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En salles : La Belle et la Bête

Par Gillossen, le mercredi 12 février 2014 à 12:30:30

Entretien avec Christophe Gans

Où en étiez-vous au moment où LA BELLE ET LA BÊTE est arrivé ?
Je travaillais en fait sur deux projets qui n’avançaient pas pour des raisons différentes. L’un d’eux n’était autre que FANTÔMAS, avec le producteur Thomas Langmann. À l’origine, j’avais débarqué à la Petite Reine, la société de Thomas, pour faire un autre film, adapté celui-là du «Cavalier Suédois» de Léo Perutz. Pour ceux qui ne connaitraient pas le livre, «Le Cavalier Suédois» est une histoire extraordinaire à propos du Destin, une fable allégorique qui fait intervenir le Diable et des anges. Pour l’adapter, j’avais à résoudre des problèmes très particuliers sur lesquels d’autres cinéastes s’étaient déjà cassé les dents, à commencer par celui du changement de saisons absolument crucial dans la narration mais qui rendait le tournage en extérieurs particulièrement acrobatique et coûteux. J’avais donc proposé de tourner le film entièrement en studio sur fond bleu et d’avoir recours aux effets numériques pour figurer les quatre saisons au fil desquelles se déroule l’histoire. C’est aussi à l’occasion du CAVALIER SUÉDOIS que j’ai commencé à réfléchir à un style à la fois féerique et symbolique, que je voulais proche des expérimentations du cinéaste anglais Michael Powell sur Les Chaussons Rouges et Les Contes D’hoffmann. Je ne le savais pas encore, toutes ces recherches allaient directement me servir pour LA BELLE ET LA BÊTE.
Qu’est ce qui a déclenché le projet ?
Richard Grandpierre – qui avait coproduit LE PACTE DES LOUPS – savait que LE CAVALIER SUÉDOIS de même que FANTÔMAS n’avancaient pas. Il m’a alors dit : «Pourquoi ne pas proposer à Pathé l’adaptation d’un classique de la littérature française ?». Nous nous sommes mis d’accord sur un titre – je vous laisse deviner lequel – mais comble de malchance, au même moment un studio américain annonçait son intention de le porter aussi à l’écran. J’ai alors proposé LA BELLE ET LA BÊTE. Depuis un certain temps, j’étais taraudé par l’envie de faire un film pour tous. De plus, les contes de fées font partie de l’ADN de la culture française : il a existé chez nous un courant de films féeriques et poétiques qui a remporté un grand succès dans les années 40, sur un lapse de temps à cheval sur l’Occupation et la Libération. Des cinéastes importants comme Marcel Carné ou encore Serge de Poligny que j’aime particulièrement, ont notamment participé à ce courant. Dans cette optique, l’idée de faire LA BELLE ET LA BÊTE était donc parfaitement viable, sans compter que le sujet avait déjà fait l’objet d’un de mes films français favoris, le Cocteau.
Comment avez-vous intégré l’héritage de Cocteau ?
Je dirais que je n’ai pas cherché à faire un remake du Cocteau, mais plutôt une nouvelle adaptation du conte. Quand j’ai proposé LA BELLE ET LA BÊTE, Jérôme Seydoux m’a lancé : «J’imagine que vous savez ce que vous faites ? On ne va pas vous lâcher avec le Cocteau...» Ce à quoi j’ai répondu : «Bien sûr, il y aura forcément des gens pour dire que Cocteau, c’était mieux. Mais le film de Cocteau est mieux que tout !» (rires). Il y a des films français pour lesquels un remake est inconcevable. LES ENFANTS DU PARADIS, par exemple, est un objet clos, fini, fermé. Au contraire, LA BELLE ET LA BÊTE est émaillé de non-dits, de blancs, d’espaces volontairement laissés de côté par Cocteau. Quand je me suis penché sur le conte de Madame de Villeneuve, j’ai noté à chaque fois les passages que Cocteau avait laissés en friche. Le Marchand ne l’intéresse guère, tout juste sert-il à nous introduire à la Bête. De la même façon, la personnalité des deux sœurs, les origines de la malédiction du Prince ne retiennent guère son attention. Une réplique, une seule en tout et pour tout, vient expliquer cette malédiction («Mes parents ne croyaient pas aux fées, elles les ont punies»). Cocteau laisse beaucoup de portes ouvertes et je m’y suis engouffré avec ma version.
Il faut dire aussi que Cocteau adaptait un court texte de dix pages, alors que vous êtes revenu au texte original, beaucoup plus long, écrit par Madame de Villeneuve.
Par essence, le texte de Madame de Villeneuve puise son inspiration dans la mythologie gréco-latine et plus particulièrement dans un texte admirable, «Les Métamorphoses» du poète Ovide. Il y est question des facéties des dieux, de la façon dont ils prennent des formes animales pour se mêler aux mortels et les séduire. Je tenais à ré-intégrer cette dimension dans le conte, à revenir à un panthéon divin qui d’une certaine façon fait le lien entre l’homme et les forces de la nature. Ce genre de préoccupations se trouve aujourd’hui encore dans l’œuvre de Hayao Miyazaki qui plonge ses racines dans les anciennes religions animistes japonaises.
À quelle époque avez-vous choisi de situer le film ?
À deux époques en fait. D’abord le Premier Empire, pour une raison artistique simple : Napoléon se voyait comme un empereur Romain et très naturellement la mythologie gréco-latine est revenue à la mode dans les arts décoratifs de cette période. La peinture de cette époque m’a beaucoup inspiré pour l’esthétique générale du film.

