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Un entretien avec Stephen R. Donaldson

Par Nerwen, le dimanche 4 novembre 2007 à 09:36:03

Fatal RevenantLe dernier tome en date des Chroniques de Thomas Covenant vient de paraître de l'autre côté de l'Atlantique, se vend plutôt bien, et alors qu'en France nous connaissons seulement la saga jusqu'au quatrième volume - point de départ d'une seconde trilogie, l'actualité de l'auteur en est déjà bien loin.
Fatal Revenant est le second roman des quatre prévus pour The Last Chronicles of Thomas Covenant. Le personnage de Linden Avery se retrouve projeté 10 000 dans le passé. Notre camarade Patrick Saint-Denis n'a pas eu besoin d'un tel bon dans le temps pour avoir l'occasion de discuter avec l'auteur, et nous en faire également gentiment profiter.
Nous les remercions une fois de plus tous les deux. Notons que cet entretien ne rentre à aucun moment dans les détails de l'intrigue du roman, et peut donc être lu par tous.

Nouvelle interview de Stephen R. Donaldson

Cher Mr. Donaldson,
D'abord, laissez-moi vous remercier de nous consacrer un peu de votre temps pour répondre à ces questions. Nous apprécions vraiment cela. Quand l'on vous demande pourquoi cela vous a pris autant d'années pour finalement commencer à travailler sur Les dernières chroniques de Thomas Covenant, vous avez répondu: C'est compliqué. Une première raison, parfaitement valide est que je voulais prouver à mes lecteurs - et à moi-même - que je pouvais écrire d'autres type d'histoires, et les écrires bien. Une autre est qu' un nombre important d'autres récits, (en fait douze livres) sont venus à moi pour être écrits. Mais peut-être que la raison la plus profonde, la plus personnelle était que j'avais peur. Au premier coup d'oeil sur Les dernières chroniques, je savais que cela allait être étonnament difficile à écrire; qu'en tant qu'exercice de narration, les précédentes histoires de Covenant ressembleraient à une promenade de santé. Si cette dernière histoire est bien faite, si elle remplit mes objectifs, elle complètera et unifira la saga dans son entier. Mais pour accomplir cela, je devrai aller au-delà des capacités que je me connais, en tant que conteur mais aussi en tant qu' écrivain. Cette perspective me terrifiait. Et me terrifie toujours. L'argument pouvait être que tout ce que j'avais écrit depuis que j'avais fait Les dernières chroniques a été un essai pour développer mes possibilités et mes ressources; pour être prêt pour l'histoire que j'écris maintenant.

Etant donné votre carrière et la qualité de votre travail, passé et présent, quel aspect exactement de cette série a rendu l'écriture des Dernières chroniques de Thomas Covenant tellement intimidant?

A chaque niveau, cette histoire est à la fois plus complexe et plus intense que tout que ce j'avais essayé de faire auparavant. C'est comme sauter en parachute dans les abysses.

Avec The runes of earth et Fatal Revenant derrière vous, pensez-vous que vous avez réussi ce que vous vouliez raconter avec cette série, au moins en ce qui concerne les deux premiers volumes?

Jusqu'ici, je me suis plus rapproché du défi que je m'étais lancé que ce que j'aurais pensé ou pensais. Malheureusement, les exigences (sur moi) de l'histoire continueront à monter à travers ces deux livres.

Sans rien nous dévoiler de l'histoire, que pouvez-vous dire à vos lecteurs concernant Fatal Revenant?

Il est temps de boucler vos ceintures.

Ferez-vous une tournée pendant l'automne/l'hiver pour promouvoir Fatal Revenant? Si c'est le cas, y-a-t-il des dates spécifiques qui ont été confirmées jusqu' à aujourd'hui?

Oui, il y aura bien une tournée. Tous les détails sont sur mon site officiel.

Selon vous, quelle serait la partie la plus difficile dans le processus mis en place dans l'écriture des différents livres de Covenant? Chaque nouvel ajout révèle à chaque fois plus de profondeur dans une saga qui a déjà réellement prouvé sa richesse et sa complexité.

S l'on laisse de côté la question de savoir si je suis oui non capable d'écrire assez bien pour rendre justice à cette saga, je dirais que le seul aspect le plus exigeant du project tient dans sa consistence interne: cohérence de style, de ton, du personnage (et du développement du personnage), du thème (et des thématiques développées). Cela tient aussi dans la cohérence des symboles, dans la cohérence au niveau logistique (est-ce vraiment possible de se déplacer de tel à tel endroit en X jours?), dans la cohérence au niveau géographique, historique (un problème spécialement compliqué parce que je n'utilise pas de "Bible" pour me guider) mais aussi dans la cohérence de la magie et des montres. Et ainsi de suite.

Est-ce que les intrigues ont beaucoup divergées depuis que vous avez commencé à écrire les Covenant, ou bien aviez-vous l'intrigue plus ou moins en tête depuis le tout début? Y-a-t-il eu certains personnages ajoutés ou étoffés au-delà de vos premières intentions? Avez-vous fait des changements par rapport à vos plans initiaux pendant l'écriture des trois séries?

