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En salles : La Belle et la Bête

Par Gillossen, le mercredi 12 février 2014 à 12:30:30

Entretien avec Thierry Flamand, Chef décorateur

Quels étaient pour vous les enjeux de LA BELLE ET LA BÊTE ?
Je connaissais Christophe pour avoir travaillé avec lui sur la préparation d’une nouvelle adaptation de FANTÔMAS. Ce projet n’a malheureusement pas abouti. Pour LA BELLE ET LA BÊTE, il a fait de nouveau appel à moi. Je venais de signer les décors du jeu vidéo «Heavy Rain». Christophe savait que grâce à cette expérience, je ne serais pas réfractaire à l’apport du numérique et de la 3D dans la fabrication de l’image finale d’un décor. De plus en plus de films ont une part importante de leur budget consacrée à cette technologie. Il est important d’en contrôler les mécanismes qui mêlent décors construits et extensions numériques. Il est cependant assez rare de trouver en France un projet qui conjugue les deux approches, pour LA BELLE ET LA BÊTE, c’était incontournable.
Comment ces nouvelles technologies affectent-elles votre travail ?
Le numérique n’est qu’un nouvel outil, une extension du crayon. Je suis architecte de formation, et c’est en dessinant que je cherche les espaces des décors. En partant du dessin, je n’ai pas de problème à les imaginer prolongés avec des volumes numériques. Ça permet de rêver davantage et d’imaginer davantage. En revanche il faut bien renseigner les équipes de la postproduction numérique sur l’esprit que nous voulons donner aux décors. Les nombreux décors construits en studio sur le film apportaient l’atmosphère et le style d’architecture à suivre et nous avons constitué un vaste dossier de références, qui a servi aussi bien à la conception des décors «bio» qu’à leurs extensions. Je n’ai pas été engagé pour suivre pas à pas la postproduction, le budget ne le permettait pas, mais l’équipe dirigée par Louis Morin, le superviseur numérique qui était là pendant toute la préparation et le tournage a fait des merveilles. Quand je vois le résultat, je suis bluffé, c’est vraiment fidèle à l’esprit recherché, et mes inquiétudes liées à d’autres expériences passées ont vite disparues à la vision des premières images.
Quelle est la part de vrai et la part de virtuel ?
Sur LA BELLE ET LA BÊTE, une grande quantité de décors sont entièrement «bio» : le hall d’entrée, la salle à manger, la chambre de Belle, la tanière de la Bête, le cottage intérieur et sa façade. Tous les éléments de décors dans lesquels les acteurs se déplacent sont également partiellement construits, l’escalier monumental, le grand escalier du jardin, le pont qui permet l’accès au château, les corridors et l’arbre sur lequel Belle grimpe pour contempler le domaine. En ce qui concerne la salle de bal et le hall qui mène au miroir magique il n’y avait que quelques colonnes et un sol. Les espaces prennent leurs formes définitives après une multiplication de ces éléments. Pour la salle à manger, les extensions ne concernent que les plafonds, les murs étaient construits jusqu’à 6,50 mètres de haut ce qui permettait de cadrer tout le temps les comédiens sans qu’ils ne «passent dans la ligne de matte. Pour le cottage, le toit est rajouté et le jardin augmenté, seuls le potager et son sentier ont été aménagés. Les décors liés aux extérieurs du château ont été tournés dans des studios complètement verts. À part quelques plans tournés dans le parc de Sans Souci à Potsdam, dans les forêts autour de Berlin, les acteurs et quelques fois leurs chevaux marchent sur de la moquette verte, les hautes herbes étant rajoutées en postproduction. C’est assez troublant pour les acteurs parce qu’ils jouent sans accroche, sans atmosphère. Leurs seuls repères, ce sont les dessins faits d’après les plans, et quelques balles de tennis. C’est assez étrange !
Comment avez-vous déterminé le style architectural ?
