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Imaginales 2014 : un entretien avec Olivier Gay !

Par John Doe, le lundi 7 juillet 2014 à 13:00:00

Olivier GayL'auteur du Boucher et de La Servante répond à nos questions.
Et tant qu'à faire, autant choisir un cadre aussi sympathique que celui d’Épinal lors de la dernière édition des Imaginales. Depuis, Le noir est ma couleur est sorti et vous retrouverez sous peu la chronique sur Elbakin.net.
En attendant, encore merci à Olivier pour sa disponibilité !

Propos recueillis par Emmanuel Chastellière
Un énorme merci à Saffron pour la retranscription !

L'interview

Qu’est-ce que tu aimes dans la fantasy ?
Je pense que ça a évolué au fil du temps. J’ai lu énormément de fantasy quand j’étais ado et jeune adulte. Au fur et à mesure, je suis devenu de plus en plus difficile. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal avec la fantasy à la Tolkien, c’est-à-dire avec des créatures merveilleuses, des elfes ou des nains. Ou pire, des créatures qu’on invente et qu’on décrit, comme le glorbzus avec ses trois cornes et ses quatre tentacules. Certains très bons romans répondent à ces critères, mais je préfère désormais la fantasy à la Gemmell, à la Martin, ou dans une moindre mesure, à la Jordan, c’est-à-dire la fantasy ancrée dans un monde où la magie et les créatures ont une place mineure, et où l’accent est mis sur le développement du monde et des personnages.
Des univers où la dimension magique est en arrière-plan, donc ?
Elle peut être au premier plan, mais encore une fois, à force de lire différents cycles, on devient de plus en plus exigeant. Par exemple, j’aime beaucoup Erikson, même s’il y a de la magie, parce que celle-ci est fouillée. Le problème de la magie, c’est que l’auteur doit faire très attention à ce qu’il n’y ait pas de faille logique. C’est ce qui a été reproché à Tolkien, même si c’est un précurseur : si Gandalf est capable de faire ça, pourquoi ne l’a-t-il pas fait dès le début ? Il y a de nombreuses explications, mais ça peut perturber le lecteur. Finalement, ce qui me plaît beaucoup dans l’heroic fantasy, c’est plus le côté héroïque que le côté fantasy.
Peux-tu nous parler un peu de ton parcours en tant que lecteur ?
Je suis un grand fan de Zelazny : j’ai découvert les Princes d’Ambre et j’ai lu beaucoup de ses autres romans, comme Royaumes d’ombre et de lumière, L’œil de chat, etc. J’ai lu Tolkien, évidemment ; c’était déjà la référence à l’époque. Quand j’étais enfant, j’ai lu beaucoup de Poul Anderson, comme Trois cœurs, trois lions, qui m’avait beaucoup touché. De manière générale, les livres de chevalerie sans magie me plaisaient beaucoup. C’est le cas par exemple de Sans nom ni blason, Le Fauconnier du roi, des choses comme ça. J’aimais bien les romans un peu historiques d’Odile Weulersse, comme Les Pilleurs de sarcophages. À partir du moment où on aime l’Histoire en général, les pharaons, la mythologie, la passerelle vers la fantasy est assez facile. Ce sont des univers plus ou moins mythologiques, dans lesquels la technologie n’est pas aussi avancée qu’aujourd’hui, et les possibilités sont donc beaucoup plus importantes. Aujourd’hui, on fait subir des embargos ou des sanctions économiques à certains pays en guerre parce qu’on sait qu’ils possèdent l’arme nucléaire. Il y a 1 000 ans, le problème se serait réglé sur le champ de bataille. Certaines aventures ne peuvent plus être vécues aujourd’hui parce que la terre a été complètement explorée, ou parce que les armes sont trop dissuasives. Mais on peut faire vivre ses aventures dans un territoire imaginaire.
Est-ce qu’un roman ou une série t’a vraiment donné envie d’écrire ?
