Librairie Critic, Rennes - Etienne Vincent

Alors que 2024 est derrière nous, quel serait votre premier bilan de cette année en Imaginaire dans votre librairie ?

Une très légère baisse sur notre rayon roman, mais cela peut s'expliquer. Traditionnellement, nous défendons beaucoup les romans des éditions Critic (rien d'anormal jusqu'ici), mais du fait du changement de diffusion/distribution, le nombre de nouveautés Critic a légèrement baissé, ce qui fait probablement un manque à gagner dans nos ventes, beaucoup de nos clients étant très assidus et fidèles, on les en remercie ! Autre explication je pense, les niveaux de vente d'un titre à un autre on été beaucoup plus homogènes cette année, avec plus de titres à faire de belles ventes, mais moins à faire de très belles ventes. En tout cas, ce fut une belle année pour la fantasy chez nous, car si l'on soustrait les romans Critic de l'équation, c'est la fantasy qui truste les cinq meilleures ventes : La Cité des Marches, Kosigan, un printemps de sang, La Maison des Veilleurs, Éducation meurtrière, Le Débat des Dames, sachant que pas très loin, on peut compter Sorcier-empereur, Magie d'encre et Une Valse pour les grotesques.
Je tiens d'ailleurs à remercier Albin Michel Imaginaire pour l'opportunité de recevoir Robert Jackson Bennett le temps d'une rencontre un peu exceptionnelle, ainsi que Denoël pour la venue d'Emma Törzs et Bragelonne pour celle de Pascale Lacelle, jamais Critic n'avait reçu autant d'auteurices internationaux en un laps de temps aussi court, c'était un peu la fête. Je n'oublie pas les francophones, dont je trouve la production toujours plus qualitative d'année en année, avec une spéciale dédicace à Fabien Cerutti, qui m'a régalé avec son retour dans l'univers du Bâtard.

Un événement d'actualité dans l'édition vous a-t-il marqué ou surpris cette année ?

Quand j'entends à droite à gauche les chiffres de vente pour la romantasy, je suis surpris ; surtout, je me sens dépassé. Je suis content de constater que beaucoup de monde lit de l'Imaginaire, mais je suis aussi dans une forme d'incompréhension et de défaitisme. Mon impression demeure la même qu'à l'époque de la bit-lit, celle d'une construction marketing XXL qui fait crouler les étals des librairies, avec une propension à zapper les auteurices nationaux car justement, le business repose à 90% sur la notoriété acquise au préalable chez les anglophones sur le booktok et autre instabook (c'est un pourcentage au doigt mouillé, nous sommes d'accord). Donc évidemment, je crois qu'il y a de la qualité dans toute cette masse, mais il s'agit surtout d'une masse justement, et une masse, ça écrase un peu tout sur son passage, notamment une certaine diversité. Je crois que fondamentalement, ce qui fait la qualité d'un roman, c'est son histoire. Or, il existe de très bonnes histoires sans romance, d'autres avec, mais voir la romance prendre autant le pas sur l'histoire, j'ai du mal à l'appréhender de mon point de vue de simple lecteur.
Évidemment aussi, petite mention pour la fin des Moutons électriques après déjà la liquidation des anciennes éditions ActuSF, cela demeure quelque chose de notable dans notre paysage, et c'est toujours une défaite pour la diversité culturelle de voir une maison d'édition fermer. On peut sûrement leur reprocher des choses, je me serais par exemple abstenu du petit tacle envers les libraires dans leur dernier communiqué, mais merci à eux d'avoir fait émerger tout un tas de plumes talentueuses (Jaworski, Chevalier, Corrèze, Platteau, Faye, etc).

Les lectrices et lecteurs sont-ils toujours aussi friands de conseils ou vous semblent-ils de plus en plus guidés par les grandes tendances (venues des éditeurs, des réseaux...) ?

Eh bien, c'est difficile à juger d'un point de vue personnel, car j'ai une focale très restreinte, celle d'un libraire d'une petite boutique spécialisée. Par conséquent, oui, d'un point de vue micro, les lecteurices sont toujours guidé.es par les conseils avisés des libraires de la librairie Critic, mais d'un point de vue macro, pour rebondir sur l'énorme part de marché que représente la romantasy, cela me laisse à penser que beaucoup de monde se laisse guider par les tendances. Mais on peut le reformuler autrement : certaines personnes ont leurs libraires comme prescripteurs, d'autres les médias traditionnels (journaux, radio, télé) et d'autres encore ont les réseaux sociaux. Et là où l'audience est la plus grande, les grandes tendances naissent, ça me semble terriblement mathématique. Ce n'est pas faute d'avoir proposé des bouquins de romantasy à la librairie pourtant, mais il faut croire qu'on ne change pas les gens d'un claquement de doigts, les ventes sont en adéquation avec l'ethos de la librairie. Chaque année, les meilleures ventes correspondent peu ou prou à mes coups de cœur dans le rayon romans.

Enfin, qu'attendez-vous de cette année 2025, en tant que libraire ?

Plein de belles lectures, j'espère à titre personnel parvenir à lire un peu plus de romans, la BD demandant aussi beaucoup d'attention au magasin. Surtout, j'espère parvenir à organiser une année d'événements un peu exceptionnels pour fêter dignement les 25 ans de la librairie. Je compte sur la bonne participation des éditeurices qui peuvent me lire ici ! Et j'ai hâte de défendre les parutions Critic de cette année (comment ça, je suis corporate ?!), je trouve notre programme excellent, à dominante science-fiction, mais on n'oublie pas le nouveau roman d'Eva Martin en fin d'année, De l'or dans les mains, retour à l'univers de Miska.

Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière.

Pages de l'article

1. Librairie Martelle, Amiens - Nelly Duquesne
2. Librairie Critic, Rennes - Etienne Vincent
3. Fnac Paris Saint-Lazare - Christophe Brocard
4. Librairie Légendarium, Arras - Pierre Debarbieux
5. Librairie Kléber, Strasbourg - Mathilde Bouchot
6. Librairie Quai des brumes, Strasbourg – Sandy Bizzozero