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Surin et tafia, rencontre au sommet

Par Izareyael, le dimanche 10 juin 2012 à 22:55:26

Le tafia

Stéphane Beauverger

Stéphane Beauverger, bonjour ! Nous voici à la fin du Printemps du Livre après trois jours de salon, pas trop fatigué de voir des gens défiler devant toi ?
Si, mais c'est tout le temps comme ça, pas spécialement pendant ce salon ! On ne s’en rend pas forcément compte, mais c’est parfois fatiguant d’être attentif aux passages, aux questions des lecteurs, pendant six, sept, huit heures, sur plusieurs jours. Il y a le bruit, la chaleur parfois… Après, si on vient sur un salon, un festival ou pour une dédicace, la moindre des choses qu'on doit aux organisateurs, au public et aux lecteurs est d'être présent, attentif, courtois, d'être dans son rôle d'auteur qui vient assurer une présence. Soit je n'en ai pas envie et je ne viens pas, soit je viens et je fais bien le travail. Bien accueillir le ou les visiteurs, ça fait partie de mon travail.
C'est une vision des choses très différentes des autres stands, où les auteurs viennent à heure fixe pour signer... Vous tous (avec Jean-Philippe Jaworski, Camille Renversade et Laurent Gidon, également présents sur notre stand, NDLR) êtes là tout le temps.
Oui, cela me paraît la moindre des choses. Et puis c'est sympa ici, c'est chaleureux et on a envie de rester discuter !
Parlons de ton roman, avec une des grandes questions que l'on se pose devant Le Déchronologue. Tu as mélangé les chapitres, et les as remis dans un ordre bien précis. Comment as-tu choisi cet ordre-là, autrement qu'intuitivement ?
Une fois que la trame déchronologique était en place, et que mon lecteur allait lire les aventures de mon héros dans l'ordre des chapitres mélangés que j'avais choisi, cet ordre faisait normalement qu'il y avait un chapitre d'action tous les trois ou quatre chapitres. J'ai donc veillé à avoir une espèce de sinusoïde de l'action ; ce qui fait d'ailleurs que si quelqu'un lisait le livre dans l'ordre chronologique – ce que font de plus en plus de lecteurs – il risquerait de se retrouver avec une succession de chapitres où il ne se passe rien, puis plusieurs chapitres d'action. Par exemple, je pense à ce qui se passe à Carthagène : le lecteur se retrouverait avec la scène de torture de Villon à bord de la Centinela, suivie du premier chapitre de faim et de torture à Carthagène, suivi d'une autre scène de torture, de famine et de mort à Carthagène, avant qu'il ne parvienne enfin à s'enfuir. Ces trois chapitres-là, chronologiquement, forment un ensemble très long et très âpres à lire et encaisser, alors qu'en fait dans la version déchronologique ils sont placés à différents moments de la lecture et permettent ainsi de voir différents éclairages sur ce que pouvait être l'état des geôles et des cellules pour un prisonnier des Espagnols à cette époque. Une raison pour laquelle j'ai choisi cet ordre, c'est donc pour diluer un peu les informations, les faire venir de manière régulière et donner une forme régulière à l'action et aux événements qui se suivent.
Ensuite, il y avait le plaisir de donner parfois des clefs dans certains chapitres, et de laisser le lecteur découvrir après à quelles causes elles correspondaient. C'était un vrai plaisir de construction.
Cette déchronologie est vraiment au cœur du projet et la nature de cet équipage.
Et c'est elle qui permet de voir beaucoup plus clairement le désordre moral dans lequel se trouve celui-ci.
Oui, le désordre et le chaos apparents dans les chapitres permet de mettre en exergue la nature épique et éperdue du personnage. Ce serait une erreur de dire que ce livre n'est qu'un assemblage de chapitres mélangés au hasard : ce n'est pas du tout du hasard, et surtout il a été conçu pour être lu dans ce sens-là. Sinon, le lecteur va perdre des informations et des trucages de narration qui m'ont pris une énergie folle à mettre en place ! Quelqu'un m'a demandé si c'était vraiment nécessaire de faire cela. J'espère que c'est nécessaire, je me suis tellement cassé la tête que j'espère ne pas avoir dépensé du temps et de la réflexion pour rien !
