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Nihilisme et fantasy, la nouvelle tendance ?

Par Drim, le lundi 11 avril 2011 à 13:00:09

NihilismeCes dernières semaines, un débat assez soutenu a animé la sphère du fandom fantasy outre-Atlantique.
La question principale de celui-ci tourne autour du nihilisme affiché, voire revendiqué par certains auteurs récents, et à succès, en fantasy. Alors, le nihilisme, simple artifice ? Simple boursouflure ? Tout est parti d'un article de Leo Grin, à retrouver ci-dessous, traduit pour vous.
L'article suscita énormément de commentaires, notamment de certains auteurs visés ou de bloggeurs influents. Leurs différentes réponses seront publiées au fur et à mesure dans les jours à venir.

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Le nihilisme en échec

(ndt : D’après Wikipédia, « Le nihilisme (…) est un point de vue philosophique d'après lequel, le monde (et particulièrement l'existence humaine) est dénué de toute signification, tout but, toute vérité compréhensible ou toutes valeurs. »)

J’ai longtemps cru que j’étais un fan du genre connu aujourd’hui sous le nom de Fantasy, et plus particulièrement des sous-genres que sont la High Fantasy et la Sword-and-Sorcery. Cela était du à plusieurs facteurs. Une imagination enfantine dominée par Donjons et Dragons. Une exposition à des films mémorables comme Excalibur, Le Choc des Titans, Conan le Barbare, et leur cousin bien moindre des années 1980.
Mais s’imposant par-dessus tout, se trouvait (et se trouve toujours) mon incorrigible obsession pour les deux « Titanic » du talent littéraire, principalement responsables d’avoir fait naître cette affaire toute entière : J.R.R. Tolkien (1892-1973) et Robert E. Howard (1906-1936). Je considère chacun comme l’égal complet de l’autre, deux génies exceptionnels destinés à être encore connus et relus des centaines d’années après que les gagnants du Pulitzer applaudis par la plupart des critiques traditionnels sont oubliés.

Mais c’est seulement récemment, après des décennies de déceptions littéraires toujours plus importantes, que j’ai à contre-cœur commencé à admettre la vérité : je ne suis pas particulièrement concerné par la Fantasy en elle-même. En fait, ce que je chéris est quelque chose de bien plus rare : la poésie en prose élevée, la subcréation (ndt : c'est-à-dire la création d’un monde imaginaire, voire d’un univers imaginaire) d’un folklore mythologique et la richesse thématique que seule la meilleure Fantasy accomplit, et cela se retrouve dans les importants détails des mythes et fables de jadis.
Cette prise de conscience élimine, d’un seul coup, pratiquement tout ce qui a de nos jours été écrit sous la bannière de la Fantasy.
Les simples apparats du genre n’ont aucun effet sur moi quand ils sont attachés aux intrigues de feuilleton télé interminable aujourd’hui omniprésents (un ami à moi plutôt conservateur a une fois précisément tourné en dérision les cycles de « Fantasy grasse » comme la Roue du Temps de Robert Jordan pour en faire un Seigneur des Anneaux 90210 (ndt : référence à la série Beverly Hills, nommée Beverly Hills 90210 en version originale). Ils ne m’impressionnent pas non plus le moins du monde quand ils sont placés dans les mains d’écrivains clairement ennuyés par le fond mythique classique du genre, et qui essaient de secouer les choses avec ce qui peut au mieux être décrit comme de postmodernes blasphèmes contre notre héritage mythique.

Prenons le dernier roman du populaire auteur britannique Joe Abercrombie (né en 1974), qui atteint régulièrement la liste des bestsellers du Royaume-Uni avec sa « Fantasy innovante non- héroïque mais pleine d’humour ». Intitulé « The Heroes », le tome est garanti, au vu du travail passé de ce scribe, de faire figurer l’exact opposé ce qui est annoncé. « Abercrombie prend la grande tradition de la High Fantasy et la traîne dans le caniveau, de la meilleure manière possible » s’extasie le magazine Time à propos de « Best Served Cold », son précédent livre.

