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Un entretien avec Adrien Tomas
Par Gillossen, le lundi 14 novembre 2011 à 11:01:07
L'auteur de la remarquée Geste du Sixième Royaume a bien voulu répondre à nos questions.
Parcours, création, intentions, accueil du roman, avenir... Le sympathique Adrien n'a évité aucun sujet et s'est prêté au jeu.
Retrouvez cet entretien dès maintenant ! Merci encore à l'auteur pour sa patience.
L'entretien
- Comment est née cette aventure de la Geste du Sixième Royaume ?
- Question difficile pour commencer… J’ai commencé à écrire la Geste il y a presque cinq ans, quand j’étais encore étudiant en écologie. Je venais de me lancer dans ma première aventure « réelle », j’avais brusquement déménagé du sud de la France vers la Lorraine. Au début, j’avais sans doute un peu de mal à m’intégrer, à me faire à ma nouvelle vie, et j’ai eu envie de me réfugier dans un autre monde, pas forcément plus facile, mais différent.
A l’origine, j’ai juste créé une sorte de chronologie, des « tableaux » que j’imaginais, des scènes dans lesquelles tel personnage signait un traité de paix avec les Nains, telle créature émergeait d’une forêt pour retourner le cours d’une guerre… C’était assez vague, mais ça me suffisait. Ensuite j’ai commencé à écrire un peu plus sérieusement, par à-coups, pour me plonger dans une épopée interminable dont je n’avais pas vraiment envie de sortir… Je n’avais toujours pas envie de mener au bout l’histoire, c’était toujours une sorte de refuge.
Au bout de deux ans, quelque chose a dû changer, j’en ai eu assez et j’ai décidé d’en faire un vrai livre. J’ai vraiment tout mis dans cette histoire, des idées qui me trottaient dans la tête depuis des années, des noms de personnages ou de lieux que j’avais déjà utilisées dans des histoires que je ne finissais jamais quand j’étais plus jeune, des créatures dont j’avais déjà imaginé les mœurs et les codes… J’avais déjà écrit dans le passé, quelques nouvelles, des romans pas toujours très aboutis, mais quand j’ai terminé la Geste, j’ai eu l’impression de tenir quelque chose de différent. Alors j’ai tenté ma chance auprès d’un éditeur.
- Comment le contact s'est-il établi entre toi et Mnémos ?
- Mnémos a été la première maison d’édition à qui j’ai envoyé le manuscrit. Je suis sensible aux questions d’écologie, et j’ai beaucoup apprécié que Mnémos soit la seule à demander une version informatique des manuscrits, plutôt qu’une version papier onéreuse, lourde et très souvent destinée à la poubelle comme les autres éditeurs. Ce n’était peut-être pas leur objectif premier, mais quand même.
Les autres maisons d’édition que j’ai contactées m’avaient envoyé des lettres types, connues des auteurs qui cherchent à être publiés : « merci de votre proposition mais votre manuscrit ne correspond pas à notre ligne éditoriale ». Mnémos est la dernière maison à m’avoir répondu… au bout d’un peu moins d’un an de silence. J’avoue que c’était assez éprouvant pour moi : après les autres refus, j’étais prêt à jeter l’éponge, mais il restait ce dernier fil qui refusait de se couper, le « et si ça plaisait à Mnémos ? »
En fait ils avaient juste pris un peu de retard dans leurs lectures, et j’ai finalement appris que mon manuscrit avait été très apprécié par le comité de lecture. J’ai reçu des mails plus réguliers, d’abord de Nathalie Weil, qui m’a confirmé que le manuscrit plaisait, puis de Frédéric Weil, qui m’a proposé de nous rencontrer. Nous nous sommes vus au salon du livre de Paris, en mars 2011, et il a tout de suite été très enthousiaste, même s’il n’avait pas fini de tout lire. C’était évidemment très excitant pour moi. Nous avons ensuite organisé plusieurs rendez-vous via Skype, pour corriger le manuscrit et organiser la sortie. Chaque étape a été électrisante, la réception du contrat, les corrections, la couverture, la sortie, les premières critiques… Je ne regrette pas une seconde d’avoir confié la Geste à Mnémos.
