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Entretien avec Patrick Rothfuss (n°2)
Par Neramith, le mercredi 5 septembre 2007 à 10:40:08
En attendant sa future parution en version française, retrouvons un nouvel entretien avec l'une des sensations fantasy de l'année, Patrick Rothfuss et son The name of the wind.
L'occasion d'apprécier une fois de plus la personnalité fantasque de l'auteur, et son humour ! Un nom à retenir, à n'en pas douter. Dès à présent, n'hésitez pas à consulter cette interview intégralement traduite pour vous.
Et encore un auteur barbu, un de plus... En attendant, ci-contre, le tome 2 semble avoir pris corps !
Questions/Réponses !
- Pat, commençons par les questions les plus importantes... Membre préféré des Beatles ?
- Patrick Rothfuss : Lennon. Il était peut-être fou. Mais c’est le genre de folie que j’apprécie.
- Repas préféré : petit-déjeuner, déjeuner, diner ?
- Diner et déjeuner ne sont-il pas la même chose ? Vous essayez de me piéger avec ça ?
- Chanson préférée de Cher ?
- Honnêtement, je n’arrive pas à choisir. Vous dîtes ce nom et je n’ai plus qu’en tête une image d’elle en string en train de scruter les alentours à bord d’un vaisseau spatial. C’était dans une vidéo ou bien est-ce un cauchemar enfoui dans mon inconscient ? J’espère que c’était bien dans une vidéo…
- Emission télé que vous adorez haïr ?
- En fait, je n’ai pas vraiment le câble. Je regarde la télé mais seulement pour voir les émissions que j’achète en DVD. Du coup, mon niveau de haine contre la télé est assez bas en ce moment.
Mais j’ai un vrai dégoût pour ces émissions de relooking extrême. J’ai surpris ma colocataire en train d’en regarder une et j’ai constaté pendant 15 bonnes minutes comment, en regardant ces conneries, elle contribuait à la destruction de toute la civilisation. - Parfum de glace préféré ?
- Bluemoon (Ndt : glace américaine que l’on ne trouve que dans certains états d’Amérique)
- Garniture préférée de pizza ?
- S’il n’y en avait qu’une seule : les pepperonis. S’il y a d’autres accompagnements : ananas, bacon, choucroute et olive. Croyez-moi. C’est bon. C’est comme une guerre civile du goût dans votre bouche.
- Livre préféré ?
- The Last Unicorn. Je l’ai lu. Je l’ai vécu. Je l’ai aimé.
- Sport Olympique d’hiver préféré ?
- La luge. Je serais embêté si on me demandait d’expliquer en quoi consiste ce sport. Mais j’aime juste le mot « luge ». « Luge ».
- Bien maintenant que nous avons fini avec les questions les plus importantes, nous pouvons nous attarder sur des questions plus pédantes. « The Name of the Wind » est considéré par beaucoup comme la révélation de la littérature fantasy de l’année. Comment gardez-vous les pieds sur terre face à de tels propos ?
- Mmm. Je répondrais à cette question comme je répondrais à la majeure partie d’entre elles. Avec une petite histoire.
Le jour où le livre a atterri sur les présentoirs, j’ai reçu un coup de fil de mon éditeur m’annonçant qu’il avait décidé d’augmenter la cadence d’impression. C’est une super nouvelle, puisque plus de livres signifie plus de ventes. Dix minutes plus tard, je reçois un email d’une critique. Elle me disait que « The Name of the Wind » était le meilleur livre qu’elle ait lu depuis des années. Ensuite, je me rends au campus et qu’est-ce que je trouve ? La place de parking parfaite qui n’attendait que moi juste en face de la porte de mon bâtiment. Et ce n’est pas tout, puisque j’ai aussi remarqué qu’il restait 40 minutes de stationnement sur le parcmètre. C’est comme si l’univers entier me souriait. A ce moment là, j’étais certain d’être le centre de l’univers, j’étais comme Optimus Prime, le dixième avatar de Krishna, Steve Tyler réunis dans une même boule de génialitude.
Puis j’ai essayé de me garer, j’ai commencé mon créneau et… j’ai loupé. Je suis sorti et j’ai recommencé… j’ai trop tourné et mes pneus ont touché le trottoir. Encore. Et encore. J’ai du faire cinq tentatives avant de réussir. Et le meilleur dans tout ça, c’est que j’étais juste à côté du bâtiment où tous mes élèves et collègues circulaient et me regardaient pendant ma manœuvre.
