Vous êtes ici : Page d'accueil > L'Actualité fantasy

Bilan 2019, l’année fantasy des libraires

Par Gillossen, le mardi 10 mars 2020 à 11:30:00

Etienne Vincent et Xavier Dollo - Librairie Critic, à Rennes

Critic

Alors que 2019 s’est achevée, quel serait votre premier bilan de cette année d’imaginaire (peut-être plus particulièrement pour la fantasy) dans votre librairie ?
Étienne : Plutôt très positif même si, à mon sens, ça a plutôt été une année science-fiction. J’ai en tout cas eu le ressenti d’une plus grande diversité à ce niveau-là. Il a fallu attendre la parution du Prieuré de l’Oranger lors du dernier trimestre (notre gros carton fantasy de fin d’année) pour que je ressente une année accomplie dans nos rayons au niveau de la fantasy. Je crois qu’il fallait ce très chouette roman « classique » pour contenter les amoureux du genre, moi y compris. Ce qui n’empêche pas de voir d’excellents titres truster nos meilleures ventes, je pense notamment à Chevauche-brumes de Thibaud Latil-Nicolas, excellent premier roman, et Le Chant mortel du soleil de Franck Ferric, une merveille de noirceur. Bien sûr, je n’oublie pas les romans publiés par les éditions Critic qui, vous vous en douterez, font carton plein à la librairie. Mais je crois que c’est la bizarrerie d’avoir la double casquette éditeur et librairie : il y a la fantasy made in Critic, il y a la fantasy des autres, deux choses différentes rangées dans deux cases différentes de ma tête.
Xavier: Tout d’abord merci à Elbakin de laisser la parole aux libraires, ce qui est rarement le cas. Je ne reviens pas trop sur ce qu’a dit Étienne, au mieux j’apporte quelques précisions...
Le bilan chez nous est plutôt bon car le chiffre d’affaires roman continue d’augmenter chaque année et c’est encore le cas en 2019. Il y a plusieurs raisons à cela : la grosse implication des libraires de Critic d’une part, parce qu’on lit beaucoup pour pouvoir orienter le lecteur, mais aussi parce qu’on organise toute l’année des dédicaces/rencontres et qu’on essaie de s’impliquer au mieux dans le tissu local culturel, très riche, qui nous apporte beaucoup humainement. La deuxième raison, tient au fait du relatif succès du Mois de l’Imaginaire que les éditeurs de genre ont mis en place. Chez nous, par exemple, le partenariat que nous avons avec le service culturel de Rennes 2 cartonne (Merci Sarah Dessaint et Amélie Téhel), cette année par exemple avec les venues de Ketty Steward, Sofia Samatar et David Meulemans. Auprès des média, l’imaginaire semble désormais mieux passer, bien qu’il y ait encore de nombreuses marches à gravir pour parvenir à un résultat encore plus probant. Il me semble que les libraires généralistes regardent plus l’imaginaire également, notamment à cause de la raison 3 : Alain Damasio. Oui, c’est vrai, en 2019, Damasio a boosté le chiffre du rayon (240 ex vendus) et le gouffre des ventes qui sépare ce dernier des autres est bien trop énorme. Toutefois, même si nos scores de ventes, de manière générale, baissent un peu sur les autres titres parus dans l’année, il est à noter que nous essayons tout le temps d’agrandir la palette de choix plutôt que d’axer les ventes sur deux ou trois romans précis. Si bien que beaucoup de titres se vendent chez nous entre 15 et 20 exemplaires, ce qui était moins le cas avant. Bien évidemment, la fantasy tire son épingle du jeu. Les grands classiques sont rodés : Hobb, Leiber, Howard, Tolkien par exemple. Les nouveaux classiques aussi : les Sanderson, Rothfuss, Abercrombie, Sapkowski, Erikson (enfin!), partent comme des petits pains. Bref, les grandes sagas ont toujours le vent en poupe et les auteurs francophones ne sont pas en reste, voire tiennent largement la dragée haute aux anglo-saxons. Jaworski, Platteau, Cerutti, Soulas, Da Rosa, Davoust, Katz, Faye, Goddyn, Ange, etc., sont devenus des autrices et des auteurs de fonds. Cette année, de nouvelles autrices intéressantes ont fait leur apparition au sommet de nos tops : Morgan of Glencoe (chez ActuSF) ou encore Samantha Shannon avec son très solide Le Prieuré de l’oranger (De Saxus).
A titre personnel, hors parutions, un événement vous a-t-il particulièrement marqué ou surpris au cours de cette année écoulée (un prix, un salon, etc.) dans le paysage éditorial ?