- Te considères-tu comme un grand amateur de fantasy ? En lis-tu encore beaucoup aujourd'hui ? Quel est ton parcours dans ce domaine ?
- J’aime beaucoup la fantasy, et de manière générale les littératures de l’imaginaire. Je ne pense pas avoir la culture que certains ont (à ma grande honte, je n’ai pas lu le Trône de Fer, je ne connais ni Elric ni l’Ange du Chaos et je n’ai jamais ouvert l’Assassin Royal, par exemple), mais il reste que j’en ai beaucoup lu. J’ai tendance à procéder par auteurs, je lis à peu près tout ce qu’un écrivain a à proposer et je passe au suivant quand je m’en lasse. J’ai lu presque tout Eddings ou Gemmel, par exemple. J’adore les romans d’Orson Scott Card ou de Weis et Hickman, j’aime aussi Terry Pratchett et j’ai pas mal apprécié Bottero.
En ce moment j’ai assez peu de temps pour lire, mais j’espère pouvoir bientôt entamer Chien du Heaume de Justine Niogret, et me mettre ensuite au Trône de Fer (plusieurs critiques comparent la Geste au Trône de Fer, et je me sens un peu bête de ne pas savoir en quoi ils peuvent se ressembler…).
- Mnémos croit beaucoup en toi apparemment. Est-ce un poids supplémentaire sur tes épaules ? Ou seulement une fierté, une source de motivation ?
- C’est plutôt une fierté. J’ai beaucoup aimé la façon dont Frédéric et Nathalie ont cru en moi et en la Geste, comment ils m’ont poussé à enrichir le livre, comment ils en ont fait un bel objet. Je suis heureux des ventes du livre, qui semblent plutôt bonnes, et j’ai l’impression de pouvoir les remercier par ce moyen. C’est une sorte de commensalisme (attention mot de biologiste), une interaction à bénéfice réciproque, et c’est une relation qui me convient tout à fait.
- Tes études semblent avoir joué un rôle dans ta façon d'aborder certaines factions de ton univers ; était-ce une démarche naturelle pour toi ?
- Je pense que oui. Je baigne dans le monde de l’écologie depuis plusieurs années, et je m’y plais beaucoup. La complexité des écosystèmes, des relations entre créatures vivantes, la logique des interactions au sein d’une même espèce, l’importance primordiale de certains comportements, de certaines adaptations dans la survie d’une espèce, tout cela me passionne. J’ai tenté de faire partager cette passion dans la Geste. Je pense en particulier aux sylphides, aux Elfes, aux Changeurs et aux dragons, dont l’histoire et/ou le comportement illustrent plus ou moins discrètement des cours ou des discussions que j’ai pu avoir concernant l’écologie, la génétique, le comportement animal, etc. Ca m’a effectivement semblé tout à fait naturel d’expliquer par la biologie l’histoire, la logique de ces races.
- Tu mets en scène de nombreux personnages principaux. Ceux-ci étaient-ils bien définis pour toi dès le départ ou ont-ils évolué au fil de la mise en place de ton intrigue ?
- Cela dépend des personnages. Certains, comme Maev, Irian ou Lilthyn, étaient définis dès le début, et leur caractère et leur histoire ont assez peu évolué par rapport à ce que j’avais en tête en les créant. D’autres, comme Naorl, Corius ou Saphriel, ont obtenu des rôles très différents de ce à quoi je pensais à l’origine.
Au début, mes personnages avaient tous des caractères assez définis, sans doute un peu cliché, et n’avaient pas beaucoup de dimensions. Au fur et à mesure de l’histoire, j’inventais de nouvelles interactions, de nouveaux comportements, de nouveaux éléments du passé, et ils ont pris de l’épaisseur, parfois en correspondant exactement à ce que je voulais, et parfois en allant à l’opposé. Pour donner un exemple, Saphriel était à l’origine censée avoir un caractère proche de celui d’Irian… Mais ça ne me convenait pas, donc j’ai revu ma copie jusqu’à ce que je pense tomber juste.