J’ai passé pas mal de temps à chercher. Dans la version de Christophe, on revient au conte original qui explique pourquoi le Prince est devenu La Bête. Quelques décors sont donc liés au château avant que le sort ne soit jeté. Pour cette période on voulait absolument éviter le côté médiéval épuré façon LES VISITEURS DU SOIR, et aller bien au-delà de l’impressionnisme de la version de Cocteau, on voulait trouver un style propre à la version de Christophe. Dans cette version, le château subit également les effets maléfiques du sortilège, un véritable tsunami végétal de rosiers l’envahit. On voulait qu’il y ait déjà une prémonition de ça dans l’architecture et l’ornementation. On s’est donc inspiré en grande partie du style manuélin, une transition portugaise entre gothique et renaissance. Ce style correspondait parfaitement à ce qu’on cherchait avec ses ornementations très complexes, ses colonnes torsadées, ses modénatures incroyablement riches de cordages, de liens et d’arabesques. J’ai commencé à dessiner toutes ces choses, notamment pour les colonnes de la salle à manger et ça donnait une sorte de féminité trop accentuée. Les idées de Christophe évoluaient davantage autour d’un prince chasseur, intense et très viril. Du coup, nous avons rendu les colonnes plus féroces, pour ça j’ai trouvé dans la chapelle de Rosslyn en Écosse un style apparenté au manuelin mais plus fort. Mais ça ne me satisfaisait toujours pas, et j’ai fini par trouver un compromis en ajoutant des encoches inspirées d’une très ancienne colonne mésopotamienne. Le chemin a été long, on est parti d’un style très floral pour arriver à quelque chose de beaucoup plus vénéneux. Comme dans le Cocteau, et la célèbre balustrade du château de Raray, le rapport à la chasse devait être omniprésent. Nous avons beaucoup travaillé sur la statuaire animalière, souvent violente. La cheminée en est le paroxysme. Christophe aime bien le côté colossal du baroque, il m’a vraiment poussé dans mes retranchements, le résultat est un style plutôt éclectique, rien de purement médiéval, gothique ou renaissance. Rien d’édulcoré ou de léger. Il voulait vraiment de la force, qu’on trouve je pense dans l’ensemble du château. Seule la chambre de Belle se rapproche d’un style pur Renaissance. Son plan, à la différence du reste, évoque beaucoup une anatomie féminine pleine de courbes. Dans les décors, il y a souvent cette confrontation entre le masculin et le féminin.
Entre la conception et la réalisation, vous êtes-vous senti à l’aise ?
La conception a commencé dès janvier 2012. Nous ne savions pas à cette date où le film allait se tourner, Montréal ou Berlin ? Nous avons esquissé la plupart des décors avec ma première assistante au dessin jusqu’à la fin février. Ensuite nous avons créé un bureau déco à Montreuil, une dizaine de personnes, dessinateurs, graphiste et sculpteurs. C’est là que les choses se sont vraiment précisées, nous avons produit un dossier complet des décors, avec plans, documentation, dessins des sculptures et maquettes de la salle à manger. La production s’est installée à Berlin en juillet 2012, où nous avons créé un nouveau bureau déco avec les Allemands, pour les plans de construction détaillée, maquettes plus poussées, modèles des sculptures, etc. Sachant qu’il fallait commencer à tourner en novembre, on avait assez peu de temps pour construire une quantité énorme de décors. La salle à manger a fait l’objet d’un travail intense en septembre et octobre alors qu’on travaillait simultanément sur d’autres décors. Une fois prête, on y a tourné 8 jours avant de la casser immédiatement pour construire à la place la salle de bal puis le cottage. J’avais l’impression de livrer des décors d’opéra à la cadence d’un téléfilm. Le rythme était très soutenu. On m’a dit que ça valait mieux que l’inverse.
Quel est l’avantage de tourner à Babelsberg ?
C’est un outil formidable. Déjà il y a l’ambiance : on se dit qu’on a tourné sur le plateau de Metropolis, forcément c’est émouvant. Il y a trois gros plateaux, d’autres plus petits, des friches industrielles aménagées à 4 minutes, qui contiennent 2 énormes plateaux insonorisés et tous les ateliers nécessaires. Ça permet des rotations de décors, on a occupé tous les plateaux. Il n’y a pas d’équivalent en France, on aurait pu tourner autour de Paris dans des endroits différents, mais avec des gros problèmes de logistique.
  1. Synopsis
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  3. Entretien avec Vincent Cassel
  4. Entretien avec Léa Seydoux
  5. Entretien avec Richard Grandpierre, producteur
  6. Entretien avec Thierry Flamand, Chef décorateur
  7. Entretien avec Pierre-Yves Gayraud, Créateur costumes

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