Il existe une série qui m’a à la fois donné envie d’écrire et découragé d’avance ! Je l’ai lue en anglais parce qu’on m’a dit que la traduction n’était pas très bonne, même si je n’ai pas d’opinion à ce sujet. Il s’agit de La Roue du Temps de Robert Jordan. J’ai découvert la série aux États-Unis, alors qu’elle en était au tome 6 américain. Je crois que c’était en 1999. Il y a des gens qui détestent la série, et on peut soulever de nombreuses critiques, trouver ça misogyne ou mal écrit, mais en termes de richesse d’univers, pour moi, c’est inégalable et inégalé. Et pourtant, j’ai lu History of Middle-Earth, donc je me suis plongé dans du Tolkien. Mais je trouve que l’œuvre de Jordan a vraiment quelque chose de particulier. D’un côté, je me suis dit que je voulais faire la même chose, et de l’autre, ça m’a donné envie de baisser les bras. J’ai fini par penser que j’allais peut-être me contenter d’autre chose ! Quand on regarde ce que font certains auteurs, comme George Martin aujourd’hui, on se dit : « J’aime, j’admire, c’est un objectif que j’aimerais atteindre ». Mais je ne sais pas si je serai un jour capable d’atteindre le niveau de complexité de ces intrigues.
Sur le marché français, il faut en plus trouver un éditeur qui accepte de s’engager sur une série au long cours
Je commence à avoir un peu de succès et j’ai pu signer chez Rageot une série de sept tomes. Ils n’ont pas discuté, ils n’avaient que le premier tome et le synopsis du reste, et ils ont accepté. Ça avait également intéressé d’autres maisons, donc c’était vraiment super. Mais quand je n’étais pas du tout connu et que j’ai signé mon premier livre chez Asgard (même si, chronologiquement, l’autre est sorti avant, mon premier contrat était avec Asgard), j’avais 1 000 pages et c’était trop. Il est tout de même préférable de tenter un cycle quand on a quelques faits d’armes à son actif pour rassurer, ne serait-ce qu’en termes de sérieux et crédibilité. Ce matin, j’ai participé à une conférence qui évoquait le sujet. Beaucoup de gens sont lassés des cycles de fantasy avec je ne sais combien de tomes qui, parce que ça ne marche pas forcément, vont s’arrêter en plein milieu, en cours de traduction, voire en cours d’écriture. C’est très dommage. Pour reprendre l’exemple d’Erikson, le premier livre a été traduit en deux tomes et ça s’est arrêté là. C’est dommage, parce que des gens avaient aimé, mais pas assez pour que ce soit rentable. Ces gens se sont retrouvés bien embêtés.
Les ventes en fantasy sont bien moins importantes qu’en polar ou en thriller. J’imagine que pour toi, Le Boucher est plus un projet de cœur que de raison ?
Quand je discute avec d’autres auteurs, surtout dans le cadre de festivals fantasy, je me rends compte que j’ai eu vraiment beaucoup de chance. Le polar me fait vivre. Je suis auteur à plein temps, je touche des droits d’auteur qui me permettent de vivre de mes romans. La fantasy reste une de mes premières amours. Il aurait pu y avoir plus de travail sur Le Boucher et La Servante, ça aurait pu être mieux, mais j’en suis déjà assez content. C’est quelque chose que j’avais envie d’écrire. Les ventes n’atteignent clairement pas celles d’un livre comme Les Talons hauts rapprochent les filles du ciel, mais ça me fait plaisir. Ce qui est intéressant, c’est que la communauté fantasy est assez vocale. Mes ventes diffèrent d’un facteur de 20 ou 30 entre mon meilleur polar et la fantasy, et pourtant, j’ai presque autant de critiques des deux côtés. Les critiques de polar vont se contenter de dire que le roman est sympa, alors que le critique de fantasy vous tient la jambe pendant une demi-heure pour vous dire tout ce qu’il a aimé ou non. Je trouve ça vraiment intéressant. La fantasy ne me fait pas vivre, mais je ne vais pas arrêter. Je vais continuer à côté, tant que j’arrive à vivre du reste. Ma série chez Rageot entre d’ailleurs dans la catégorie urban fantasy : ça se passe à notre époque, mais avec de la magie. Réunir ces deux univers, c’est la solution que j’ai trouvée pour mélanger Le Boucher et Les Talons hauts. Je pense sincèrement qu’il y a un public pour ce genre et j’espère que ça plaira. (Le livre sort le 3 juin, dans une semaine, mais il est en avant-première aux Imaginales).
Finalement, Le Boucher était donc ton premier contrat ?
