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Stéphane Beauverger nous parle du Déchronologue

Par Luigi Brosse, le jeudi 18 juin 2009 à 22:01:28

Stéphane BeauvergerSuite logique de la dédicace à laquelle il participait dernièrement, nous en avons profité pour proposer à Stéphane Beauverger, l'auteur du Déchronologue, une interview. Sans fard, ce dernier s'est donc soumis allègrement au jeu des questions, pour un résultat que nous vous laissons découvrir ci-après.

N'hésitez pas à donner vos impressions sur l'auteur et son roman en forum !

Nos questions, ses réponses !

Comment se décide-t-on à écrire un roman maritime ? Est-ce que ton enfance en Bretagne t'a influencé ?
Pour ma part, il s'agissait moins de m'inspirer d'une enfance passée en bord de mer que de présenter mes respectueux hommages au roman d'aventure maritime qui berça ladite enfance. Histoires de pirates, de chasse aux trésors, d'océans lointains, et toutes ces sortes de choses. Bien que descendant d'une famille de marins (arrière grand-père terre-neuvas, grand-père et oncle ayant fait carrière dans la marine marchande), je suis un piètre navigateur. Mais j'aime la mer, indéniablement. Et je n'ai vomi qu'une fois à cause du mauvais temps !
A quel genre raccrocherais-tu Le Déchronologue ? Pourquoi avoir choisi d'intégrer des éléments d'imaginaire, de surnaturel ? Qu'est-ce qui a motivé ton choix d'utiliser des éléments venant du futur plutôt que des artefacts purement magiques ?
Et bien, comme dit plus haut, si je devais le raccrocher à un genre, ce serait sans doute au roman d'aventure picaresque, tendance L'Île au trésor, Les Enfants du capitaine Grant ou Redburn. Mais j'avais aussi envie de creuser un peu le thème des paradoxes et conflits temporels. D'où mon idée d'un « navire pirate dont les canons tirent du temps », qui constitue le noyau de mon roman. Je trouvais l'image plaisante et étrangement romantique. Quant au fait de décider s'il s'agit de technologie ou de magie, tout dépend de quel point de vue on se place. Pour une majorité de personnages du roman, ces artefacts semblent plutôt d'origine divine ou merveilleuse que purement technologique. D'ailleurs, dans la mesure où presque personne ne saurait les réparer s'ils se brisaient, leur dimension technologique (dans le sens d'une manufacture maîtrisée) trouverait très vite ses limites.
Combien de temps as-tu passé à l'écriture de ce livre ? Quel est le pourcentage que tu as consacré à la documentation, à l'imprégnation des habitudes de cette époque ?
J'ai travaillé environ deux ans sur le roman. Je disposais déjà d'une documentation conséquente sur la piraterie de la mer caraïbe, mais j'ai continué à piocher au fur et à mesure de l'élaboration du synopsis. La dimension de conflit religieux entre catholiques et protestants, qui a constitué une des motivations majeures des violences qui ont bouleversé cette région entre le XVIe et le XVIIIe siècle, m'a demandé pas mal d'approfondissements. Et j'ai continué aussi à me documenter pendant la rédaction, à chaque fois que s'est posé un souci d'ordre historique : mode vestimentaire, habitudes culinaires, détails juridiques et législatifs, monnaies courantes, etc. C'est ainsi que j'ai découvert, alors que j'avais déjà bien avancé dans mon manuscrit, que le mot « rhum » ne serait pas inventé avant une vingtaine d'années, par rapport à la période que j'avais choisie, et que j'allais devoir sacrifier sur l'autel de la véracité historique mon image d'Épinal des pirates saoulés au rhum... Et sur de nombreux autres points, les recherches m'ont forcé à revenir à des conceptions plus véridiques et donc plus éloignées de la réalité de la geste pirate caribéenne. Au final, on peut dire que c'est au moins du 50/50, en termes de répartition du temps, entre la documentation et le temps de rédaction.
Pourquoi avoir choisi ce découpage si particulier ? Quels étaient les risques ou au contraire les gains de ce choix ? Ne trouves-tu pas que la démarche relève au final plus d'un effet de style pour montrer que tu sais le faire ?
