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Un nouvel entretien avec Robert V.S Redick
Par Nak, le vendredi 13 août 2010 à 14:12:49
Alors que le tome 2 du Voyage du Chathrand, Tempêtes, est paru en France le mois dernier, nombreux sont celles et ceux qui ont apprécié ces aventures en haute mer, chargées en embruns et en rebondissements divers.
Pour explorer un peu plus cet univers, et lever le voile sur son créateur, nous vous proposons aujourd'hui une nouvelle interview de l'auteur, Robert V.S Redick, intégralement traduite pour votre plus grand plaisir, du moins, nous l'espérons.
A découvrir dès maintenant ci-dessous dans tous les cas !
L'entretien proprement dit
- Comment avez-vous fait les recherches pour La conspiration du loup rouge ?
- C’est une excellente question à la fois pour le Loup rouge et pour sa suite, Tempêtes. C’est marrant. J’étais une vraie machine à recherches pendant des années – en tant que diplômé travaillant sur et en Argentine, et par la suite pour un roman sur la fameuse
guerre sale
dans ce pays. Quand j’en suis venu à choisir mon projet suivant, j’avais deux idées brûlantes : faire de la fantasy épique et un roman littéraire situé dans la Virginie du XIXe siècle. Et je me suis dit,Voyons, avec la fantasy je n’aurai pas besoin de passer une année à la bibliothèque, ou 5 000 heures à plisser les yeux devant l’écran sur Internet. Je vais simplement inventer.
Ca aurait probablement été le cas si je m’en étais tenu aux châteaux, aux passes de montagnes, etc. Mais qu’est-ce que j’ai fait. J’ai choisi de donner pour cadre à ma série un navire à voile. Et d’un coup j’avais trouvé mes devoirs à faire. L’architecture des voiles, la navigation, la météorologie, la physique, les mécanismes de la bataille navale – et par-dessus tout, comment les humains vivent, travaillent et se côtoient pendant des mois sur l’eau.
Tout cela est d’autant plus difficile dans Tempêtes, avec ses batailles navales, ses tempêtes épiques, ses intrigues parallèles, etc. Ces vieux bateaux étaient juste des instruments hyper compliqués. Et je me plains à propos de ma Volvo qui tombe en panne.
- Quels sont les auteurs vers lesquels vous vous tournez pour trouver l’inspiration ?
- Je cherche au livre par livre plutôt qu’auteur par auteur. Parfois il me suffit simplement de prendre Chekhov. D’autres fois il s’agit de Invisible Cities or A Passage to India ou de A Wizard of Earthsea, ou plus récemment des Enfants de Húrin de Tolkien. Ça n’a pas d’importance si c’est de la fantasy, de la SF ou quelque chose de complètement différent. Ce qui importe c’est que ça me transporte, le cœur et l’esprit, en un endroit ou dans l’état que je recherche.
- Quels sont les autres types de média auxquels vous avez recours pour trouver l’inspiration ?
- N’importe quoi de vraiment très bon peut me donner l’envie de retourner écrire. Mais les autres formes narratives, surtout le théâtre et le cinéma, sont mes préférées.
Je ne suis pas trop jeux vidéos, mais j’espère toujours en trouver qui me satisfasse complètement. Un de mes meilleurs amis est programmateur de jeux vidéos incroyablement dynamique et créatif, et à travers ses yeux j’arrive parfois à entrevoir ce qui est peut-être en train d’arriver dans le monde des jeux. Le problème tel que je le perçois est qu’alors que les coûts de création pour un roman sont relativement faibles, un jeu vidéo sophistiqué demande toujours une énorme dépense en matériel informatique de réseau et une quantité énorme de codes, de vérifications d’erreurs, de tests de jouabilité, de travail de plateforme d’aide, de révision, etc. – sans parler de la distribution et des challenges au niveau du marketing. Tout ça est assez distinct, mais parfois limite la portée de toute histoire réelle. La vision singulière sur laquelle je peux insister en tant qu’auteur n’a pas d’équivalent réel dans cet environnement.
- Comment planifiez-vous de si grands projets de construction de mondes ?
- La réponse courte est petit à petit. J’ai grandi en étant complètement submergé par des jeux de rôle de fantasy, très souvent en étant maître du jeu (je préfère le titre honorifique de
Maître du Donjon
). Pour jouer ce rôle vous devez pratiquer la construction de mondes, et le rendre sujet à la plus immédiate et la plus implacable des critiques. Si oui ou non ça transporte vos amis. Il n’y a aucune alternative, à moins que vous ne suiviez que des aventures descendues d’une étagère. Et utiliser de telles techniques vieillit mal – un peu comme servir des plats à emporter à chaque fois que vous invitez vos amis à diner.