C’est comme cela que je garde les pieds sur terre. C’est dur de me prendre au sérieux quand je vois à quel point je peux être nul. - Il y a beaucoup d’auteurs qui ont commencé leur carrière sur les chapeaux de roues avant de finir dans les rayons « promotion » à la fin de leur carrière. Comment allez-vous éviter un sort similaire ?
- Grâce à une forte volonté ? En écrasant tous ceux qui s’opposeront à moi ? Je ne sais pas. Vous avez des conseils pour éviter ce destin ?
Plus sérieusement, maintenant je comprends comment marchent les plannings d’édition, je comprends mieux pourquoi certains auteurs régressent. Une année c’est long pour attendre une suite, mais c’est très, très court pour ECRIRE une suite.
Heureusement pour tous ceux qui sont intéressés, j’ai écrit l’intégralité de la trilogie. Donc mes livres ne seront pas nuls avant que ces trois là soient édités. - « The Name of the Wind » est un gros livre, et je suis certain que les deux autres le sont tout autant. Il est évident que vous avez passé beaucoup de temps à préparer l’histoire et les romans avant de les emmener chez des éditeurs et des agents. Quel impact peut avoir une trilogie complètement finie sur des négociations d’édition ?
- Mmm, je vois ce que vous voulez dire. Cela ne me rend pas plus attrayant auprès des éditeurs si c’est ce que vous me demandez.
Si la fantasy peut sembler cool avec ces gros livres appartenant à une série, ça ne veut pas dire que les éditeurs sont excités à l’idée d’avoir un roman de 250.000 mots. Cela coûte cher d’imprimer des livres de cette taille. De plus, qui veut acheter une trilogie complète à un auteur complètement inconnu ? Très peu de gens sont intéressés par cela.
Pensez-y de cette façon. Vous êtes un éditeur, vous achetez un livre à l’un de ces nouveaux écrivains et cela ne se vend pas. C’est irritant et financièrement nul. Mais si vous achetez trois livres… vous triplez les risques. Il est important de se rappeler que Tad Williams, George Martin, et Robert Jordan n’ont pas commencé leur carrière en écrivant de grandes sagas fantastiques. Ils ont commencé avec de plus petits projets. - Voilà une question qui va à la fois flatter votre égo et vous ramener sur terre. Quelles sont vos forces et faiblesses en tant qu’écrivain ?
- Voilà une question difficile. Si je vous dis ce pour quoi je suis bon, je vais passer pour un égocentrique vaniteux. Mais si je réponds à l’autre moitié de la question, je donnerai une mauvaise impression de mon propre livre.
Pouvons-nous passer cette question et prétendre que je suis modeste et que mon livre est génial ? - Une grande partie de l’histoire de Kvothe tourne autour d’une certaine femme qui le confronte à son propre enfer (et propre paradis aussi). Est-ce que cette femme a été inspirée par une personne réelle ?
- Oh oui. Définitivement, oui. Mais au fil des années, elle a développé sa propre personnalité.
- « The Four Corners of Civilisation» a été créé avec beaucoup de profondeur, il y a des détails dans le roman qui ajoutent beaucoup de profondeur à ce monde sans que cela noie le lecteur, tel que l’allusion aux pièces dans la bourse de Kvothe. Est-ce que vous vous considérez comme un bon créateur de monde ? Ou est-ce juste l’une des étapes obligatoires de la fantasy contemporaine ?
- J’adore la création de monde. C’est aussi amusant pour moi que l’écriture même. C’est l’un de mes passe-temps.
Je crois que j’ai deux atouts en tant que créateur de monde. Premièrement, j’ai une solide connaissance en histoire, sociologie, anthropologie, philosophie etc. Ce qui signifie que j’ai une bonne vision de la façon dont les sociétés changent et évoluent. Je sais comment une bonne partie d’entre elles ont fonctionné au fil des ans. Je peux créer une culture cool et différente, tout en restant logique, pour que cela semble réel. Et beaucoup de mondes de fantasy ne sont pas plausibles ou sont culculs ou les deux en même temps. Les miens ne le sont pas.