Hélas, je ne l’ai pas lu – le premier effort d’Abercrombie, l'imposante trilogie de la Première Loi (« Premier sang » , « Déraison et Sentiments », et « Last Argument of Kings » ) fut plus qu’assez pour moi. Des scènes sans fin de torture, de traîtrise, et d’effusions de sang trempées dans la scatologie et les obscénités qui se termine par une dénouement digne de M. Night Shyamalan dans ses pires moments, un de ceux qui a fait de son mieux pour blesser, décevoir et décourager n’importe quel amateur de mythes et leurs vérités intemporelles.
Imaginez un « Seigneur des Anneaux » dans lequel, après vous avoir embarqué sur des milliers de pages, tous les hobbits finissent par mourir d’un cancer contracté par leur proximité avec l’Anneau, Aragorn se révèle être un bouffon de roi fantoche sans honneur et sans force, et Gandalf vient à peine de célébrer la défaite de Sauron qu’il exécute un complot conventionnel pour devenir le nouveau Seigneur noir de la Terre du Milieu, et vous aurez une petite idée de ce vous pouvez attendre si vous descendez dans l’égout de la littérature blasée d’Abercrombie.

Sur différents blogs, on peut trouver des critiques divaguant à propos de ce mythique attrape-nigaud. « De la Fantasy réaliste, violente, moralement ambigüe et sombrement drôle avec une pincée de cynisme intelligent » déclare Adam Whitehead de The Wertzone (ndt : blog de critiques de livres, séries et films de fantasy). « Sombre, presque nihiliste, mais pourtant rempli d’humour noir » écrit Simon Appleby à Book Geeks (ndt : blog de critiques littéraires), ajoutant d’un air approbateur que « (Abercrombie) écrit à propos de gens ordinaires entrainés dans des situations extraordinaires qui rarement, si ce n’est jamais, ne s’acquittent de leurs tâches héroïquement ».

Parcourez les critiques d’Amazon.com de nombreux livres acclamés comme étant parmi les grands ouvrages de Fantasy révolutionnaires de ces dernières décennies, et vous verrez des choses similaires apparaître encore et encore. Un fan, critiquant les livres bien planifiés de Matthew Woodring Stover concernant Caine, déplore, comme je l’ai fait quand je les ai parcourus péniblement, le continuel « monologue amer, cynique et presque auto-mutilateur » du personnage principal. La majorité du second ouvrage de la série voit Caine paralysé et offrant au lecteur des descriptions détaillées de son état de décrépitude.
La dernière partie des dix volumes du Livre malazéen des glorieux défunts de Steven Erikson, une série qui s’étale sur plusieurs milliers de pages, est décrite par un fan épuisé comme « inutilement déprimante… un bon nombre de morts semblent purement gratuites ». « Le désespoir et le fatalisme domine » confirme un autre lecteur. (Pour ceux qui n’en ont pas encore eu assez, Erikson a récemment annoncé que, avec l’aide d’un autre écrivain, il allait désormais étendre son opus de dix à vingt-deux volumes – supposant que lui et ses lecteurs vivent jusque là.)
Le roman subversif de Mickael Swanwick « The Iron Dragon’s Daughter » sorti en 1993, arborait un titre qui avait alors attiré de nombreuses jeune filles, pensant qu’elles avaient affaire à un ouvrage standard de Fantasy pour jeunes adultes. Selon le Publisher’s Weekly (ndt : magasine américain hebdomadaire sur le monde du livre en général), il s’agissait en fait d’un « conte nihiliste figurant une humaine échangée à sa naissance qui essaie de trouver sa voie dans une société de concurrence sauvage qui reflète nos vies contemporaines… de la Fantasy puissante mais pourtant sombre et sans espoir qui devrait anéantir pour toujours les illusions charmantes de la Féerie et de son folklore ». Des scènes de sexe entre elfes amateurs de musique pour ados et de sniffage de coke s’empilent les unes sur les autres pour finalement donner un ouvrage qui est à la Fantasy ce que les films de Larry Clark (« Kids », « Bully ») sont au cinéma.