Donc je savais ce vers quoi j’avançais, et j’ai commencé à sculpter. C’est, bien sûr, un travail que l’on aime. Personne qui trouverait la perspective ennuyeuse ne devrait s’y lancer. Et comme pour chaque façon de raconter une histoire, c’est important de creuser profondément dans votre imagination et d’être honnête sur ce que vous y trouvez. Vous pourriez ne pas aimer ce que vous trouverez. Il y aura des veines et des impuretés dans la pierre, et bien sûr, vous pouvez la ciseler. Mais trop couper pour poursuivre l’idée avec laquelle vous avez commencé, et il ne vous restera rien d’autre que des graviers. En d’autres termes, vous devez respecter l’intégrité de ce que vous construisez même si – surtout si – ça complique vos plans. La moitié au moins de la partie fun réside dans ces complications.
- Avez-vous trouvé dans vos recherches des racontars que vous aimez bien, mais que vous n’avez pas encore réussi à intégrer ?
- Oh c’est facile. Le fait que les rats peuvent se glisser dans n’importe quelle ouverture de la taille de leur crâne.
- Structurellement, je trouve intéressant que La conspiration du Loup Rouge soit une histoire archivée, collectée et partagée par un éditeur inconnu, et reliée sous forme de coupures de presse évocatrices. Pourquoi avoir choisi ce type de structure ?
- Ce serait trop en dire, non (un sourire maniaque s’étale sur son visage) ? Mais il suffit de dire que l’éditeur que l’on rencontre brièvement dans Loup Rouge se révèle plus sûr de lui dans Tempêtes. Vous avez l’impression que cette personne est un peu déséquilibrée, et conduite par quelque chose de très personnel. Vous savez aussi que il ou elle est à la fois intimement connecté et physiquement absent de l’action – un survivant de l’aventure, ou un descendant des survivants. Je ne peux pas en dire plus pour ne pas ruiner la lecture, mais je peux dire que c’est génial d’avoir ce complice, cet intrus enthousiaste, qui m’aide à raconter l’histoire.
- A quel point vos opinions politiques nourrissent votre écriture ?
- Subtilement, j’espère. Ça renvoie au fait d’honorer votre acte d’imagination – ou pour dire les choses autrement, à honorer la complexité. L’auteur de nouvelles Etgar Kerret raconte comment il a laissé son jeune fils devenir fou dans une librairie, à lire tout et n’importe quoi – à une exception près. Les livres avec une morale. Celles-là, dit-il, sont des insultes à la forme de fiction. Et je suis d’accord : il n’y a pas une morale pour l’histoire ou pour une narration honnête. Le Guin, dans une critique de Tolkien, écrit,
Bien sûr que c’est une allégorie, bien sûr que Frodo est le Christ – ou bien Gollum est le Christ ?
Donner une réponse définitive serait comme faire violence à l’histoire.
En même temps, je considère que tous les écrits sont politiques. Un roman qui évite consciencieusement de parler de sujets qui nous divisent est toujours politique : son opinion politique est simplement celle du détachement ou de rejet. Et il y a un tas de rejets dans la fantasy. C’est plus facile de ne pas penser à comment les hommes violent les femmes, comment les batailles se finissent en gangrène, comment la gentille famille au pouvoir peut s’asseoir devant un bon repas alors que leurs sujets mangent des racines et de la tambouille. Pour ma part, j’aime les personnages qui sont sensibles au-delà des équivalents culturels de leur nombril. Je veux qu’ils se sentent concernés, qu’ils cherchent, qu’ils ne se sentent pas à l’aise dans le petit monde dans lequel ils sont nés. Même dans la fantasy je veux bien plus qu’une évasion.
- Comment la structure du roman a-t-elle impacté votre discussion sur les inégalités structurelles ? Ici je vous demande de décortiquer les techniques d’écriture antiracistes/de classes.
- La structure narrative, comme le thème, le personnage et la voix peuvent être appréhendés comme des
choix
, mais ce sont aussi des découvertes, pour chaque livre qui prend vie. Un rapide exemple tiré des livres du Voyage du Chathrand. Je n’ai pas consciemmentchoisi
d’écrire des livres qui contiendraient dix ou douze points de vue, et de passer de lettres à des coupures de journaux, à des notes de bas de page, à une histoire racontée par une tierce personne omnisciente. J’ai marché aveugle dans la ville de Sorrophran au lever du soleil, entraînant ma poitrine pleine d’espoirs, de peurs et de rêves sur les pavés derrière moi. Et à un coin j’ai vu un chat roux, et dans une allée j’ai entendu le murmure de l’ixchel, et à travers tout cela j’ai commencé à sentir l’anxiété et le sérieux de Pazel Pathkendle. Ce que je voulais dire m’a conduit à la structure, et pas l’inverse.
Vous avez quelque chose d’urgent à partager, et vous êtes constamment à la recherche de la forme parfaite pour la partager. Inévitablement, ça devient une question d’honnêteté. Avec le lecteur, et même avant lui, avec vous-même en tant qu’écrivain. Vous ne savez pas tout. Vous êtes humain, et en tant que tel un réceptacle à la fois pour le sublime et l’obscène. Vous avez de la méchanceté et de l’amour en vous, de l’égoïsme et de la générosité, l’intelligence et l’instinct, et dans ces broussailles épaisses vous cherchez une clairière dans laquelle vous pourrez réaliser un rite, et vous appelez ce rite votre histoire.
