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Interview ancienne mais encore d’actualité de Steph Swainston

Par Nak, le jeudi 3 septembre 2009 à 23:30:32

Depuis la publication de L'Année de notre guerre (gagnant du Crawford Award), le premier roman de sa série du Château, Steph Swainston a été présentée comme un auteur d'une fiction unique et ambitieuse qui prend place dans un monde secondaire encore que Swainston – comme on pourra le voir plus loin – considère sa création davantage comme une réflexion de notre monde. Le roman met en scène Jant, personnage ambivalent et fascinant qui a la capacité de voler, ainsi qu'une guerre contre des insectes géants. Le troisième et dernier volume de la série, Dangerous Offspring est sorti des presses d'Eos à l'été 2007.
Cette interview, comme vous pouvez le constater, est donc assez ancienne. Toutefois, elle reste très intéressante et actuelle, notamment grâce aux questions posées à Steph Swainston. Vous y découvrirez donc comment elle conçoit la construction de mondes, la relation écrivain-lecteur, mais aussi par exemple quelle est son approche de l'écriture.
Les réponses de Swainston sont franches et affirmées avec une prise de position qui, nous l'espérons, ne vous laisserons pas indifférent. Dans tous les cas, nous vous attendons en forum pour en discuter !

L'interview traduite

Qu'est-ce que vous aimez le plus à propos de la fiction ? L'écrire, la lire ou quelle que soit la façon dont vous voulez interpréter la question.
Par-dessus tout, j'aime la qualité ; une belle écriture m'excite davantage que tout le reste. Parfois je suis tellement emballée que c'est comme si j'étais en haut d'une haute falaise à regarder l'énorme à-pic, ou l'espèce d'anticipation que vous avez quand vous êtes sur les montagnes russes au moment où elles cliquètent pour gravir la première pente qui donnera toute l'impulsion. Pour moi, la littérature est la forme de l'art la plus aboutie et j'ai été choquée de voir que peu d'écrivains de genre sont d'accord avec ça.
La fiction est une façon de regarder le monde, d'y penser, de mieux le comprendre. Samuel Johnson a dit : Le but de l'écriture est de permettre aux lecteurs de mieux apprécier la vie ou de la supporter plus facilement. Ce sont des bêtises. Le but de l'écriture est de permettre aux écrivains de mieux apprécier la vie ou de la supporter plus facilement. Ils doivent écrire. S'ils ne le faisaient pas, ils deviendraient fous.
Cela amène à une autre question toutefois – ne devez-vous pas tout de même prendre en considération le lecteur par certains points, de manière à lui donner suffisamment d'espace dans la narration pour entrer dans une sorte de dialogue avec l'écrivain et sa création ?
Oui. C'est un équilibre que j'essaie sans cesse d'atteindre. Mais je pense que certains auteurs, surtout en SF, cherchent trop à savoir qui est le lecteur– ce qui amène à toutes sortes de problèmes : prose inégale, vulgarisation ou angoisse de la page blanche. Je ne sous-estimerai jamais l'intelligence du lecteur et j'essaierai toujours de les laisser tirer leurs propres conclusions sur les personnages et les situations dans les romans, sans le leur dire.
C'est impossible pour un auteur de savoir qui est le lecteur, ou son esprit. Tout ce que je peux faire c'est espérer que mes goûts s'accordent avec les leurs – et qu'il y a suffisamment de lecteurs au goût fin pour rendre mon travail commercialement viable. Si l'écrivain va à l'inverse de ses propres goûts pour tenter de vendre un tas de bestseller il pourrait aussi bien être condamné à échouer.
Il y a un grand nombre de lecteurs, ils veulent tous quelque chose de différent, et pour leur faire plaisir vous seriez comme le marchant dans la fable d'Esope, qui essaie de plaire à tous les passants sur le chemin du marché et qui finit par porter lui-même son âne. Ou alors votre livre est un âne.