LA BELLE ET LA BÊTE se déroule aussi trois siècles auparavant, à l’époque où vivait le Prince. C’est une espèce de Renaissance totalement inventée qui me permet de situer le film sur deux plans dimensionnels. Tout au long de sa captivité, Belle voit en rêve le château tel qu’il était avant que la malédiction ne s’abatte dessus. Les décors ont donc fait l’objet de deux versions, une version féerique où tout est envahi par le rosier, et une version chatoyante qui représente un âge d’or dont le Prince a provoqué l’extinction en commettant un acte terrible contre la nature et contre lui-même.

Aviez-vous une idée des interprètes au moment de l’écriture ?
Quand j’écrivais le scénario avec Sandra Vo-anh, nous n’imaginions que Vincent Cassel et Léa Seydoux pour jouer les rôles. C’était notre premier et notre seul choix. Dieu merci, ils ont dit oui. Il était évident pour nous que Vincent Cassel était le seul en France capable de jouer à la fois un prince décadent et une bête. Même si durant 75% du temps, il est caché derrière le masque de la Bête, on sait que c’est Vincent, on le reconnaît, à sa façon de parler, à son regard bleu, à sa personnalité cyclothymique.

Quant à Léa Seydoux, elle a dans sa façon d’être quelque chose de contemporain, à la fois éternel et classique, naturel et sophistiqué. Dans notre version, Belle est réellement le personnage central du film, ce qui nous distingue là encore du Cocteau, centré plutôt sur la Bête. Ici, l’histoire se déploie autour de cette jeune fille totalement dévouée à son père, qui va découvrir l’amour avec une créature splendide et pathétique.