Étienne : Je vais faire dans l’originalité, mais… la parution des Furtifs. Les 10 ans des éditions Critic, évidemment. Et d’un point de vue plus personnel, le départ de mon collègue Simon Pinel, que je ne remercierai jamais assez. Ça a été un régal de travailler avec toi, camarade ;)
Xavier : Je vais faire vraiment original (même si j’approuve absolument les deuxième et troisième points d’Étienne) : Les 30 ans des éditions L’Atalante. Je connais cet éditeur depuis la fin de mon adolescence dirons-nous et ma vocation de libraire SFFF a au moins deux origines bien identifiables. D’abord, une libraire dont j’entendais toujours parler dans les fanzines auxquels j’étais abonné : Cathy Martin, qui officie toujours à Bédéciné à Toulouse (salut maman si tu me lis !). Et une librairie qui me fascinait, alors que je n’y avais jamais mis les pieds, car entièrement consacrée à l’imaginaire (ou presque) : L’Atalante, à Nantes. Je suppose que si j’ai voulu arpenter les chemins de l’imaginaire moi aussi, L’Atalante y est pour beaucoup. J’ai eu le plaisir d’être invité à leur soirée de 30 ans en novembre et je n’aurais raté cela pour rien au monde. L’adolescent qui fantasmait sur cette librairie synonyme de paradis sur Terre n’aurait jamais pensé cela possible. Bref, une librairie et un éditeur indispensables.
Pour en revenir à vos rayons, avez-vous observé de nouvelles tendances se dessiner chez vos clients ? De nouveaux « appétits », de nouvelles habitudes (ou la confirmation/infirmations de tendances des 2/3 années précédentes bien sûr) ?
Étienne : Du haut de mes trois ans d’expérience en librairie, je ne pense pas avoir un recul particulier sur la question. Pour autant, pour fréquenter Critic depuis de très nombreuses années, j’ai tout de même l’impression que les auteurs français ont une place de plus en plus importante dans les bibliothèques des lecteurs d’Imaginaire (et c’est bien). Et plus encore, je dirais qu’ils se font une place de plus en plus importante dans les collections poche, et ça, c’est encore mieux pour populariser des auteurs. Que dire par exemple du magnifique travail de Folio SF sur la série du Bâtard de Kosigan de Fabien Cerutti, un immanquable de ces dernières années ?
Xavier : Il y en a. Je ne reviens pas sur ce que dit Étienne car c’est assez évident effectivement. La fantasy française, à mon sens, vaut largement l’anglo-saxonne actuelle que l’on nous propose (même s’il y en a eu de la très bonne de divertissement en 2019 comme Wyld chez Bragelonne). Pour ce qui est des autres tendances, je vois l’envie chez une frange de lecteurs de pouvoir lire des textes globalement positifs (on commence à pas mal me demander du « solar punk »), y compris en fantasy. Des textes lumineux et humanistes. Je vois aussi poindre une réémergence du fantastique. J’ai d’ailleurs en rayon de plus en plus de textes fantastiques et, aimant beaucoup cela, j’en mets aussi en avant. Plus globalement, ce qui me fait plaisir, c’est le retour à la nouvelle. Je trouve que les lecteurs ont de moins en moins peur d’en lire. Je me fais peut-être des idées parce que j’ai toujours milité pour mettre en avant la nouvelle à Critic (j’ai tout de même vendu plus de 400 fascicules du Carnoplaste en les plaçant en caisse) et du coup ça « prend ». La forme courte se reprend tout court. Nouvelles, novellas, brefs romans. Parmi mes bonnes ventes cette année, beaucoup de formats courts. De Aux limites de l’infini (30 ex vendus tout de même) de Stanley G. Weinbaum à Jardins de poussière de Ken Liu, la liste est longue. Tiens, je me dis que l’éditeur qui nous sortira l’équivalent de la collection Une Heure-Lumière mais à la sauce fantasy aura peut-être le nez creux ! Sinon je trouve que l’on assiste à un basculement, où l’influence des classiques du genre commence à s’effriter au profit de nouveaux axes de réflexions, qu’ils soient narratifs ou thématiques, avec un vrai retour des interrogations sociales et politiques, mais aussi identitaires. Il me semble que les prochaines années seront intéressantes à suivre de ce point de vue.