Le deuxième atout est que je ne me sens pas le besoin de tout expliquer à mes lecteurs. Je n’écris pas un texte d’histoire sur The Four Corners. Je raconte une histoire qui y prend place. Le cadre appartient au background dans sa majeure partie et c’est facile pour les auteurs de fantasy d’oublier cela. C’est, à mon avis, l’une des parties malheureuses de l’héritage de Tolkien. Lisez les premières pages de « La Communauté de l’Anneau » et vous commencerez à vous énerver, « Y’en a assez des musées de la Comté ! Le monde n’est pas censé être en danger là? »
Ne vous méprenez pas, j’ai grandi en lisant Tolkien, et je l’adore. Mais je l’adore de la même façon qu’on adore un vieux grand-père. Il faut s’asseoir et écouter beaucoup de détails hors-sujet avant qu’il ne vous raconte ses cools histoires de guerre. - Verra-t-on plus des « Four Corners of Civilisation » dans les prochains livres ? Ou est-ce que l’Université reste le décor central du reste de l’histoire de Kvothe ?
- Les deux. L’université reste centrale, et Kvothe s’y plaît. C’est, pour lui, ce qui ressemble le plus à un foyer dans ce monde. D’une certaine façon, il n’y a rien qu’il aimerait plus que de rester là-bas et d’apprendre tout ce qu’il peut.
Mais sa vie est plus compliquée que cela. D’une chose, l’éducation n’est pas gratuite et Kvothe n’a pas les moyens de rester indéfiniment à l’Université. Mais plus important encore, il est assez intelligent pour savoir que les nombreuses choses qu’il veut apprendre ne sont pas dans des livres.
Donc dans le deuxième tome, Kvothe part à l’aventure à l’étranger. Il se dirige vers Vintas et se renseigne sur la situation politique là-bas.
Mmm, je ne pense pas que j’en dirai plus. Je n’ai pas envie de vous gâcher la surprise. - Et bien, peut-être pourriez-vous répondre à cette question (sans spoiler bien sûr). L’une des choses que j’ai aimées dans « The Name of the Wind » est que l’histoire et l’intrigue ne se basaient pas sur de lourdes scènes d’action et des affrontements d’armées qu’utilisent beaucoup de romans de fantasy comme leur atout. C’était une bouffée d’air frais ; mais peut-on s’attendre à voir plus de batailles à mesure que Kvothe voyage à travers le monde dans les deux prochains livres ?
- Oui, je crois qu’on peut dire qu’il y aura plus d’action dans les prochains livres. Ce ne serait pas réaliste d’avoir un Kvothe âgé de 12 ans se battant. Mais un Kvothe de 16 ans ? Oui. On peut dire qu’il va croiser le fer.
- Les rumeurs disent que vous avez refusé une autre maison d’édition qui vous proposait plus d’argent et avez plutôt signé avec DAW Books. Qu’est-ce qui vous a attiré chez DAW ?
- En fait, nous avons refusé deux maisons d’édition avant d’accepter l’offre de DAW. Je suis allé chez DAW pour plusieurs raisons. Les deux autres éditeurs avaient de nombreux atouts en leur faveur. Mais Betsy Wollheim de DAW avait adoré mon livre. Comme une geek. Comme une fille-chat à une convention d’anime. Et ça, ça ne s’achète pas. Très souvent, un auteur dépend totalement d’un éditeur. Ce dernier achète leurs livres, les virent, les promeuvent ou les transfèrent vers un autre boulot autre part. Et c’est vraiment nul pour un auteur parce que, soudainement, la personne qui aimait assez votre livre pour l’acheter, n’est pas là pour vous aider à l’éditer et à le promouvoir.
J’ai su que cela ne serait pas arrivé avec DAW, parce que Betsy possède l’entreprise. Elle en est la présidente et la PDG. Elle ne peut pas partir. De plus, personne ne peut lui dire « non ». C’est elle le patron. Je n’avais pas à m’inquiéter que mon avis soit dénigré par quelqu’un d’autre qu’elle. De plus, chaque personne avec qui je discutais m’ont dit que DAW était incroyablement fidèle à leurs auteurs, les aidant sur le long terme et à construire leur carrière. C’est ce que je voulais.