Oui. J’écrivais depuis longtemps, mais je n’avais jamais vraiment cherché d’éditeur. C’était plus pour moi, pour le plaisir. J’avais un travail très prenant dans un cabinet de conseil, avec de gros horaires. Un jour, une amie, Lucie Chenu, avec qui j’avais collaboré sur une anthologie, m’a dit qu’une maison d’éditions – Asgard – se montait et m’a demandé si j’avais des textes à envoyer. C’est ce que j’ai fait, et ça a été pris. Comme la maison venait de se monter et que les délais dans la fantasy sont ce qu’ils sont, j’ai obtenu un accord en 2011 pour une sortie en septembre 2012, soit un an et demi de décalage. Entre-temps, j’ai retravaillé mon texte et je me suis remis à l’écriture. Thomas Bauduret, qui travaillait à l’époque aussi chez Asgard, m’a annoncé qu’il lançait une collection de polars et m’a demandé si j’étais intéressé. J’ai tenté le coup et écrit un polar. Il l’a trouvé très bien et m’a conseillé de tenter d’autres maisons d’éditions par la même occasion. J’ai eu plusieurs accords, et je me suis donc retrouvé dans une position idéale où j’ai pu me permettre de choisir ma maison d’édition. Le Masque est allé beaucoup plus vite qu’Asgard. Ils m’ont donné leur accord en novembre, et en décembre, le contrat était signé. En février, ils m’ont présenté au prix du premier roman, que j’ai gagné, et j’ai été publié dans la foulée en avril. Le premier contrat signé était donc Le Boucher, mai le premier livre sorti était Les Talons hauts.
Le polar était-il un genre littéraire qui te passionnait depuis toujours, ou est-ce venu sur cette proposition qu’on t’a faite ?
J’ai lu du pur polar. C’est toujours agréable, c’est de la littérature qui me détendait bien. J’aimais être surpris et tenter de trouver le fin mot de l’intrigue. Mais je n’y connaissais rien en procédures judiciaires, je ne savais pas comment fonctionne un commissariat de police. Maintenant, par la force des choses, je me suis renseigné et je sais. Mais mes polars n’ont par conséquent aucun fondement juridique. J’ai créé un personnage qui me ressemblait un peu, un loser un peu dragueur, un peu pathétique, qui fréquente beaucoup les soirées parisiennes. J’ai moi-même ces soirées entre 2007 et 2008, c’était donc un univers que je connaissais bien et que j’ai réutilisé dans les romans. C’est ce qui a beaucoup plu aux lecteurs. Le public est très intéressé quand on fait appel à des choses qu’on connaît, à des morceaux de soi. Les soirées parisiennes VIP (ce n’était pas moi qui avais mes entrées, je suivais des amis !) fascinent les gens, qui pensent qu’il s’y passe des choses horribles, ou au contraire des choses formidables. Et c’est vrai qu’on y voit des choses à la fois horribles et formidables. C’est la jungle ! J’ai donc créé des polars qui ne sont pas des polars, parce que l’enquêteur c’est quelqu’un comme toi et moi, quelqu’un qui se retrouve dans une soirée et à qui il arrive des problèmes. Pour la petite histoire, si j’ai pu quitter mon travail et en arriver là, c’est dû en grande partie au choix du premier titre : Les Talons hauts rapprochent les filles du ciel. C’est le livre qui a le mieux marché, plus de 40 000 exemplaires. Il a eu le prix du premier roman, ce qui est déjà très bien, mais ça ne fait pas tout. J’ai eu le soutien de presque tous les magazines féminins (Elle, Marie-Claire, Cosmo, etc.) parce que le titre les a fait sourire et leur a donné envie de lire les trois premières pages au milieu de tous les services presse qu’ils reçoivent. Heureusement, les trois premières pages leur ont plu. Mais c’était un coup de chance, parce qu’ils auraient très bien pu ne pas ouvrir le livre du tout. Grâce à ça, la presse généraliste a beaucoup parlé de moi et ça a eu un effet boule de neige. Merci au titre ! Je suis convaincu qu’il existe des pépites qui n’ont pas eu la chance d’avoir le bon éditeur, ou la bonne couverture presse, ou de tomber dans les mains de la bonne personne. Évidemment, le livre doit être bon, sinon il ne plaira pas, mais ça ne suffit pas. Il faut avoir la chance d’être « découvert ». C’est une amie qui a trouvé le titre. Le titre d’origine, « Toutes celles qui portent la frange à la Kate Moss », me plaisait aussi, mais il posait un double problème de droits, avec la chanson « Ça m’énerve » d’Helmut Fritz et avec Kate Moss ! On m’a donc demandé de trouver autre chose. On a beaucoup cherché, et c’est une amie qui travaille maintenant dans l’édition qui a eu l’idée de celui-ci. Les autres titres viennent de ma compagne.
