclusivement réalisées en peinture numérique. Est-ce votre cas, et que pensez-vous de cette tendance ?

En quelques années, le profil de l'édition a changé. Les ordinateurs ont pris une place toujours plus grande dans nos vies, et ce n'est pas illogique qu'il en ait été de même dans l'édition. La peinture numérique permet d'aller plus vite, mais facilite aussi les reprises.
Forcément, ce qui au début était un « plus » est vite devenu la norme. Les éditeurs ont commencé à demander des changements importants dans les images, dans des délais toujours plus rapides. Cela rend aujourd'hui indispensable un minimum de connaissance des illustrateurs en matière informatique...
J'ai mis un certain temps avant d'accepter de toucher à un stylet, mais j'ai fini par m'y prêter, par pure curiosité d'abord, et ensuite, pour être capable de répondre à cette demande.
D'un point de vue personnel, je trouve l'outil digital extraordinaire, mais il ne remplace pas la peinture. Il la complète. De la même manière que l'apparition de la photo n'a pas condamné la peinture, mais l'a appuyée. Que faut-il penser de son omniprésence dans l'illustration ?
Pour être honnête, ce qui transparaît de l'image d'origine, pour le public, c'est une reproduction. Donc qu'elle soit faite sur écran, ou sur papier, par pinceau ou aérographe - ou même dans l'absolu -, l'inclusion de photo, si elle est bien réalisée, n'a pas réellement d'importance. Finalement, tout cela se termine par des pigments posés par une machine.
Ce qui importe, c'est la qualité graphique. L'esprit. L'atmosphère qu'on réussit à instiller à notre image, et comment celle-ci transparaît dans le format final.
Cela va plus loin que la technique pure : faire une bonne image demande un bagage qui transcende l'aspect technique. Si une texture photo-réaliste se fait en un clin d’œil sur un ordinateur, le numérique ne corrige pas par magie des problèmes de conception de lumière, de perspective ou d'anatomie...
Sur un plan personnel, je trouve mon compte dans le fait d'utiliser une tablette graphique pour les couvertures de livre, quand les délais sont serrés et qu'on risque de m'imposer des changements en cours de route. C'est aussi un précieux moyen de réaliser mes études, en amont des peintures à huile, de façon à éviter trop de repentirs. En revanche, le numérique a SA sensibilité, qui n'est pas la même que celle de l'huile ou de l'aquarelle. Par conséquent, quand c'est pour un projet personnel, j'évalue toujours en amont quel média je dois utiliser pour donner à l’œuvre le rendu et l’atmosphère que je lui souhaite. Et là, il se peut qu'une aquarelle soit beaucoup plus satisfaisante qu'une peinture numérique...

A propos de livres : vous avez des inspirations, des lectures qui vous ont particulièrement marquées ?

Je suppose que je vais être tout sauf originale en citant Tolkien, mais c'est une vérité : Tolkien est peut-être l'Auteur, s'il en était un seul à retenir, qui m'a fait pencher pour le métier d'illustrateur. Il faut dire aussi que Alan Lee, l'un des plus grands illustrateurs de Tolkien, fait partie de mes grands coups de foudre picturaux... C'est donc un choix sans surprise.
Mais mes lectures ne sont pas essentiellement orientées vers la fantasy ; dans mes grandes amours littéraires, je citerai volontiers Dumas. Toute la saga des trois Mousquetaires, 20 ans après, le Vicomte de Bragelonne, a été une révélation ; comme tous les livres qui m'ont marquée, je les lis et les relis, sans jamais me lasser.
J'aime les œuvres romantiques d'une manière générale, mais plutôt décadentes, ou psychédéliques. Lewis Carroll, Oscar Wilde, Huysmans...
Enfin, dans mes premières amours, la poésie. Je suis une fervente lectrice de poésie. De Malherbes à Ponge, de Rimbaud à St John Perse.
J'éprouve le besoin d'en relire régulièrement, comme si par cette forme de littérature, je pouvais satisfaire mon goût de la langue pour la langue, en dehors de toute considération de scénario.

Parlons d’Oghams, le Temps des Elfes. Vous avez réalisé textes, illustrations et maquettage du livre. Rappelez-nous la genèse de cette création, et son histoire ?