- Par certains côtés – la place du Bien et du Mal, le rôle des Elfes... – tu joues avec les clichés de la fantasy épique. Là encore, était-ce une volonté pour apporter une bouffée d'air frais au genre ou quelque chose de naturel ?
- Un peu des deux, je dirais. Il y a une chose que je ne supporte pas dans la fantasy, c’est le manichéisme obtus : les héros qui se battent contre un noir ennemi qui menace de détruire le monde, ça m’a toujours agacé. Dans le Seigneur des Anneaux, je déteste le personnage de Sauron, qui a des motivations incompréhensibles de mon point de vue (conquérir, répandre le mal et le chaos…). Par contre, Saroumane, avide de pouvoir, terrorisé par l’idée de perdre et méprisant à l’égard de ses anciens serments, me semble bien plus crédible, plus humain. Et au final, pas forcément mauvais : il a juste fait les mauvais choix, ou manque de force de caractère, ou autre, chacun se fera son opinion. Sauron, lui, c’est juste un « méchant ».
Du coup, certains de mes personnages peuvent être maléfiques, accomplir des actes méprisables, mais j’ai fait en sorte qu’il y ait toujours une raison « valable » à un tel comportement, à de telles motivations, que ce soit un désir de vengeance, la peur, un traumatisme, une maladie, une malédiction…
En outre, je ne voulais pas du combat bipolaire Bien/Mal classique, j’ai préféré parler de la dualité Nature/Progrès, beaucoup plus floue, moins tranchée, et aussi plus d’actualité.
Je me suis pas mal amusé avec les clichés de la fantasy épique, non pas pour tourner le genre en ridicule (bon, sauf peut-être pour les Elfes… ça m’agace qu’ils soient toujours si supérieurs à l’homme dans toutes les histoires, je pense que j’ai voulu rééquilibrer un peu la balance), mais pour essayer d’amener quelque chose de nouveau, une nouvelle réflexion à partir d’éléments familiers au lecteur de fantasy…
- La faune occupe également une place importante dans ton univers. Si j'osais, la fantasy serait-elle par nature (sic...) dotée d'une dimension « écologique » plus facile à mettre en œuvre que dans d'autres genres, selon toi ?
- Je ne suis pas certain qu’il soit plus facile de doter un monde fantastique d’une dimension écologique, notamment parce qu’en général, la nature sert de cadre, de décor, mais rarement de personnage. L’exploitation des ressources, la disparition des espaces naturels, ce sont des choses assez déprimantes qu’on voit dans le journal, mais rarement en fantasy : les forêts servent à construire des chaumières et alimenter les forges, les animaux sont chassés et mangés par les héros, les rivières sont traversées au prix de mille périls et personne ne s’inquiète jamais de la pollution de l’air après l’incendie d’une forteresse… A mon sens, la SF ou le fantastique se prêtent davantage aux discours écologistes sous-jacents que la fantasy (terraformation, fuite de la Terre après une apocalypse, intervention de créatures merveilleuses qui souhaitent un changement de comportement de l’humanité…). Mais la fantasy peut réclamer aussi sa part du gâteau : après tout, Tolkien a pour moi initié le mouvement avec la marche des Ents sur Orthanc…
- Avec la Geste, tu évites d'emblée l'écueil de la série « à rallonge ». Peut-on tout de même imaginer une suite ou plutôt peut-être une autre histoire dans cet univers ?
- Je pense qu’au moins une autre histoire verra le jour dans le même monde que celui de la Geste, et il ne s’agira pas d’une suite immédiate.
- Qu'auras-tu appris avec la rédaction de ce roman ?