Certains ont considéré que cela relevait de la vaine expérience littéraire...
Oui, c'est normal, chacun a le droit d'estimer que ça n'a pas fonctionné.
Certes, même si personnellement je trouve plutôt qu'on ne peut pas dire que ce soit vain, puisque cela participe au sens du livre.
Exactement. Pour moi cela fait partie du processus nécessaire à ce projet.
Autre grande question sur le temps dans ce livre : si les chapitres sont dans le désordre, le début est tout de même au début, et la fin à la fin – même si au début il y a aussi la fin... Y vois-tu le temps comme une boucle, un genre de fatalité, ou plutôt de manière linéaire, avec une histoire linéaire où interviennent d'autres éléments et un récit en boucle ?
Je ne sais pas si c'est vrai, mais j'ai lu plusieurs fois que les hommes voient le temps de manière linéaire et les femmes de manière cyclique – ce qui est à peu près normal, vu que la nature leur rappelle tous les 28 jours que le temps est cyclique. J'aimais bien cette idée que la perception du temps ne soit pas la même pour tout le monde. En fait, techniquement, Le Déchronologue est une histoire linéaire : il commence à un point A, finit à un point Z, et il n'y a pas de moment où l'on voit un chevauchement de temps ou un décrochage. Après, j'avoue qu'au début je n'avais pas prévu de mettre le premier chapitre au début, justement. C'est un de mes relecteurs qui après avoir lu la version précédente, qui commençait avec le chapitre XVI, m'a fait remarquer que l'on arrivait directement dans une scène d'action sans trop comprendre ce qui se passait et qu'il était nécessaire d'introduire un peu mieux les tenants et aboutissants du personnage. J'ai trouvé que c'était une remarque pleine de bon sens et j'ai donc remis le premier chapitre au début pour introduire vraiment les aventures de Villon par leur début. C'était finalement une très bonne décision, et il était aussi nécessaire de terminer par la fin. Même si, techniquement, ce n'est pas la toute fin, qui est dans l'introduction du roman, effectivement. Mais on peut dire que j'ai finalement commencé par le début, terminé par la fin, et mélangé entre les deux – c'est une politesse que j'ai eue par rapport aux principes de narration.
C'est gentil ! Parce que c'est assez difficile d'expliquer aux gens à qui tu veux présenter le livre que le début est le début mais pas tant que ça et qu'à la fin tu as la fin, mais qui est quand même moins la fin que le début du livre...
Maintenant, quand je fais des tables rondes ou des interventions et que je dois expliquer à un public qui ne l'a pas lu le principe de la déchronologie dans le roman, je me prends les pieds dans le tapis ! Je ne suis donc pas certain de tout maîtriser moi-même lorsque je dois répéter le processus... Compliqué.
À propos de début, la toute première scène – de l'histoire donc, pas du roman – plonge immédiatement le lecteur dans une atmosphère bien particulière... Tu as dit hier t'être inspiré d'un autre auteur, pourrais-tu nous en parler un peu plus ?
En fait, j'ai regardé comment Howard introduisait son héros dans Conan, et j'ai vu que l'on entrait directement dans l'action. Dès les premières phrases, des hommes, ou un homme, ou des silhouettes, se déplacent sur le champ de bataille, ou dans les rues la nuit... et j'ai commencé comme ça. Je présente un groupe de quatre marins qui passent de nuit avec des torches dans les rues malfamées de Port-Margot. Où vont-ils ? Qui sont-ils ? On le saura au fur et à mesure par leurs dialogues et par les propos tenus par le personnage. On voit d'abord quatre silhouettes qui entrent dans le décor. J'aimais bien cette introduction.

Dans cette histoire désordonnée, il y a tout de même un fil conducteur stable, qui serait le personnage du Baptiste, apparaissant aux moments stratégiques...