Quand j'ai commencé dans l'illustration, je suis entrée par la petite porte de la « féérie ». Mon désir n'était pas de me cantonner à ce genre, mais incontestablement, le merveilleux fait partie de mon univers. Des premières idées ont commencé à germer autour d'une sorte d'herbier féérique. C'était avant la vague qui en a vu naître beaucoup d'autres. Ma démarche consistait à chercher des similitudes dans la vêture et l'apparence de petits êtres associés à différentes plantes. Je cherchais aussi à y associer quelque chose de plus profond, comme par exemple, des choses en rapport avec l'étymologie ou simplement, les effets de la plante en question. Par exemple, pour la Belladone (belle-dame) dont les fruits sont noirs et qui a la propriété de provoquer une mydriase, j'avais travaillé sur une fée exotique, aux pupilles entièrement dilatées. Mais il me manquait quelque chose qui fasse étincelle et donne une cohésion narrative au projet. Je l'ai donc laissé dormir dans les tiroirs.
Dans les temps qui ont suivi, je me suis plongée d'avantage dans l'univers des celtes. Et j'ai découvert leur alphabet ancien, plutôt méconnu, qu'on appelle les Oghams. Un ensemble de lettres-symboles. Chacune de ces lettres est associée à une plante, à un moment de l'année (disons un « mois », mais qui ne correspond pas à la découpe des nôtres) et à tout un réseau de symboles. La complexité du sujet et tous ses potentiels m'ont littéralement séduite. C'est ainsi que j'ai développé l'histoire d'une jeune femme qui partait rechercher sa petite sœur dans un monde parallèle (elfique), en suivant le rythme et la symbolique du calendrier celte.

Mettre en images une histoire que l'on a soi-même écrite, quels avantages ou contraintes supplémentaires cela induit, par rapport à vos précédents travaux destinés à illustrer le propos d'un auteur ?

C'est un travail tout simplement très différent. Comme je le soulignais tout à l'heure, l'illustration qui se voue au travail d'un autre est une forme d'interprétation. On visualise ce qui nous est décrit (si on a la chance d'être en contact avec l'auteur, on peut aussi lui demander comment il voit tel ou tel personnage, telle ou telle scène), mais ensuite, la peinture qui en découle n'a pas de raisons de se heurter au jugement du « moi intérieur ». Quand on est parvenu à fixer la représentation, c'est fini.
Illustrer une histoire qu'on écrit soi-même est évidemment un travail plus personnel. Mais si on le fait avec sincérité, on a l'impression de ne jamais totalement atteindre son but. Car l'univers existe dans notre tête, pur, complet, parfait. Aussi, c'est un challenge de le représenter avec vérité.

Vous prévoyez de sortir le 2ème tome d'ici peu, vous travaillez dessus depuis plus d'un an, pouvez-vous nous en parler ?

Oghams, quand il a été prévu, devait faire quelque chose comme 160 pages. L'éditeur à qui j'avais apporté le projet était sceptique quant à la sortie d'un ouvrage si épais, et nous avons convenu de le couper en deux. Pour diverses raisons, le projet a été bloqué entre les deux tomes. Pendant tout le temps nécessaire pour débloquer la situation, je n'arrivais pas à me détacher de l'obsession de mon sujet, mais je ne pouvais pas, pour des raisons de droits qui n'étaient pas résolus, continuer l'histoire normalement. Il a donc fallu que je passe ailleurs mon inspiration et que je la canalise différemment.
Ce qui aurait pu être une expérience assez traumatisante, du point de vue créatif, a été au contraire une pure explosion inspiratrice, un petit mal pour un grand bien. Car pendant plusieurs mois, je me suis formée à différentes choses, ou bien j'ai creusé des domaines artistiques que je n'avais pas eu le temps, jusque-là, d'approfondir. Et j'ai pu ainsi donner corps au monde d'Oghams physiquement, par le biais de bijoux, de costumes, de sculptures. Même lorsque j'ai pu retravailler au deuxième tome, j'ai continué avec bonheur à créer des objets de sorte que j'ai à présent un mini-cabinet de curiosités elfiques à disposition des expositions. Par contrecoup, ces objets m'ont permis de pousser plus loin le réalisme des peintures, et je suis maintenant convaincue que c'est une voie artistique que je dois poursuivre, en ce qu'elle répond à la recherche de syncrétisme que j'ai toujours menée.

Pour la sortie du tome 2, vous avez décidé de passer par une phase de souscription, pourquoi ?