Peux-tu nous parler un peu plus en détails de ton nouveau projet chez Rageot ?
J’avais envie d’écrire de la littérature young adult pour plusieurs raisons. Je pensais qu’il y avait des choses intéressantes à écrire, et je me suis rendu compte qu’en festival, les ados sont les plus enthousiastes envers mes autres romans, qui sont pourtant des romans adultes. Généralement, quand un adulte aime l’un de mes livres, il vient me voir pour me dire : « Il est très bien, votre bouquin », et ça s’arrête là. En revanche, les ados disent plus : « C’est incroyable, mais là, pourquoi vous avez fait ça ? Et là, qu’est-ce qui va se passer ? » C’est génial, parce que je me revois à cette époque. On en parlait tout à l’heure, j’ai lu beaucoup trop de fantasy et c’est la raison pour laquelle je suis désenchanté. Eux ne le sont pas, ils ont encore tout à découvrir. Ils ne connaissent peut-être pas encore Zelazny, Gemmell ou Game Of Thrones. Ce sont des choses qu’ils n’ont pas lues ou qu’ils sont en train de lire. Je trouve ça vraiment bien et j’avais envie d’écrire quelque chose qui soulève leur enthousiasme, qui leur donne vraiment envie. Il faudra voir si j’y arrive, je peux aussi faire un bide ! C’est ce que répondent tous les auteurs, mais j’ai écrit ce que j’aurais aimé lire à l’époque. L’histoire se passe dans un lycée. Au début, on trouve les pires clichés du genre. Il y a le beau gosse bad boy dont rêvent toutes les filles, qui n’en a rien à faire et qui joue avec tout le monde. Il rackette les gens, ce n’est vraiment pas un personnage sympa. De manière générale, j’aime bien les anti-héros. Et de l’autre côté, il y a une fille très effacée, très timide, première de la classe. On ne peut pas faire plus cliché ! Le jeu a consisté à renverser ce cliché. Lorsque les deux personnages vont se retrouver et être obligés d’interagir, finalement, le plus dangereux des deux n’est pas du tout celui qu’on soupçonnerait. La fille possède des pouvoirs magiques et le garçon va se faire traîner dans la boue. J’aime écrire des personnages féminins un peu forts, à la Buffy, pas vraiment potiches. C’était déjà le cas avec Shani dans La Servante. L’idée d’un Twilight à l’envers, avec un côté urban fantasy et des personnages un peu plus punchy, me paraissait marrant. Je trouvais intéressant d’inverser le rapport de force. La série est prévue en sept volumes. Le premier sort le 3 juin et en avant-première aujourd’hui. Le deuxième est terminé et sortira le 7 octobre. Le troisième est en cours d’écriture, et pour les autres, j’ai les synopsis. J’en suis vraiment content. Ça ne plaira peut-être pas, mais personnellement, je suis content de ce que j’ai écrit. C’est une satisfaction qu’on n’a pas tout le temps dans ce métier. Dans certains de mes autres livres, il y a des passages un peu longs, des passages qui auraient pu bénéficier de plus de travail ou que j’aurais bien aimé réécrire. Cette fois, je suis content et je profite du sentiment !
C’est donc celui dont tu es le plus fier ?
