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Un entretien avec Scott Westerfeld

Par Nak, le lundi 20 juin 2011 à 09:45:00

CouvertureC'est peu dire que le Leviathan de Scott Westerfeld a plu.
Il y a quelques mois maintenant, nous avons eu l'occasion d'interviewer l'auteur en tête à tête. Aujourd'hui, retrouvez finalement la retranscription de cet entretien, qui, nous l'espérons, devrait ravir ses fans et pourquoi pas les autres !
En attendant la suite de Leviathan, prévue pour septembre, toujours chez Pocket Jeunesse.

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L'interview traduite

Pour commencer, voulez-vous vous présenter pour vos lecteurs français, ainsi que votre monde et vos livres ?
Je suis Scott Wersterfeld, j’ai écrit 5 livres pour adultes : L'I.A. et son double et Succession (Les Légions immortelles et Le Secret de l'Empire)et je ne crois pas que les deux autres aient déjà été publiés en France. J’ai également écrit douze ou treize livres pour adolescents, principalement les séries Uglies et Midnighters, et ma nouvelle série Leviathan.
Vous étiez principalement connu, au début, comme un auteur de science fiction. Pourquoi avec vous décidé d’écrire une trilogie steampunk ?
Parce que Uglies a eu un certain succès, j’ai décidé que, quoique j’ai envie de faire, ils devraient le publier. Je me suis alors dit : Pourquoi ne pas faire une liste de toutes les choses que je trouve vraiment trop trop cool ?. Cette liste incluait des dirigeables, des créatures génétiquement modifiées, des chars d’assaut qui marchent et des filles qui s’habillent comme des garçons et je me suis dit pourquoi ne pas mettre tous ces trucs ensemble ? et le steampunk est surement le meilleur genre pour un tel mélange.
Leviathan est sorti en France depuis quelques semaines maintenant, avec des critiques très positives, mais certains lecteurs n’en ont peut-être pas encore entendu parler. Comment décririez-vous ce livre et son univers pour convaincre les lecteurs de se plonger dedans ?
Dans mon monde, Charles Darwin a découvert l’ADN. L’empire victorien fut bâti grâce à ces créatures qu’il a commencé à créer. Cela devint donc une sorte de tradition Victorienne de bio-ingénierie. Les Allemands et les Autrichiens prirent un autre chemin. Ils construisirent ces machines fantastiques. Nous sommes alors en 1914. Le monde est sur le point d’entrer en guerre, une guerre entre les Darwinistes (l’Angleterre et la Russie) et les Clankers (l’Allemagne et l’Autriche). Il y a deux personnages, un de chaque côté du front. Le premier est un clanker, un garçon du nom d’Alek, le fils de l’Archiduc Ferdinand. Il se sent en partie responsable de la guerre, car elle commença suite à l’assassinat de ses parents. L’autre est une fille, habillée à la garçonne. Elle s’appel Deryn. Elle s’habille comme un garçon pour servir dans la British Air Navy. Elle sert sur le Léviathan lui-même, qui est un énorme dirigeable vivant fait à partir d’étincelles de vies de différentes espèces.
L’univers de Leviathan est riche et très développé. Quelles recherches avez-vous faites ? Où avez-vous obtenu vos informations et qui avez-vous rencontré ?
Il existe un très bon livre intitulé Europe’s last summer. Il a été écrit par David Fromkin. Il parle de l’exécrable climat diplomatique de cette époque qui a conduit à l’assassinat de l’Archiduc Ferdinand et de sa femme Sophie, et de l’entrée en guerre du monde entier. Voilà pour le décor. Je voulais aussi essayer de capturer à nouveau l’essence des romans d’aventure écrits pour les adolescents à cette époque. J’ai grandi avec ces choses-là, ces vieilles aventures de garçons comme Africa by Airship or Trip Tomorrow.
En fait, quand je suis allé voir mon éditeur pour dire que je voulais faire un livre illustré, ils pensaient à un illustré à l’ancienne. J’avais même pris un facsimilé des Voyages Extraordinaires de Jules Verne. Examiner les images d’aventures de l’époque a certainement fait partie de la recherche.
Certains disent que Leviathan peut être considéré comme une dénonciation de ce à quoi peut conduire l’hégémonie des machines. Mais peut-on aussi le voir comme une dénonciation des méfaits de l’écologie à l’outrance ?