J’ai été très satisfait auprès d’eux. Chaque jour, je suis heureux d’être avec eux. Les autres éditeurs auraient été bons, et je les aime beaucoup. Mais les choses avec DAW se passent idéalement bien. - Il semble que les choses se passent bien pour vous et DAW, comme cette augmentation du rythme d’édition dont vous parliez tout à l’heure. Trouvez-vous que votre vie a changé depuis votre entrée dans le monde de l’édition ? J’imagine qu’avec votre nouvelle renommée, tout n’est que champagne, jets privés et nuits de débauche maintenant.
- Heh. Vous croyez ça ?
La vérité est que ma vie n’est en rien semblable à celle d’une rockstar. J’ai des dettes à payer, et je dois prendre des pièces de 25 cents dans mon pot de monnaie pour remplir mon réservoir d’essence. Je vis toujours ma vie d’étudiant.
Vous voulez savoir à quel point ma vie est attrayante ? Une amie à moi a déménagé et quand elle a quitté la ville, elle m’a donné une boite de ramens. Normalement, je prends des Maruchen ramen. Goût poulet. Cela coûte 10 cents le paquet. Mais ces ramens étaient super luxueuses. Il y avait le sachet de saveur et les nouilles habituelles, mais aussi un AUTRE sachet contenant des algues séchées, des morceaux de radis et autres choses. C’était vraiment la grande classe.
Voilà mon niveau de succès et de débauche actuel. Une simple boite de ramen améliore considérablement mon style de vie. Si le premier livre se vend bien, les choses devraient un peu s’améliorer. J’ai entendu des rumeurs disant qu’il existait des ramens avec TROIS petits sachets.
Mais entre vous et moi, je crois qu’il s’agit là d’un conte de fée. - Avec les deuxième et troisième livres des « King Killer Chronicles » achevés, où est-ce que vous vous dirigez ? Qu’avez-vous prévu après que la trilogie soit éditée ?
- Quand j’ai créé mon monde, j’ai pris soin de le faire assez vaste pour qu’il contienne toutes sortes d’histoires, pas seulement celles qui tournent autour de Kvothe. Je pense donc qu’il y aura d’autres romans qui prendront place dans ce monde dans le futur, et mettant en scène quelques uns des mêmes personnages.
J’ai aussi eu une idée de conte de fée moderne qui fera un bon one-shot (Ndt : histoire en un seul volume). Cette idée me trotte dans la tête depuis des années et devrait être mûre lorsque la trilogie sera finie.
Et il y a un ou deux mois, une personne a retrouvé une copie de mes articles d’anthologie d’humour satirique et m’a suggéré l’idée d’écrire une histoire de fantasy urbaine pleine d’humour se déroulant dans une université. Je pense que cela pourrait être amusant aussi. - Il semble que beaucoup de bonnes choses se profilent pour vous ! J’ai remarqué que vous mentionnez un one-shot et il me semble avoir entendu dire que vous aviez originellement écrit « The Name of the Wind » en tant que tel. Qu’est-ce qui vous attire dans ce format ?
- Les one-shots sont bons car ils contiennent tout dans un petit format. « Neverwhere » (Ndt : de Neil Gaiman) était génial car vous aviez de l’action, de l’aventure, un développement des personnages, l’exploration d’un monde étrange, PLUS la résolution de tous les problèmes et mystères à la fin. Pas de file d’attente. C’est très satisfaisant.
Les sagas en plusieurs tomes le sont aussi, mais d’une manière différente. - Un dernier mot avant que l’on finisse ?
- Pour être franc, je dois avouer que j’ai dit une chose de fausse pendant cette interview. Seulement une. Tout le reste est la stricte vérité.
- On peut donc dire que soit vous êtes une rockstar… soit vous avez une chanson préférée de Cher ?
- Non, ces deux choses sont vraies. Le mensonge réside dans tout autre chose…
- Bien, je suppose que je vais devoir laisser mes lecteurs deviner. C’est aussi le meilleur moment pour finir en apothéose. J’aimerais vous remercier et vous souhaiter bonne chance pour « The Name of the Wind » et tout ce qui s’en suivra. Si votre premier roman peut être considéré comme un bon indicateur, alors nous entendrons beaucoup parler de vous dans le futur.
- Merci Aidan. Vous êtes un gentleman et un érudit.
Auteur
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