C'est tout à fait vrai. Le Baptiste est le maître cannonier du Toujours debout, et il va être mis en contact tellement fréquent avec les fameuses batteries temporelles qu'il va devenir lui-même une sorte d'aiguiller du temps. À la fin, on s'aperçoit qu'il a été capable de se projeter aux différents moments clefs de la vie de Villon : au Rat qui pette par exemple, et c'est également lui le prisonnier qui remplace le corps de Villon dans les geôles de Carthagène pour lui permettre de faire croire à sa mort. Lorsque Le Baptiste dit à la fin qu'il doit boucler tout cette histoire et enlève son bonnet, il a la tête du prisonnier que Villon a vu à Carthagène, et celui-ci comprend que tout va se mettre en place maintenant.
Justement, quand tu parles de boucle... Le Baptiste serait donc le seul personnage capable de sortir du schéma du temps dont nous parlions tout à l'heure ?
Oui, il est le seul à pouvoir sortir de cette linéarité du temps pour s'inscrire à différentes époques. À part lui, seuls des objets parviennent à passer ces frontières (ou des hommes seulement grâce à des objets, comme Alexandre avec ses navires). C'est d'ailleurs ce qu'il dit à un moment : La plupart des gens devinent les carrefours du temps ; j'en connais tous les sentiers. Il a désormais une vision très claire de son fonctionnement.
Bien plus que Villon, d'ailleurs.
Villon comprend un peu ce qui se passe, mais il reste une victime des temps perturbés, contrairement au Baptiste. Mais après tout, son nom n'est pas un hasard non plus... Samuel le Baptiste devient un guide, un prophète du temps.
On remarque aussi que beaucoup d'éléments de l'avenir débarquent au XVIIème siècle, mais quasiment rien du passé, excepté Alexandre... Pourquoi ?
Il aurait pu y avoir autre chose, mais j'ai préféré éviter. Je ne pouvais pas faire la liste exhaustive de tout ce qui aurait pu venir, et a priori tout ce qui est technologique est plus intéressant si cela vient du futur, puisque cela amène un progrès, un changement. Il est assez rare qu'il y ait des choses plus intéressantes qui viennent du passé – en termes de technologie, j'entends, je ne veux pas du tout faire du futurisme à tout crin. Je préférais vraiment les confronter au futur. D'ailleurs, dans l'épisode où Villon pulvérise la flotte d'Alexandre, il se sent très mal parce que c'est la première fois qu'il se trouve en situation de réécrire l'Histoire. Affronter des choses qui viennent du futur, c'est pour lui affronter des choses hypothétiques, et rectifier une erreur. Quand il affronte Alexandre, il dit qu'il a l'impression de biffer d'un trait de plume un chapitre de l'histoire : il vient d'exploser une des plus grandes figures de l'histoire militaire, simplement parce qu'il a une technologie plus avancée. Je ne voulais donc pas m'appesantir plus longtemps sur le fait que des choses viennent du passé, mais en le montrant une fois pour que l'on voie que des choses arrivent de toutes les époques. C'est un choix.
Viennent aussi de l'avenir des CD, des radios, des lecteurs de musique divers...
Il y a un peu de tout, oui : des lecteurs numériques, analogiques, des juke-box...
La musique a donc une grande place dans ton livre. Chaque navire a par exemple un hymne, qu'il joue pour s'annoncer comme il hisserait un pavillon.