Mon intrigue ne diverge pas. Non pas parce que je suis un écrivain d' "intrigue" (bien au contraire), mais parce que je ne peux pas écrire du tout à moins de savoir exactement vers où je vais. De beaucoup de façons, la destination définit le voyage. Mais j'ajoute souvent des personnages à mes projets initiaux -ou inisiste sur les personnages différemment que ce que j'avais d'abord pensé. Dans The runes of the earth, Manethrall Mahrtiir a été une découverte tardive, tout comme les Mahdoubt.

Alors que l'on peut qualifier votre carrière d'exemplaire et prolifique, qu'est-ce vous pousse à toujours écrire?

Hmm. C'est comme si on demandais ce qui me pousse à continuer de vivre. Ecrire (raconter des histoires) est ce qui fait que je suis suis né. Je ne serais pas complètement en vie si j'arrêtais.

La publication de Lord Foul's bane a prouvé que c'est une longue et tortueuse route pour vous. Qu'est-ce que cela vous fait de voir qu'il est toujours publié 30 ans plus tard?

C'est incroyable ce que l'on peut s'habituer à cela. Après la difficulté que j'ai eu de trouver un éditeur dans un premier temps, le simple fait de voir un vraie copie de Lord Foul's bane a été une expérience transcendante. Maintenant tout ce que j'ai publié est toujours imprimé - et je le prends pour acquis. Je suspecte que cela ne parle pas en ma faveur.

Quelle est, d'après vous force en tant qu'écrivain/conteur?

Pour ce que cela vaut, à mon avis ma plus grande force est ma capacité à organiser un grand canevas narratif. Même quand mes épopées semblaient s'étendre, elles ne contenaient rien qui ne contribuaient pas aux effets et signification de l'histoire dans son entier. Simplement vu comme un exercice dans la crétion d'une histoire, mon cycle de livres (qui en comprend 5) sur Gap est une chose de toute beauté. (Dois-je répéter que c'est seulement mon opinion?).

Les personnages prennent souvent vie d'eux- mêmes. Lequel de vos personnages a été le plus imprévisible dans son écriture?

Ribuld et Argus dans Mordant's Need. Aucun personnage avant ou après ne m'ont pris par surprise comme eux l'ont fait.

Vous écrivez des romans depuis trois décennies. Qu'es-ce qui a le plus changé dans la fantasy depuis vos débuts?

Deux décennies avant que je ne sois publié, il y avait Le seigneur des Anneaux -et virtuellement rien d'autre. Six mois avant que je ne sois publié, Terry Brooks a fait un flop avec The Sword of Shannara. Maintenant nous avons un déferlement de romans et séries de fantasy de toute description que se soit - et qualité. En général, elles m'ont l'air de bonne qualité. Mais cela rend plus difficile - vous devriez me pardoner le cliché - , de séparer le bon grain de l'ivraie.

Quel conseil donneriez vous à un plus jeune Stephen R. Donaldson à propos de sa carrière d'écrivain? En regardant en arrière, auriez-vous fait les choses différemment?

Non, je n'aurais pas fait les choses différemment. Mais si je pouvais communiquer avec un moi plus jeune, je pousserais Stephen R. Donaldson à se faire plus confiance.

Beaucoup d'auteurs de fantasy ne lisent pas de livres du genre. Est-ce votre cas ? Si non, quels auteurs forcent votre admiration aujourd'hui?

Je suis un lecteur très lent, mais je lis beaucoup de livres de fantasy et de science-fiction. Les auteurs que j'admire incluent: Patricia A. McKillip, Steven Erikson, et Tim Powers.

Après avoir produit tous ces best sellers et vendu des millions de livres à travers le monde, après avoir gagné des prix littéraires, y-a-t-il plus de pression lorsqu'il s'agit d'écrire de nouvelles séries/romans, en sachant que les attentes seront toujours hautes?

Je souffre effectivement d'une sorte d' "anxiété de la performance" que j'associe avec une compétition avec moi-même. Tellement de personnes ont aimé les six premiers Covenant - et je les ait faire attendre si longtemps pour terminer l'histoire- que je peux difficilement supporter la perspective de les décevoir. Sur le long terme, cependant, je suis plus concerné sur le fait de rendre justice à l'histoire. Pour cette raison, j'espère que mes attentes pour moi-même sont plus hautes que celles des autres à mon propos.

Le fait que vous ayez un site officiel sur internet est une indication que l'interaction avec vos lecteurs est importante pour vous en tant qu'écrivain. Que retirez-vous de cette chance de pouvoir interagir avec vos lecteurs?

