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Irène Fernandez et l’univers de C.S. Lewis

Par Guybrush, le jeudi 5 janvier 2006 à 14:26:43

Narnia : La valeur du mythe

Irène Fernandez votre livre s'appelle Mythe, raison ardente, à propos de C. S. Lewis. Alors pourquoi vous avez choisi d'utiliser ce mot de « mythe » ?
Parce qu'en fait c'est l'objet même de l'étude que j'ai essayée de faire. C'est pas une étude de l'œuvre de Lewis uniquement mais c'est une étude des idées que l'on peu tirer de cette œuvre au sujet précisément de la portée du mythe, de ce que c'est qu'un mythe d'abord et ensuite de ce qu'il peut éventuellement signifier. Et si j'ai pris, si j'ai pillé Apollinaire pour prendre « raison ardente » c'est parce que le mythe, pour Lewis, l'imagination au sens fort du terme ne s'oppose pas à la raison mais à elles deux elles forment, elles constituent notre approche très profonde de la réalité. C'est ce que j'ai essayé de montrer, c'est pour cela ce titre.
Alors je vous pose une question difficile: c'est quoi que vous appelez un mythe ? Qu'est-ce qu'un mythe ?
Écoutez là je suis, je ne prétend aucune originalité dans ce domaine, je suis justement Lewis et c'est ce quoi m'avait le plus intéressé dans son oeuvre c'est qu'il a une conception du mythe... Il faut d'abord distinguer les mythes « mythologiques » si on peut dire, les mythes qui appartiennent aux mythologies.
Les mythes grecs, enfin, Jupiter...
Oui, et d'autres...
Oui, toutes ces choses-là.
... qui ont une portée religieuse, qui faisaient partie de religion. Et puis le mythe, disons, « littéraire » qui provient de... ça peut être d'ailleurs un conte comme les contes populaires recueillis par Grimm par exemple ou bien ça peut être l'Odyssée, donc c'est vraiment vaste. Et le mythe, c'est un type de récit; ça c'est vrai pour les deux catégories d'ailleurs. De récit ou de « structure narrative » pour être un peu pédant si vous voulez, dont... de type imaginaire, ou fantastique enfin non réaliste, et qui... je ne peux rien dire de mieux que c'est plein de sens, au sens que l'on sent, on perçoit que dans ce récit, dans cette structure, quelquefois dans cette grande image d'ailleurs, un foisonnement de sens qu'on ne peut pas d'ailleurs décrypter. On s'est exercé déjà depuis l'antiquité à faire une espèce d'allégorisation par exemple des mythes d'Homère, mais si un mythe pouvait être réduit par l'allégorie à une série de concepts qu'on mettrait sur la table, ça ne serait pas un vrai mythe, enfin, du moins pour Lewis, voyez.
Donc, un mythe, ça serait une histoire qui est plus que l'histoire. il y a quelque chose dans l'histoire qui dépasse la simple histoire.
Tout à fait. Vous avez employé tout à l'heure le mot de « résonnance » mythique et je crois que c'est un mot qui compte. Alors vous me direz : « Ca peut paraître un peu vague comme ça ». Il faut avoir en fait... C'est très difficile de parler du mythe en général. Il faut parler des mythes ou de tel mythe, de Narnia par exemple ou d'autres, vous voyez. Et au bout d'un certain temps, c'est Lewis aussi qui dit ça, on a, on finit par avoir, sentir la... « saveur » du mythe. Je crois que c'est une piste qui est intéressante à suivre.
Et alors, justement, Narnia, vous parlez du mythe de Narnia, est-ce que c'est un mythe ? Ou qu'est-ce qu'il y a dans Narnia qui peut être mythique ?
Alors, évidemment, on ne décrète pas « mythique » n'importe quoi, c'est un mot aussi qu'on met un peu à toutes les sauces. Je pense, je ne sais pas si Narnia est un mythe -enfin, ou les contes- mais il y a certainement des éléments mythiques très forts. Je pense aussi par exemple que, j'ai parlé du mot « image »... Lewis donne comme exemple l'image des Hespérides vous savez ces gardiennes des pommes d'or. C'est même pas un récit, c'est une grande image et ça a une résonance mythique. Et bien dans Narnia, vous avez des éléments de ce genre. On parlait par exemple de la « porte ». on entre dans Narnia par la porte d'une armoire; tout à fait à la fin, dans le dernier conte on sort par une porte qui est d'abord la porte d'une étable et puis la porte d'un lieu de torture et puis la porte de la Mort et qui débouche finalement sur la Lumière. C'est un... je ne veux pas employer le mot « symbole » qui est encore plus dangereux que le mot « mythe » je crois, mais ça a vraiment une portée mythique ; en ce sens que d'ailleurs cette porte -ou ces portes- on peut leur donner beaucoup de sens, voyez, il n'y a pas un seul, on ne peut pas dire : « Ah ! Il a voulu dire ça et pas autre chose ! ». Et alors vous avez dans Narnia le personnage d'Aslan...