Des écrivains qui ont réussis d'un point de vue commercial, en général ne devinent pas correctement les goûts du lectorat majoritaire ; c'est simplement que leurs propres goûts coïncident avec ceux du plus grand nombre. Donc ce que je fais c'est de présumer que le lecteur est une personne raisonnable qui me ressemble assez. Si j'essayais de faire que les livres du Château (NdT : la série de livres commencée avec L'Année de notre guerre) se conforment à une Fantasy plus commerciale, je détournerais le monde du Château de son but d'origine. Donc, au lieu de vous inquiéter de l'espace qu'il peut y avoir entre l'auteur et le lecteur, vous pouvez l'utiliser à votre avantage. Donnez au lecteur une scène et laissez son imagination l'emporter aussi loin qu'il le veut. Les métaphores ouvertes sont aussi très utiles : laissez le lecteur tirer ses propres conclusions ! J'ai toujours pensé que les personnages invisibles dans Le Glamour de Christopher Priest étaient une métaphore pour le fait que certains individus sont plus invisibles que d'autres – certaines personnes ne peuvent jamais être servies dans un bar, tandis que d'autres ont une présence formidable. Ca m'a ennuyé quand Priest m'a dit que son intention n'était pas de tirer une telle interprétation allégorique.
Qu'est-ce qui vous attire dans la fiction de Fantasy ?
Et bien, je n'y pense pas vraiment comme à de la fiction de Fantasy. Je préfère ne pas tirer de trait entre de la bonne Fantasy et de la bonne littérature traditionnelle, mais je considère l'ensemble comme un continuum. En tant qu'auteur il faut que je considère cela de cette façon afin de ne pas me contraindre et de ne plus pouvoir rien faire. Je ne me suis pas mise à écrire de la Fantasy de façon consciente ; j'écris le mythe du Château – qui est quelque chose qui m'intéresse – et c'est ensuite aux lecteurs de voir comment ils veulent le classifier.
J'ai un certain intérêt pour ce genre de fiction parce que c'est le plus approprié pour utiliser les structures profondes des mythes qui seront toujours pertinentes et convaincantes, tant que nous continueront à être humains. Elles sont les préceptes du conte – une carte routière claire que l'écrivain doit suivre pour que l'histoire soit géniale. Bien sûr vous pouvez les déformer et jouer de leurs variations mais, par exemple dans Dangerous Offspring, il ne peut y avoir qu'un seul résultat une fois que Cyan a relevé son challenge.
Pourtant, est-ce que vous essayez jamais de corrompre le mythe ? De ne pas donner au lecteur le résultat archétype généralement attendu ?
Je ne parle pas de résultats archétypes. Je parle de structures qui sont compréhensibles en raison du fait que nous sommes humains : avec les traits normaux des besoins humains. La structure des relations homme/femme, ou des relations de pouvoir et de hiérarchie qui sont récurrentes à travers le monde depuis le Paléolithique. Tous les humains du monde ont, codés dans leurs esprits, les émotions et les besoins du groupe d'animaux que nous étions – et sommes toujours.
C'est pourquoi c'est important de ne pas être trop bizarre en matière de fiction. Si vous subvertissez trop les archétypes, ou leur donnez un petit rôle plutôt que d'en faire la racine, le lecteur sera déçu bien qu'il ne sache pas forcément pourquoi. Des livres comme A Storm of Wings d'Harrison souffrent de n'avoir rien d'humain ou rien en rapport avec la vie des gens à quoi ils pourraient se raccrocher. C'est beau mais illisible. Même mes personnages Rhydanne ou Vermiform ont des motivations humaines. Il manque aux Rhydanne quelques traits d'humanité mais ils ont une grâce et une vitesse de prédateurs assez séduisantes.
Quand une histoire dévie de sa structure elle semblera être fausse. Si l'histoire demande une fin déplaisante l'écrivain doit avoir le courage de s'y tenir. Par exemple, le film de Terry Gilliam Les Frères Grimm avait une fin horrible parce que si vous avez deux frères qui se font face pour une femme, alors l'un des frères doit mourir, ou sérieusement perdre, ou être mis à l'écart. Deux hommes qui se battent pour une femme, surtout si les hommes sont apparentés, ne finiront PAS par rester amis ! L'un d'entre eux doit partir, ou, pour que les frères se réconcilient, la femme doit partir.
Dans Dangerous Offspring, je montre que le pouvoir d'une génération doit être transmis à la suivante – ou la génération suivante s'en emparera. Une génération transforme toujours les héros de la précédente pour ses propres besoins. Eclair sait quand s'arrêter, ce qui est le plus haut attribut du pouvoir. Il sait qu'il doit se retirer et se laisser être supplanté ou bien la stagnation dans sa vie et dans le monde continuera. La présence même d'Eclair est une ancre qui ralentit le progrès mais qui rend sa course plus certaine.