En même temps, le dernier livre, c’est toujours ton bébé. Mais oui, j’en suis vraiment, vraiment content. Et je félicite les équipes Rageot. On m’avait prévenu que j’allais en baver, parce qu’ils sont très durs et font attention à la moindre virgule. Je suis allé jusqu’à retravailler certaines phrases pour qu’il y ait des cliffhangers à la fin des pages. Je ne parle pas de chapitres, mais bien de pages ! J’ai retravaillé beaucoup de choses, mais à la fin, je me suis dit que c’était vraiment bien. Il ne faut pas être orgueilleux, car ils n’hésitent pas à dire : « Ça, c’est nul ; et ça, est-ce que c’est vraiment nécessaire ? » En revanche, l’auteur a toujours le dernier mot. Il m’est arrivé de répondre : « Oui, c’est nécessaire ». Il ne faut pas être orgueilleux, mais c’est vraiment bien de faire un vrai travail sur un livre. Je tiens compte des trois quarts des remarques environ. Je vais au clash sur 10 à 15 % des remarques, parce que j’ai des tics de style, mais je les connais et je les aime. Si j’écris, par exemple, « Et la lumière l’emporta », et qu’on me dit que « La lumière l’emporta », c’est mieux, je m’en fiche, c’est mon « et », je le garde ! Et les derniers 10 %, on discute.
En parlant de tics, adaptes-tu ton style d’écriture au public ou considères-tu qu’il n’y a pas de différence entre écrire pour un ado de 13 ans et un adulte ?
J’ai essayé de m’adapter un petit peu, mais ce n’est pas du tout édulcoré. Il y a des gros mots. En revanche, les chapitres des deux personnages, Manon et Alexandre, sont présentés en alternance, avec un point de vue à la première personne à chaque fois. J’ai donc dû me mettre dans la peau d’une jeune fille de 15 ans et d’un garçon de 16 ans et varier les styles. C’est d’ailleurs très évident, car Manon parle au passé simple, et Alexandre, au présent. Je me suis beaucoup amusé sur les concordances de temps, sur le vocabulaire. Lui jure comme un charretier, elle sort des « bon sang » à certains moments. Chacun a une vraie voix, parfois caricaturale, mais elles se mêlent de temps en temps.
En tant qu’auteur, à titre personnel, comment gères-tu la promotion de tes ouvrages ?
À qualité égale, un livre se vend en fonction de sa diffusion : est-il bien présent en magasins, est-il en tête de gondole ? Pour moi, il y a deux relais importants. Les premiers sont les représentants. C’est un métier de vendeur, mais qu’on ne peut pas faire sans être passionné et sans connaître les livres. Il existe peut-être des représentants qui n’en ont rien à faire, mais ceux que j’ai rencontrés donnaient l’impression de faire attention à ce qu’ils vendaient. Du coup, j’ai toujours insisté auprès des éditeurs pour rencontrer les représentants et leur présenter moi-même mon projet. Je pense que c’est vraiment important. La représentante de la région est venue me voir et m’a dit qu’elle avait assisté à la conférence à laquelle j’ai participé. Elle a lu le livre, et comme elle l’a aimé, elle a pu le recommander. C’est un effet boule de neige : on défend toujours mieux ce qu’on a lu et aimé. Le deuxième relais, ce sont les libraires, quels qu’ils soient. Certaines personnes opposent les libraires traditionnels aux libraires de la Fnac, ou même aux libraires Carrefour. Évidemment, il y a toujours des exceptions, mais j’ai été invité dans des Carrefour et dans des Fnac par des gens qui avaient lu les livres. Ce n’étaient pas des rencontres organisées par moi ou la maison d’édition. Ça montre bien que ce sont des gens passionnés, qui ont lu et aimé le livre, qui se sont battus contre leur hiérarchie pour faire venir un auteur à leurs frais. Plutôt que d’opposer les libraires de Carrefour aux libraires de la rue commerçante du coin, il faut peut-être s’opposer à de grands groupes comme Amazon. Mais c’est un autre débat. Entre libraires, les gens ont intérêt à se serrer les coudes, car ils partagent une passion. Évidemment, il y a moins de choix chez Carrefour et ils sont obligés de s’appuyer sur les têtes de gondole, mais ils vont tout de même essayer de laisser leur empreinte. Encore aujourd’hui, quand je vois que mon livre est en coup de cœur ou mis en avant sur une table, je remercie le libraire, je lui demande ce qu’il en a pensé. Quand le libraire me fait des commentaires positifs ou négatifs, j’essaie de réagir. Ce sont des lecteurs comme les autres, ils sont intéressés par le retour de l’auteur comme je suis intéressé par leurs retours. Je pense que c’est très important aussi. Je commence à connaître de plus en plus de libraires. Par exemple, Rageot a reçu beaucoup de demandes spontanées de services presse de la part de personnes qui me connaissaient et me suivaient sur d’autres livres. Pour terminer, l’interview que nous avons en ce moment a lieu parce qu’on a appris à se connaître, on a discuté, j’étais et je suis toujours sur Elbakin.net. Quelque part, ça fait aussi partie de la promotion.