Comment avez-vous concilié le tournage en studio et les effets numériques ?
À partir du moment où on décide que le film va être entièrement en studio, on sait que ce sera un objet assez primitif et en même temps un défi technologique. D’un côté, on retourne à une tradition qui fut celle du cinéma des années 30-40 massivement tourné sur plateaux, où tout était reconstitué. Et de l’autre, toutes les extensions de décors vont faire intervenir les effets numériques. Cette dualité me convient parfaitement puisque tout en étant un cinéphile pur et dur, je suis fasciné par l’évolution technique du cinéma d’aujourd’hui. Le cinéma n’est jamais aussi grand que lorsqu’il se souvient de son passé tout en se projetant dans le futur. En ce sens, tourner à Babelsberg près de Berlin a été pour moi une expérience très émouvante puisque c’est là que furent filmés dans les années 20 les plus grands chefs-d’œuvre du cinéma allemand : Metropolis, LES NIBELUNGEN, L’ange Bleu... Le soir, il m’arrivait d’errer seul sur le plateau en pensant à Fritz Lang travaillant au même endroit. Si on m’avait dit.
Comment s’est agencée la postproduction ?
Avant toute chose, je dois préciser que le film a été pratiquement monté en même temps qu’il était tourné. Trente mètres à peine séparaient les plateaux de la salle de montage et au moment d’une pause, il m’arrivait de quitter le plateau pour aller vérifier l’assemblage d’une scène tournée la veille. À cause du poids financier des effets spéciaux, il était vital que je ne dépasse pas un certain nombre de plans, défini une bonne fois pour toutes par le story-board, ainsi qu’une certaine durée. Il faut le savoir, la facture d’un effet numérique est établie au photogramme près. C’est-à-dire qu’un vingt-quatrième de seconde pèse financièrement. Le fait de rester au studio me permettait de respecter cette économie dans le découpage. La postproduction s’est déroulée avec la même exigence. Avant de lancer la fabrication des effets spéciaux, nous avons imaginé une phase intermédiaire qui généralement n’existe pas dans ce type de films, du moins pas à ma connaissance. J’ai demandé à mon concepteur artistique François Baranger de remplir tous les fonds verts du film, c’est-à-dire de peindre des images, un peu comme des cellos de dessins animés, en tenant compte de tous les effets de changements de perspective induits par les panoramiques ou les mouvements de caméra. Un travail colossal et passionnant. Au bout de trois mois, nous avons ainsi obtenu une version du film dans laquelle les personnages ne se déplaçaient non plus sur fonds verts mais dans des décors en 2D. Ces images nous ont permis de nous figurer la longueur exacte des plans. Cette méthode a aussi beaucoup facilité la communication avec mes producteurs : ils pouvaient projeter leur jugement sur le travail en cours bien au-delà de ces horribles fonds verts. C’est donc en toute connaissance de cause que nous avons finalement lancé les effets spéciaux. Ce travail préparatoire nous a évité également les longues étapes de la conception des images de synthèse, notamment les interminables discussions avec les techniciens d’effets spéciaux. Là, ils voyaient tout de suite là où je voulais en venir. Cette méthode dictée à la base par un souci d’économiser nos forces et nos moyens, s’est concrétisée à l’arrivée par une très grande précision dans l’utilisation des effets spéciaux.
Qu’est-ce qui a motivé le choix de vos collaborateurs artistiques ?
Certains d’entre eux avaient travaillé sur un film hors du commun qui est passé hélas, inaperçu, Mr. Nobody de Jaco Van Dormael. Ce film m’a passionné tant au niveau visuel que narratif, et c’est en le regardant que j’ai eu envie de travailler avec le chef-opérateur Christophe Beaucarne et le directeur des effets spéciaux, Louis Morin. Ce sont les premiers à m’avoir rejoint. D’autre part, je venais de finir «Heavy Rain», un jeu vidéo français réalisé par David Cage, et j’avais été frappé par le design de Thierry Flamand – par ailleurs un directeur artistique de cinéma réputé – secondé du concept-artist François Baranger. Ils sont venus à leur tour compléter l’équipe. Le choix de Flamand était pour moi idéal : il avait un pied dans le traditionnel, c’est-à-dire le décor construit en dur, et un pied dans le virtuel, du fait de son expérience dans le jeu vidéo. Le story-boardeur Thierry Ségur et le monteur Sébastien Prangère qui travaillent avec moi depuis des lustres ont achevé de former cette «garde prétorienne».
Comment a été conçue la Bête ?
Ma culture cinéphilique est née dans les années 60 au fil des pages de la revue Midi-Minuit, et elle est donc imprégnée des grands mythes du fantastique. Quand j’avais 8 ans, je savais déjà que Terence Fisher et le maquilleur Roy Ashton avaient conçu le lycanthrope de La Nuit Du Loup-garou en se référant à la Bête de Jean Cocteau. Ma vision du cinéma est faite de chemins de traverse, de rapports souterrains entre les films classiques et le cinéma fantastique des années 60-70, et notamment le cinéma de la Hammer. Un cinéma qui s’est distingué par plusieurs choses, d’abord par l’arrivée de la couleur, mais surtout par la beauté des monstres. Le cinéma de la Hammer a entretenu l’idée très anglaise qu’il y avait une beauté de l’épouvante. L’horreur ne faisait pas seulement peur, elle avait quelque chose de séduisant. Cela