- J’aurais appris à mener à bout un projet à long terme, déjà. Étant d’un naturel assez volatil, assez peu concentré, je ne m’en pensais pas capable au début de l’écriture. Je pense que j’ai un peu grandi en cours de route. J’aurais aussi appris que d’autres que moi peuvent s’intéresser à mon autre monde, et du coup, j’ai dû apprendre à écrire pour les autres autant que pour moi. Ce qui semblait logique dans ma tête pouvait ne pas l’être du tout dans celle d’un lecteur potentiel, je devais donc parfois jalonner le chemin pour qu’un autre emprunte le même raisonnement que moi. Mine de rien, c’est une étape importante.
- Question difficile, je sais, mais si justement tu pouvais revenir en arrière et reprendre quelque chose... ou pas d'ailleurs, de quoi s'agirait-il ?
- Je suis très satisfait de la Geste, à un détail près… Je suis plutôt mécontent de ma cosmologie, de mon panthéon de dieux. Je sais qu’ils n’ont qu’une importance relative dans l’histoire de la Geste, mais j’aurais aimé les avoir davantage travaillés. J’ai eu plein d’idées pour les améliorer… mais la Geste était déjà partie en impression, et il était trop tard. Ça me frustre un peu.
- Quel est ton avis sur le paysage fantasy aujourd'hui ? T'inquiètes-tu par exemple de l'importance prise par la Bit-Lit dans les classements des meilleures ventes ?
- J’ai eu l’impression qu’il y a eu une explosion de la fantasy ces dernières années, ce qui est à la fois agréable et un peu inquiétant… Agréable que de plus en plus de gens se rejoignent sur des thèmes imaginaires, qu’ils se laissent embarquer dans un nouveau monde plutôt que de garder leurs pieds sur terre, qu’ils fassent fonctionner leur imagination… Et inquiétant parce que, si de plus en plus de gens cherchent à quitter, même pour quelques heures, le vrai monde, il doit sûrement y avoir un problème quelque part, une sorte de mal-être ambiant…
D’un point de vue personnel, j’aime beaucoup voir les couvertures souvent bigarrées des livres de fantasy exposés dans les nouveautés, au même titre qu’un pamphlet politique, un roman policier ou un récit d’enfance. J’ai l’impression, vu l’agrandissement des rayons de littérature de l’imaginaire, qu’il doit y en avoir pour tous les goûts, et ça me plaît.
Quant à la Bit-Lit, je suis très loin d’être un fan, mais je me dis qu’il s’agit peut-être d’un premier pas, que ces romans mèneront peut-être des lecteurs à d’autres branches de la fantasy. Et sinon, ce n’est pas grave : chacun ses goûts.
- En fantasy ou ailleurs, quels sont tes derniers coups de cœur ?
- J’ai très peu le temps de lire en ce moment. Mon dernier coup de cœur en lecture doit être les Âmes Croisées de Pierre Bottero. Question film, j’ai beaucoup aimé la Planète des Singes : Origine, malgré quelques incohérences biologiques qui m’ont fait tiquer… En jeu vidéo, j’ai testé Dragon Age Origins, que j’ai beaucoup apprécié, et j’attends Diablo 3 et Skyrim avec beaucoup d’impatience…
- Quelle place occupe internet pour toi ? « Traques »-tu toutes les critiques concernant ton roman, t'en sers-tu comme outil de recherche ?
- J’ai un côté geek assez prononcé, je passe beaucoup de temps sur internet. C’est un outil de travail (pas seulement pour l’écriture, pour l’écologie aussi), un divertissement et un moyen de communication important. J’avoue traquer régulièrement les dernières critiques de mon roman, histoire de voir ce qui a plu ou déplu et envisager d’améliorer ou non ce que je fais en fonction de ces remarques ; et d’essayer de communiquer avec ces personnes. Je me suis inscrit à divers forums (dont Elbakin) pour remercier les lecteurs de leurs compliments et prendre note de leurs remarques.
- Et enfin, que peut-on te souhaiter pour 2012 ?
- De bonnes ventes pour la Geste, de l’inspiration pour l’écriture de la suite, et de belles rencontres au gré des salons et des festivals, je dirais…
Auteur
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