Celui du Déchronologue est Flow my tears, de John Dowland, un air composé en 1596 qui a été un vrai tube au XVIIème siècle. C'est une chanson que connaît Villon, et un air tellement réussi, tellement célèbre, qu'à la fin de sa vie Dowland signait John Flow my tears Dowland – ce qui donne une idée de l'impact qu'a eu cette chanson. Voilà quelque chose qui vient du passé et que Villon va s'approprier. Il déteste la musique rock et tous ces trucs qu'écoutent les marins dans les tavernes et choisit donc une chanson qu'il connaît déjà comme hymne de son navire, puisqu'il met la main sur un truc formidable : il est capable d'enregistrer cet air et de l'écouter quand il veut. Elle devient sa signature, et il fait tonner sur des haut-parleurs la chanson de Dowland chaque fois qu'il arrive dans un port. C'est un petit clin d'œil personnel à Apocalypse Now et Wagner qui passe lorsqu'ils bombardent tout –J'adore l'odeur du napalm au petit matin ! (rires)
Et en plus de cet hymne, il y a aussi en exergue de chaque chapitre un extrait de chanson. D'où une question toute bête : vu que c'est le journal de Villon, qui met cette chanson en exergue ? L'auteur ?
Là, tu passes dans la métastructure. C'est un vrai problème parce qu'effectivement, l'idéal aurait été que ce soit gravé sur un CD et que le lecteur puisse écouter la musique à côté du livre, mais techniquement on est obligé de passer par une autre astuce. Il faut imaginer que c'est ce qu'écoute Villon pendant ce chapitre, que c'est l'air qui pourrait servir de bande-son de ses aventures à ce moment-là. Chaque chanson a été choisie parce qu'elle a un rapport avec ce qui se passe dans le chapitre. De plus, ce sont des chansons que Villon a choisies, pas moi. Je tiens à ce que ce soit très clair ! La première liste que j'avais établie correspondait à mes goûts personnels, et je me suis rendu compte que ça ne marchait pas, parce que Villon n'aime pas cette musique. J'ai donc fait une deuxième liste, en me documentant plus précisément sur les grandes chansons de marins, les airs traditionnels... J'ai fouillé un peu partout et j'ai fini par composer cette liste, qui me semble plus correspondre à quelque chose qui pourrait être écouté à bord du Chronos et du Déchronologue.
Villon ne comprend pas forcément ce qui se dit dans les chansons, par exemple dans celle de Sigur Rós – si vous ne connaissez pas Sigur Rós, écoutez, c'est sublime ! C'est islandais, c'est glacial, c'est désespéré, et c'est beau.
Une question purement technique sur ta façon de travailler... Tu as écrit deux fois ton roman, une fois dans l'ordre et une fois dans un autre. Comment as-tu organisé ton écriture entre la période de documentation, la première rédaction, le choix de l'ordre... ?
Comme je suis scénariste, je ne peux pas travailler si je ne sais pas exactement où je vais arriver. Je dirais même que la dernière phrase du bouquin était écrite dans mes premières notes et je voulais absolument arriver à cette phrase. Si je n'y arrivais pas à la fin du bouquin, cela voulait dire que je m'étais planté en cours de route ou que je m'étais égaré. Donc j'ai un plan très précis du contenu, surtout sur un projet qui tente de déchronologiser la narration. C'était obligatoire. Par contre, j'espérais pouvoir l'écrire dans l'ordre déchronologique, mais je n'ai pas pu le faire. J'ai dû l'écrire dans l'ordre chronologique et remettre ensuite les morceaux dans l'ordre qu'ils sont censés avoir à la fin de l'histoire. Après, j'ai dû en plus repasser une fois pour bien lisser et vérifier qu'il n'y a pas d'incohérences et d'erreurs. Je sais qu'il y en a une qui reste... mais seulement dans la première édition, je l'ai corrigée dans la deuxième. Je ne dirais pas ce que c'est... (rire machiavélique à l'adresse des acharnés qui voudront chercher)
Mais avec un plan aussi détaillé, que fais-tu si une idée surgit au milieu de la rédaction ?
C'est impossible. Normalement, si j'ai bien fait mon travail, le plan est figé et reste tel quel. Après, lorsqu'un de mes bêta-lecteurs m'a fait remarquer qu'un passage n'était pas assez clair et qu'un chapitre devait être déplacé, j'ai pris le premier chapitre de Villon et je l'ai placé en introduction. Ce n'était pas moi qui l'avait décidé, mais c'était une remarque qui tombait sous le sens : c'était flagrant que ce lecteur avait raison, donc j'ai redéplacé ce chapitre en tête de livre. Ça ne changeait théoriquement pas grand-chose, mais j'ai dû revérifier que ça collait bien et réécrire le chapitre en pensant que c'était le premier que le lecteur allait lire : par exemple, j'ai dû mettre la description physique de Villon à cet endroit alors que ce n'était pas prévu, etc. Il y a des ajustements comme ça.