Dans cette optique Jant – par bien des aspects l'acolyte d'Eclair – reçoit le rôle de mentor de Cyan. Et ce, afin qu'il ne puisse pas coucher avec Cyan et pour que leur relation soit plus pure. Jant est forcé, par Eclair, de grandir ; de devenir le leader. Nous verrons plus tard s'il a vraiment de quoi devenir un Eszai mûr.
Avez-vous toujours écrit des œuvres qui ont lieu dans des endroits imaginaires ?
J'ai toujours écrit le Château mais j'écris aussi de la poésie – il y en a un peu sur mon site Internet. Oui, les Quatre Terres sont un endroit imaginaire mais c'est un miroir pour soutenir la société compétitive du monde réel – c'est mon commentaire sur, par exemple, des personnages de catégorie A et nos excès – dans laquelle la méritocratie est en elle-même un peu plus qu'une fantaisie. Dans le futur, je projette de m'étendre un peu plus là-dessus en écrivant des romans qui auront lieu dans le monde réel également. Mais d'abord il y aura un peu plus du Château.
Les Quatre Terres sont peut-être un lieu imaginaire, mais c'est toujours fondé sur la vie réelle. Je décris de vrais endroits et de vrais personnages, je les agrandis au-delà de leurs proportions, je zoome sur certains aspects, et c'est comme ça que je fais de la Fantasy. Je fais cela depuis que j'ai huit ans, mais quand je vivais à la maison avec mes parents, je devais le tenir secret parce qu'ils étaient très blessants. Je devais cacher mes carnets – sous le lit, ce genre de choses – et une fois, dans une boîte en plastique dans les bois derrière la maison. J'ai continué, sans tenir compte de la dérision, et par la même occasion c'est le conseil que j'en profite pour donner à tout aspirant écrivain – ne jamais laisser tomber.
Quel est votre regard sur l'idée de la construction de mondes alors ? M. John Harrison a récemment dit sur son blog certaines choses assez dédaigneuses sur ce sujet. Je suis d'accord jusqu'à un certain point, mais ne faut-il pas qu'il y ait certaines règles, un peu de construction de mondes, afin qu'un endroit semble suffisamment cohérent pour qu'un lecteur y adhère ?
Il y a un éventail d'approches. La plupart des auteurs de Fantasy semblent vouloir que leur monde tienne en lui-même, comme s'il existait vraiment. Mais j'utilise les Quatre Terres pour écrire à propos du monde réel – notre monde – et de gens, problèmes ou relations réels que je vois autour de moi. Terry Pratchett a souvent utilisé le Disque-Monde de cette façon.
Certains auteurs créent des mondes secondaires juste pour constituer le cadre d'aventures – un fait que je trouve bizarre, parce que les aventures les plus exaltantes et les plus ardues ont lieu dans notre monde. Mais dans le même temps le monde du Château a été élaboré de façon cohérente pour la plupart. Ainsi il y en a pour tous les goûts des lecteurs. Bien sûr, ils savent que le monde n'est pas réel mais ils apprécient d'être un peu crédules. La cohérence et le réalisme aident en cela, et cela fait partie du divertissement qu'un livre devrait offrir. Dickens n'a pas ressenti le besoin de nous dire, dans chaque chapitre de De grandes espérances, que Pip n'est pas réel ou de fustiger le lecteur pour avoir osé être solidaire avec un produit de leur imagination. Pourquoi la Fantasy devrait-elle être différente ? J'apprécie vraiment de rejeter l'incrédulité quand j'écris – ça fait partie de l'évasion du réel que le monde du Château m'a toujours offert, et je suis heureuse de la partager avec les lecteurs. Un auteur s'étouffe lui-même s'il essaie de s'attacher à une seule définition de la Fantasy. Une approche rigide conduira toujours à une certaine rigidité dans la création. Je pense que c'est bien mieux de s'autoriser un éventail d'approches dans notre monde. Ca donnera à votre création bien plus de facettes, si vous pouvez le voir à la fois comme l'objet évidemment fabriqué qu'il est, et comme un monde dans lequel la vie peut être insufflée, et comme une parabole, et comme un endroit pour mettre des observations de notre monde, et un échappatoire à notre monde, et un endroit pour fantasmer sur des personnages sexy, et aussi si vous pouvez lui faire rendre n'importe lequel des services auxquels vous pouvez penser !
En quoi votre formation scientifique a-t-elle influencé votre écriture ?