Y a-t-il eu un titre que vous avez personnellement adoré, mais qui n’a pas forcément marché autant que vous l’aviez espéré malgré vos efforts (histoire de lui donner une seconde chance maintenant) ?
Étienne : Ça reste très relatif puisque le titre en question demeure parmi nos meilleures ventes à la boutique. Et pour cause, il s’agit d’un titre des éditions Critic : Diseurs de mots, de Christian Léourier. Je suis un grand grand fan du cycle de Lanmeur et je pense qu’avec son diptyque La Lyre et le Glaive, Christian tutoie le grand art. Si je devais rêver d’un succès digne d’un Damasio pour un auteur en France, probablement je citerais tout en haut Christian Léourier. Il y a du Ursula Le Guin chez lui de manière générale, comme il y a du Patrick Rothfuss de manière plus spécifique dans son œuvre de fantasy, quel conteur d’histoire ! Donc une légère déception par rapport au potentiel immense que recèle un tel texte.
Xavier : J’en ai deux. Je dirais Le livre Jaune de Michael Roch. Ce bouquin m’a fait de l’effet, c’est évident. Tout me parle dans ce livre. J’en ai vendu un certain nombre mais vraiment pas autant que j’aurais voulu, pour je ne sais quelle raison. J’aurai peut-être une deuxième chance avec la reparution du titre dans le label « Mu » chez Mnemos. Le deuxième c’est incontestablement Le coffret des abîmes de Gertrude Barrows Bennett (bon c’est marqué Francis Stevens sur la couverture, je ne comprends pas pourquoi l’éditrice a gardé le pseudo masculin, c’était le moment où jamais de lui rendre son identité, mais bon…), petit bouquin fantastique pulp qui a su me happer, le tout dans une très belle traduction, il faut le dire, de Michel Pagel. Mais le bouquin a longtemps été indisponible tout en étant officiellement disponible… une fois mon office écoulé, impossible d’en ravoir. Même l’éditrice et mon représentant ne comprenaient pas. Et puis vers la fin 2019, j’ai quand même réussi à en refaire une pile. Youpie.
Enfin, qu’attendez-vous de cette année 2020 en librairie ? Des surprises ?
Étienne : On est toujours dans l’attente de surprises ! Mais j’attends aussi quelques confirmations. Le prochain Thibaud Latil-Nicolas par exemple. J’attends surtout des one-shot, c’est bien les one-shot !
Xavier : J’attends bien sûr la confirmation de ce frémissement des années précédentes et surtout de l’an passé. Je ne crois pas trop à l’effet boule de neige qui voudrait que grâce à Damasio les gens liront plus d’imaginaire. Je crois en revanche que tout un tas de paramètres – dont Damasio fait partie – font que ce secteur va encore se développer. Jusqu’à quel point ? J’imagine que c’est toute la question et je ne suis pas devin ! Quant aux surprises…. que dire, j’espère qu’elles seront bonnes ! Toujours est-il que l’année débute bien avec pour moi deux beaux coups de cœur : Bienvenue à Sturkeyville de Bob Leman chez Scylla (ce titre pourrait certainement plaire aux amateurs d’urban fantasy à atmosphère étrange, de weird quoi) et Les chroniques de Prydain de Lloyd Alexander chez Anne Carrière. Je n’avais jamais lu ce classique de la high fantasy. C’est bien foutu, intelligent, souvent drôle, avec des personnages secondaires vraiment excellents. Je connaissais le dessin animé pour l’avoir adoré étant jeune (Taram et le chaudron magique), mais les romans sont bien meilleurs. Alors certes, c’est pour ado, mais y-a-t-il un âge limite pour apprécier un super livre ? Sinon, parmi les proches sorties, j’attends une belle surprise du côté des Moutons Electriques avec Le chant des cavalières de Jeanne Mariem Corrèze, qui m’attire vraiment beaucoup. Pour la suite, on verra au gré des parutions… et des réelles surprises que nous apporte le bouillonnement littéraire annuel.

Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière.

  1. Mathieu Betton - Decitre Grenoble
  2. Etienne Vincent et Xavier Dollo - Librairie Critic, à Rennes
  3. Eléonore Calvez - Le Nuage Vert, Paris
  4. Caminite Mendy - Les Quatre Chemins, Lille
  5. Benjamin Spohr - Librairie Sauramps, à Montpellier
  6. Ulysse Ronné - Librairie Mollat à Bordeaux

Dernières critiques

Derniers articles

Plus

Dernières interviews

Plus

Soutenez l'association

Le héros de la semaine

Retrouvez-nous aussi sur :