Le lion.
... Le lion, qui alors a une force mythique incontestable.
Alors, justement, vous disiez que Lewis s'est intéressé aux mythes, mais est-ce qu'il a voulu écrire des mythes en écrivant Narnia ?
Écoutez, je ne crois pas qu'on puisse vouloir écrire un mythe. Parce que, au fond, par exemple, quand Kafka écrit Le Château, qui est vraiment un mythe... Voyez, quand je disais que ce n'est pas réaliste, cela ne veut pas dire que cela n'exprime pas la réalité. Mais cela ne l'exprime pas par les moyens de la description réaliste. Ça l'exprime par d'autres moyens qui sont justement souvent sous-estimés parce qu'on dit : « Oh, c'est du conte de fée, c'est du fantastique... ». Mais il n'y a rien de plus réel que Le Château de Kafka. Prenez un autre mythe moderne, La Ferme des animaux d'Orwell, par exemple. Voyez, on ne peut pas dire...
Expliquez-nous un petit peu de quoi il s'agit.
Ah, vous ne connaissez pas ? Vous connaissez Kafka quand même !
Non non, La Ferme des animaux.
La Ferme des animaux c'est un magnifique conte de Georges Orwell, vous savez, celui qui a écrit 1984, je crois que tout le monde connaît ça... Mais dans La Ferme des animaux, c'est une sorte de conte qui se passe dans une ferme où les animaux se révoltent contre les fermiers et les tuent et se mettent à leur place et ils recréent un monde totalitaire particulièrement horrible. C'est fait avec une très grande économie de moyens, sans... y a pas de « graisse », si vous voulez. C'est vraiment un mythe, une structure narrative significative. Alors on voit très bien ce qui est visé mais en même temps c'est applicable... bien sûr Orwell pensait certainement au communisme à l'époque, mais cela ne s'applique pas seulement à ça ! Sinon, cela n'aurait qu'une valeur historique etc, ça s'applique à toutes les structures tyranniques qui sont sécrétées par... Par notre mauvaiseté naturelle.
Un des aspects mythiques si on peut dire, je ne sais pas si vous allez reprendre cette définition, c'est dans l'oeuvre de Lewis cette sorte de mythe anti-technologie, une sorte de haine pour tout ce qui est chemin de fer, voitures etc. Comment cela s'explique ?
Lewis était un homme de sa génération, donc il était né en 1898 et il est mort en 1963. Comme Tolkien, il faisait partie... il y a tout un tas, en Angleterre il y a tout un, qui a été le lieu le berceau de la révolution industrielle, il y a un très violent mouvement de retour à la nature, de l'amour de la nature qui a été presque contemporain de cette révolution d'ailleurs, et qui continue, c'est une tradition anglaise dans laquelle il s'insérait, hum... ils étaient très sensibles à la dévastation industrielle. D'ailleurs quand on voit aujourd'hui les friches industrielles de l'Angleterre on comprend que c'est un peu, pour Tolkien c'est Mordor. Pour Lewis il y a cet aspect-là aussi peut être moins violent que chez Tolkien mais enfin... Il faudrait peut être dire un mot qu'on ne peut pas choisir d'écrire un mythe -écologique ou pas- parce que, que votre oeuvre soit mythique c'est presque une sorte de grâce au fond. On peut pas savoir... on peut décider de prendre un genre littéraire fantastique, ça peut très bien aussi être pas du tout mythique, le résultat, voyez ce que je veux dire. Et pas quelque chose... C'est d'ailleurs assez mystérieux.
Il en était conscient Lewis, après coup, qu'il avait écrit quelque chose qui avait plus de sens ? Ou il écrivait comme ça, pour son plaisir ?
Il écrivait comme ça et c'était un homme, je crois, sans prétentions, sans vanité d'auteur, ce qui est très rare. Bien sûr il tenait à ses livres. Bon il les écrivait, et quand on lui demandait de faire des suite de Narnia il a dit que non, qu'il n'était plus dans l'humeur mais qu'on n'avait qu'à les faire nous-mêmes. Il disait ça très gentiment. Et aujourd'hui, essayez d'écrire une suite de Narnia, vous aurez tous les gens qui ont les droits d'auteurs sur le dos. Il s'en fichait, d'ailleurs il donnait, je dois dire, c'était un chrétien j'allais dire « pratiquant » au sens propre: il a gagné beaucoup d'argent avec ses livres quand il a eu du succès et il donnait tout cet argent, il avait fait une sorte de fondation pour ça.
Merci Irène Fernandez.
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