Premièrement, les Quatre Terres sont dirigées par des principes scientifiques pour autant que je puisse le faire tout en incluant des choses que j'apprécie. Le Shift est une rupture par rapport à ces règles si strictes, mais certaines des créatures du Shift et beaucoup de détails des Insectes viennent d'observations du monde naturel.
Deuxièmement, j'inclus des observations de gens que j'ai rencontré lors de travaux scientifiques. Frost, l'Architecte du Cercle de Dangerous Offspring, est une compilation de plusieurs ingénieurs que j'ai rencontrés, ainsi que de moi-même. Elle construit un barrage sur le front des Insectes qui fait partie de son plan pour repousser les Insectes, et elle est fière de son projet, à juste titre – mais crée involontairement le pire désastre que les Quatre Terres n'aient jamais connu. Aussi impitoyablement ambitieuse que le sont les immortels, elle répond avec détermination pour surmonter le désastre et poursuivre ses projets. Ce qui a inévitablement un grand impact sur son état mental. J'ai été témoin d'une situation similaire quand j'ai travaillé pour une entreprise de biotechnologie en plein développement et que j'ai vu la réponse apportée par des personnalités scientifiques quand l'entreprise a commencé à aller mal.
Ayant pour père un scientifique, mon impression est que les scientifiques sont juste aussi irrationnels et chaotiques que les gens de n'importe quelle autre profession. Etes-vous d'accord ?
Oui et non. Il y a des divergences entre leur vie personnelle et le travail qu'ils publient. Ca se retrouve fortement avec Frost dans Dangerous Offspring. C'est une architecte de génie et une ingénieure, un Isambar Brunel (NdT : un ingénieur britannique du XIXe siècle) ou un Christophe Wren (NdT : un architecte britannique du XVIIe siècle). Mais elle est aussi incroyablement sentimentale : l'immortalité pèse plus lourd sur ses épaules que pour la plupart des autres Eszai parce que son époux, qui a péri pendant l'Epreuve alors qu'elle essayait de gagner l'immortalité, lui manque. Elle pense qu'elle a échoué à le sauver et les Eszai ne supportent pas bien l'échec – Frost se tabasse psychologiquement avec sa perte et c'est devenu une habitude de longue durée.
En dehors de leur domaine de spécialité les scientifiques se basent sur le ouï-dire et sur les préjugés tout autant que n'importe qui d'autre. De plus, des journaux spécialisés peuvent manquer de fiabilité ou être corrompus, mais, on l'espère, moins que les journaux grand public. Il y a un niveau de rigueur et d'autodiscipline et, par conséquent, une certaine fierté dans la science que j'admire beaucoup.
Mais souvenez-vous : une petite touche de chaos dans un esprit majoritairement scientifique est ce qui conduit à de grandes découvertes. Certaines des choses les plus importantes que j'ai découvertes en étudiant l'archéologie étaient dues à un caprice et à une intuition : les os du squelette de la Dame Rouge, une nouveau type d'outil en pierre venant d'une grotte au pays de Galles, une pointe de lance datant de l'Ere Glacière au musée Ely, une perle en verre bleue dans une caserne romaine. Je les ai trouvés parce que d'autres personnes les avaient ignorés ou pensaient que de telles choses n'étaient pas possibles. Les vrais spécialistes ont les yeux ouverts et ont une approche qui leur permet de poser les questions sous un angle qui n'a pas encore été considéré – mais aussi une rigueur scientifique qui leur permet de savoir comment utiliser les découvertes. D'ailleurs, les génies de tous âges que l'Empereur sauve en leur donnant l'immortalité et en les faisant Eszai se chamaillent affreusement entre eux. Imaginez les étincelles qui voleraient si Miyamoto Musashi, Léonard de Vinci, Vesale et Louis Pasteur vivaient dans le même immeuble !
Quelle est votre approche pour commencer un roman ? Quand commencez-vous à l'écrire ?
Je commence directement, mais pour les deux premiers mois je prends le temps de faire de la recherche, de reprendre de vieilles notes et des photographies. Ensuite, le temps consacré à la recherché diminue et le temps consacré à l'écriture augmente en parallèle jusqu'à ce que tout soit écrit. C'est un processus naturel. J'essaie de faire de la recherche pour plus d'un livre à la fois – les romans suivants demanderont moins de recherche et j'ai déjà pas mal de mis de côté.
Quelle est la pire partie dans l'écriture d'un roman, pour vous ?
