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Les Imaginales 2020 : dans les coulisses d’une édition fantôme

Par Izareyael, le jeudi 21 mai 2020 à 11:00:00

ImaginalesParmi les nombreux événements touchés par la crise du coronavirus, on compte le célèbre festival des Imaginales, dont nous sommes partenaires depuis de nombreuses années. Nous vous avions annoncé au mois de mars son annulation.
Dans un monde idéal, c'est en fin de semaine dernière que des dizaines de milliers de visiteurs se seraient précipités à Épinal dans les Vosges pour rencontrer une centaine d'auteurs et d'artistes, assister à des tables rondes, admirer des expositions voire partager un café avec un écrivain. Nous avons appelé Stéphane Wieser, directeur des Imaginales depuis 2015, pour lui demander comment se passait cette étrange édition et parler de l'avenir du festival ainsi que de la place de celui-ci dans l'édition d'imaginaire en France.

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Une édition 2020 des Imaginales bousculée par le virus

En 2019, ce sont près de 45 000 personnes qui se sont pressées dans la Bulle du livre et les autres lieux d'animation : impensable avec la crise sanitaire ! Il a donc fallu se résoudre à annuler l'édition 2020. Nous avons choisi de ne pas proposer une version dégradée du festival, en ligne, qui n'aurait pas eu d'intérêt pour les visiteurs, explique Stéphane Wieser.
Cependant, s'il ne s'agit pour ces derniers que d'un week-end de festivités, les Imaginales représentent pour les professionnels de l'imaginaire francophone – auteurs, éditeurs, artistes... – un moment crucial dans l'année, en visibilité comme en chiffre d'affaires. Pour l'équipe, il était plus important de soutenir la filière du livre qui souffre du confinement, particulièrement les auteurs qui n'ont pas un statut leur permettant de bénéficier des aides de l’État, en donnant la priorité au maintien des opérations professionnelles.

Les professionnels du livre malmenés par la crise sanitaire

La Bulle du livre des Imaginales 2017Auteurs, éditeurs, artistes, libraires, artisans… Nombreux sont en effet les invités et les exposants pour qui l'annulation des Imaginales représente une perte importante de chiffre d'affaires. Le festival est une des vitrines annuelles du genre, auprès des lecteurs comme des médias. Avec le confinement qui a entraîné l'arrêt des parutions et une réduction drastique des ventes entre mars et mai, c'est un autre coup dur pour la filière que l'on sait déjà fragile. Les éditeurs d'imaginaire francophone ne sont pas rares à caler leur calendrier de sorties sur celui des festivals, et les Imaginales en particulier. Beaucoup sont en outre des maisons indépendantes qui n'ont pas toujours la trésorerie nécessaire pour survivre à l'arrêt imposé par le confinement.
L'absence du festival entraîne aussi la quasi-disparition de sa couverture médiatique, alors qu'il constitue d'habitude une des rares occasions dans l'année où les littératures de l'imaginaire apparaissent dans les médias non spécialisés. Cette médiatisation de nos genres de prédilection est très liée aux ventes de livres et au nombre de lecteurs, comme l'étudie l'Observatoire de l'imaginaire depuis 2017.

En dehors de la filière du livre, les commerçants locaux souffrent eux aussi de l'annulation des Imaginales dont les visiteurs remplissent chaque année les hôtels, restaurants, gîtes et bars d'Épinal et alentours pendant plusieurs jours. Sans lui, après sept semaines de confinement et avant un été incertain, alors que la date de réouverture des lieux recevant du public est toujours indéterminée, c'est une part importante de leur saison déjà sinistrée qui disparaît.

Le festival des Imaginales : un lieu de rencontre, de création, de projets

Fresque des Imaginales 2015Mais un festival, ce n'est pas qu'une question de gros sous. Dans toutes ces activités solitaires – écrire, lire, traduire, dessiner ou peindre – les moments conviviaux sont aussi importants. On s'y rencontre, on y discute, on y fait des projets et des découvertes… Les auteurs y trouvent des idées et des éditeurs. Les échanges avec les lecteurs, s'ils s'avèrent parfois épuisants – qu'on en voie des centaines à la chaîne ou que l'on ait le temps de relire Proust entre les dédicaces –, peuvent aussi être source de motivation et même de réflexion sur son travail. Les rencontres des lecteurs et amateurs entre eux, nous sommes bien placés pour le savoir chez Elbakin.net, sont aussi une grande richesse du milieu de l'imaginaire et permettent de faire découvrir et circuler les œuvres. Certaines naissent même en quatre jours, comme les textes des matchs d'écriture organisés par le Club Présences d'esprits ou la traditionnelle fresque des Imaginales, fruit de la collaboration entre plusieurs artistes invités.
Un festival est donc aussi un lieu de création et de projets, sur place comme ailleurs.

L'équipe des Imaginales en a d'ailleurs pris conscience relativement récemment : auparavant, se rappelle Stéphane Wieser, nous nous considérions et nous étions considérés comme une manifestation territoriale, qui arrivait en fin de vie du livre sans être lié aux étapes précédentes. En réalité, je pense que nous avons un vrai rôle et que nous pouvons apporter notre contribution. Nous devons réinvestir dans la filière. C'est un principe qu'il met en avant dans sa direction des Imaginales. Je suis attaché à une vision de défense et de promotion des politiques culturelles, déclare-t-il. Nous devons nous battre pour montrer l'importance de la culture sur les territoires et de façon générale. Pas question de céder au corporatisme et de privilégier certains au détriment des autres ; il s'agit de se développer tous ensemble, en synergie.
Ce soutien à chacune des étapes de la filière du livre a pris la forme du développement des opérations professionnelles proposées par le festival, un accompagnement moins visible du grand public, comme les colloques universitaires ou bien le speed dating.