Il est certain que les gens ont le droit de publier ces ouvrages, et par cela exprimer leur frustration ou leur ennui face à ce qui peut vaguement être appelé le classique mode Tolkien/Howard. De tels reproches contre les grands maitres de la fantasy n’ont rien de nouveau – cela remonte au moins à 1934, quand un Robert Bloch adolescent (qui plus tard vint à écrire « Psychose ») écrivit dans le courrier des lecteurs du magasine à sensation Weird Tales ceci : « Je suis horriblement fatigué du pauvre vieux Conan le Glousseur, qui durant les quinze derniers numéros a tous les mois tué un nouveau magicien, s’est coltiné un nouveau monstre, est arrivé à une violente et soudaine fin qu’il a évité (et il y en a marre !) juste à temps, et a gagné une nouvelle fille, dont le penchant pour le nudisme de chacune d’entre elles leur a fait gagner une place d’honneur, que ce soit sur la couverture ou sur l’illustration intérieure. Ainsi a été l’histoire de Conan, et des royaumes des Kushites aux terres d’Aquilonia, des rivages des Shemites aux palaces de Dyme-Novell-Bolonia, je crie : « Assez de cette brute et de ses coups d’épée en fer fondu – qu’il soit envoyé au Valhalla afin de couper des poupées de papiers ».

Mais, pour citer la fameuse réponse de Tolkien aux critiques, qu’il fit dans l’introduction de l’édition revue et corrigée du Seigneur des Anneaux, « Certains qui ont lu le livre, ou en ont fait la critique à quel niveau que ce soit, l’ont trouvé ennuyant, absurde ou méprisable ; et je n’ai pas de raison de me plaindre, puisque j’ai la même opinion de leur travail, ou du genre d’écrits que de toute évidence ils préfèrent.» 
L’autre camp pense que leur truc est, à la longue, en train de tourner le genre en quelque chose de plus original, sérieux et au bout du compte acceptable pour un public intelligent, mature. Eux et leurs fans ont tout à fait le droit d’avoir cette opinion. Pour ma part - et je pense que Tolkien et Howard aurait acquiescé chaleureusement - mon opinion est qu’ils n’ont fait rien de plus que devenir des pourvoyeurs bon marché de graffiti civilisationnel.
Souiller les éléments fondateurs et les conventions reconnues de nos chers mythes modernes n’est pas différent de certains artistes qui prennent un crucifix et le trempe dans de l’urine, le recouvre de fourmis ou l’enduise de selles. Finalement, c’est juste un autre petit et pathétique chapitre conduisant la civilisation occidentale vers un suicidaire dégoût d’elle-même. C’est un cheminement éculé : des créateurs des classes moyennes ennuyés (presque tous des libéraux ayant fait des études supérieures) qui vivent des vies dénuées d’un quelconque but, vont inévitablement tendre la main vers tout ce qui sera jugé sacré par les conservateurs dans n’importe quel champ artistique. Ils récupèrent le langage, le scénario, les personnages, les clichés, le marketing et s’emploient à détruire tout cela comme un docteur fou qui effectuerait une autopsie. Puis, utilisant le cynisme, l’obscénité, la scatologie, l’humour noir et le nihilisme, ils recollent toutes les pièces pour en faire un monstre de Frankenstein conçu pour choquer le lecteur.

Dans le cas de la Fantasy, le résultat est une parodie et une souillure de la splendeur mythologique que les vrais artistes tels Tolkien et Howard ne pouvaient qu’être par leur vie même.
L’honneur est remplacé par la dégradation, la romance par la saleté, la gloire par la défaite et l’espoir par le désespoir. Innovant ? Non, juste de jeunes voyous qui pètent en classe et obtiennent quelques fous rires des autres abrutis qui les entourent.

Il est assez incroyable de voir de nombreux auteurs écrivant de la Fantasy aujourd’hui être loué pour (en citant une fois de plus le Publisher’s Weekly à propos de Joe Abercrombie) dévoiler avec succès la « folie, la passion et l’horreur de la guerre ». Comme nous oublions rapidement que certains des premiers travaux de J.R.R. Tolkien – l’homme qui fut le pionnier de la même High Fantasy actuellement entrainée « dans le caniveau » pour en faire quelque chose d’assez « innovant » - ont été écrits alors qu’il se trouvait assis dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale, et alors même que la plupart de ses amis les plus proches étaient tués. Tolkien écrira plus tard une quantité non négligeable du Seigneur des Anneaux durant la Seconde Guerre Mondiale, alors qu’il s’inquiétait pour deux de ses fils qui partaient faire leur devoir.

Dites que je n’ai pas d’humour, dites que je suis vieux jeu, mais je suppose que le bon professeur avait une bien meilleure idée de la guerre et de ses héros que les plaisantins nihilistes qui écrivent de la Fantasy moderne.

Article originel.

  1. Le nihilisme en échec
  2. La réponse d'Adam Whitehead
  3. La réponse de Joe Abercrombie
  4. La réponse de Sam Sykes

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