J'aime la plupart des aspects de l'écriture en vue d'être publié, mais je n'aime pas les Salons aux vanités qui l'accompagne. Je vous jure que j'ai eu plus de discussions intéressantes à propos de l'écriture avec mon coiffeur qu'avec certaines personnes qui s'enorgueillissent d'être littéraires.
Quel est l'écart de la différence qu'il peut y avoir entre les romans que vous écrivez et les romans que les lecteurs lisent ?
Oh il y a un gouffre énorme – mais c'est inévitable, parce que les lecteurs ne peuvent pas connaître complètement mon esprit et qu'ils lisent une histoire avec leurs propres expériences comme base de départ. Mon but est de créer des images dans l'esprit des lecteurs, de la même façon que certains morceaux de musique actionnent votre imagination, mais ils construiront les images qu'ils voient à partir de leurs propres expériences. Les endroits et les personnes qu'ils ont connu sont différents des miens ; c'est quelque chose que tout auteur doit accepter.
La caractéristique du grand art est sa capacité à générer une diversité d'opinions, puisque, comme Oscar Wilde l'a dit : ça montre que le travail est nouveau, complexe et vital. Pour qu'un roman ait une valeur, il doit être capable de provoquer une réponse intelligente de la part du lecteur – de susciter la controverse et la discussion. Vous pouvez lire les livres du Château comme une aventure héroïque exubérante : botter les fesse des Insectes, ou vous pouvez regarder plus loin – dans Dangerous Offspring, Eclair et Cyan montrent les difficultés d'élever des enfants, de la relation père-fille et de la communication entre les générations.
Comment parvenez-vous à cet effet ? A laisser de la place pour l'amusement et aussi à la profondeur ? Est-ce que tout dépend de ce que vous faites pendant le processus de révision ? Je suppose que ça ne peut pas être consciemment dans votre esprit à l'étape de l'ébauche.
Si, bien sûr que ça l'est – dans mon esprit, bien avant l'étape de l'ébauche, parce que c'est dans ma nature d'avoir les deux. Dans la première question nous avons parlé de comment un auteur devrait être fidèle à ses goûts. Une partie du Château est autobiographique ; j'espère que ça rend la lecture des romans plus vraie que la plupart des autres romans de Fantasy. Parfois les détails apparemment les plus improbables sont fondés sur des faits – par exemple : dans Deangerous Offspring, quand Jant trouve Cyan et lui fait de la respiration artificielle, c'est basé sur un de mes souvenirs de quand j'ai dû faire pareil, à minuit, pour un camarade de classe qui s'était écroulé après un contact avec un solvant. Et ma sœur a dû pratiquer la respiration artificielle une fois – le jour de son anniversaire, rien que ça – sur une vieille dame qui est décédée.
Quand Frost construit un mur de livres pour marquer les limites de son bureau pendant la crise du vol des Insectes, et bien, j'avais vu quelqu'un faire ça. C'était aussi assez dérangeant à ce moment-là.
Croyez-vous à l'existence du Mal ?
Surement pas. Le Mal est juste un mot fort pour quelque chose que vous n'aimez pas.
Donc le génocide perpétré par un dictateur, par exemple. Ce n'est pas mal, c'est simplement quelque chose que les gens n'aiment pas ? Je n'essaie pas de vous défaire de votre définition, mais il me semble que vous pouvez probablement en dire davantage.
Vous ne pouvez pas me défaire de ma définition. Mais il y a une dualité dangereuse ici. Le mal qui correspond à quelque chose que les gens n'aiment pas s'accorde avec les structures profondes de leur esprit dont j'ai fait mention dans la seconde question. Les actes semblent mauvais parce qu'ils vont à l'encontre de l'instinct des animaux que nous étions – je pense que tous les hominidés ont plus ou moins suivies des idées comme le bien et le mal pour leur propre bien. Par-dessus cela, les croyances culturelles ont une influence sur ce que les gens appellent le mal. Le fait que des gens d'une culture appellent les gens d'une autre culture le mal, sans y penser vraiment, quand ils veulent en fait dire différent est une source majeure de conflits dans le monde actuel.
Est-ce que le génocide devient plus mauvais s'il est perpétré par un dictateur ? Et la démocratie ? Les peuples indigènes d'Amérique ont été victimes d'un génocide de la part des colons européens et, plus tard, des Etats-Unis – et pourtant tant des importants acteurs de ce génocide sont vénérés comme des héros nationaux (par exemple Custer et Philip Sheridan). Etaient-ils mauvais ? Probablement pas : avides et agressifs, certainement. Se considéraient-ils comme mauvais ? J'en doute. Dire que les choses sont mauvaises obscurcit leurs causes et en faisant cela on leur donne plus de chance de produire à nouveau.