a commencé avec l’incarnation de Dracula par Christopher Lee et s’est poursuivi par toute une série de réadaptations classieuses de tous les monstres classiques, LE LOUP-GAROU, LE FANTÔME DE L’OPÉRA, LA MOMIE... L’aspect romanesque et romantique de ces créatures a été mise en valeur notam- ment par ce cinéaste génial qu’était Terence Fisher. Chez lui, les monstres provoquent quelque chose qui est de l’ordre de la fascination et de la répulsion combinée, et donc d’un éro- tisme puissant. L’une des plus belles créatures jamais créées pour le cinéma reste pour moi Darkness, l’énorme diable rouge de LEGEND de Ridley Scott (encore un Anglais). Dans ma tête, la Bête devait relever, comme Darkness, du surhomme. J’ai toujours vu le monstre comme une étape intermédiaire entre le simple mortel et le dieu. En cela il est bien une créature mythologique comme l’étaient les cyclopes, les titans, tout le panthéon de la mythologie classique. J’ai essayé de faire de la Bête une créature magnifique, et en même temps pathétique. Il fallait évidemment qu’il soit séduisant à sa façon, puisque l’hypothèse centrale du film, c’est que Belle va tomber amoureuse de sa personnalité, de sa noblesse, mais aussi de sa physicalité. Parce qu’il n’a pas une tête ordinaire, la Bête compense par sa façon de s’habiller, de parler, de se déplacer. Tout doit dénoter chez lui un grand contrôle dans les gestes et les manières. Vincent Cassel, qui a débuté en étudiant notamment le mime, est justement capable d’une très grande élégance de mouvement.
Comment avez-vous procédé pour sa transformation ?
Nous avons soumis Vincent à un traitement particulier auquel il a dû s’habituer ! Sa performance a été enregistrée en deux temps. Sur le plateau, il habitait le costume et donnait la réplique à Léa. Par la suite, il a dû se soumettre à une sorte de post-synchronisation faciale, qui a été saisie à Montréal, un mois après la fin du tournage. C’est-à-dire qu’il a dû refaire sa prestation sans bouger, face à plu- sieurs caméras, comme l’avait fait Brad Pitt sur le BENJAMIN BUTTON de David Fincher. C’est sur cette performance que fut appliquée en postproduction le masque designé par Patrick Tatopoulos et réalisé par Steve Wang. Je tiens à préciser que ce masque n’est pas une création numérique : il a bel et bien été réalisé matériellement par des gens qui ont passé des centaines d’heures à implanter les poils un par un. Il a ensuite été scanné à très haute définition, et c’est ce scan qui in fino a été appliqué sur les images de Vincent. La pose de la prothèse a donc été réalisée dans l’ordinateur sans que l’acteur soit obligé de se lever à 3h du matin pour se faire enduire de colle. Sur le plateau, Vincent était coiffé d’une espèce de casque de hockeyeur avec des marquages dessus, qui ne révélait qu’une partie de son visage, des sourcils jusqu’au menton. Pour le reste, il portait la crinière de la Bête. La protubérance du casque nous permettait entre autre de ne jamais oublier où se trouvaient vraiment les lèvres de la Bête, c’est à dire 3 ou 4 centimètres plus avant que la bouche de Vincent. Ce qui était crucial par exemple lorsqu’il échange un baiser avec Belle. Autrement, c’était très simple. Vincent arrivait, enfilait sa musculature de latex, son costume, mettait son casque, et en avant. Encore une fois, cette solution numérique nous a fait gagner du temps. Le film a été fait en 57 jours, ce qui est relativement court.
Comment les acteurs se sont-ils accommodés des fonds verts ?
L’acteur est au centre de tout le processus. Il doit faire en sorte que le public se figure un décor immense, l’herbe, les arbres, le soleil derrière les branches, tout ce qui va être ajouté après. Le tournage sur fonds verts n’est pas différent d’une scène de théâtre où là aussi l’acteur doit nous permettre de sentir ce qui n’est pas représenté. Il se trouve que quand Léa est arrivée sur le film, nous avons découvert chez elle une aspiration naturelle à jouer en fonction des effets spéciaux. Elle s’est déplacée à l’intérieur de cet univers mi-construit, mi-virtuel, avec une aisance qui était pour nous derrière la caméra, absolument stupéfiante. Souvent les acteurs ont besoin d’un galop d’essai. Par exemple, sur le plateau, Vincent a changé plusieurs fois de voix, de diction, il a essayé des choses dans sa gestuelle. Léa, elle était de plain-pied dedans, je n’avais jamais vu ça. En fait, mon travail avec elle s’est très simplement apparenté à de la musique : cette scène, joue la plus fort, celle-là un peu moins fort... Idem pour Dussolier. Du fait de sa grande expérience du théâtre, il projette beaucoup et finalement c’est idéal pour les effets spéciaux. En cours de montage, j’étais fasciné par la façon dont il suggère que la neige tombe sur son visage, alors qu’elle n’a été rajoutée qu’en postproduction ! Malgré son aspect visuel extrêmement complexe, j’ai gardé la sensation que LA BELLE ET LA BÊTE est le film le plus simple que j’ai jamais tourné, et ça grâce entièrement aux acteurs.
  1. Synopsis
  2. Entretien avec Christophe Gans
  3. Entretien avec Vincent Cassel
  4. Entretien avec Léa Seydoux
  5. Entretien avec Richard Grandpierre, producteur
  6. Entretien avec Thierry Flamand, Chef décorateur
  7. Entretien avec Pierre-Yves Gayraud, Créateur costumes

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