Je ne pense pas que ce soit à moi de répondre à cette question, mais au lecteur, justement. Les risques, sans doute, étaient de noyer le lecteur dans un enchevêtrement d'événements trop décousus pour proposer un canevas global cohérent. Pour y remédier, j'ai évité les cliffhangers et les fins de chapitre à suspense : chaque chapitre constitue une mini-histoire avec un début, un développement et une conclusion, et chaque mini-histoire trouve sa place dans la trame déchronologique plus globale du roman. Et les rares fois où j'ai procédé à un tel cliffhanger, j'ai veillé à ce qu'il trouve sa résolution dans le chapitre suivant. De même, puisque j'avais extirpé le suspense de mon propos, je pouvais commencer mon histoire par la fin et annoncer dès la première ligne la mort à venir du héros, puis décortiquer la manière dont il en est arrivé là. Ce fut un exercice auquel j'ai adoré me livrer. Quant au fait de savoir si cette démarche relève seulement d'un effet de style et d'une démonstration de savoir-faire, c'est à chacun de juger en refermant le livre. Pour ma part, bien entendu, je considère que ça participe à la nature même du projet, sinon je ne me serais sans doute pas autant creusé la cervelle pour peaufiner cette structure fragmentaire.
Au final, la portée (morale) des combats du Déchronologue est l'un des points les plus importants du livre, mais paradoxalement c'est l'un de ceux qui se trouvent le moins souvent sous le feu des projecteurs. Est-ce voulu ? Est-ce qu'une plus forte exposition aurait marqué plus le lecteur ?
Le roman étant écrit à la première personne, puisqu'il s'agit du journal de bord du capitaine Villon, sans doute n'est-il pas à même d'exprimer clairement l'exégèse et la critique de ses actes. Ça apparaît donc par petites touches, au détour de dialogues, de doutes ou de remarques qu'il peut formuler, mais il est vrai qu'à aucun moment il ne prend la plume pour écrire cher journal, je me pose des questions... Les affres du capitaine sont plus intimes, il ne se dévoile pas si facilement.
Quel est le rôle de Fèfè de Dieppe ? Autrement posé, mis à part la sympathie qu'il génère chez le lecteur, a-t-il un rôle plus important que ça, au point de figurer en dernière page ?
Etonnante question, surtout après la précédente, dont elle est à mon avis un pendant logique. Fèfè de Dieppe est tout ce qu'aurait pu être Villon, et en même temps son antithèse. C'est un terrien, quand Villon est d'abord un marin. C'est un aliéné, quand Villon ne cesse de raisonner (et d'arraisonner, ah, ah !). C'est un homme libre, quand Villon est prisonnier de son passé, de son devoir et de ses culpabilités. Il parle un sabir qu'il est presque le seul à comprendre, quand Villon est un lettré qui aime user du bon verbe. Bref, il m'a semblé intéressant de préciser, à la fin de l'histoire, qu'au moins un des deux continuait de gambader librement dans les îles du Nouveau Monde sans se soucier de quoi demain sera fait. Et, comme dit un des personnages à la fin du roman : Si vous voulez m'en croire, les Caraïbes seront plus belles, et plus agréables, tant qu'on y verra courir ce grand boucanier chasseur de chimères. Pour moi, les destins de ces deux hommes sont intimement liés.
La fin se termine en "quelque sorte" par un happy end, qui laisse la part belle aux sentiments (outre le fait qu'elle révèle de nombreuses choses). Est-ce que les dernières lignes du capitaine Villon n'auraient pu suffire, laissant planer ainsi le suspense sur ce qu'il advient après cette dernière chevauchée ?
Peut-être, mais alors, qui aurait hérité de ses carnets de voyage pour les publier et les commenter ? Tu le dis toi-même, la fin révèle de nombreuses choses, mais il fallait un œil extérieur pour le raconter, puisque Villon avait sombré.
Attention, la question suivante révèle la fin de l'histoire. Mais pourquoi donc ce retournement apaisant, alors que Villon et Sévère meurent dans le chapitre précédent ? Est-ce que tu voulais ménager le lecteur ?
Non, c'était plutôt une façon de boucler l'histoire, et de fournir un dernier éclairage sur le destin des compagnons importants dans la saga de Villon. Je déteste quand un personnage sort de l'histoire par la petite porte, sans que le lecteur sache ce qu'il est devenu, quand il se contente de disparaître de la trame sans qu'on sache vers où il est allé ou ce qu'il va devenir. Je crois que Mendoza, Fèfè, et Molina méritaient aussi qu'on s'intéresse à leur sort. Mais tu as raison sur un point important : s'il faut en croire les dernières paroles de Mendoza, dans l'hypothèse du multivers, entre les pages recompilées du temps, les événements auront peut-être bâti une version alternative de cette histoire, ailleurs... En tout cas, c'est ce qu'il veut croire, pour se consoler de la mort de Villon et de son aimée. Il s'agissait moins de ménager le lecteur que d'ouvrir une lucarne sur d'autres mystères possibles.