De plus, les dictateurs ne perpétuent pas des génocides eux-mêmes. Devrions-nous aussi punir tous ceux qui sont impliqués ? Qui resterait ? Une telle moralité simpliste est ce qui cause le génocide – les victimes tuées sont généralement les mauvais dans l'esprit des auteurs du génocide.
La plupart des actes d'intolérance sont fondés sur une simplification poussée à l'extrême et un refus de comprendre les autres. Décrire quelque chose comme mauvais est la plus grande simplification que vous puissiez faire. Vous empêchez tout espoir futur de compréhension et toute possibilité de prévention.
Le Mal en tant qu'adversaire dans les romans de Fantasy, devrait être évité à tout prix. J'ai écrit trois romans sans utiliser une seule fois le mot mal, parce que les gens de Quatre Terres n'ont pas le concept religieux. Ironiquement, en conséquence ils n'ont pas autant de conflits entre leurs cultures que nous en avons.
Que craignez-vous le plus ?
De me sous-estimer.
Plus que tout ? Vous n'avez pas peur de la mort ? Et la perte d'êtres chers ?
Ha ha ha ha ha ha. Ok, vous ne me connaissez pas. Vous êtes pardonné. Je ne suis pas le moins du monde effrayée par la mort. Personne qui serait passé par quoi je suis passée n'en aurait peur. Si vous faites face à la mort, vos sens bourdonnent ! Vous vous sentez vivant ! Je me suis jetée de plusieurs avions, j'ai nagé sous terre, tout cela sans avoir peur de la mort. On s'en fout ! Tant que c'est rapide et relativement sans douleur, je n'en ai rien à faire que ça arrive dans la minute qui vient ou dans cinquante ans.
Comment quelque chose d'aussi banal que la mort peut être effrayant ? La mort n'est pas effrayante parce que quand vous êtes mort vous n'existez pas, vous ne savez rien. Donc quand vous êtes mort vous ne pouvez pas être dans un état de peur ou de douleur, et espérer être vivant.
Par contre, je détesterais mourir en sachant que je me suis sous-estimée – que je n'ai pas accompli tout ce que j'aurais pu, et fait de mon mieux dans cette vie. Plutôt que de vous attarder sur le futur ou le passé vous devriez être conscient de vous-même et de votre entourage dans le présent. Pensez grand ! Faitez des projets pour le futur mais ne perdez pas la moitié de votre vie à regarder derrière ou à attendre !
Il y a une personne pour laquelle je serais bouleversé s'il venait à mourir, mais en considérant que je ne peux rien y faire - à part entretenir les freins de la voiture et croire en la chance – ce serait névrotique de s'en faire, non ?
Avez-vous un dernier mot préféré ou détesté ?
Ils vont et viennent. Les pires mots sont définitivement ceux du jargon des affaires – les équivalents de conversation des musiques d'ascenseurs.
Mes mots préférés ? Et bien, en ce moment je suis amusée par le mot qu'utilisent les sœurs Brontë pour l'épluchage des pommes de terre : pillopotating. In the kitchen, pillopotating. Prononcé à haute voix d'une façon rêveuse c'est un mot très relaxant. Essayez aussi : villeggiatura et papilionaceous.
Les Brontë avaient une contribution à faire à la littérature de Fantasy – leur Great Glass Town. Parfois j'aimerais que le genre de la Fantasy ait grandi dans la Great Glass Town (NdT : littéralement la grande ville de verre) plutôt qu'en Terre du Milieu. Mais elles étaient en avance sur leur temps, et Charlotte Brontë savait qu'il ne valait mieux pas qu'elle écrive sur le sujet dans un monde si fermé, bien que son frère Branwell l'ait poussée à le faire et que Thackeray aurait adoré, je pense.
J'aime utiliser la variété – et aussi peu de répétition de mots que possible. Ca me stupéfie que l'écriture de Fantasy soit aussi lourde et classique, toujours influencée par l'utilisation de Tolkien d'un style solennel, épique. Tout peut arriver en Fantasy, donc pourquoi utiliser une prose aussi guindée ?

Interview originelle
Traduction réalisée par Nak


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