Justement, pour toi, quelle place occupe Internet par rapport aux actions plus concrètes comme rencontrer les représentants ?

Internet, un peu comme tout, est très inégal. Il y a des milliers et des milliers de blogs. Je suis tombé un peu tard dans la mode des blogs : j’ai créé le mien en 2006, mais les premiers sont plutôt apparus en 2003. Il y en a vraiment beaucoup. C’est très agréable d’avoir une bonne critique sur un blog, mais beaucoup d’entre eux ne voient passer que trois ou quatre visiteurs. Ce n’est pas ça qui aura un effet boule de neige. À titre personnel, en tant qu’auteur, on trouve toujours ça génial, ça fait toujours plaisir. Mais ça n’a pas forcément d’impact au niveau de la promotion. En revanche, un forum comme celui d’Elbakin.net, qui brasse énormément de monde, c’est différent. Grâce au sujet du forum sur Le Boucher, des gens sont venus spontanément en dédicace à la Fnac La Défense. J’ai d’ailleurs rencontré Witch par ce biais. En dehors de ça, il y a beaucoup de gens qui lisent sans poster. Je demande toujours aux gens qui achètent Le Boucher ou La Servante comment ils m’ont connu. Soit ils m’ont déjà vu en festival (et je ne m’en rappelle pas toujours !), soit c’est grâce à Elbakin.net ou Rêves et Cris. Même s’il n’y a pas eu 10 000 messages, mon sujet a été lu et les gens sont allés consulter les notes et la critique de John Doe, qui a en plus remonté sa note sur le tome 2, ce qui me fait plaisir ! Malgré quelques faiblesses, il a dit qu’il avait bien aimé l’histoire. Du coup, les gens viennent en toute confiance. Je trouve que le système fonctionne bien : quelques gros pôles (votre site ou ActuSF, par exemple) rassemblent beaucoup de lecteurs et font plus ou moins autorité. C’est l’idéal pour avoir un avis qui sera consulté et suivi. Et parallèlement, il y a assez de blogs indépendants ou de gens qui postent sur des sites comme Babelio ou Livraddict pour avoir des avis divergents. S’ils étaient seuls, Elbakin.net ou ActuSF feraient la pluie et le beau temps : ils aiment, c’est gagné ; ils n’aiment pas, c’est perdu. La situation actuelle permet faire la part des choses : Elbakin.net a adoré, Machin a moins aimé, et un parfait inconnu avec des arguments très pertinents dit que c’est très bien. Je trouve ça bien que certains sites fassent autorité et qu’il y ait d’autres avis consultables à côté. Pour aller à l’objectif très rapidement, il y a deux ou trois sites qui permettent d’avoir les informations. Si tu veux plus de détails, tu te plonges un peu plus dans les recherches. Je ne connaissais pas bien Rageot avant de signer chez eux, et je voulais savoir comment leurs livres étaient accueillis. Tu peux trouver des centaines d’avis sur tous les sujets.

D’où vient Grenouille_Bleue, ton pseudo sur le forum ?
C’est très vieux ! En 1997, je jouais à Ultima Online, un des tout premiers MMO. À l’époque, je partais aux États-Unis pour une année de césure. Les Français étaient encore adorés là-bas, mais les Américains nous appelaient tout de même « Froggies ». J’avais les yeux bleus, et comme c’était les années 90, j’avais un jean bleu et une veste en jean bleu. J’étais bleu de la tête aux pieds ! Quand j’ai cherché un pseudo sur Ultima Online, j’ai pensé à Grenouille_Bleue, et c’est resté. C’est devenu mon pseudo MSN, ICQ, puis Gmail. Ça a suivi l’évolution technologique. Ce qui est drôle, c’est que j’ai été contacté un peu plus tard en raison de ce pseudo. Une maison d’édition qui s’appelle La Grenouille Bleue s’est montée à Lyon en 2000 ou 2001, et comme toutes mes adresses avaient ce nom, on me contactait au nom de cette maison d’édition !
