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Hommage à JRR Tolkien, conférence à la BNF, janvier 2004

Par Foradan, le dimanche 1 février 2004 à 23:34:51

Anne Besson - Tolkien et les romans-mondes

Les romans-mondes donnent accès à des univers imaginaires tout entiers. Tolkien se libère de tout besoin d'excuse pour créer un monde imaginaire, il choisit de couper complètement les ponts avec notre monde. La fascination provient de cette évasion que cela procure ; on peut d'ailleurs remarquer que le désir d'illustration se développe énormément autour de Tolkien, de même que les jeux de rôles : il y a un désir de participation au monde fictionnel, de ravissement hors de soi. Tolkien lui-même envisageait son oeuvre comme une sous-création, un « monde secondaire où le lecteur peut entrer » (créance secondaire), c'est-à-dire une création du même type que la genèse. Le lecteur doit accorder sa créance dans la capacité de la fiction à imposer sa cohérence interne. Le travail sur les appendices, auquel Tolkien a eu tant de mal à mettre fin, témoigne de cette exigeance du caractère maximal de son monde, univers autosuffisant qui est attesté par ses propres documents : textes anciens, cartes, lais, légendes. Tolkien a transmis cette même méticulosité maniaque à ses lecteurs. Il a répondu parfois aux questions et remarques de ses lecteurs : une de ses lettres décrit sur sept pages le seul système d'échange des cadeaux d'anniversaire entre hobbits. Dans de nombreuses œuvres de fantasy, il y a des « ponts » entre le monde imaginaire et notre monde, comme si les auteurs avaient besoin d’une excuse pour se lancer dans la fantasy. Ce n’est pas le cas chez Tolkien. Arda serait seulement un passé lointain de notre monde et s’impose à l’imagination du lecteur par sa cohérence. Tolkien voulait construire un monde dont il serait pleinement satisfait, parfait en quelque sorte, d’où une publication tardive des annexes du Seigneur des Anneaux et la non publication du Silmarillion de son vivant.

Son projet de faire paraître des annexes était directement lié aux demandes de précisions faites par les lecteurs sur des sujets aussi divers que les cartes, la géologie, la prosodie, les airs de musique ... Les gens posent ces questions sans douter un moment que ce soit accessible, et Tolkien rentre dans ce jeu. Mais on touche aux limites du roman-monde lui-même. Umberto Eco disait : un texte ne saurait représenter qu'une infime partie de son univers. Le lecteur n'est pas censé contrer ce phénomène. Il faut accepter l'implicite. Tolkien avait conscience des limites. Il laisse quelques mystères, éléments énigmatiques : les Ents-femmes, Tom Bombadil, le balrog a-t-il des ailes ? Ces mystères rendent cet univers crédible. La littérature réaliste contemporaine est hantée par cette fatalité du lacunaire : on va vers une écriture blanche, une écriture du vide. Mais un univers qui repose sur seulement quelques volumes est forcément incomplet. Par contre, rien n’empêche de proposer un univers le plus vaste possible, comme l’est Arda, pour au réduire au maximum le degré d’ « incomplétude ». Bilbo, le Seigneur des Anneaux, le Silmarillion et les Contes et Légendes Inachevés sont liés et s’accréditent les uns les autres, il y a une continuité, une durée et une progression. Au fil des lectures, le lecteur se familiarise avec le monde et est invité à poursuivre cette construction grâce à sa propre imagination (puisqu’il y a forcément des blancs dans l’histoire).

On peut remarquer la présence de cycles aussi en littérature générale, au 19ème siècle, à l'époque où la littérature générale n'est plus sûre de ses moyens : Balzac voulait ainsi "totaliser" le monde. En littérature générale, il faut que quelque chose soutienne la fiction seule, alors que la littérature imaginaire s'y prête naturellement.

Ce que Tolkien a le plus durablement initié, c'est cette ambition du roman-monde et il a fourni les moyens de l’approcher (cycle), ainsi que des outils : cartes, chronologies, généalogies, annexes, appendices, mais ayant travaillé à l’élaboration d’Arda pendant des décennies, il reste un modèle inégalé et inégalable. C'est comme ça que le lecteur y croit. Tolkien avait une réelle conviction dans le pouvoir de la vie imaginaire.

  1. Vincent Ferré - Pourquoi lire Tolkien ?
  2. Alain Névant - Qu'est-ce que la fantasy ?
  3. Anne Besson - Tolkien et les romans-mondes
  4. Michaël Devaux - Pourquoi prendre au sérieux l’histoire de la Terre du Milieu
  5. Léo Carruthers - L’influence de la littérature médiéval anglaise sur Tolkien

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