Une question que l’on me pose souvent à l’école est Êtes-vous un Clanker ou un Darwiniste ?, donc j’ai posé la question à ma classe et la réponse est plutôt moitié-moitié, ce qui me convient car c’est ce que j’essayais de faire. Je voulais faire une duologie dans laquelle les deux côtés sont à la fois attrayants et gênants, parce que c’est la définition de la technologie. C’est à la fois séduisant, attractif et ça permet de gagner du temps mais dans le même temps, à côté des choses sympas, il y a aussi des mauvais côtés.
Je n’essaie pas de prendre position. C’est pour ça que j’ai choisi la première Guerre mondiale et pas la deuxième, parce que la deuxième est plus ambiguë sur le bien et le mal, c’est plus une rupture que quelque chose de mauvais à détruire.
C’est intéressant de voir que les enfants peuvent être attirés par les Darwinistes parce qu’ils adorent les animaux mais en même temps ils ont peur que les animaux ne soient exploités. C’est assez marrant de les voir travailler par eux-mêmes sur les avantages et les inconvénients de ces deux technologies.
Quand Alek rencontre Tazza, il pense qu’elle est une créature modifiée, ce qui n’est pas le cas. Ca amène une réflexion sur les espèces en danger et la façon dont on traite les animaux et ce qu’on leur fait.
Dans le troisième livre, ils voyagent à travers la Sibérie et ils voient des espèces éteintes reconstituées, comme des mammouths et des tigres à dents de sabre, donc cette réflexion-là pourra être poursuivie encore un peu…
Parlons des personnages principaux. On peut trouver des similarités entre Alek et le vrai fils de l’Archiduc Ferdinand. Était-ce une pure coïncidence ou vouliez-vous ancrer votre univers plus profondément dans notre réalité ?
L’archiduc et Sophie ont vraiment eu des enfants. C’est également vrai qu’ils ont fait un mariage morganatique car Sophie n’était qu’une dame d’honneur. L’histoire sur la montre de poche est aussi véridique. J’avais déjà décidé que je voulais écrire du point de vue du fils de l’Archiduc. Quand j’ai réalisé que de toute façon il n’hériterait pas, j’ai pensé qu’il serait excellent comme protagoniste adolescent. Comment réagirait-il à ça ? Est-ce qu’il demanderait à sa mère Pourquoi n’es-tu pas de sang royal ?, des choses comme ça. C’était le cadeau que l’histoire m’a fait.
Alors que j’étais en train d’écrire le livre, un procès a démarré. C’était un procès par la femme qui est en quelque sorte la fille d’Alek. Son vrai nom était Maximilien au fait. La fille d’Alek est en procès pour essayer de récupérer le château où Leviathan commence. Selon la loi, comme elle n’a pas hérité du titre, elle n’a aucun droit sur le château. Mais elle dit que comme il a acheté le château avec son propre argent, ils devraient avoir leur mot à dire. Donc les conséquences de cet héritage sont toujours d’actualité en Autriche aujourd’hui.
Quand je pense à Alek, en tant que personnage, c’est quelqu’un qui se sent personnellement responsable de la guerre. Il pense que ce sont les affaires de sa famille et qu’il a le devoir d’arrêter la guerre. Quand nos parents meurent, c’est vraiment horrible et on a l’impression que le monde est détruit, mais pour Alek le monde a vraiment été détruit quand ses parents sont morts. C’est une partie de ce que je voulais explorer, le fait que son monde tout entier s’effondre et exploiter ça littéralement et à fond grâce à la science-fiction.
Et Deryn ?
J’ai toujours voulu écrire sur une fille habillée comme un garçon. Je trouve que ce type de personnage est fun. J’adore les personnages qui ont des secrets à cacher. Si vous avez lu Uglies, vous savez que Tally cache pendant très longtemps qu’elle est venue en tant qu’espionne. Avec une telle chose vous pouvez créer une symétrie d’information, beaucoup d’ironie. C’est une super façon de détourner les choses et j’ai toujours eu envie d’écrire sur un tel personnage.