Pour être un peu plus concrets sur ce festival des Imaginales, que penses-tu de cette 13è édition ?
Pour le moment, il fait beau, donc je trouve ça cool. Mais il fait très chaud à l’intérieur et c’est moins cool ! J’ai tendance à toujours être consensuel, mais je te promets que ce n’est pas de la langue de bois : c’est mon festival d’imaginaire préféré. Ce n’est que la deuxième fois que je viens à Épinal, et encore, c’est la première fois que je suis invité. La dernière fois, j’étais venu à mes frais avec Asgard. Je ne sais pas à quoi c’est dû. Le cadre et les gens sont sympas, mais c’est le cas c’est d’autres villes. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a une certaine atmosphère. Il n’y a pourtant pas plus d’endroits où sortir que dans d’autres villes, voire moins ! Je suis incapable de le définir, c’est juste sympa. Les gens sont détendus, le public est très nombreux. La plaquette affirme qu’il s’agit du premier festival en termes de fréquentation, avec 24 000 personnes. En tous cas, en termes de signature, pour moi, c’est l’un des festivals qui marche le mieux. En tant qu’auteur, ce ne sont pas les signatures qui te font vivre, mais ça permet de rencontrer les gens. Je retrouve des gens qui étaient là l’an dernier et qui me parlent de la suite de mes livres. L’an dernier, en une journée, j’avais dû signer une centaine de livres. D’ailleurs, je ne pensais pas que c’était aussi poreux, que les gens qui achètent de la fantasy achèteraient aussi du polar ou du jeunesse. Par exemple, j’ai croisé une mère de famille qui avait lu mes deux premiers polars, Les Talons hauts et Les Mannequins. Elle a pris la suite, ce qui ne me choque pas, ainsi que Le Boucher et La Servante, et le roman jeunesse qui allait plaire à sa fille. En fait, elle a pris tous mes livres ! Et c’était la deuxième fois aujourd’hui. Il est évident qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, mais quel que soit le public auquel on s’adresse ou l’histoire qu’on raconte, le style est toujours plus ou moins le même. Je fais toujours dans l’auto-dérision (même si ça se voit moins dans Le Boucher !), avec un style direct. Du coup, les gens qui n’aiment pas mon style ne m’aimeront pas, et les autres vont vouloir découvrir l’univers de l’auteur. C’est aussi mon cas. On parlait de Zelazny tout à l’heure : il n’y a rien à voir entre Les Neuf princes d’Ambre et L’œil de chat, qui traite des Indiens Navajo, mais j’ai acheté tous ses livres sans me poser de questions. J’ai forcément été un peu déçu par certains, mais à partir du moment où je suis fan d’un auteur, j’ai tendance à tout lire. On aime ou on n’aime pas Gemmell, mais moi, j’adore. Du coup, j’ai ses 23 livres en anglais. Quand on aime un auteur, on le suit.
Es-tu déjà tombé en dédicace sur quelqu’un de désagréable ?
Pas tellement. Certaines personnes m’ont dit qu’elles n’avaient pas aimé, mais sans m’insulter. Tu peux en revanche tomber sur des gens avec des problèmes mentaux. Au Salon du Livre de Paris, par exemple, j’ai croisé une fille qui m’a dit : « Les Talons hauts rapprochent les filles du ciel, c’est un jeu de mots ? J’aime bien les jeux de mots. Par exemple, votre prochain livre, il sort quand ? Caen, dans le Calvados. Et devenir écrivain, c’est un pari. Paris, la capitale ! » Tu rencontres parfois des gens un peu bizarres. À l’inverse, il arrive qu’on croise en festival gens très brillants qui, parce qu’il n’y a personne sur le stand, vont vous tenir la jambe pendant 45 minutes. On est vraiment ravis de discuter avec les gens, de découvrir leurs passions, leurs goûts, mais on est aussi là pour rencontrer le public. Comme il n’y a personne, ces gens se disent que ce n’est pas gênant, mais du coup, ils bloquent l’accès au stand pendant 45 minutes à d’autres personnes qui pourraient être intéressées. Les auteurs sont des petits êtres sensibles, allez leur parler, ça leur fait plaisir. Mais pas 45 minutes, parce que c’est long ! Il y en a toujours au moins deux ou trois par festival. Cela dit, je ne veux pas décourager les gens. Il y a beaucoup d’apprentis auteurs qui viennent demander des conseils, et je n’ai aucun problème avec ça. Il y a des gens que ça dérange, moi pas. Mais ça doit se faire en deux minutes. Je trouve normal que quelqu’un vienne me voir en me disant : « J’ai écrit un roman de fantasy. Et maintenant, comment je fais ? ». J’aurais fait la même chose à sa place. Je leur donne des conseils, mais ça prend deux minutes. N’hésitez pas à aller voir les auteurs, on ne vous mangera pas, mais ne restez pas 45 minutes !
