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Hommage à JRR Tolkien, conférence à la BNF, janvier 2004

Par Foradan, le dimanche 1 février 2004 à 23:34:51

Michaël Devaux - Pourquoi prendre au sérieux l’histoire de la Terre du Milieu

Il existe trois obstacles principaux à cette prise au sérieux :

  • le support littéraire : les romans de Tolkien sont souvent qualifiés à tort de littérature pour la jeunesse ;
  • l’obstacle théologique et culturel ;
  • les allégories que l’on peut trouver en analysant le Seigneur des Anneaux, même si Tolkien s’en défendait.

Les 12 volumes de l’Histoire de la Terre du Milieu sont une jungle et la prendre au sérieux nécessite une lecture approfondie. Il y a deux manières de prendre Tolkien au sérieux :

1) Concernant le fond : Le sujet essentiel de l'oeuvre, c'est la mort. L'existence des elfes est ce qui fait ressortir le problème de la mort : ce problème ne ressort pas de la même façon dans un univers peuplé uniquement d'être mortels. « La mort est un espoir obscurci par Melkor », c'est-à-dire qu'elle n'est pas, initialement, un mal, mais une chose sur laquelle Melkor a jeté son ombre.

2) De façon plus limitée (on s'en tient à HoMe), concernant les variations de formes, de présentation de l'histoire : 9 volumes concernent le Silmarillion mais n’est pas le Silmarillion tel qu’il a été publié. Le premier conte perdu met en place une filiation entre Tol Eressëa et l’Angleterre pour la tradition des légendes. Il n'est pas repris dans le Silmarillion. Le terme de Terre du Milieu (terre entre les mers) n’est présent quant à lui qu’à partir des années 30 (vol. 4 des HoMe).

Dans le Seigneur des Anneaux, Pippin dit qu'il veut tout connaître de la Terre du Milieu. Cette histoire, c'est le Silmarillion. Les 5 premiers volumes couvrent les différentes rédactions du Silmarillion avant l'écriture du SDA. Les tomes 6 à 8 correspondent à peu près au SDA. De 9 à 12, ils correspondent au Silmarillion après le SDA. L'histoire du Silmarillion se reconnaît dans Le livre des Contes Perdus (1917). A 80% il s'agit de la même chose. Les plus grosses différences entre les Contes Perdus et la version « finale » (ou en tout cas la dernière) concernent :

  • la chronologie : la place des évènements les uns par rapport aux autres ;
  • Fëanor : il tente de refaire les Silmarils dans les premières versions, où il n’y a d’ailleurs pas de serment ;
  • des personnages qui changent de « nature » : Gimli (d’elfe à nain) ou Beren (d’elfe à homme).

On décèle une évolution au cours de l’écriture, un changement de « parfum ». Tolkien a travaillé toute sa vie sur l’HoMe, les différents volumes ont été édités chronologiquement par Christopher après la mort de son père.

Le tome 5 contient le texte soumis à l'éditeur en 1937, donc Tolkien voulait bien l'éditer. A la fin de sa vie, Tolkien ne voulait plus le finir (parce que pour lui, le finir c'était tuer les elfes), mais en parlait beaucoup à son fils pour que lui réalise cette édition. Les 12 tomes sont les textes de Tolkien commentés par Christopher. A noter que cette histoire dépasse son propre objet puisque la Terre du Milieu apparaît seulement dans les années 30 (avant, cela s'appelait "les terres extérieures", ou "les grandes terres"). La Terre du Milieu est une terre entre les mers. Tolkien explique que c'est la reprise de l'œcoumène des Grecs, c'est-à-dire les terres habitables par les hommes.

  • Le projet du Silmarillion.

Il a souvent été dit que Tolkien voulait élaborer une « mythologie pour l’Angleterre » avec l’histoire de la Terre du Milieu. Cette expression a été utilisée par Humphrey Carpenter en se basant sur des lettres de Tolkien datant de 1911 (lettre 131, il dédie un légendaire à l’Angleterre), puis d’une lettre où Tolkien reprenait une expression similaire utilisée par son correspondant (lettre 180). Si c’était peut-être vrai au début, Tolkien est néanmoins vite revenu sur cette ambition (disant : "ce projet est absurde" (1951). Il a donc apparemment changé d'idée.)

