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Nihilisme et fantasy, la nouvelle tendance ?

Par Drim, le lundi 11 avril 2011 à 13:00:09

La réponse d'Adam Whitehead

On m'a parlé de cet essai, dans lequel l'auteur déplore le statut « nihiliste » de la Fantasy moderne et appelle au retour de la Fantasy du passé parsemée d’une non-obscénité « héroïque » et « mythique ». Je pense que l’auteur confond ici deux problèmes bien différents : la « Nouvelle Fantasy » réaliste/nihiliste des deux dernières décennies à peu près (une généralisation abusive), ce qui n’est pas si nouveau, et la prolifération de sexe/violence/jurons ouverts des ouvrages récents de Fantasy.

Pour ce qui est de la première question, c’est mettre en avant un étrange argument. Le problème est que cet auteur cite de manière déconcertante J.R.R. Tolkien et Robert E. Howard comme étant ses auteurs préférés en Fantasy. Ce qui a peu de sens, car il n’y a pas beaucoup d’auteurs de Fantasy plus nihiliste que Tolkien et Howard.

Chez Tolkien, la Terre du Milieu et le monde d’Arda sont dans un état de déclin perpétuel, depuis le moment même ils ont été chantés quand Melkor/Morgoth commence à tenter de plonger le monde dans les ténèbres. Le Silmarillion est un travail empreint de nihilisme : presque tous les personnages de l’histoire sont massacrés, des armées de balrogs et d’orques anéantissent tout ce qui est bon et héroïque dans le Beleriand, les hommes bons sont corrompus et tués, et la victoire ne vient qu’au moyen d’une manœuvre désespérée à la toute fin. Et même cela a des conséquences : le Beleriand est détruit, des centaines de milliers de personnes se noient et il est clairement établi que la défaite de Morgoth n’est que temporaire, puisque l’on prédit son retour et que son lieutenant, Sauron, reste derrière pour continuer à semer le trouble.

Le Seigneur des Anneaux est une nouvelle représentation de ce conte, à échelle réduite, mais même dans ses propres termes, il s’agit d’un travail intrinsèquement mélancolique : la Terre du Milieu est sauvée et Sauron détruit, mais le sang coule à nouveau. Frodon est corrompu par l’Anneau et échoue dans sa quête, et la victoire ne vient qu’au moyen de l’intervention imprévue de Gollum (même si on met en avant le fait qu’il s’agissait d’un seul acte de charité, la décision de Bilbon d’épargner Gollum dans Bilbo le Hobbit, a, au bout du compte, sauvé les héros). Boromir est corrompu par l’Anneau, même s'il connaît un moment de rédemption. Frodon est émotionnellement brisé par les évènements et ne peut profiter des fruits de sa lutte : finalement il doit laisser sa maison derrière lui pour toujours. Même la victoire vient au prix du mythe lui-même : les elfes quittent la Terre du Milieu et la magie disparaît du monde. Après ces évènements, le monde devient terre à terre et moins héroïque (en fait, cela devient notre monde). Tolkien a même prévu qu’après les évènements du Seigneur, le Gondor devienne une nation divisée par des politiques insignifiantes et il abandonna son travail sur un projet de suite, La Nouvelle Ombre.

Bien sûr, il y a de l’héroïsme dans Le Seigneur des Anneaux, des moments de triomphe, et la Terre du Milieu est sauvée de la destruction ou de la domination. Mais il ne s’agit pas d’une fin heureuse, et Tolkien laisse clairement entendre que même si le monde survit, il se retrouve bien moindre par rapport à ce qu’il était. Le Silmarillion est même plus morne, avec très peu de personnages (peut-être Tuor et Earendil seulement) s’en sortant indemnes ou sans avoir commis des actes de violences atroces, voire, dans un des cas, un inceste.

Quant à Howard, son point de vue sur le monde était fondamentalement nihiliste : l’état naturel du monde est le barbarisme et l’anarchie, avec une civilisation constituant un engouement passager qui se détruira bientôt elle-même et restaurera les choses dans leur ordre naturel. Conan se retrouve impliqué dans la plupart de ses aventures contre son désir, avec son lot de richesses, de sexe ou de violence. Il a des moments de vrai héroïsme, mais Howard donne le sentiment que Conan est un personnage intrinsèquement violent qui ne peut supporter la défaite et qui est essentiellement motivé par ses propres désirs. Conan est capable d’héroïsme mais ses motivations sont rarement pures.
Bien sûr, un bref coup d’œil aux inspirations mythiques d’Howard et Tolkien, les grandes sagas nordiques, les légendes arthuriennes, les mythes grecs et ainsi de suite, révèlent des histoires bien plus tragiques et violentes que tout ce que les semblables d’Abercrombie ou Martin ont jamais proposé.

L’autre problème, celui de la fantasy surchargée par les obscénités et les descriptions volontairement graphiques, est mieux accepté. Parfois, le sentiment dans la fantasy moderne est que « adulte » se traduit par les termes « baiser, chier et éviscérer » dans toute leur splendeur, ce qui peut devenir fatiguant au bout d’un moment. Brandon Sanderson a montré qu’il est possible d’écrire un monde de Fantasy divertissant et quelque part original sans avoir recours à ces étapes, alors que Patrick Rothfuss laisse les aspects les plus scabreux de son monde en arrière-plan.

Mais dans le même temps, être capable d’aborder de tels problèmes librement est utile. Je ne doute certainement pas que Howard s’y serait employé s’il n’avait pas été restreint par les contraintes de publication la plupart du temps, alors que Tolkien ne l’aurait sûrement pas fait, même s’il n’a pas lésiné sur des éléments plus sombres là où c’était nécessaire (particulièrement dans sa plus sombre histoire, celle à propos de Turin). Parmi les auteurs modernes, beaucoup ont toujours des héros, mais ne cherchent plus à les faire passer pour des chevaliers blancs. Dans le cycle du Trône de Fer, le moment le plus héroïque de la série se situe probablement quand un personnage saute dans un fossé pour combattre un ours à une main. Le personnage en question est quelqu'un qui a auparavant été présenté comme quelqu'un d'odieux, mais nous apprenons à apprécier ses motivations, car il est le héros de sa propre histoire, même si au fur et a mesure des évènements Martin ne laisse pas les lecteurs ou les personnages oublier ses actes plus répréhensibles. A côté de ça, nous avons des personnages comme Jon Snow qui sont de manière plus évidente héroïques (même si je suspecte que son histoire devienne plus complexe dans le futur).

Il est intéressant de noter que l’article écarte La Roue du Temps, un travail qui suit de manière bien plus proche la tradition de Tolkien, avec plus ouvertement des « bons gars » et des « mauvais garçons ». L’héroïsme et les personnages courant tous les risques pour sauver d’autres gens qui fréquemment les détestent (Perrin sauvant une armée de Blancs Manteaux qui a juré de le tuer) ne manquent pas dans cette saga.

Le problème avec cet essai est que son auteur a fondamentalement mal lu Tolkien et Howard. Le temps dont il déplore le passage, celui de l’héroïsme et de la Fantasy mythique entièrement dépourvue de morale complexe ou d’éléments plus noirs, n’a jamais existé dans la forme telle qu’elle est exposée.

Article originel.

  1. Le nihilisme en échec
  2. La réponse d'Adam Whitehead
  3. La réponse de Joe Abercrombie
  4. La réponse de Sam Sykes

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