Beaucoup d’auteurs, une fois passés de l’autre côté, semblent avoir du mal à trouver le temps de lire. Est-ce ton cas, ou te ménages-tu toujours du temps pour être un lecteur lambda ?
Ce n’est pas tellement le fait d’être devenu auteur, mais plutôt la concurrence des nouvelles technologies. On en parlait d’ailleurs à la conférence de ce matin. Par exemple, j’ai été invité à Mulhouse pour le Festival Sans Nom, un festival de polar. C’était organisé par la SNCF, qui avait affrété un train pour tous les auteurs. Sur les 2h20 de trajet, presque personne n’a lu, alors qu’il n’y avait que des auteurs dans la rame. Il y avait ceux qui discutaient, ceux qui tapaient sur leur ordinateur ou leur portable, qui écoutaient de la musique, qui dormaient… Mais j’ai vu très peu de livres. Je trouve ça dommage, ce n’était pas comme ça il y a dix ans. Je profite comme tout le monde de l’avancée de la technologie. Dans le métro parisien, tu peux capter du réseau et jouer à Candy Crush sur ton téléphone, et par conséquent, j’ai l’impression que les gens lisent de moins en moins. Mais j’essaie de toujours garder des plages de lecture, le goût et le plaisir de la lecture. En ce moment, je lis beaucoup de young adult, parce que c’est ce que j’écris. Je regarde ce qui se fait à côté, je découvre le catalogue Rageot. En plus, j’ai la chance de lire vite, et le young adult se lit encore plus vite. J’ai lu deux livres en venant ici et un de plus hier soir. Mais en termes de fantasy, je ne lis plus autant qu’avant. En ce moment, il y a des livres que j’aime bien, mais je n’en trouve plus qui me donnent envie d’entrer dans la première librairie venue pour acheter toute la bibliographie de l’auteur. Encore une fois, quand j’ai découvert le premier Gemmell, j’ai acheté tous les autres à la suite. Quand j’ai lu le premier Martin, j’ai acheté les trois qui étaient sortis à l’époque. Pour La Roue du Temps, j’avais acheté les six tomes sortis. Le jour où ça arrivera à nouveau, ma carte bleue va le sentir passer !
Parlons un peu de ton actualité dans les mois à venir. Y aura-t-il seulement du young adult, ou arrives-tu à mener plusieurs projets de front ?
J’essaie à chaque fois de mener plusieurs projets de front. Je fais partie des gens qui adorent travailler sous pression, avec des délais très courts. J’ai fait un pari avec Rageot. Le Noir est ma couleur sortira au rythme d’un tome tous les trois mois. Le tome 2 sort en octobre, le tome 3 en janvier, puis avril, etc. À côté, le tome 4 des aventures de Fitz, le polar, doit sortir également. Et pour couronner le tout, j’ai beaucoup d’idées pour une autre série young adult, pour laquelle j’ai déjà un synopsis. S’il y a une chose qui ne me manque pas, c’est les idées. J’en ai des centaines. Après, il faut simplement trouver le temps de les mettre en musique. Pour répondre de manière très concrète à ta question sur l’actualité, le premier tome de Le Noir est ma couleur, qui s’intitule Le Pari, sort très bientôt. En octobre, ce sera au tour du deuxième tome, La Menace, puis en janvier, du troisième tome, qui s’appellera peut-être Le Chantage. Normalement, en janvier devrait également sortir le quatrième Fitz. J’ai soumis le titre, Trois fourmis en file indienne, mais il n’a pas encore été discuté.

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