Quand Michaël Devaux parle des "parfums du Silmarillion", il en dégage essentiellement deux : le parfum anglo-saxon et le parfum catholique. Le premier « parfum » est anglo-saxon : Eriol, un germain, découvre Tol Eresseä, qui est alors l’Angleterre. Tolkien introduit dans le déroulement de l’histoire des personnages légendaires. Cette vision évolue et dans les années 50, Eriol n’est plus germain mais anglo-saxon et Tol Eressëa n’est plus l’Angleterre. Dans l'histoire de la Terre du Milieu, il y a des textes rédigés en vieil anglais. Le second « parfum » est catholique : l’immortalité des elfes et le problème de la mort sont omniprésents dans l’histoire. S’ils meurent accidentellement, les Elfes sont emportés vers les cavernes de Mandos, et sous certaines conditions peuvent retrouver leur enveloppe corporelle (cf. Glorfindel dans le HoMe 12). Mais ils sont toujours liés à Arda, leur immortalité se terminera avec elle. Les Elfes sont immortels, mais leur immortalité n'est pas éternelle. A l’inverse, la mort des Hommes est présentée comme un don pour quitter Arda définitivement. Les Hommes sont mortels, mais éternels : au-delà de la mort, une autre vie leur est promise (mais il y a corruption du don d'Iluvatar par Melkor : l'ombre de la peur comme peur de la mort). Ce « parfum » est présent également dans le texte lui-même par des citations de la Bible.

Ces deux parfums sont toujours présents mais dans des proportions différentes. Avant l’écriture du SDA, le parfum anglo-saxon domine. Il est supplanté après l’écriture du SDA par le parfum catholique. C'est dans la littéralité du texte que l'on peut retrouver ces différents parfums, mais ils sont toujours masqués : Tolkien ne place jamais de citation de manière explicite par exemple, tout cela est disséminé dans le texte pris dans son ensemble.

Les HoMe sont le vrai texte de Tolkien. Le Silmarillion s’est présenté sous bien des aspects : annales, contes, romans.

Le projet de Tolkien, plutôt que d’écrire une mythologie à l’Angleterre, se rapproche plutôt d’un légendaire uchronique, une possibilité (uchronie : alternative à l’histoire).

Question : Tolkien aurait-il voulu publier le Silmarillion ? Que sont les HoMe ? Va-t-il y avoir une édition en français ?

Réponse : Dans le HoMe 5 figure le texte du Silmarillion soumis à un éditeur en 1937, Tolkien a donc bien voulu le faire publier à un moment donné. Mais à la fin de sa vie, il ne voulait plus le terminer (car il avait le sentiment d’achever quelque chose) et en a parlé à son fils pour qu’il le fasse. Les HoMe sont les textes de Tolkien, les différentes versions des histoires du Silmarillion et du SDA présentées chronologiquement et commentée par son fils Christopher. Actuellement, seuls les deux premiers tomes ont été traduits en français (par Adam Tolkien, fils de Christopher), ce sont les Livres des Contes Perdus. Les tomes 3, 4 et 5 sont en cours de traduction (publication du 3 et du 4 début 2005, le 5 le sera à la suite).

Question : l’histoire de la Terre du Milieu n’est-elle pas un moyen d’utiliser l’imaginaire pour ré-accéder au réel ?

Réponse : oui, ré-accès aux choses essentielles du réel par l’intermédiaire de l’imaginaire. On peut relever 3 obstacles à la prise au sérieux de Tolkien : 1)Téléologique, c'est-à-dire relatif à la destination de l'oeuvre : à qui est-elle destinée? 2)Théologique et culturel : Tolkien est croyant, et écrit une mythologie. Le référent mythologique n'est pas la mythologie grecque, mais scandinave. 3)Allégorique : Tolkien répète qu'il n'y a pas de correspondance terme à terme dans ce qu'il écrit avec quoi que ce soit.

Le Silmarillion s'est formellement présenté sous bien des aspects dans l'histoire de la Terre du Milieu ; sous forme d'annales, de conte, de roman, d'essai linguistique. Après le Silmarillion, il est recommandé de faire le premier pas en Terre du Milieu à partir du tome 5, car il présente les 4 formes. Il y a deux bonnes raisons pour lire HoMe : ==> C'est le vrai texte de Tolkien (le Silmarillion est une compilation rédigée par Christopher Tolkien). ==> Il y a toujours les deux éléments du parfum en question. Il y a par exemple une pensée du purgatoire dans le Livre des Contes Perdus que l'on ne retrouve pas après.

Pour caractériser le projet de Tolkien, on peut remplacer le terme "mythologie" par "légendaire" : quelque chose qui n'a pas existé mais qui aurait pu. C'est l'exploration d'une possibilité. Dans son Essai sur le conte de fée, Tolkien explique son projet : accéder à ce qui est essentiel dans la réalité, y compris en passant par ce qui peut paraître dérisoire dans le conte. Le conte de fée permet de faire tomber les apparences. On passe par le merveilleux pour venir au réel, que l'on ne fuit pas.

  1. Vincent Ferré - Pourquoi lire Tolkien ?
  2. Alain Névant - Qu'est-ce que la fantasy ?
  3. Anne Besson - Tolkien et les romans-mondes
  4. Michaël Devaux - Pourquoi prendre au sérieux l’histoire de la Terre du Milieu
  5. Léo Carruthers - L’influence de la littérature médiéval anglaise sur Tolkien

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