Je vais donc modérer un peu mon propos précédent –Non, j'ai mon plan, je ne toucherai plus à rien, il est parfait ! : il peut y avoir des choses à changer. Mais normalement, je ne dois plus ajouter de bonnes idées personnelles ; il peut y avoir des influences extérieures que je vais prendre en compte, mais je ne suis pas dans la brume et je sais exactement où je vais et ce que je vais raconter. Surtout sur un projet pareil.
On m'a demandé quelquefois si je n'avais pas une vision déchronologique de mon existence en écrivant Le Déchronologue, mais pas du tout. C'est un boulot. Tu prends ton clavier ou ton crayon, tu te mets à travailler, et tu lâches ton clavier ou ton crayon et tu passes à autre chose. Je ne suis pas dans la possession... Je crois que c'est Howard qui racontait qu'il avait l'impression que Conan était dans son dos avec une hache pour le forcer à écrire pendant qu'il inventait ses histoires, il se sentait complètement possédé par le Cimmérien... Bon, il s'est suicidé à trente ans. Pas moi !
Sautons déchronologiquement d'un sujet à l'autre, et abordons ces grandes questions que tu m'as entendue poser à Jean-Philippe Jaworski... Que penses-tu de l'idée selon laquelle tout art est politique ?
Ouh là. La politique, c'est l'implication dans la vie de la cité. À partir de là, est-ce que l'art est forcément politique ? Pendant longtemps, l'art a été associé au religieux et au sacré... Je pense que c'est forcément un positionnement par rapport au monde, mais je ne suis pas certain que ce soit une forme de politique. C'est une forme d'engagement, voilà. Si l'auteur de ce que d'autres vont appeler de l'art ne se sent pas dans un positionnement politique, je ne suis pas certain que cela en fasse partie. Après, il y a des gens très bien avec énormément de bagage intellectuel qui se penchent sur la question depuis des siècles, comme l'esthétique et l'éthique de monsieur Kant, donc voilà. L'art pour l'art est aussi une grande question... J'ai envie de dire que normalement un travail à caractère artistique est un travail de relation au monde, à soi et aux autres. Dans une acception large du terme politique, oui, on peut considérer que c'est un rapport à la cité. Mais il peut aussi y avoir, par opposition, des gestes totalement gratuits. Depuis le début du XXème siècle, d'après certains observateurs de l'art, le dernier grand artiste est Duchamp : depuis qu'il a pris un porte-bouteille en disant Ceci est de l'art, on n'a pas fait plus ni plus loin dans la réflexion ; c'est le simple fait de poser le geste qui deviendrait de l'art. C'est un débat qui agite la réflexion sur la question depuis maintenant presque un siècle...
En tant qu'auteur, tu t'es toi-même engagé, par exemple en écrivant une nouvelle pour le recueil Appel d'air (recueil paru chez ActuSF en 2007, en réaction à l'élection de Nicolas Sarkozy à la tête de l'État)...
Oui, c'est un recueil très engagé, pour le coup... Je tiens à signaler que je n'ai pas écrit contre Sarkozy : le sarkozysme, ce n'est rien, c'est un épiphénomène, c'est une flammèche dans l'histoire de la République. Par contre, à mon avis, les conséquences du sarkozysme et ce qu'il signifie sont extrêmement graves. Cette espèce de volonté de jeter à bas des principes, certes mythologiques et trompeurs, mais qui fédéraient notre société. Le travail du sarkozysme consiste à détruire le socle commun de la République, pour amener une sorte de communautarisme, quelque chose qui m'inquiète énormément. Donc voilà, c'était par rapport à l'inquiétude de ce que pouvait engendrer cet homme politique. Ce n'est pas la première fois qu'il y a un président de droite, il y en aura d'autres, mais ce que cet homme semble amener dans le champ politique m'inquiète, et c'est pour cela que j'ai écrit dans ce recueil.