Pourquoi avoir choisi d'incarner les "méchants" par des Américains (c'est sûr que le Charles de Gaulle n'aurait peut-être pas fait aussi peur ;o) ) ? N'est-ce pas un peu trop convenu ?
En fait, c'est venu de mes recherches en géopolitique navale, quand je cherchais quel « gros méchant » allait s'opposer aux efforts du capitaine Villon. J'ai découvert qu'en 2006, le porte-avions nucléaire George-Washington a participé à une opération militaire d'envergure dans les Caraïbes, destinées à montrer aux pays non alignés (Cuba, Venezuela, etc.) qu'Oncle Sam avait les moyens de leur river le clou s'ils ne se tenaient pas à carreau. C'était une mission de gonflage de biceps commanditée par les faucons de Washington. Dès lors, je tenais mon Léviathan et mon gros méchant, en le faisant entrer de force dans les Caraïbes du XVIIe siècle pour y semer la désolation. Et puis, au cours de mes recherches, j'ai aussi déniché la devise de ce bâtiment : 90.000 tonnes de diplomatie, ce qui en dirait assez sur l'arrogance dont savent souvent faire preuve les Américains quand il s'agit d'envisager les rapports de force.
Pourquoi avoir choisi La Volte comme maison d'édition ? Quels ont été les avantages pour toi ?
Je n'ai pas choisi La Volte, c'est plutôt La Volte qui m'a choisi, quand j'ai publié chez eux ma première trilogie, Chromozone. Et l'avantage principal, pour moi, c'est de disposer d'une liberté absolue accordée par son fondateur (Mathias Echenay) pour me laisser concevoir mes projets. En guise de preuve, je me contenterai de préciser qu'il n'a pas lu une ligne avant la fin de l'écriture du roman : j'ai travaillé seul dans mon coin le temps nécessaire, jusqu'au jour où j'ai considéré que le résultat pouvait être soumis à son avis et à celui de Norbert Merjagnan, qui participe aussi à cette aventure. C'est un luxe, et une belle preuve de confiance.
Chaque chapitre commençant par un extrait de chanson, quelle place tient la musique au sein de ton roman ? Que penses-tu de l'initiative du Transhumain de dresser la bande-son correspondante ? On sait que La Volte est spécialiste lorsqu'il s'agit d'accompagner ses romans par un CD, l'opportunité ne s'est pas présentée pour toi ?
Dans Le Déchronologue, la musique constitue une de ces merveilles qui fascinent les marins, non pas en tant que musique, mais en raison de sa nature enregistrée : CD, juke-box, disques, cassettes, etc. C'était un moyen pratique pour moi de distiller des paroles extraites du répertoire des chansons de marins qu'affectionne le capitaine Villon. A ce sujet, le travail du Transhumain est vraiment impressionnant : il a réuni sur son blog l'intégralité de la discographie citée dans le roman, et il travaille en ce moment à un décorticage et à une analyse schizo-ontologico-eschatologico-freudienne de mon dernier roman, dans son style inimitable et comme il sait si bien le faire. J'ai hâte de lire le résultat fini, je suis sûr que je vais en apprendre énormément sur mon travail, hé, hé, hé. Pour ce qui est du CD vendu avec le livre, La Volte l'avait déjà fait pour mon roman précédent, La Cité nymphale, et nous n'avons pas ressenti le besoin de réitérer déjà l'expérience. Une autre fois, certainement.
Après t'être attaqué à la science-fiction et à la fantasy, de quel côté peut-on t'attendre pour ta prochaine sortie ?
Je ne sais pas encore. Certainement quelque part dans la galaxie des littératures de l'imaginaire, avec peut-être une touche de polar. J'ai deux projets en cours, mais je ne sais pas encore lequel je vais finaliser en premier.
Enfin, ma traditionnelle question de fin : vu qu'il n'y a pas que la fantasy (ou la SF) dans la vie, peux-tu nous faire part de ton œuvre préférée dans le domaine de la littérature, de la musique, du cinéma et de la peinture ?
Outch, c'est cruel comme question, difficile de s'arrêter à un seul choix... Alors, le livre que je préfère hors littérature de genre ? Hum... L'œuvre de Shakespeare ferait un bon candidat. En musique, l'électro-indus de Hint, inévitablement. Au cinéma, sans doute un film d'Akira Kurosawa, soit Rashômon soit Les Sept samuraïs. En peinture, certainement une toile de Vermeer, et probablement Le Géographe.

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