J’ai aussi toujours ressenti quelque chose en volant. Dans mes livres il y a beaucoup de sauts, de chutes, de vols ! Ca vient de moi. Je fais des rêves dans lesquels je vole, j’en fais depuis que je suis petit et ils m’ont toujours rendu heureux. C’est pour moi une motivation de personnage totalement valable. Je peux imaginer que vous vous habilleriez comme un garçon pour avoir le droit de voler.
J’aime aussi beaucoup les dirigeables et je pensais que ça serait cool d’avoir un dirigeable géant. En fait, je suis allé à Friedrichshafen en Allemagne avec ma femme ou l’entreprise Zeppelin NT se situe et on est monté dans un Zeppelin. C’était trop cool !
C’est un vol en douceur ?
Oh oui, c’est très stable. Ca bouge avec le vent, d’une certaine façon. C’est sympa parce que quand vous êtes dans un avion vous volez à 30 000 mètres d’altitude et quand vous êtes dans un Zeppelin, vous n’êtes qu’à 300 mètres d’altitude et vous avancez à 60 km/heure, donc en fait vous êtes comme un oiseau ! Un gros oiseau quand même, un faucon ! Vous êtes connecté au sol, vous pouvez voir le jardin des gens, c’est vraiment cool !
Je voulais vous parler du langage de Deryn. C’est assez coloré, c’est le moins qu’on puisse dire ! Est-ce que vous avez inventé toutes les expressions comme araignées qui aboient ?
Non, en fait elles sont toutes historiques. Clart (NdT : saleté) est du pur argot écossais. Araignées qui aboient est une vraie expression, même si elle n’était pas encore utilisée du temps de Deryn.
Le truc c’est que, comme Alek est vraiment déprimé, je voulais trouver un contrepoids et pour ça Deryn devait être fun, joyeuse et du genre hyper-compétente et trop cool. Je voulais qu’elle soit un personnage plus optimiste.
Je voulais vous parler du fait que lire Leviathan m’a rappelé Jules Vernes. Vous en avez parlé plutôt mais est-ce que vous reconnaissez qu’il y a un lien entre Leviathan et certains des livres de Jules Vernes ?
Oui tout à fait. Quand j’étais petit, je suis allé à Disney World et j’ai fait l’attraction Vingt Mille Lieues Sous les Mers. Vous pouviez vraiment visiter le sous-marin et c’était génial. Par la suite j’ai vu le film et ensuite j’ai commencé à lire les livres.
Maître de l’Univers a cette superbe machine volante qui fait aussi submersible et qui peut rouler. Il y a cette scène géniale où il descend une rue si vite que ça emporte toutes les feuilles des arbres, et plus loin dans le livre ils calculent que la machine a dû rouler à la vitesse incroyable de 120 kilomètres/heure ! Donc il y a une certaine inexactitude scientifique mais c’est une écriture tellement musclée ! C’était tellement cool de lire des choses sur ces machines. C’est tellement plaisant à lire. C’est super de le lire en tant qu’enfant mais ça l’est aussi en tant qu’adulte et de le décortiquer un petit peu.
Que pensez-vous des couvertures de Leviathan et de Behemoth ? Les couvertures américaine et anglaise sont assez différentes. En France, nous avons choisi l’américaine. Avez-vous votre mot à dire sur les couvertures ?
D’une certaine façon ! Ils disent que j’ai mon mot à dire, mais j’essaie de ne pas trop m’investir là dedans. Vous savez, des grosses boutiques comme Barnes et Noble disent ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas. Ils ont leurs forces de ventes et les gens dédiés au marketing qui s’occupent de tout ça. Quand quelque chose ne va vraiment pas, je le dis. La couverture française est magnifique. J’aime aussi beaucoup la carte en couleurs. Ils l’ont faite sur un papier brillant. En Grande-Bretagne, la carte est en noir et blanc, c’est une tragédie et aux États-Unis, elle est sur du papier recyclé.
Avez-vous votre mot à dire sur les illustrations ?
Normalement avec un livre illustré, vous l’écrivez et ensuite l’éditeur fait faire les dessins. Moi je suis allé chez mon éditeur avec Keith Thompson et j’ai dit C’est lui qu’il me faut. C’est aussi moi qui l’ai payé, parce quand vous payez quelqu’un c’est vous le patron ! Peu importe qui dit que vous êtes le patron, ils savent qui les payent !
