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Possession Point
ISBN : 979-109490202-8
Catégorie : Aucune
Auteur/Autrice : Léa Silhol
“Tes iris à toi, mon ange, avaient la couleur de la mer avant l’orage, aux rives d’Half Moon Bay. Toutes les Mavericks de Pillar Point y écrivaient en germes les promesses que tu tenais. Je roule parfois jusque là-bas pour jeter un sucre au manque qui me tient dans ses tenailles. Je marche de Ghost Trees à Half Moon Bay. Pour regarder les vagues, de peur d’oublier tes yeux. Quelque part entre les fantômes des arbres et le meurtrier Pillar Point, assise à même la poudre de mon sablier, je bois cette couleur. Je la respire, pendant qu’elle reflue et déferle. J’essaye, une fois encore, d’élucider la technologie de ce mystère. De comprendre comment le monde des hommes transforme la couleur des Mavericks en cadrans d’horloges. Comment le rythme des vagues immenses a pu s’enrouler pour devenir, dans tes yeux, ce cercle de métal auquel j’ai donné un tour ou deux, jadis. C’était un rouage. Mais tout autant, je le sais bien, la face implacable d’un barillet.”
Dans un monde transfiguré par le retour de la Féerie, Anis a pris la route, à la recherche d’une cité légendaire dont on dit qu’elle ne se laisse trouver qu’à son gré : Frontier.
C’est dans la “ville au bord du monde”, patrie des fays, que vit à présent l’homme qu’elle a aimé, et trahi : Jay, membre du redoutable gang changeling de Seattle.
À travers leur histoire, feuilletée comme un album photo depuis le jour de leur rencontre jusqu’à celui de leurs hypothétiques retrouvailles, c’est la vie de tous les Premiers qui se dévoile, durant les années précédant et suivant directement le fondation de l’utopie que fays & fées nomment Le Seuil.
Critique
Par Luigi Brosse, le 30/05/2016
Plus de dix ans, c’est la durée qu’il aura fallu attendre entre le précédent recueil dédié à Frontier et Possession Point, ce nouvel opus situé dans le même “monde”. Dix ans donc pour retrouver Jay, Fallen et Anis, que l’on avait appris à connaître en pointillés au travers des différentes nouvelles existantes. En effet, le scénario se déroule après Comme une balle et À bout de course, en parallèle de Vado Mori dont il explique les tenants et aboutissants, et se termine avant Voix de sève. Ce roman peut néanmoins se lire sans cette introduction, à la manière d’un stand alone, l’auteur ayant fait attention à ce que le néophyte puisse plonger dans l’histoire facilement, par petites touches explicatives. Cela n’est pas pour autant pesant pour ceux ayant lu Musiques de la frontière, bien au contraire, puisque la trame narrative remplit les blancs présents entre les nouvelles.
Chez Silhol, outre l’évaluation de l’intrigue, des personnages ou du style, il est toujours intéressant de s’arrêter un instant pour réfléchir aux thèmes abordés, car ils sont vitaux à la compréhension du livre. Nous ne dérogerons donc pas à la règle.
Comme mentionné en introduction, ce roman s’inscrit dans le Dit de Frontier et met donc en scène des fays. Ces êtres, dont la nature se découvre au fils des livres, naissent au sein de familles humaines, mais manifestent très rapidement des différences, à la fois physiques mais aussi psychiques (ce que l’on qualifiera de magie). À cause de cette altérité, ils sont victimes de racisme, d’exclusion et de persécutions. Cette thématique de l’altérité était déjà présente dans Musiques de la Frontière. On la retrouve ici aussi puisqu’elle sert de moteur à l’histoire, mais également parce que ses conséquences résonnent plus que jamais avec le monde réel. Chacun interprétera bien sûr cette métaphore centrale du roman à l’aune de sa propre expérience, mais le sujet justifie pleinement une “redite” en 2015.
Thème identique ne veut pourtant pas dire traitement similaire. On pourrait ainsi mentionner une première différence : la façon dont est abordé le “terrorisme” fay (guerre des gangs, deal de drogues, guérilla contre le pouvoir en place). Il s’agissait originellement d’un motif récurrent, donnant une identité différente au Dit de Frontier vis-à-vis de l’urban fantasy classique. Par certains cotés, la violence des fays était prise à la légère, peu remise en question, voire légitimée par les circonstances. Léa Silhol expliquait en ligne que ce n’était à présent plus une option vu la banalité avec laquelle ce genre de raisonnements étaient repris dans la vraie vie. En tant qu’auteur, elle ne souhaitait plus utiliser cet artifice littéraire tel quel, avec le risque de le voir détourner et de desservir son message. Sans éviter le sujet, ni moraliser à outrance, Possession Point aborde la violence de manière plus mature et claire, moins idéalisée.
Ceci permet de rebondir sur une seconde différence qui est l’aspect beaucoup plus réaliste du roman. Si la fantasy est toujours présente (ne serait-ce parce que les fays existent), elle se fait néanmoins nettement plus discrète. Si Musiques de la frontière n’hésitait pas à mettre en scène directement les pouvoirs des fays, ce second opus raconte plus qu’il ne montre la magie (à quelques rares exceptions). Ce n’est pas un hasard, mais plutôt une conséquence du point précédent lié à la violence. Léa Silhol disait ainsi : “Je crois que Frontier doit […] aller de plus en plus clairement au plus près de la métaphore qu’elle incarne.” Ce “réalisme” pourrait en déconcerter certains, habitués à la féerie de l’auteur, mais il me semble légitime et symptomatique du murissement de l’univers après 10 ans.
Le second thème du livre est celui de l’identité. À l’origine, Possession Point était une nouvelle (non finalisée) à destination d’une anthologie de Lucie Chenu consacrée à ce sujet. L’identité n’est bien sûr jamais loin de l’altérité dans l’univers fay, puisque se pose nécessairement la question de comment on se définit, existe par rapport à cette différence. Néanmoins, le livre balaie le spectre de ce sentiment de manière beaucoup plus exhaustive, au cours de ses trois parties. La première et la plus longue, nous conduit aux événements racontés dans Vado mori et est donc globalement assez noire. Elle se focalise sur la destruction du Royaume et de l’identité d’Anis, en une succession de traumas et de choix aux conséquences lourdes. La seconde, sous la forme d’un road trip thérapeutique, aborde le lent processus de reconstruction de la jeune femme. Et on termine brièvement dans la lumière, par l’acceptation de soi.
Le thème conditionne ainsi clairement la structure du roman, avec ses flash-backs initiaux et ses interrogations incessantes. Puis l’intrigue s’accélère, livrant ses révélations en pagaille dans le dernier tiers avant de nous laisser sur le cliffhanger final, à la fois satisfait et frustré. Peu de faux pas et de temps morts donc dans cet agencement. Le format long permet également de planter mieux le décor et l’ambiance, qui sont à la fois réalistes et épurés, servis magnifiquement par la plume de l’auteur.
En conclusion, Possession Point c’est le paroxysme de l’histoire d’amour, magnifique mais aussi dure et coupante, à mille lieux du convenu et de la facilité qu’on nous vend trop souvent en urban fantasy. Ce sont aussi des dialogues savoureux, des clins d’œil inattendus (Terminator, Le Seigneur des anneaux…) et un scénario bien construit autour de thèmes forts. Et toujours le plaisir de découvrir les fils cachés qui lient ce roman au reste de la Trame. C’est enfin un livre intelligent, qui vous fait réfléchir sans que vous ne vous en rendiez compte. De l’excellente fantasy avec un message.
9.0/10
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