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Interview de Joe Abercrombie pour The Heroes

Par Nak, le jeudi 9 juin 2011 à 17:29:05

JAUne bonne touche d’humour transparait dans cette interview, ce qui n’est pas étonnant venant de Joe Abercrombie, une goutte de cynisme également.
Le tout vous donnera peut-être l’envie de vous plongez dans ses romans et dans son style, connu justement – mais pas que – pour ces deux caractéristiques. Au-delà de ça, l’interview vous propose de découvrir l’univers d’un auteur relativement jeune, ce que ça fait d’entrer dans la cour des auteurs connus, comment gérer la publicité des nouveaux romans, comment gérer la critique…
Bonne lecture et n’hésitez pas à en discuter sur le forum !

L'interview traduite

Maintenant que The Heroes est sorti des deux côtés de l'Atlantique, êtes-vous content de la façon dont le livre a été reçu jusqu’ici ?
Je ne suis jamais content. J’en veux toujours plus. Comme Sauron.
Avec The Heroes qui fait parler de lui sur la liste des bestsellers du Sunday Times, pensez-vous que la pression sera plus forte pour vos prochains romans ? Il est probable que les lecteurs vont avoir des attentes plus grandes à chaque travail que vous publierez. Est-ce que ça vous arrive de penser à ça, ou au fait que les éditeurs attendent maintenant de vous un certain résultat à chaque fois que quelque chose avec votre nom dessus sera sur les étagères ?
Il y a toujours de la pression. Produire un livre dans le temps imparti. Le faire mieux que le dernier selon votre propre point de vue, selon celui des lecteurs, des critiques, de l’éditeur. Vendre plus d’exemplaires. Mais c’est sûr qu’on préfère avoir une pression du genre votre dernier roman a été un carton, celui-là doit être encore meilleur, plutôt que votre dernier roman a été un désastre, si le prochain ne fait pas mieux on va vous lâcher et vous devrez trouver un vrai boulot. Vous êtes toujours conscient que seule une petite minorité d’écrivains sont capables de vivre de ce qu’ils écrivent, et même si vous avez gagné une place parmi ces quelques chanceux ça ne veut pas dire que ça durera toujours. Un ou deux mauvais bouquins et vous n’êtes plus en odeur de sainteté. Ca peut être une façon difficile de vivre. Pas non plus le bagne mais il y a toujours de la pression.
Il y a plusieurs cartes dans The Heroes. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis, vous et Simon Spanton ? Le manque de cartes était devenu une sorte de blague entre vous et votre éditeur.
Je ne suis pas sûr d’avoir changé d’avis, j’ai toujours eu des avis mitigés sur les cartes. J’aime une bonne carte – une qui est utile, appropriée, avec une qualité artistique qui donne un vrai plus au livre. Je déteste une mauvaise carte – un gribouillage bâclé qui n’ajoute rien au style ou au contenu et qui a été jeté là juste parce qu’il y a cette idée qu’un livre de Fantasy devrait avoir une carte. Dans les livres de The First Law on trouvait qu’une carte n’était pas vraiment nécessaire. The Heroes raconte l’histoire d’une seule bataille, concentrée sur une petite zone de terre et dont le terrain et les positions des unités étaient importants et, sans carte, difficiles à suivre. Je sentais aussi qu’il y avait là l’opportunité d’utiliser les cartes d’une façon différente au lieu de juste s’asseoir silencieusement sur une feuille volante, avec de nouvelles cartes montrant l’état et le champ de bataille au début de chaque journée. Donc elles jouent un rôle important dans The Heroes, je trouve, et donnent du crédit au fait que c’est une histoire militaire inventée…
Considérant le réalisme et la violence qui caractérisent vos romans, avez-vous été surpris par le fait qu’un certain nombre de vos fans ont trouvé que le récit de vengeance de Best Served Cold était rebutant ? Est-ce qu’il y a une ligne séparant l’approche réaliste de l’exagération ?
Je ne dirais pas que j’étais surpris. The First Law était ce que j’ai toujours voulu écrire, et les idées ont cuit lentement dans mon esprit depuis l’enfance, dans certains cas. D’une certaine façon Best Served Cold était l’étape difficile du second roman – j’ai dû trouver de nouvelles idées, de nouvelles façons de travailler avec un planning et ça a été une mise à l’épreuve. Deux choses me préoccupaient particulièrement dans ce livre. La première était que c’était beaucoup moins orienté Fantasy épique que The First Law, à la fois dans l’intrigue et dans la quantité d’éléments fantastiques. Mais dans l’ensemble ça n’a pas semblé déranger les gens. La seconde était que je poussais l’antisympathie (si on peut considérer ça comme un mot) des personnages et la noirceur et la brutalité de l’action bien plus loin que je ne l’avais fait dans The First Law. J’ai certainement poussé trop loin pour certaines choses, et il n’y aucun doute que certains lecteurs ont trouvé difficile de s’attacher aux personnages. Et ce n’est pas vraiment une bonne chose dans un livre centré sur ses personnages, hein ?