On a collaboré tout du long. En gros, ma femme et Keith ont reçu les chapitres avant mon éditeur. On a échangé sur les illustrations et les croquis se sont intégrés. Et ce n’est que quand j’étais content avec les illustrations que ça partait chez l’éditeur. Une fois approuvés, les chapitres étaient envoyés à Keith qui faisait la version définitive.
J’ai souvent réécrit sur la base des croquis. Il est meilleur ingénieur que moi. C’est son premier gros projet pour un roman, avant il a travaillé sur des jeux vidéos, des films, donc il est bon à concevoir des choses qui ont une face avant et une face arrière !
Le steampunk est vraiment à la mode aujourd’hui. Ca a ses avantages et ses inconvénients. Récemment sur votre blog vous avez posté un article en réponse à une descente du genre par Charles Stross. Donc quel est votre point de vue sur ce genre de schnocks comme vous dites ?
En fait dans la blogosphère anglophone, à cause de mes livres, de Boneshaker de Cherie Priest et de quelques anthologies, comme Steampunk reloaded qui est sorti récemment, il y a eu beaucoup de bruit. Boing Boing a écrit beaucoup d’articles. Je pense que cette vieille garde d’auteurs de science fiction est toujours en train de se plaindre de quelque chose, que ce soit de la Fantasy ou de la nouvelle science-fiction plus soft écrite par des femmes dans laquelle il n’y a pas de fusées ! Ces critiques ont toujours existé, ont toujours fait partie de notre environnement, et ce fanatisme, ce culte ancestral, font partie des choses que j’adore avec la science-fiction.
Je suis sûr que les gens ont l’impression que le steampunk a été trop mis en avant. Prenons un exemple. Voilà, je n’ai jamais écouté une chanson de Justin Bieber. Ou peut-être que je l’ai fait mais sans le savoir. Mais j’ai une opinion sur Justin Bieber parce qu’il est partout sur Twitter et au final vous finissez par ne pas aimer certaines choses qui ont été mises tellement en avant.
Je suis quasi certain que Stross a lu du steampunk, mais ce qu’il a dit ne m’a pas semblé correspondre à ce qu’il avait lu. Son argument ne m’a pas touché parce que le steampunk que je lis est très Dickensien, très marqué par le fait que le XIXe siècle était horrible, surtout quand on prend un livre de Cherie Priest. Je pense que les gens parlent non pas de ce qui est vraiment écrit mais de l’idée qu’ils ont liées à des cosplays et à des personnes qui ne prennent pas au sérieux ce qui se passe.
Cherie Priest a répondu à cela en disant : Si vous ne vous amusez pas, vous ne l’appréhendez pas correctement ! C’est une contradiction toute simple. Les gens aiment s’habiller comme au XIXe siècle mais ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas conscience que le XIXe siècle était terrible ! Ce n’est pas très compliqué de faire rentrer dans sa tête que les crinolines étaient cool mais que le racisme ne l’est pas ! L’idée que personne ne le sait ou que personne n’en parle sérieusement, comme Charles Stross le prétend, me semble complètement dingue.
Pour terminer, que peuvent attendre vos lecteurs français de la suite de la série ?
Behemoth a lieu pour la plupart à Istanbul. Pour le premier livre on a créé deux styles visuels : le style Clanker et le style Darwiniste. Le style Clanker est dur et a un aspect fonctionnel, tandis que le style Darwiniste est plus dans l’Art nouveau, la Belle époque avec un aspect organique. On a un peu piqué ce qui s’est vraiment passé à l’époque en matière d’art, le style allemand étant presque clanker avec le Bauhaus, des choses carrées et il y avait bien plus d’Art nouveau, plus organique, en France. Donc on a un peu plumé la vérité mais ça avait aussi un sens avec les utilisateurs des machines et les manipulateurs génétiques. Quand on est arrivés à Istanbul, on voulait un troisième style, un qui était entre les deux, parce qu’on voulait montrer que les Ottomans pouvaient être neutres et ne pas rejoindre le côté allemand. Donc ils ont des machines, puisqu’au final ils vont rejoindre les Allemands, mais leurs machines ont la forme d’animaux. On s'est retrouvé avec des éléphants mécaniques et d’autres types de créatures mécaniques.

Propos recueillis par Aléthia. Traduction réalisée par NAK


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