Soutenir la rémunération des auteurs, une question cruciale

Affiche de Caza pour la première édition des Imaginales en 2002Stéphane Wieser revient alors sur un débat très vif qui a agité le festival depuis plusieurs années : la question de la rémunération des auteurs invités, qui avait fait apparaître certaines tensions entre l'organisation du festival et des représentants d'auteurs (notamment de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse). Avec le slogan Paye ton auteur , ceux-ci protestaient contre le fait de ne pas être payés pour leurs interventions pendant le festival : séances de dédicaces, tables rondes, animations diverses… Ils étaient bien défrayés (trajets, repas et logement) mais non rémunérés.
Le débat est d'ailleurs loin de se limiter aux Imaginales, mais concerne toutes les manifestations où des auteurs sont invités, des plus petites aux plus grands comme le salon Livre Paris d'où est partie la protestation en 2018. Nous ne pouvons entrer ici dans les détails de ce sujet complexe, mais nous pouvons dire que ce qui a paru normal pendant des années et des années – les écrivains participant gracieusement et bénévolement aux festivals et salons – est devenu une injustice insupportable.

En résumé, après de nombreux débats publics ou en interne, les Imaginales ont finalement mis en place une rémunération progressive : une intervention rémunérée sur trois la première année du dispositif, puis une sur deux, et enfin la totalité des interventions rémunérées depuis 2019. Cette stratégie avait d'ailleurs à son tour été vivement critiquée par la Charte qui souhaitait une rémunération complète et immédiate, tandis que le festival arguait de la difficulté à augmenter aussi brutalement le budget. C'était la meilleure chose à faire, justifie le directeur des Imaginales. Cela nous a permis de continuer à avoir 120 auteurs accompagnés, tandis que s'il avait fallu tous les payer à 100 % dès le début, nous aurions dû en abandonner en chemin, affirme-t-il en se réjouissant par ailleurs d'avoir maintenant atteint ce taux.
Pour nous, cette question de la rémunération était vraiment la priorité quand nous avons réglé les éléments de l'annulation, souligne Stéphane Wieser. En accord avec les collectivités partenaires, il a ainsi été décidé de la maintenir cette année en la calculant par rapport aux interventions qui auraient dû avoir lieu d'après les recommandations tarifaires du CNL (Centre national du livre). Cela concerne non seulement les invités, mais aussi les autres intervenants (interprètes, modérateurs…).
Dans le même esprit de solidarité, cette fois avec les entreprises locales, les Imaginales n'ont pas exigé de remboursement des sommes déjà engagées auprès d'elle, par exemple pour la location des tentes qui accueillent les stands.

Le festival des Imaginales dans l'incertitude économique

Table ronde au Magic Mirror aux Imaginales 2015L'annulation de cette édition ne sera pas sans conséquence pour l'avenir des Imaginales, bien entendu. Outre la ville d'Épinal qui porte le festival depuis ses débuts, les sources de financement se partagent actuellement en trois grandes branches : les subventions des collectivités locales ou de l'État, le mécénat de grandes entreprises nationales et de PME locales et les recettes réalisées pendant le festival avec la location des stands, la buvette et la boutique. Ironiquement, alors que cette diversité a été développée depuis 2015 pour limiter les risques en cas de retrait d'un des organismes de subvention, ceux-ci constitueront cette année la seule source de financement du festival annulé.

Du côté des dépenses, elles se répartissent globalement entre la part dite artistique, qui concerne tous les frais liés aux invités, expositions et animations et représente une bonne moitié du budget, et la logistique (locations des locaux, sécurité…) et la communication. Comme on l'a vu, toutes ces dépenses ne disparaissent pas une fois le festival annulé. Pour Stéphane Wieser, le problème ne se pose pas tant pour cette année 2020, puisque le budget a été voté et les fonds alloués, apportant aux Imaginales une sécurité et un confort que n'ont pas des structures associatives. La question est plus délicate pour l'avenir, car cette crise rebat complètement les cartes, s'inquiète-t-il. Nous devrons faire face à de nouvelles difficultés : avec la crise économique, c'est l'incertitude sur les fonds que les entreprises pourront allouer au mécénat et nous risquons d'en perdre beaucoup... Nous ne savons pas non plus comment seront les accompagnements et subventions au niveau des collectivités territoriales : est-ce que la région et le département auront encore de l'argent pour le soutien culturel ? C'est un enjeu de société global qui dépasse le festival...

Sans compter bien sûr les problèmes causés par le coronavirus : continuera-t-il à circuler, interdisant les rassemblements pendant une durée indéfinie ? On n'en sortira pas sans réflexion, poursuit le directeur. Il a fallu intégrer la sécurité dans les bases de l'organisation depuis quelques années avec Vigipirate, sans doute va-t-il falloir faire la même chose avec les questions sanitaires.

  1. Une édition 2020 des Imaginales bousculée par le virus
  2. Un festival des Imaginales 2020 en partie maintenu à distance
  3. Les Imaginales 2021 : la Russie à l'honneur

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