Donc oui, il y a des frontières étroites entre réaliste et trop réaliste, violent et trop violent, noirceur intéressante et complètement repoussante, mais ces frontières sont différentes pour chaque lecteur. Il y a des gens qui n’ont pas accroché avec les personnages de Best Served Cold, mais il y en a aussi beaucoup d’autres pour qui c’est le livre de moi qu’ils préfèrent. C’est quelque chose pour lequel je retire une certaine fierté – je n’ai jamais vraiment observé un consensus clair sur lequel de mes livres est le meilleur et le pire. J’espère que ça montre que je teste une variation légèrement différente de la recette à chaque fois.
Votre présence sur le web (sur votre site internet et sur des forums de SFF) a contribué à votre succès et votre popularité. A un tel point que Last Argument of Kings était dans le Top 10 des meilleures ventes sur Amazon.co.uk, alors que le livre n’a pas très bien marché dans les librairies traditionnelles. Est-ce que ça a changé ? Et si oui, qu’avez-vous fait avec votre éditeur pour donner plus de visibilité aux endroits non connectés ?
Le livre n’a pas très bien marché dans les librairies traditionnelles ??? Comment osez-vous, monsieur, j’ai complètement captivé le monde de l’édition ! Il est clair que les livres ont mieux marché au début avec les vendeurs en ligne, mais je pense que ça fait simplement partie du développement normal d’un auteur, à moins que vous ne soyez l’un des rares qui sortent avec une grosse fanfare et un tas de marketing et d’attentes (ce qui peut amener ses propres désillusions). Les gens qui ont lu beaucoup de Fantasy sont peut-être plus enclins à regarder en ligne pour trouver de nouvelles choses. Ce n’est pas forcément facile d’atteindre ces gens-là, mais c’est possible avec un site internet et un peu de bouche à oreille interactif. Les librairies traditionnelles, les supermarchés encore plus, ont généralement besoin de voir comment les choses se développent avant d’y adhérer, et ça peut prendre du temps d’attirer un lectorat plus large.
Avec The Heroes il m’a semblé que beaucoup de choses trouvaient leur place simultanément – ça a demandé beaucoup de marketing et de publicité de la part de mon éditeur, beaucoup de support de la part d’Amazon et de Waterstones, qui sont les principales librairies du Royaume-Uni, et même une bonne poussée d’Asda, une chaine de supermarché britannique, ce qui fait plaisir à voir parce que les supermarchés ne stockent pas beaucoup de Fantasy alors que vous pouvez potentiellement vendre énormément de livre à cet endroit, à des gens que vous risquer de ne jamais atteindre autrement. La période de l’année a joué en partie. Il n’y a pas beaucoup de grosses sorties en janvier, donc c’est plus facile d’utiliser toutes ces ressources.
Vous avez fait un super bon travail avec votre nouvelle The Fool Jobs pour l’anthologie de Swords & Dark Magic. Y a-t-il d’autres fictions courtes planifiées dans un futur proche ?
C’était super bien, hein ? C’est bien vrai. J’ai écrit une autre nouvelle liée à The Heroes qui est sortie dans une édition spéciale de Waterstones au Royaume-Uni, et je pense que ça sera accessible plus généralement dans un format ou un autre assez rapidement. J’ai aussi écrit une nouvelle mettant en scène l’un des personnages de mon prochain roman, qui je l’espère trouvera son chemin vers une anthologie mettant en scène d’autres auteurs de Fantasy bien (et mieux) connus, mais je ne cracherai pas le morceau.
Comment considérez-vous l’héroïsme dans la Fantasy épique ?
J’en ai vu tout un tas dans ma jeunesse. Ce qui est probablement la raison pour laquelle j’essaie d’avoir aujourd’hui une vision plus cynique…
Je sais que vous avez déjà répondu à Leo Grin pour Le nihilisme en faillite de nos fantaisistes sur le déclin, donc je ne veux pas recommencer à démêler ce sac de nœuds. Mais si on considère ce qu’il a dit, de même que ceux qui partagent son point de vue, est-ce que vous pensez que certaines personnes ne peuvent tout simplement pas comprendre ?
Depuis que The Blade Itself a été publié, j’ai pu lire plus ou moins toutes les réponses imaginables sur mes livres, la plupart complètement contradictoires, et tout ça tend vraiment à vous faire réviser vos notions sur une vérité absolue à appréhender. Il y aura toujours tout un tas d’opinions différentes (quand vous avez la chance qu’une opinion vous soit donnée) et en tant qu’écrivain vous devez trouver une façon d’accepter cela et de bien peser chaque réaction. Le but ne doit pas forcément être de tout faire pour faire plaisir à tout le monde. Ce n’est d’ailleurs pas possible, ni même désirable.