Il a toujours été évident que d'une manière ou d'une autre, je devais ce deuxième tome à mon public. Sur les salons, les amateurs du premier se succédaient depuis un moment déjà pour me demander des nouvelles de la suite.
Attendu que je n'allais pas sortir le deuxième tome chez l'éditeur du premier, deux choix s'offraient à moi : soit je cherchais un autre éditeur (mais encore aurait-il fallu qu'il accepte de publier la seconde moitié d'une histoire dont il n'avait pas soutenu le début), soit je prenais moi-même les devants, en m'appuyant sur les lecteurs du premier tome.
Avec la crise économique dont les secousses se sont fait ressentir dans le monde du livre, avec la montée en puissance des moyens de communication personnels (réseaux sociaux, etc.) et avec, enfin, les liseuses électroniques, le monde du livre et de l'édition change drastiquement aujourd'hui. Je ne serais pas étonnée que dans les années à venir, la synergie entre un auteur et son public soit beaucoup plus directe, comme ça a été le cas dans le monde de la musique. Et à tout bien y réfléchir, c'est une option que j'ai envie de tenter. Tout le monde y gagne : l'auteur est en contact avec son public et ne passe plus par un intermédiaire. Il peut, en outre, donner le meilleur de lui-même puisqu'il n'est pas contraint par une date contractuelle. Il est libre d'explorer son univers intérieur sans avoir à se plier aux « lignes éditoriales », trop dirigées par les modes et le besoin de « placer » des livres. On peut donc tenter une littérature de niche qui finalement, rend l'œuvre plus intéressante et plus unique. D'un autre côté, le public peut profiter de petits avantages car les souscripteurs sont récompensés de leur fidélité. Le plus difficile, c'est de commencer. Mais je suis prête à en faire l'expérience.

Le livre sera accompagné d'une exposition de créations originales entièrement réalisées par vos soins. Vous avez d'ailleurs choisi d'assurer la promotion du livre via des vidéos sur Youtube, est-ce une manière de dévoiler au mieux l'univers du livre et de l'expo ?

En quelque sorte, oui. D'ailleurs, il ne s'agit pas seulement de promotion, mais également de vidéos d'accompagnement au livre. Cela vient sans doute de mon goût pour le cinéma sus mentionné. Le making of d'un livre permet de comprendre plein de petits engrenages de la création qu'on ne peut pas développer dans le roman. En cela, je développe dans certaines vidéos un aspect « documentaire » qui vient à l'appui de l'histoire, dont le fond est assez complexe, il faut le reconnaître. Cela aide à décanter le sujet, à se le rendre familier, pour mieux pénétrer dans la fiction.
Mais il y a autre chose, aussi : on évoquait tout à l'heure les médias informatiques et la rapidité de création demandée aujourd'hui ; j'ajouterais que pour un public non averti, l'immédiateté de l'image, et surtout, son utilisation massive dans nos sociétés, nous fait perdre de vue le travail qu'il y a derrière. En particulier quand il s'agit d'un travail artistique. Comme je le disais, une bonne image nécessite d'avoir acquis quelques connaissances, et pas seulement appuyer sur un bouton. Même avec un ordinateur, il faut des heures pour faire naître un personnage ayant tant de véracité qu'il semble avoir existé quelque part. On pourrait en dire de même des objets : submergé par beaucoup de produits dérivés de films, par exemple, il est difficile de réaliser que tous les objets du livre sont aussi des créations originales, faites avec patience, avec des connaissances artisanales acquises au fur et à mesure. Faire pénétrer le lecteur dans l'atelier, c'est aussi lui donner à voir la partie immergée de l'Iceberg. Arrêter le temps. Dans le cas d'Oghams, c'est trois ans de travail, et des apprentissages en vitrail, bijouterie, dinanderie, forge, reliure, sculpture, modélisme de mode, embellissement textile, émaillage, …
J'espère qu'après ce voyage, le lecteur saura mieux apprécier l'univers du livre pour lui-même et qu'il prendra le temps de tourner les pages en comprenant ce qu'il y a derrière !

Où sera-t-il possible de voir votre exposition à l’avenir ?

Pour le moment, l'exposition est passée au festival Trolls et Légendes, à Mons en Belgique, et elle est programmée pour les Imaginales d'Epinal. Mais dès que le livre sera sorti, je prendrai à cœur d'organiser le voyage de l'expo complète (tableaux, livre et objets) dans tous les lieux pertinents qui voudront bien l'accueillir. Je conseille aux médiathèques et autres organismes désireux de participer à l'aventure, de me joindre directement pour en discuter. Quant au public, il peut rester informé sur le site du livre, ou sur ma page professionnelle facebook où les news relayeront les différents lieux de visibilité !

Merci d'avoir répondu à cette interview !

Orfilinn

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