L’honnêteté est aussi en jeu quand vous vous confrontez (ou que vous échappez) aux sujets qui vous rendent différent des autres – et oui, le racisme structurel et considérer la société en classes en sont deux grands exemples. Si je ne fais pas attention à ça dans ma vie de tous les jours, qu’est-ce que je vais pouvoir en dire dans mon livre, et pourquoi devrait-on me croire ? Mais si j’essaie de penser à ces deux sujets difficiles avec autant d’honnêteté qu’il est possible, ils trouveront un moyen de s’exprimer dans ma fiction – pas d’une façon prêcheuse ou doctrinaire, mais comme en étant une part naturelle de celle-ci – au bon moment et au bon endroit.
- Qu’attendez-vous de vos romans de fantasy ?
- Parfois je pense que la vraie question est, qu’est-ce qu’ils veulent de moi ? Je ne plaisante qu’à moitié. Je veux certaines choses, mais je dissèque cette volonté et j’essaie toujours d’être ouvert à d’autres mondes au-delà de mon moi supposément intelligent. En fait, j’ai une devise.
Ne sois jamais intelligent et muet avant d’être chou.
Malheureusement, cette devise elle-même est un peu chou, donc en général je n’en parle pas. Mais je peux dire ceci. Je me tourne vers la lecture pour m’aider à ressentir les merveilles infinies de la création – et de les ressentir à un niveau d’intimité qu’aucune merveille de technologie ne pourra jamais convoyer. Si je pouvais rendre un peu de cette merveille, je serais un homme heureux.
- Comment apprenez-vous à connaître vos personnages ? Où se trouvent leurs origines ?
- Pour vous dire la vérité, c’est le même processus que précédemment. Vous allez là, par le processus mental de votre choix (qui avec moi inclut l’insomnie, l’épuisement physique, une chambre plongée dans le noir…) et ensuite vous écoutez et vous prenez des notes. Vous vous écoutez pas mal, mais
vous
c’est un peu comme les couloirs d’une sorte de station de métro géante, remplie de figures qui se dépêchent et auxquelles vous vous frottez. Les gens sont là, si vous les cherchez.
- Quelle a été la plus grande surprise dans votre aventure pour devenir un écrivain professionnel ?
- Me rendre compte de combien j’ai besoin de contact avec d’autres gens, en plus de travailler dans la solitude. C’est un peu un cercle vicieux. Je suis plus que jamais convaincu que les connexions sociales sont inscrites dans mes gênes, mais je réalise aussi que mon travail ne se fait que quand je suis seul.
- Qu’est-ce que vous faites quand vous n’écrivez pas ?
- Dernièrement ? Je m’inquiète. La pression que je ressens pour finir la suite rapidement est extrêmement intense. Quand c’est vraiment possible de faire une pause, je vais courir, faire une randonnée avec mon chien, cuisiner indien, découvrir de nouveaux groupes de musique, danser quand la musique en vaut la peine.
A une époque je voyageais beaucoup – c’est ce que je rêve toujours de faire. Ces derniers temps, avec le climat en chute libre, j’essaie de faire plus attention et d’être plus sélectif quant au quand et au comment. Qui sait ? Peut-être que les gros navires à voile seront les Boeing 747 du futur ?
- Sur quels projets futurs travaillez-vous ?
- Seulement, et constamment, sur le Livre III (The River of Shadows). Après ça, ce sera le quatrième et dernier volume (The Night of the Swarm). Et ensuite ce sera le temps de la décision. Je ne suis pas en manque de livres que je rêve d’écrire. Mais auquel je vais m’attaquer en premier je ne sais pas.
- Quand avez-vous commencé à écrire ?
- Il me semble que j’ai écrit une suite à un roman de Hardy Boy quand j’avais onze ans. Dans ma version Frank et Joe trouvent les objets volés à la page quatre, et tout le monde est content ; le roman se termine à la page cinq. J’aurais pu m’arrêter là et faire une carrière en tant que vétérinaire. Hélas, parfois une chose conduit vraiment à une autre.
:Est-ce que vous pensez que ce projet pourrait devenir un RPG ? : Ça serait un rêve devenu réalité. Est-ce que ce genre de choses arrivent vraiment à d’autres personnes que Tolkien et Lovecraft ?
- POURQUOI VOTRE SITE INTERNET EST AUSSI MIGNON ? J’adore la bande son.
- Ça a été un travail de passion. J’ai mixé les effets sonores à partir d’extraits d’effets sonores du domaine public. J’ai passé beaucoup, beaucoup trop de temps à mixer ces effets sonores. Mais si vous regardez à la page des remerciements de l’auteur vous pourrez découvrir un ou deux bonus cachés. Quant au site en lui-même, tout le crédit revient à ma talentueuse amie Amber de chez Zavada Design. Elle s’est surpassée. Merci beaucoup.
- Quelle est l’histoire épique qui vous ronge de l’intérieur ?
- J’espère celle que j’écris. Si ce n’est pas épique, je n’ai pas de chance, parce que les histoires que je peux raconter ne peuvent pas être plus énormes.
Auteur
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