Vous parlez de l’argument selon lequel la société occidentale est attirée au fond du trou à travers des attaques insidieuses contre l’héritage de Tolkien par des libéraux universitaires qui utilisent une Fantasy cynique comme arme de choix ? Honnêtement, ça ne correspond à aucun fait réel que j’ai pu constater.
Ou bien l’argument moins hyperbolique et politiquement teinté selon lequel il y a trop de cynisme dans la Fantasy et qui demande où l’héroïsme et le merveilleux sont passés ? Celui-là est totalement valide, évidemment, et c’est également évident qu’il s’agit d’une question d’opinion. Pour moi, il y a toujours beaucoup d’auteurs bien établis et relativement peu d’auteurs nouveaux qui changent de groupe à partir de la fantasy traditionnelle. Au passage, je ne fais là aucune critique. Les gens devraient lire (et écrire) ce qu’ils aiment. Mais pendant une longue période, des visions optimistes, héroïques et relativement prévisibles étaient portées par un courant commercial ascendant dans la Fantasy épique. Ce que je vois arriver aujourd’hui me semble être une correction saine, attirant de nouveaux lecteurs vers un genre qui était peut-être un peu rassis. Au moins ça encourage ceux qui voudraient plutôt voir des aspects optimistes et héroïques au mieux de leur forme et trouver des façons nouvelles et plus fun pour exprimer ces idées. J’ai hâte de voir cela arriver. Peut-être même que j’en ferai partie. Je ne voudrais passer pour quelqu’un qui crache tout le temps son cynisme ou au contraire qui minaude son optimisme. Je pense qu’il est important d’avoir des voix fortes, fraîches, intéressantes pour le genre, et pas qu’elles soient des voix d’un type ou d’un autre.
Je dois admettre que j’ai vraiment hâte de lire votre nouveau roman. Dites-nous s’il vous plait tout ce que vous pouvez à son sujet. Je ne peux pas m’empêcher de l’imaginer comme une redite à la Tarantino de Le bon, la brute et le truand.
C’est un Le bon, la brute et le truand à la Tarantino, un Lonesome Dove de Guillermo del Toro, un La prisonnière du désert d’Ingmar Bergman. En gros, c’est un western Fantasy, de la même façon que Best Served Cold était une histoire en Fantasy de revanche entre gangsters et que The Heroes est un récit de guerre Fantasy. Le décor est à nouveau le monde de la Première Loi, il y a à nouveau une sorte d’indépendance de personnages familiers aux côtés de nouvelles têtes, le tout combinant je l’espère une approche nerveuse mais pleine d’humour à la Fantasy qui me caractérise et pour laquelle certaines influences extérieures me méprisent. Pas de six-coups, hélas, mais beaucoup d’autres caractéristiques des westerns. Et peut-être un dragon mécanique.
Une tentative pour nous donner un titre et une date de parution ?
Il a un titre provisoire, mais je garde ça pour moi pour l’instant. Parfois si vous rendez ces choses publiques, elles tendent à prendre leur propre élan et j’en suis encore à découvrir ce dont ce livre parle exactement. En ce qui concerne la sortie, ça devrait être pour l’été ou l’automne 2012 et j’espère vraiment arriver à taper dans ces eaux-là mais, comme d’habitude, je me réserve le droit d’y déroger complètement. Surtout avec un nouveau bébé qui doit arriver dans quelques semaines…
Quand vous voyez le bloggueur générique X définir votre travail comme réaliste et subversif, quelle est votre réaction ?
Bloggueur générique X est vraiment un bon nom pour un blog du genre, il faudra que j’aille y jeter un coup d’oeil. Chaque fois que l’on parle de mes livres, quelle qu’en soit la façon, je dis Yeaah. L’article de Grin renforce plutôt la maxime selon laquelle il n’existe pas de mauvaise publicité, puisque je n’ai jamais vu mes livres être discutés autant sur Internet qu’ils l’ont été après la publication de cet article, et pour une personne traitant mes livres d’immondice démoniaque, il y en avait dix ou vingt qui disaient être intrigués et voudraient y jeter un œil. Subversif ? Honnêtement, je ne sais pas combien je le suis, je me considère comme travaillant au sein d’une forme, et il y a de nombreux aspects de mon travail qui sont très traditionnels, quoi qu’un peu tordus, et je ne voudrais pas qu’il en soit autrement. Réaliste ? Je plaide coupable, même si c’est une expression un peu usée. Il y a des choses pires que d’être traité de subversif et de réaliste…
Quand Joe Abercrombie va chez un tailleur pour avoir la tête de l’emploi, qu’est-ce qu’il achète?
Il dévie et il atterrit dans un pub. Ou peut-être dans une boutique de jeux vidéos.
Autre chose que vous voudriez partager avec vos fans?
Leur argent…

Interview originelle
Traduction réalisée par NAK


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