En réalité, mon site internet ne mentionne pas que cette interaction avec mes lecteurs est si importante pour moi. Il indique que mes éditeurs veulent que je promouvoie plus mes propres livres. Néanmoins je tire avantage de cette interaction avec mes lecteurs, et je la valorise. D'abord, à travers les conventions, chaque écrivain de science-fiction et fantasy est béni en ayant accès à son public; une ouverture qui n'existe pas dans la même mesure dans n'importe quelle autre forme de littérature. En conséquence, je n'ai pas besoin d'un site internet pour m'aider à communiquer avec mes lecteurs. Ceci étant dit, les interactions sur mon site sont plus centrées (donc plus efficaces? En tout cas certainement plus concrètes) que celles qui ont lieu aux conventions. Mon site internet m'a été profitable dans des proportions que je n'attendais pas quand il a été mis en ligne.

Honnêtement, croyez-vous que les romans d'anticipation seront un jour reconnus en tant que véritable genre littéraire? Pour ma part, il n'y a jamais eu autant de bonnes séries/ romans comme c'est le cas aujourd'hui, et il y a toujours aussi peu de respect (pour ne pas dire aucun) pour ce genre.

Je pense que la reconnaissance du meilleur travail dans notre domaine en tant que littérature sérieuse est inévitable - bien que je ne pense pas que celle-ci vienne assez tôt pour nous faire le plus grand bien. La fantasy, et c'est un fait, est la forme de littérature qui est la plus ancienne et la plus durable dans chaque langage de chaque culture. Cela ne peut pas être qu'un simple accident: cela doit être une déclaration importante sur comment les êtres humains trouvent une signification aux choses. Eh bien, nous vivons dans une époque cynique: la "signification" n' est plus dans les bonnes grâces. Mais cette phase passera finalement. Le temps s'assurera que chaque travail qui mérite le statut de littérature recevra son dû.

De plus en plus, auteurs/ éditeurs/publicitaires/ agents découvrent le potentiel de tous les blogs/sites internet/ forums consacrés à la science-fiction et à la fantasy sur internet. Gardez-vous un oeil sur le contenu des discussions qui s'y déroulent, surtout si cela vous concerne? Ou cela ne vous intéresse-t-il pas?

Non, je ne visite pas les blogs/ sites/ forums de discussion. En effet, je passe le minimum de temps sur internet. Bien sûr, ces choses là sont des divertissements, -pour ne pas mentionner des trous noirs- des fois. Mais ce n'est pas la première raison pour laquelle je l'évite. Je l'évite parce que c'est mauvais pour moi. Traîner sur le net en essayant de trouver ce que les gens disent de moi sonne un peu comme ce que font les enfants à l'école primaire; et j'ai vraiment besoin d'être un adulte.

M. John Harrison a récemment posté ce message sur son blog: Chaque moment d'une histoire de science-fiction doit représenter le triomphe de l'écriture sur la construction du monde. La construction du monde/ worldbuilding est ennuyeuse. La construction du monde/worldbuilding littéralise le besoin d'inventer. La construction du monde/worldbuilding donne une permission inutile d'actes d'écriture. (en effet, pour des actes de lecture) La construction du monde/worldbuiling gèle la capacité du lecteur à remplir sa part du marché, parce que croire qu'il a tout a faire autour si rien ne doit être fait. Surtout, la construction d'un monde n'est pas techniquement nécessaire. C'est le "comble"(?) de la ringardise.... . C'est un essai pour passer en revue de façon complète une place qui n'est pas là. Un bon écrivain n'essayera jamais de faire cela, même avec une place qui est là. Ce n'est pas possible et si ça l'était, le résultat ne serait pas lisible; ils ne constitueraient pas un livre mais la plus grande librairie jamais construite, un lieu béni de dévouement et d'étude de tout une vie. Cela nous donne un indice sur le profil psychologique de celui qui construit un monde et sa victime, et nous rend très effrayés.
Inutile de préciser que beaucoup de gens ne sont pas d'accord avec l'avis de Harrison. Quel est votre point de vue par rapport à ce qui a été dit précédemment et sur le concept de création d'un monde original?

C'est difficile de discuter la position d'Harrison comme lui l'a exprimée ici. (souvenez-vous cependant qu'il donne un sens particulier à ce terme, un sens que peut-être il n'aurait pas si il avait été employé par quelqu'un d'autre). En effet, je serais enclin à aller un peu plus loin: "Chaque moment de quelque littérature qu'il soit, doit représenter le triomphe de l'écriture sur la construction d'un monde/worldbuilding". Ou alors je reformulerais l'avis d'Harrison pour qu'il colle plus justement au mien en disant que (sans faire, je l'espère, trop violence à son point de vue) : "Chaque moment de chaque littérature doit représenter le triomphe de la narration sur la construction d'un monde/worldbuilding".
Bien sûr, nous pourrions mettre ce problème de côté en donnant simplement un autre sens au terme "worldbuilding". Mais où passerait alors tout l'amusement?

Encore merci beaucoup pour avoir accepter de faire cette interview. Et merci aussi pour tous ces merveilleux romans! Nous vous souhaitons un grand succès dans votre carrière et bonne chance avec la prochaine sortie de Fatal Revenant.

Article originel par Patrick Saint-Denis, le 1er octobre 2007.


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