Mais est-ce que le fait de se sentir concerné comme cela par ce qui arrive et d'exprimer ton inquiétude est pour toi lié à ton travail en tant qu'écrivain qui possède certains outils pour le faire, ou est-ce simplement le citoyen qui profite de la visibilité de l'auteur ?
Je ne suis pas un auteur engagé. J'ai des convictions, mais je ne suis pas militant. S'il y a bien une chose que je ne voudrais pas faire, c'est asséner des idées ou des visions du monde qui me sembleraient être les bonnes. Je me méfie toujours des gens qui pensent avoir raison. Il y a des choses qui me sortiront par les yeux et que je ne pourrai pas écrire.
Par exemple, Villon s'oppose à toute forme de barbarie, qu'elle soit catholique ou protestante...
En fait, Villon est une sorte de prototype de ce que va devenir la piraterie caraïbe un siècle plus tard : des gens qui n'auront plus de patrie, qui vont se couper de toute notion de nation et vont devenir strictement hors-la-loi, apatrides. Lui n'en est pas encore là, puisqu'au XVIIème siècle les grands capitaines flibustiers travaillent encore pour des nations et se considèrent encore comme appartenant à une nation ou une foi plutôt qu'à une autre. Mais Villon lui-même le dit : aux Caraïbes peut-être plus qu'ailleurs, les drapeaux feront toujours office de linceuls pour les crédules et les exaltés. Il n'y croit pas – ou n'y croit plus. Il a participé au siège de La Rochelle, il a vu ce que la foi était capable de faire, dans les deux camps, et peut donc représenter les prémices de cette pensée qui apparaîtra au siècle suivant dans l'univers de la piraterie : puisqu'il n'y a pas de place au bonheur sous les drapeaux, faisons fi des drapeaux et créons notre propre société. Société qui demeurera tout aussi cruelle et violente, puisque les pirates vivront de rapine, de meurtre et de pillage... Mais ils se seront dégagés d'une autorité supérieure à la leur, et c'est cette idée libertaire qui anime Villon et que j'avais envie d'exploiter – sans que ce soit forcément un brûlot et un appel à la destruction de tous les commissariats de France.
On termine par la question bateau... Quelle est la plus belle phrase que tu aies jamais lue ?
Hum, il est un peu tôt dans la journée pour répondre... En fait, ça dépend des moments. Comme je relis beaucoup les livres, il y a certaines phrases qui ne m'ont pas fait d'effet et qui un soir, parce que je suis dans un état mental particulier, ou fatigué, ou au contraire exalté, vont me transporter. Par exemple, je relis Le Seigneur des Anneaux tous les ans, depuis l'âge de treize ans, et maintenant j'ai appris qu'il faut que je lâche le dernier tome en soirée, parce que de toute façon je vais être dépressif jusqu'à ce que je me couche, une fois que j'aurai posé le livre. Cette phrase, quand Sam arrive chez lui et dit à sa femme en passant la barrière : Eh bien, me voici de retour. Cette dernière phrase, après tout ce qu'ils ont traversé – j'en ai la chair de poule rien que d'en parler ! – est d'une simplicité et d'une beauté... Eh bien, me voici de retour. Ce n'est pas la fin d'une saga, ça ! C'est juste qu'il va servir la soupe et aller se coucher... Cette phrase me touche énormément ; c'est une très belle phrase de conclusion après une grande saga.
Mais il y en aurait d'autres. Il y en a forcément d'autres.

Merci beaucoup pour cette agréable et instructive discussion, Stéphane.

Propos recueillis par Izareyael

  1. Mondes imaginaires, une conférence du Printemps du livre
  2. Le surin
  3. Le tafia

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